1928

L'Opposition de Gauche face au centrisme bureaucratique.


L'Internationale Communiste après Lenine

Léon Trotsky

CRITIQUE DU PROGRAMME DE L'INTERNATIONALE COMMUNISTE

II. LA STRATÉGIE ET LA TACTIQUE DE L'ÉPOQUE IMPÉRIALISTE (IV)

7. POLITIQUE ULTRA-GAUCHE ET LEVAIN DE DROITE

Après la période de violent flux vint, en 1923, la période du long reflux qui, dans le langage stratégique, signifiait : retraite en ordre, batailles d'arrière-garde, retranchement dans les organisations de masse, revue de détail, fourbissage et aiguisage des armes théoriques et politiques. Cette attitude fut appelée esprit de liquidation. Au cours des dernières années, on commit avec cette notion – comme avec d'autres appartenant au vocabulaire bolchevique – de grossiers abus : on n'enseignait pas et on n'éduquait pas, on jetait le trouble et on induisait en erreur. L'esprit de liquidation, c'est le renoncement à la révolution, c'est la substitution du réformisme à ses voies et à ses méthodes. La politique léniniste n'a rien de commun avec cet esprit, mais elle n'a rien à voir non plus avec l'attitude qui consiste à négliger les modifications de la situation objective, à maintenir verbalement la marche à l'insurrection alors que la situation a déjà changé, qu’on doit de nouveau prendre le chemin du travail parmi les masses, travail long, tenace, systématique, minutieux, pour préparer le parti à une nouvelle révolution.

L'homme a besoin d'une certaine sorte de mouvement quand il monte un escalier et d'une autre quand il le descend. La position la plus dangereuse est celle où l'homme, après avoir éteint sa chandelle, lève le pied pour monter tandis que devant lui les marches descendent. Les chutes, les bosses, les luxations sont alors inévitables. La direction de l'Internationale communiste a tout fait en 1924 pour empêcher la critique de s'exercer sur l'expérience de l'Octobre allemand, et en général toute critique. Elle répétait elle-même avec obstination : les ouvriers vont directement à la révolution ; l'escalier conduit vers le haut. Il n'est donc pas étonnant que les directives du Ve Congrès, appliquées lors d'un reflux révolutionnaire, aient amené des chutes et des luxations politiques bien cruelles.

Le n° 5-6 du Bulletin d'information de l’Opposition allemande du 1er mars 1927 disait :

" La plus grande erreur de la gauche lors du Congrès du Parti (celui de Francfort, au printemps de 1924, où la direction passa à la gauche) fut qu'elle ne signala pas de façon suffisamment vigoureuse au Parti la gravité de la défaite de 1923, qu'elle ne tira pas les conclusions nécessaires, n'expliqua pas au Parti avec sang-froid et sans aucun embellissement les tendances de la stabilisation relative du capital, et de ce fait, ne formula ni le programme, ni les mots d'ordre de la période qui devait immédiatement suivre ; il eût été parfaitement possible de le faire, tout en stigmatisant brutalement, en toute raison et de toute nécessité, les thèses du programme " (souligné par moi – L.T.).

Ces lignes nous montrèrent alors qu'une partie de la gauche allemande qui, au Ve Congrès, avait participé à la lutte contre notre prétendu " esprit de liquidation ", avait bien compris les enseignements de 1923-1924. Cette évolution rendit possible, par la suite, un rapprochement sur une base de principes.

L'année véritable du changement de situation fut 1924. Pourtant, ce n'est qu'un an et demi plus tard qu'on reconnut cette variation brusque (" stabilisation "). Il n'est donc pas étonnant que 1924 et 1925 aient été des années d'erreurs de gauche et d'expériences putschistes. L'aventure terroriste bulgare et l'histoire tragique de l'insurrection estonienne de décembre 1924 furent des explosions de désespoir, conséquences d'une orientation fausse. Ces tentatives destinées à violer le processus historique par la voie du putschisme amenèrent une récidive malchanceuse à Canton, à la fin de 1927 parce qu'elles ne furent pas soumises à la critique. Même de légères erreurs ne restent pas impunies en politique; à plus forte raison des fautes graves. Mais la plus grave des fautes est de dissimuler les erreurs commises, d'en contrecarrer mécaniquement la critique et d'empêcher à leur propos un jugement marxiste judicieux.

Nous n'écrivons pas l'histoire de l'Internationale communiste au cours des cinq dernières années. Nous ne faisons qu'illustrer par des faits, à propos des événements essentiels de cette période, les deux lignes stratégiques; nous soulignons ainsi, en même temps, le manque de vitalité du projet de programme pour qui toutes ces questions n'existent pas. Nous ne pouvons décrire ici, même en nous bornant à ses traits principaux, le tableau des difficultés insurmontables dans lesquelles se débattirent les partis de l'Internationale communiste, pris qu'ils étaient entre les directives du Ve Congrès et la réalité politique. Certes, ce n'est pas partout que cette contradiction provoqua des convulsions aussi funestes qu'en Bulgarie et en Estonie en 1924. Mais, partout, les partis se sentaient réduits à l'impuissance, ils ne pouvaient répondre aux aspirations des masses, ils avaient des œillères et perdaient le pas. Dans leur agitation et leur propagande, dans l'activité syndicale, à la tribune parlementaire, partout les communistes traînaient avec eux le boulet de la fausse position du Ve Congrès. Chaque parti, victime, à un degré plus ou moins élevé, de la fausse orientation de départ, poursuivait des fantômes, négligeait les processus réels, transformait les mots d'ordre révolutionnaires en phrases ronflantes, se compromettait aux yeux des masses et perdait pied. Pour comble de malheur, alors comme aujourd'hui, la presse de l'Internationale communiste ne pouvait grouper et publier des faits et des chiffres concernant l'activité des partis communistes au cours des dernières années. Après les défaites, les fautes et les insuccès, la direction des épigones préfère battre en retraite et châtier aveuglément.

