1923

Au lendemain de la révolution, Trotsky aborde les problèmes de la vie quotidienne : rapports travail/loisirs, condition des femmes, famille, gestion des équipements collectifs, logement, culture et cadre de vie...


Léon Trotsky

 

Les questions du mode de vie

QUESTION N° 2

REPONSES

MARININE. – Les ouvriers se plaignent de la mauvaise qualité de la presse (de l'impression).

KAZAKOV. – La presse professionnelle se lit difficilement. Il arrive que nous devions la diffuser en usant de subterfuges, c'est-à-dire artificiellement.

MARKOV. – Dans les journaux il manque une rubrique où l'on expliquerait les faits et les mots incompréhensibles; c'est pourquoi l'ouvrier s'en désintéresse.

DOROFEEV. – Il est nécessaire de parler plus souvent du niveau de l'agriculture (culture potagère, culture des champs, etc.) en Europe, par exemple en Allemagne, ne serait-ce que pour le comparer avec notre agriculture primitive. Il importe de décrire le mode de vie des ouvriers en Occident, leur culture en général, leurs conditions de logement, la façon dont ils utilisent leurs loisirs, leur esprit révolutionnaire. Il ne faut pas écrire des articles aussi généraux que ceux qu'on a l'habitude de lire.

KOLTSOV. – Il serait souhaitable de réserver une page à la vie intime (au mode de vie) de l'ouvrier moyen, et il est nécessaire d'éditer un petit journal, même hebdomadaire, à caractère scientifique, avec une rubrique d'éducation politique.

ANTONOV. – Quand on lit "La Sirène", on commence avant tout par les faits divers.
Il y a peu d'articles scientifiques compréhensibles aux ouvriers. Il faut limiter au maximum les dépêches.
Le développement des journaux muraux d'intérêt local, à la rédaction desquels participent les ouvriers eux-mêmes, va très vite montrer les côtés positifs et négatifs du travail journalistique.

FINOVSKI. – Dans les dépêches de l'agence ROSTA, il importe avant tout de préciser clairement la provenance de la dépêche et de souligner qui en est l'auteur. Cela reste souvent un. mystère pour les ouvriers. Ils ignorent parfois qui leur transmet l'information – des ouvriers comme eux ou d'autres personnes. A la fin ou au début de. la dépêche, il faudrait donner une brève appréciation. Cela transformerait en partie le caractère de l'information télégraphique.

ZAKHAROV. – Les dépêches de l'agence ROSTA [1] ne sont pas toujours compréhensibles. Elles sont écrites par des correspondants qui affectionnent des mots dont on ne comprend même pas l'explication dans le dictionnaire. Il importe donc de transformer les dépêches en tenant compte du fait que des mots comme "province", "place d'armes", "piscine", ne sont pas toujours compris par les ouvriers, et qu'ils n'ont pas toujours de grandes connaissances en géographie.

KOULKOV. – En général les ouvriers ne comprennent pas les dépêches, car ils ignorent en quoi consiste une agence de presse étrangère. Il est nécessaire de donner un minimum d'explication sur ce que sont l'agence ROSTA et les autres agences de presse.
La presse spécialisée est mal distribuée, irrégulièrement les ouvriers ne la lisent pas, elle n'est lue que par un très petit nombre de gens. Il faut absolument transformer radicalement l'exposé des différents problèmes.
Les informations sur les grèves et sur le mouvement révolutionnaire à l'étranger ne satisfont pas l'ouvrier. Quelquefois, on décrit le début des événements, sans dire comment ils se terminent, ou encore, on donne des informations extrêmement brèves. On parle des branches importantes de l'industrie, sans dire un seul mot de la petite industrie : industrie du cuir, menuiserie, confection.

LAGOUTINE et KAZANSKI. – Les journaux les plus répandus sont "Le Moscou Ouvrier", "La Gazette Ouvrière" et la "Pravda des jeunes".
Leur succès est dû à leur prix modique et à la simplicité des articles. Le journal mural, quand il existe, est le type de journal le plus apprécié.
Il faut simplifier les dépêches de l'agence ROSTA; les exposer dans un langage simple et donner des explications qui soient compréhensibles et ne représentent pas une énigme supplémentaire.

