1921

Mis en ligne par l'Atelier
Le Populaire, 6 février 1921


Au camarade Paul Faure. Secrétaire du parti socialiste (S.F.I.O.)

Louise Saumoneau


Mon cher camarade,

Du jour où j’ai connu et examiné les conditions meurtrières que Moscou imposait à notre Parti, j’ai entrevu les possibilités d’une scission, de ce jour-là j’ai pris la ferme détermination de ne pas adhérer au parti de la proscription et des « épurations périodiques ». Les inquisiteurs auront toujours assez de besogne, n’est-il pas vrai ?

Réduite à l’inaction depuis plus de deux mois alors que se déroulaient les derniers événements qui ont amené le dénouement fatal, -dénouement dans lequel seul un petit nombre peut dire qu’il n’a aucune part de responsabilités « immédiates ou lointaines », – j’ai eu bien souvent l’idée d’abandonner définitivement la lutte, de me retirer sur mon « Olympe » de la montagne Sainte-Geneviève, pour y gémir sur les ruines de la Jérusalem Socialiste, si péniblement édifiée en 1905 et maintenant détruite, dans des conditions et à un moment tels que la raison reste confondue devant un crime aussi stupide. Tentation lâche évidemment, fortifiée et entretenue par un mauvais état de santé persistant, mais âprement combattue par la vision de ce grand mot impératif : Devoir ! qui s’inscrivait sur tous les objets m’environnant. Devoir ! C’est là, sans doute, pour les « laissés-pour-compte » de nos grands lycées, l’une de ces idées de « petit-bourgeois » comme honneur, dignité, morale, moralité, propreté… J’avoue humblement que je l’ai cependant puisée dans la lignée des serfs de la ville et des champs qui constitue mon arbre généalogique. Cette fois encore ce sentiment a triomphé des pensées débiles.

Je reste donc avec vous, cher camarade, avec tout mon passé, qui ne supporte aucun recul de pensée, ni d’action, apportant ainsi, je le crois, un « morceau d’unité socialiste » reconstituée à Tours, un complément nécessaire pour que toutes les tendances y soient représentées et puissent, comme par le passé, se heurter et même se combattre, sans se proscrire : pour que notre parti soit aussi tout à fait représentatif du « Socialisme de guerre », du « Réformisme », et de l’illusionnisme parlementaire. Il est vrai que, pour certains, ce ne sera qu’un otage de plus ; néanmoins, mon miroir ne m’a pas renvoyé mon image sous cette forme-là.

Les masses de « jeunes » que la guerre a amenés au Socialisme et dont les souffrances, les meurtrissures, les amertumes exploitées présentement d’une manière ignominieuse et indigne, semblent aujourd’hui aveuglées au point de ne plus distinguer ceux qui s’efforcèrent de mettre fin à leurs misères, de ceux qui mirent tout en œuvre pour les prolonger, dès que ces derniers ont reçu le baptême et la confirmation qui les fait parfaits Communistes. On doit s’efforcer de comprendre les âmes tourmentées de ces « Enfants du siècle » et ne point désespérer de les attirer à soi. Un jour viendra où, dégagés des vapeurs sanglantes dont ils ont été enveloppés durant de longues années et dont ils sont encore tout imprégnés, ils comprendront le respect de leur personne humaine et l’amour qu’ont pour eux ceux qui désirent les voir aller aux combats révolutionnaires en pleine conscience du but à atteindre et s’emploient à les en instruire ; ils percevront le mépris que professent à leur égard ceux qui veulent, au contraire, les fanatiser, voire même les militariser. Ils imposeront alors, comme certains d’entre nous le firent autrefois, la reconstitution de l’« Unité totale », faite de discipline et de tolérance.

Cordiales salutations.


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