Comme les facteurs réels lui infligeaient un démenti toujours plus cruel, la direction devait mettre de plus en plus en avant des facteurs imaginaires. Perdant pied chaque jour davantage, le Comité exécutif de l'Internationale communiste se trouvait contraint de découvrir des forces et des jaillissements révolutionnaires là où il n'y en avait nulle trace, il devait se cramponner à des cordages pourris pour se maintenir en équilibre.

Comme se produisaient dans le prolétariat des déplacements manifestes vers la droite, l'Internationale communiste se mit à idéaliser la paysannerie, exagérant sans les passer au crible tous les symptômes de sa " rupture " avec la société bourgeoise, prêtant des teintes vives à toutes sortes d'organisations paysannes éphémères et adulant franchement les " démagogues paysans ".

A la tâche de l'avant-garde prolétarienne, qui doit lutter longuement et avec ténacité contre la bourgeoisie et la démagogie pseudo-paysanne pour influencer les couches les plus déshéritées des campagnes, on substituait de plus en plus l'espoir que la paysannerie jouerait un rôle révolutionnaire, direct et indépendant, à l'échelle nationale et internationale.

Au cours de 1924, c'est-à-dire pendant l'année de la " stabilisation ", la presse communiste fut pleine de données tout à fait fantaisistes sur la puissance de l'Internationale paysanne qui venait d'être fondée [1] ; son représentant, Dombal, disait dans un rapport que, six mois après sa création, elle comptait déjà plusieurs millions de membres.

C'est alors qu'éclata la scandaleuse affaire Raditch, le chef du Parti " paysan " croate qui, pour augmenter ses chances de devenir ministre dans Belgrade la blanche, fit passer sa route, qui venait de Zagreb la verte, par Moscou la rouge. Le 9 juillet 1924, Zinoviev raconte sa nouvelle " victoire " dans un bilan du Ve Congrès qu'il présente aux militants activistes de Leningrad :

" Actuellement, des déplacements importants se produisent dans la paysannerie. Vous avez certainement tous entendu parler du parti paysan croate de Raditch. Raditch se trouve en ce moment à Moscou. C'est un véritable chef populaire... Il est suivi unanimement par tous les paysans pauvres et moyens de Croatie... Raditch a décidé d'adhérer, au nom de son parti, à l'Internationale paysanne. Nous considérons cet événement comme capital. La fondation de l'Internationale paysanne est de la plus haute importance. Certains camarades ne voulaient pas croire qu'il en sortirait une grande organisation... Maintenant une grande masse auxiliaire vient à nous, la paysannerie " (Pravda, 22 juillet 1924).

Et ainsi de suite, sur le même mode.

Pour faire pendant à Raditch, " le vrai chef populaire ", il y avait de l'autre côté de l'océan le chef La Follette. Afin de faire avancer plus rapidement la " masse auxiliaire " des fermiers américains, Pepper, le délégué de l'Internationale communiste, entraîna le jeune et faible Parti communiste américain dans une aventure absurde et honteuse, en créant autour de La Follette le Workers and Farmers Party [2] pour renverser plus vite le capitalisme américain.

La bonne nouvelle d'une prochaine révolution aux États-Unis, qui s'appuierait sur les fermiers, occupait à cette époque tous les discours et articles des leaders officiels du Comité exécutif de l'Internationale communiste. Dans son rapport, à une séance du Ve Congrès, Kolarov déclarait :

" Aux Etats-Unis, les petits fermiers ont formé un parti de fermiers et de paysans qui se radicalise de plus en plus, qui se rapproche des communistes, et qui se pénètre de l'idée de la création aux Etats-Unis d'un gouvernement ouvrier et paysan " (Pravda, 6 juillet 1924, n° 151).

Ni plus ni moins !

Green, du Nebraska, militant de l'organisation de La Follette, vint au Congrès paysan de Moscou ; lui aussi adhéra à quelque chose, puis, comme de coutume, lors de la Conférence de Saint-Paul, il contribua à faire échec au Parti communiste quand celui-ci tenta, sans grande vigueur, de mettre à exécution les grandioses intentions de Pepper, conseiller du comte Karoly, ultra-gauche du IIIe Congrès, réformateur du marxisme, un de ceux qui égorgèrent la révolution en Hongrie.

Le 29 août 1924, la Pravda se lamentait :

" Le prolétariat américain dans sa masse ne s'est pas encore élevé jusqu'à la compréhension de la nécessité d'un parti, même aussi collaborationniste que l'est le Labour Party anglais. "

Or, à peu près un mois et demi auparavant, dans son rapport aux militants de Léningrad, Zinoviev déclarait :

" Plusieurs millions de fermiers, bon gré mal gré (!), sont directement poussés par la crise agraire vers la classe ouvrière " (Pravda, 22 juillet 1924).

Et directement vers le gouvernement ouvrier et paysan ! – ajoutait Kolarov. La presse répétait à loisir que se créerait bientôt en Amérique un Workers and Farmers Party qui ne serait pas purement prolétarien, mais qui serait tout de même un parti de classe, " pour renverser le capital ". Ce que signifie un caractère de classe qui n'est pourtant pas un caractère purement prolétarien, aucun astrologue ni de ce côté de l'océan ni de l'autre ne pourrait l'expliquer. En fin de compte, ce n'était que la forme pepperisée de l'idée des " partis ouvriers et paysans bipartites " dont nous reparlerons plus en détail à propos des leçons de la révolution chinoise. Qu'il suffise, ici, de signaler que la conception réactionnaire de partis non prolétariens qui seraient tout de même des partis de classe s'est développée en se fondant entièrement sur la prétendue politique de " gauche " de 1924, qui, pour camoufler ses échecs, s'accrochait à Raditch, à La Follette et aux chiffres gonflés de l'Internationale paysanne.