ANTONOV. – Pourquoi la presse ne souffle-t-elle mot des problèmes du mode de vie ? Je pense que c'est parce que la description de la vie familiale des ouvriers implique que l'on pénètre la psychologie de l'ouvrier de notre époque. Bien sûr, c'est là un problème complexe, difficile à aborder. Plus tard, la situation changera, mais à présent, il est plus facile de parler des affaires courantes que de saisir la psychologie de l'ouvrier. C'est pourquoi il y a si peu d'articles de ce genre dans la presse.

KOBOZEV. – Les nouvelles de l'étranger ont ceci de défectueux que l'ouvrier se souvient mal du nom des villes, et qu'il confond souvent le lieu de l'information avec le lieu de l'événement.

MARININE. – Les gens s'intéressent à ce qui se fait en Amérique, en Angleterre, à ce qui s'y crée, et pourtant, on en parle fort peu dans nos journaux. On s'intéresse aussi au mode de vie des ouvriers américains, français, et nos journaux ne mentionnent que les grèves. En général, on parle peu du mode de vie des ouvriers.

KOLTSOV. – Il importe principalement de parler de la façon dont il faut travailler.

BORISSOV. – On écrit par exemple que le "Times" fait état de telle ou telle dépêche. Cela ne me dit pas du tout de quelle tendance est ce journal. Ou encore, on consacre un article au congrès d'Amsterdam. Vous croyez que les camarades l'ont lu ? Non. Et pourtant, il faut tout faire pour que les ouvriers soient hostiles aux mencheviks.
Ou encore, on a écrit beaucoup d'articles sur l'Angleterre, mais nulle part on a expliqué de façon claire ce que Curzon espérait de la Russie.

LYSSENKO. – Je veux dire un mot de ce que lisent les ouvriers et de ce qui les intéresse dans la presse. Le plus important pour eux est bien sûr d'apprendre à travailler convenablement.
J'ai été correspondant ouvrier. J'ai voulu expliquer ma psychologie : j'ai une femme, des enfants, j'ai décrit ma situation, mais après avoir distribué une dizaine d'articles de ce genre, je me suis aperçu qu'on les mettait à la poubelle. Alors, j'ai traité le problème comme le faisaient les autres correspondants; j'ai donné une description générale de la vie de notre usine et parlé de l'influence du parti communiste. Evidemment cela limite énormément les articles des correspondants. Il vaudrait mieux que la rédaction en souligne le caractère communiste, mais que l'on ne déforme pas ce qu'écrivent les correspondants.

(Sténogramme anonyme). – Personne ne lit la presse spécialisée. D'une part, on y répète ce qu'on lit dans d'autres journaux, d'autre part, on n'y donne aucune description de notre mode de vie : tarifs, augmentation ou diminution des salaires, travail à l'usine, etc.

(Sténogramme anonyme). – Les ouvriers s'intéressent aux faits divers. Pourquoi ? Mais parce que cela se passe à Moscou, dans leur milieu; on pourrait développer certains sujets en liaison à cela. On a fort peu écrit sur Komarov, on n'a pas. dit quel genre d'homme c'était, mais seulement que c'était quelqu'un de très pieux, et on n'a pas du tout expliqué pourquoi il est soudain devenu aussi violent. Quand un ouvrier pose cette question, on ne sait pas quoi lui répondre, puisque soi-même on ne connaît rien, tandis que les journaux auraient pu fournir l'explication : on aurait pu demander à des professeurs de répondre à ces questions. Des camarades ont parlé de l' "organisation du travail". Il existe une rubrique de ce genre dans les journaux. Les ouvriers la lisent avec intérêt, mais il leur arrive de rire à la lecture de, certaines informations, car il est rare qu'on puisse appliquer dans la pratique ce qui est écrit. C'est tout de même parfois possible. Dans notre usine, par exemple, un camarade avait lu qu'on pouvait scier d'une seule main, au lieu de scier des deux mains; il s'est d'abord mis à rire, puis il a essayé et s'est mis à l'ouvrage. On peut donc quelquefois tirer avantage de ces articles, et cela intéresse les ouvriers.


Notes

[1] ROSTA : Agence Télégraphique Russe; ancêtre de l'agence TASS. (Note du traducteur).


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