" Nous assistons actuellement – déclare Milioutine, académicien des lieux communs – à un processus très significatif et très important : l'autonomie des masses paysannes qui se séparent de la bourgeoisie, l'intervention de la paysannerie contre le capitalisme et le renforcement de plus en plus grand du front unique de la paysannerie et de la classe ouvrière en lutte dans les pays capitalistes contre le système social " (Pravda, 27 juillet 1924).

Durant toute l'année 1924, la presse de l'Internationale communiste ne se lasse pas de parler de la " radicalisation " générale " des masses paysannes ". Comme si l'on pouvait attendre de cette radicalisation des paysans, un résultat valable, dans une période où manifestement les ouvriers vont à droite, où la social-démocratie se renforce et où la bourgeoisie se consolide !

Nous retrouverons la même erreur de vision politique à la fin de 1927 et au début de 1928, à propos de la Chine. Chaque fois qu'une profonde crise révolutionnaire s'est achevée par une grave défaite du prolétariat, décisive pour toute une période, on voit encore, longtemps après, éclater, dans les masses arriérées et semi-prolétariennes des villes et des campagnes, des sursauts d'indignation, de même que des ondes circulaires se forment après la chute d'un rocher dans l'eau. Si la direction accorde à ces ondes une valeur propre, en les interprétant, sans tenir compte des processus en cours dans la classe ouvrière, comme des signes de l'approche de la révolution, sachez-le, c'est un syndrome qui annonce des aventures semblables à celles d'Estonie ou de Bulgarie en 1924 ou de Canton en 1927.

Pendant cette même période d'ultra-gauchisme, le Parti communiste chinois fut harcelé jusqu'à ce qu'il se décidât à entrer, pour quelques années, dans le Kuomintang que le Ve Congrès déclara " parti sympathisant " (Pravda, 25 juin 1924), sans essayer sérieusement de définir son caractère de classe [3].

Plus on va et plus se développe l'idéalisation de la " bourgeoisie nationale révolutionnaire ", C'est de cette façon qu'en Orient aussi le faux cours de gauche, fermant les yeux sur la réalité et brûlant d'impatience, jette les bases de l'opportunisme qui lui succédera. C'est à Martynov que l'on fit appel pour sa codification; il était, pour le prolétariat chinois, un conseiller d'autant plus sûr qu'au cours des trois révolutions russes il avait trottiné derrière la petite bourgeoisie.

En cherchant à raccourcir artificiellement les délais, non seulement on se raccrochait à Raditch, à La Follette, aux millions de paysans de Dombal et à Pepper, mais on élaborait aussi, pour l'Angleterre, une perspective radicalement fausse. La faiblesse du Parti communiste anglais fit alors surgir le besoin de lui substituer au plus vite quelque force plus impressionnante. C'est alors qu'apparut une appréciation erronée des tendances du trade-unionisme anglais. Zinoviev laissa entendre qu'il considérait que la révolution passerait non pas à travers l'étroite porte du Parti communiste anglais, mais par le large portail des trade-unions. A la lutte que devait mener le Parti communiste pour conquérir les masses organisées dans les trade-unions, on substitua l'espoir d'utiliser au plus vite, dans des buts révolutionnaires, l'appareil tout fait des trade-unions. Par la suite, ce fut cette façon de voir qui fit se développer la politique du Comité anglo-russe [4] , laquelle porta un coup aussi bien à l'Union soviétique qu'à la classe ouvrière anglaise ; seule la défaite subie en Chine eut encore plus de gravité.

Les leçons d'Octobre, écrites dès l'été 1924, réfutent en ces termes l'idée qu'on doit hâter la marche des événements, en s'appuyant au besoin, comme le montrèrent les développements ultérieurs, sur un Purcell ou un Cook :

" La révolution prolétarienne ne peut triompher sans parti, en dehors du parti, en passant à côté du parti, par un succédané du parti. Telle est la principale leçon de la dernière décennie. Il est vrai que les syndicats anglais peuvent devenir un puissant levier de la révolution prolétarienne, ils peuvent même dans certaines conditions et pour une certaine période remplacer les soviets ouvriers. Mais ils ne peuvent jouer ce rôle en dehors du Parti communiste et à plus forte raison contre lui; ils ne peuvent le remplir qu'à condition que l'influence communiste devienne décisive dans les syndicats. Nous avons payé trop cher cette conclusion sur le rôle et l'importance du parti dans la révolution prolétarienne pour y renoncer aussi facilement ou simplement l'atténuer " (Vol. III, 1° partie, p. 9).

Le même problème est posé d'une façon plus large dans Où va l'Angleterre ?, livre qui, de la première à la dernière page, s'applique à démontrer que la révolution anglaise ne saurait passer, elle aussi, que par la porte communiste. En pratiquant une politique juste, courageuse, délivrée de toute illusion, le Parti communiste anglais peut mûrir et croître par bonds, et s'élever ainsi en quelques années au niveau de ses tâches.

Les illusions gauchistes de 1924 ont prospéré à partir d'une conception de droite. Pour cacher aux autres et se cacher à soi-même l'ampleur des fautes et des défaites de 1923, on nia qu'une orientation vers la droite s'opérait dans le prolétariat, et on exagéra de façon optimiste les développements révolutionnaires qui se produisaient dans les autres classes. Ainsi commença le glissement qui a conduit, d'une position prolétarienne, à la position du centrisme, c'est-à-dire de la petite-bourgeoisie. Avec l'affermissement de la stabilisation, ses partisans devaient, en un second temps, jeter leur masque ultra-gauchiste et se révéler comme de grossiers collaborationnistes, en U.R.S.S., en Chine, en Angleterre, en Allemagne, et partout.

8. PÉRIODE DE GLISSEMENT CENTRE-DROIT

La politique des partis communistes les plus importants, établie d'après l'orientation décidée au Ve Congrès, montra vite sa complète inefficacité. Les fautes du pseudo-" gauchisme " qui retardèrent le développement des partis communistes, entraînèrent un nouveau changement empirique, à savoir un glissement accéléré vers la droite. Les Comités centraux de " gauche " de nombreux partis furent détrônés aussi abusivement qu'ils avaient été installés avant le Ve Congrès. Le gauchisme des aventuriers céda la place à un opportunisme ouvertement affiché, du type centre-droit. Pour faire comprendre le caractère et l'allure du revirement vers la droite dans les organisations, on doit encore rappeler qu'en septembre 1924 Staline, qui présidait à ce revirement, estimait que le passage de la direction du parti entre les mains des Maslov, Ruth Fischer, Treint, Suzanne Girault, etc., signifiait la bolchevisation des partis et répondait aux revendications des ouvriers bolcheviques qui vont vers la révolution et " veulent avoir des chefs révolutionnaires ".

" Le dernier semestre – écrivait Staline – est remarquable en ceci que la vie des partis communistes occidentaux a connu une cassure totale : la liquidation résolue des survivances sociales-démocrates, la bolchevisation des cadres du parti, l'isolement des éléments opportunistes " (Pravda, 20 septembre 1924).

Environ dix mois après, les " bolcheviks " authentiques, les " chefs révolutionnaires ", étaient traités de sociaux-démocrates et de renégats, écartés de la direction et chassés du parti.

Bien que ce changement de dirigeants, réalisé souvent par des mesures mécaniques, grossières et déloyales de l'appareil, ait pris un caractère de panique, on ne peut tracer une ligne de démarcation idéologique précise entre la phase de politique ultra-gauche et la période de glissement opportuniste qui la suivit.

Sur les problèmes de l'industrie et de la paysannerie en U.R.S.S., de la bourgeoisie nationale, des partis " paysans " dans les pays capitalistes, du socialisme dans un seul pays et du rôle du parti dans la révolution prolétarienne, les tendances révisionnistes étaient en plein épanouissement en 1924-1925; dissimulées sous l'étendard de la lutte contre le " trotskysme ", ces tendances trouvèrent une éclatante expression opportuniste dans les résolutions de la Conférence du Parti communiste (bolchevique) de l'U.R.S.S. en avril 1925.

L'orientation droitière, prise dans son ensemble, fut une tentative d'adaptation à demi-aveugle, empirique et tardive, au retard que la défaite de 1923 fit subir au développement de la révolution. Primitivement, Boukharine abordait la question en considérant le développement " permanent " de la révolution au sens le plus direct et le plus mécanique du terme. Il n'admettait ni " pause ", ni interruption, ni retraite; il considérait comme un devoir révolutionnaire de poursuivre " l'offensive dans n'importe quelles conditions ".

L'article de Staline – De la situation internationale – cité plus haut, qui constitue une sorte de programme (ce fut la première intervention générale de Staline sur des problèmes internationaux), montre que le second auteur du projet, lors de la première période de lutte contre le " trostkysme ", se força lui aussi à admettre la même conception mécanique de " gauche", selon laquelle ne se manifestaient toujours et invariablement que la " désagrégation " de la social-démocratie, la " radicalisation " des ouvriers, la " croissance " des partis communistes, " l'approche " de la révolution. Quant à celui qui regarde autour de lui et qui opère des distinctions, c'est un " liquidateur ".

Après la rupture qui se produisit dans la situation européenne en 1923, cette " tendance " eut besoin d'un an et demi pour éprouver une sensation nouvelle et, en pleine panique, se transformer radicalement. Dépourvue de toute compréhension synthétique de notre époque et des tendances qui l'animent, la direction s'oriente en tâtonnant (Staline) ou en complétant ses conclusions fragmentaires par des schémas scolastiques qu'elle a chaque fois renouvelés (Boukharine). C'est pourquoi sa ligne de conduite politique constitue, dans l'ensemble, un enchaînement de zigzags. Sa ligne idéologique est un kaléidoscope de schémas qui tendent à pousser à l'absurde chaque élément des zigzags staliniens.

Le VIe Congrès agirait judicieusement s'il décidait la création d'une commission spéciale, chargée de réunir en un seul ensemble toutes les théories que Boukharine a inventées pour édifier sur elles son argumentation, à chaque étape, par exemple, du Comité anglo-russe ; il faudrait les disposer chronologiquement, les arranger en système si l'on voulait tracer le diagramme fébrile de la pensée qu'elles contiennent. Ce serait un diagramme stratégique riche en enseignements. Il en va de même pour la révolution chinoise, pour le développement économique de l'U.R.S.S. et pour toutes les autres questions de moindre importance. Un empirisme aveugle multiplié par la scolastique, telle est l’orientation qui n’a pas été impitoyablement condamnée.

Cet empirisme a eu des conséquences fatales dans les trois problèmes capitaux : la politique intérieure de l'U.R.S.S., la révolution chinoise et le Comité anglo-russe. Il s'est également manifesté, mais d'une façon moins claire et avec des résultats immédiats moins funestes, dans toutes les questions de la politique de l'Internationale communiste.

En ce qui concerne les problèmes intérieurs de l'U.R.S.S., le glissement a été caractérisé de façon suffisamment complète dans la Plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) : nous sommes obligés ici de nous borner à nous y référer. Cette plate-forme reçoit à présent une espèce de confirmation des plus inattendues : toutes les tentatives qu'a entreprises la direction actuelle du Parti communiste de l'U.R.S.S. (bolchevik), pour échapper aux conséquences de la politique de 1923-1928, sont fondées sur des arguments presque textuellement tirés de la Plate-forme, dont les auteurs et les partisans sont dispersés dans les prisons et les lieux d'exil. Le fait que les dirigeants actuels utilisent la Plate-forme par fragments, sans mettre aucun esprit de suite dans leurs actes, rend le nouveau revirement vers la gauche extrêmement précaire et incertain ; mais, en même temps, il confirme largement que la Plate-forme dans son ensemble exprime la politique de Lénine.

Quant à la question chinoise, nous sommes obligés de la soumettre à une analyse plus minutieuse, dans un chapitre spécial (le troisième), étant donné l'importance décisive de ce problème pour l'Internationale communiste, et parce que, dans la Plate-forme, il est présenté sous un jour extrêmement insuffisant, incomplet et parfois même inexact, à cause de Zinoviev [5] .

En ce qui concerne le Comité anglo-russe, troisième étape par ordre d'importance dans l'expérience stratégique acquise par l'Internationale communiste au cours des dernières années, après tout ce qui a été dit par l'Opposition dans une série d'articles, de discours et de thèses, il ne nous reste plus qu'à établir ici un bref bilan.

Le point de départ du Comité anglo-russe fut, comme nous l'avons déjà vu, une aspiration impatiente à passer par-dessus le jeune Parti communiste, qui se développait trop lentement. Avant la grève générale, déjà, toute l'expérience en reçut un caractère erroné.

Le Comité anglo-russe n'était pas considéré comme une coalition occasionnelle, entre sphères supérieures, qui devrait être rompue et le serait d'une manière éclatante dès la première épreuve sérieuse, afin que fût compromis le Conseil général ; non, on l'envisageait – et non seulement Staline, Boukharine, Tomsky, etc., mais aussi Zinoviev – comme un " bloc amical " de longue durée, comme un instrument destiné à " révolutionnariser " systématiquement les masses ouvrières anglaises ; on voyait dans ce Comité, sinon la porte, du moins le seuil par où devrait passer la révolution du prolétariat anglais. De plus en plus, le Comité anglo-russe, qui fut une entente occasionnelle, se transformait en un organisme intangible placé au-dessus de la lutte des classes. On le vit nettement durant la grève générale.

L'entrée du mouvement de masse dans une phase ouvertement révolutionnaire rejeta dans le camp de la réaction bourgeoise les politiciens travaillistes libéraux qui étaient allés quelque peu vers la gauche. Consciemment et ouvertement, ils trahirent la grève générale, puis ils sapèrent et trahirent la grève des mineurs. Le réformisme renferme toujours la possibilité d'une trahison. Mais cela ne signifie pas que réformisme et trahison s'identifient à tout moment. Quand les réformistes font un pas en avant, on peut passer avec eux des accords provisoires. Mais, quand effrayés par le mouvement des masses, ils le trahissent, maintenir la coalition avec eux revient à tolérer les traîtres et à dissimuler la trahison.

La grève générale avait pour but d'exercer, par la force de cinq millions d'ouvriers, une pression unie contre les industriels et l'État, puisque la gestion de l'industrie charbonnière était le problème le plus important de la politique de l'État. A cause de la trahison de la direction, la grève fut sabotée dès sa première étape. C'était une grande illusion que de croire qu'après cet échec la grève économique des mineurs, seule, isolée, obtiendrait ce que la grève générale n'avait pas obtenu. C'est en cela que résidait la force du Conseil général. Par un froid calcul, il mena les mineurs à la défaite; et des masses considérables d'ouvriers auraient dû se convaincre que les directives des Judas du Conseil général étaient " justes " et " raisonnables " !

Le maintien de la coalition amicale avec le Conseil général et l'aide donnée en même temps à la grève économique des mineurs contre laquelle il intervenait, paraissaient des manœuvres calculées pour que ceux qui se trouvaient à la tête des trade-unions pussent se tirer, avec un minimum de pertes, des épreuves les plus pénibles.

Les syndicats russes, du point de vue révolutionnaire, jouèrent un rôle très désavantageux et vraiment piteux. C'était un devoir évident d'aider la grève économique, même quand elle fut isolée ; entre révolutionnaires, il ne peut y avoir là-dessus d'opinions divergentes. Mais ce secours devait avoir non seulement un caractère financier, mais aussi un caractère révolutionnaire et politique. La direction syndicale russe devait dire franchement à la Fédération des Mineurs et à la classe ouvrière anglaise tout entière que la grève des mineurs n'avait de sérieuses chances de réussite que si, par son obstination, sa ténacité, son envergure, elle était prête à frayer la voie à une nouvelle explosion de la grève générale. On ne pouvait arriver à un tel résultat qu'en luttant directement et ouvertement contre le Conseil général, agence du gouvernement et des patrons charbonniers. La lutte pour la transformation de la grève économique en grève politique aurait dû signifier une guerre furieuse contre le Conseil général sur le terrain de la politique comme sur celui de l'organisation; le premier acte devait en être la disparition du Comité anglo-russe, devenu un obstacle réactionnaire, un boulet que l'on traînait au pied.

Aucun révolutionnaire qui pèse ses paroles n'affirmera que dans cette voie la victoire était assurée. Mais ce n'est que dans cette voie qu'elle était possible. La défaite éventuelle aurait été une défaite essuyée sur un chemin qui pouvait par la suite conduire au triomphe. Une telle défaite instruit, c'est-à-dire renforce les idées révolutionnaires dans la classe ouvrière. Au contraire, en ne soutenant que financièrement une grève corporatiste, qui traîna en longueur et finit par apparaître comme sans issue (corporatiste dans ses méthodes, elle était révolutionnaire et politique par ses buts), on ne fit qu'amener de l'eau au moulin du Conseil général, qui attendait tranquillement que la grève s'achevât par épuisement pour prouver qu'il avait " raison ". Il n'était évidemment pas facile d'attendre pendant plusieurs mois en jouant ouvertement le rôle de jaune. C'est dans cette période si critique que le Conseil général avait besoin d'un camouflage politique devant les masses : ce fut le Comité anglo-russe. Ainsi, les questions qui relevaient d'une lutte des classes à mort entre le capital anglais et le prolétariat, entre le Conseil général et les mineurs, semblaient se convertir en problèmes relevant de discussions amicales entre alliés d'une même coalition (Conseil général et direction syndicale russe) sur la meilleure voie à suivre dans le moment présent : celle de l'accord ou celle de la lutte économique isolée. La grève se termina inévitablement par un accord, c'est-à-dire trancha tragiquement la " discussion " amicale au profit du Conseil général.

Toute la politique du Comité anglo-russe, en raison de son orientation fausse, servit, du début jusqu'à la fin, à aider le Conseil général, à soutenir le Conseil général, à renforcer le Conseil général. Même le fait que pendant très longtemps l'esprit de sacrifice des ouvriers russes ait permis à la grève de tenir financièrement, servit non pas les mineurs, ni le Parti communiste anglais, mais toujours ce même Conseil général. A la suite du plus grand mouvement révolutionnaire que l'Angleterre ait connu depuis le Chartisme, le Parti communiste anglais s'est à peine accru, tandis que le Conseil général est plus solidement établi qu'avant la grève générale.

Tels sont les résultats de cette " manœuvre stratégique " unique en son genre.

Pour justifier l'entêtement dont on fit preuve afin de maintenir la coalition avec le Conseil général – on alla jusqu'à ramper vraiment devant lui, lors de la honteuse conférence de Berlin en avril 1927 – on eut recours, encore et toujours, à la " stabilisation ". Si la révolution tarde à venir, on doit se cramponner même à un Purcell. Cet argument, qui paraît extraordinairement profond à un fonctionnaire soviétique ou à un trade-unioniste du type de Melnitchansky, est en réalité un échantillon parfait d'empirisme aveugle, aggravé au surplus par la scolastique. Que signifie la " stabilisation ", quand on applique cette expression à l'économie et à la politique anglaises, surtout en 1926-1927 ? Développement des forces de production ? Amélioration de la situation économique ? Espoirs accrus pour l'avenir ? Relative aisance et calme des masses ouvrières ? Absolument pas. La prétendue stabilisation du capitalisme britannique repose entièrement sur la force conservatrice des vieilles organisations ouvrières, dans toutes leurs tendances et nuances, face à la faiblesse et à l'indécision du Parti communiste anglais. La révolution est complètement mûre sur le plan des rapports économiques et sociaux en Angleterre. La question se pose uniquement au point de vue politique. Les bases principales de la stabilisation sont constituées par les directions du Labour Party et des trade-unions qui, en Angleterre, forment un tout, mais pratiquent la division du travail. Compte tenu de l'état d'esprit des masses ouvrières durant la grève générale, le rôle principal dans le mécanisme de la stabilisation capitaliste fut tenu, non plus par Mac Donald et Thomas, mais par Pugh, Purcell, Cook & Cie. Ils agissent et Thomas complète. Sans Purcell, Thomas perd tout point d'appui, et Baldwin en même temps que Thomas. Faux, diplomatique, carnavalesque, est le " gauchisme " de Purcell, qui fraternise tour à tour ou simultanément avec les gens d'Église et avec les bolcheviks, qui est toujours prêt non seulement à battre en retraite, mais encore à trahir : c'est lui qui constitue le principal frein à la révolution en Angleterre. La stabilisation, c'est le purcellisme. On voit par là quelle absurdité théorique exprime l'opportunisme aveugle quand il justifie par une illusoire " stabilisation " son bloc politique avec Purcell. Mais pour ébranler la " stabilisation ", on devait d'abord battre en brèche le purcellisme. Dans ces conditions, garder devant les masses ouvrières ne fût-ce que l'ombre d'une solidarité avec le Conseil général, c'était le plus grand des crimes, la plus profonde des hontes.

Même la stratégie la plus juste n'amène pas toujours la victoire. On vérifie si un projet stratégique est juste en examinant s'il suit la ligne du véritable développement des forces de classes et s'il apprécie de façon réaliste les éléments de ce développement. La défaite la plus pénible, la plus honteuse et la plus funeste pour un mouvement – la défaite typiquement menchevique – est celle qui provient d'une fausse analyse des classes, d'une sous-estimation des facteurs révolutionnaires, d'une idéalisation des forces ennemies. Nos défaites en Chine et en Angleterre furent de cette espèce.

Qu'attendait-on du Comité anglo-russe pour l'U.R.S.S. ? En juillet 1926, au plénum du Comité central et de la Commission centrale de Contrôle réunis, Staline nous donnait cet enseignement :

" La tâche de ce bloc [Comité anglo-russe] consiste à organiser un vaste mouvement de la classe ouvrière contre de nouvelles guerres impérialistes et en général contre toute intervention visant notre pays et venant (plus particulièrement) d'une des grandes puissances impérialistes de l'Europe, et spécialement de 1'Angleterre. "

En nous enseignant à nous, oppositionnels, qu'il faut " avoir le souci de défendre la première République ouvrière du monde contre l'intervention " (là-dessus, nous avions certainement besoin d'être instruits), Staline ajoutait :

" S'il se trouve que les syndicats réactionnaires anglais sont prêts à former avec les syndicats révolutionnaires de notre pays, une coalition contre les impérialistes contre-révolutionnaires du leur, pourquoi n'approuverions-nous pas ce bloc ? "

Si des " syndicats réactionnaires " étaient capables de lutter contre leurs propres impérialistes, ils ne seraient pas réactionnaires. Staline ne reconnaît plus la ligne de démarcation qui sépare les notions de réactionnaire et de révolutionnaire. Par routine, il qualifie les syndicats anglais de réactionnaires, mais il se fait de piteuses illusions sur leur " esprit révolutionnaire ". A la suite de Staline, le Comité de Moscou de notre parti faisait la leçon aux ouvriers de cette ville :

" Le Comité anglo-russe peut et doit jouer, et sans aucun doute jouera, un rôle énorme dans la lutte contre toutes sortes d'interventions dirigées contre l'U.R.S.S. Il devient le centre d'organisation des forces internationales du prolétariat, qui luttent contre les tentatives de toutes sortes auxquelles se livre la bourgeoisie internationale pour provoquer une nouvelle guerre " (Thèses du Comité de Moscou ).

Que répondait l'Opposition ?

" Plus la situation internationale se tendra, et plus le Comité anglo-russe se transformera en instrument de l'impérialisme britannique et international. "

Une telle critique des espoirs staliniens mis en Purcell, considéré comme l'ange gardien de l'État ouvrier, fut, lors du même plénum, caractérisée par Staline comme le " passage du léninisme au trotskysme ".

" VOROCHILOV. – C'est juste.
" Une voix. – Vorochilov y a mis son sceau.
" TROTSKY. – Heureusement, tout cela se retrouvera dans le compte rendu sténographique. "

Oui, tout cela se trouve dans le compte rendu sténographique du plénum de juillet où des opportunistes aveugles, grossiers et déloyaux, osèrent lancer contre l'Opposition l'accusation de " défaitisme ".

Tout ce dialogue, que je suis dans l'obligation de citer d'après mon ancien article intitulé A quoi s'attendait-on et qu'a-t-on obtenu?, offre une leçon de stratégie infiniment plus riche d'enseignements que le texte pour séminaires que contient sur la stratégie le projet de programme. La question A quoi s'attendait-on et qu'a-t-on obtenu? est en général le critère principal en stratégie. Au VIe Congrès, il faut l'appliquer à toutes les questions qui ont figuré à l'ordre du jour des dernières années. On verra alors de façon indiscutable, que la stratégie du Comité exécutif de l'Internationale communiste, plus particulièrement à partir de 1926, est celle des quantités imaginaires, des faux calculs, des illusions au sujet de l'ennemi, de la persécution des militants les plus sûrs et les plus fermes ; c'est en un mot la stratégie du centrisme pourri.


NOTES

[1] Une Internationale paysanne fut créée à Moscou en octobre 1923 sous l'égide de l'Internationale communiste. Elle n'eut qu'une activité restreinte et disparut au bout de quelques années sans qu'aucune communication officielle ait été faite à ce propos.

[2] Le Federated Farmer-Labor Party fut formé en juin 1924 à Saint-Paul (Minnesota) avec l'aide des partisans du sénateur La Follette, du Wisconsin. A cette assemblée deux candidats non communistes furent désignés pour l'élection présidentielle de la même année, mais non le sénateur La Follette. Aussi ses partisans se retirèrent. En juillet 1924 l'expérience était terminée. A l'élection présidentielle, le Parti communiste présenta son candidat W. Foster, La Follette fut également candidat. Le premier recueillit 33 300 voix, le second 4 825 000 voix.

[3] Après la défaite de la Révolution de 1911, un réveil se manifesta le 4 mai 1919. Dans la même année éclatèrent les premières grèves ouvrières. Le Parti communiste fut fondé en 1920, son Premier Congrès se tint à Shanghai en 1921. En 1922, le délégué de l'Internationale communiste, Maring (Sneevliet), proposa l'entrée individuelle dans le Kuomintang. En 1925 un pouvoir du Kuomintang fut installé dans la province de Canton, avec l'aide des ouvriers armés et des cadets de l'Académie militaire de Whampoa (près de Canton) fondée en 1924 avec l'aide des Soviétiques et dirigée par Tchang Kaï-chek. Dans la même année, il y eut une vague de grèves en Chine, notamment à Shanghai et le boycott de Hong-kong.
En janvier 1926, le Congrès du Kuomintang était dominé par son aile gauche, dirigée par Wan Tin-wei. Le 06 mars 1926, Tchang Kaï-chek se livra à un premier coup de force, en arrêtant de nombreux communistes et sympathisants. Wan Tin-wei se retira. Ces faits furent cachés au Comité exécutif de l'Internationale communiste ; en revanche, une grande place fut accordée aux propos anti-impérialistes de Tchang Kaï-chek lors du Congrès du Travail en mai 1926.
En juillet 1926, les troupes du Kuomintang commencèrent leur marche vers le nord. Elle servit de prétexte à l'arrêt des grèves à Canton, Hong-kong, etc. Les victoires militaires s'accompagnèrent d'un afflux dans les organisations de masses, de la croissance dg mouvement paysan. Vers la fin de 1926 et le début de 1927, le pouvoir fut transporté sur le Yang-tsé. Un gouvernement de Tchang Kaï-chek et de l'aile droite s'organisa à Nanchang, tandis qu'à Han-kéou se formait un gouvernement de l'aile gauche dirigée par Wan Tin-wei; il comprenait deux communistes (au Travail et à l'Agriculture). A l'approche des troupes, il y eut des soulèvements à Shanghai : le premier du 19 au 24 février, le second, qui fut victorieux, le 21 mars. Les troupes de Tchang Kaï-chek n'entrèrent dans la ville que le 26 mars. Le 3 avril, Trotsky écrit une mise en garde contre le " Pilsudsky chinois ". Le 5 avril, Staline déclare que " Tchang Kaï-chek s'est soumis à la discipline, que le Kuomintang est un bloc, une sorte de Parlement révolutionnaire ". Le 12 avril, Tchang Kaïchek procède à un coup de force, une manifestation est attaquée à la mitrailleuse, il y a des milliers de victimes. A la suite de ces événements, la délégation de l'Internationale communiste, le 17 avril, soutient à Wuhan le centre du " Kuomintang de gauche " auquel participent des ministres communistes. Là, le 15 juillet, se produit une réédition du coup de Shanghai. La victoire de la contre-révolution est complètement assurée. Une période de massacres systématiques la suit, on évalue au bas mot à 25 000 le nombre des communistes tués. En août 1927, la direction de Moscou opère un tournant. Elle déclare que la bourgeoisie a trahi. Une nouvelle direction est substituée à celle de Tchen Dou-siou, rendu coupable de la défaite. Le 1er août, à Nanchang, des troupes du Kuomintang influencées par les communistes se soulèvent. Ce soulèvement échoue. En septembre 1927, le mot d'ordre des soviets est mis en avant. La nouvelle direction du Parti communiste veut exploiter des querelles qui avaient éclaté au sein du Kuomintang à Canton (une fraction avait procédé à un coup d'Etat en novembre). Elle fixe l'insurrection au 13 décembre (c'est le jour de l'ouverture du XVe Congrès du Parti communiste de l'Union soviétique à Moscou). Un soviet est désigné d'en haut. Le soulèvement est avancé au 10 décembre. Le 13, il est totalement réprimé. La deuxième révolution chinoise est définitivement écrasée (cf. Harold ISAACS, La tragédie de la révolution chinoise, 1925-1927).

[4] A la suite des visites réciproques d'une délégation des syndicats britanniques dirigée par Purcell à Moscou et d'une délégation des syndicats soviétiques dirigée par Tomsky en mai 1925 au Congrès des Trade-Unions, fut signé un protocole créant un Comité anglo-russe des syndicats pour œuvrer en faveur de l'unité syndicale. Les syndicats étaient alors divisés internationalement entre la Fédération syndicale internationale, siégeant à Amsterdam, et l'Internationale syndicale rouge, siégeant à Moscou. Lorsque les dirigeants des trade-unions en 1926 torpillèrent la grève générale et la grève des mineurs, Trotsky demanda au Bureau politique et au Comité exécutif de l'Internationale communiste que les syndicats soviétiques se retirent de ce Comité pour ne pas couvrir de leur autorité l'action des dirigeants syndicaux britanniques. Cette demande fut repoussée. Ce sont les dirigeants britanniques qui prirent l'initiative de la rupture, invoquant l'ingérence des syndicats soviétiques dans leurs affaires intérieures en raison du soutien financier qu'ils avaient accordé aux grévistes.

[5] La plate-forme de l'Opposition de gauche préconisait un compromis sur la question chinoise, Trotsky n'ayant jamais été partisan de l'entrée du Parti communiste chinois dans le Kuomintang. Voici ce qu'il écrivit plus tard sur cette même question : " J'étais personnellement, dès le début c'est-à-dire depuis 1923, résolument opposé à ce que le Parti communiste rejoignit le Kuomintang, ainsi qu'à l'acceptation du Kuomintang dans " l'Internationale communiste ". Radek fut toujours avec Zinoviev contre moi. Les plus jeunes membres de l'Opposition étaient avec moi comme un seul homme. Rakovsky qui se trouvait à Paris n'était pas suffisamment informé. Jusqu'en 1926, j'ai toujours voté au Bureau politique de façon indépendante sur cette question, contre tous les autres. En 1925, en même temps que les thèses sur le chemin de fer de l'Est chinois, que j'ai citées dans la presse de l'Opposition, j'ai proposé une fois de plus que le Parti communiste quittât immédiatement le Kuomintang. Cette proposition fut unanimement repoussée et servit plus tard, très largement, de prétexte aux attaques. En 1926 et 1927, j'ai eu des conflits ininterrompus avec les zinovievistes sur cette question. Deux ou trois fois, nous fûmes au bord de la rupture. Notre centre de direction comportait en nombre sensiblement égal des membres des deux tendances alliées, car ce n'était après tout qu'un bloc. Dans le vote, la position de l'Opposition de 1923 fut trahie par Radek, par principe, et par Piatakov, par manque de principe. Notre fraction (celle de 1923), très irritée par ces attitudes, exigea que Radek et Piatakov fussent retirés du centre. Mais, comme sur ce problème la scission avec les zinovievistes n'aurait pas manqué de se produire, par décision générale on me demanda de renoncer publiquement à mon point de vue et d'en informer par écrit l'Opposition. Et c'est ainsi qu'il advint que la demande de retrait fut déposée par nous si tard, bien que le Bureau politique et le Comité central eussent toujours opposé mon point de vue au point de vue officiel de l'Opposition. Maintenant je puis dire avec certitude que j'ai commis une erreur en cédant formellement sur cette question " (écrit le 10 décembre 1930).


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