1917

Quatrième Internationale n°38 (septembre-octobre 1947) indique en introduction de ce texte qui y figure sous le titre "Les Etats-Unis socialistes d'Europe" : "Le texte suivant est extrait de la brochure de Léon Trotsky Le Programme de paix, qui était à l'origine une série d'articles écrits par Léon Trotsky, en 1915-16, dans le journal internationaliste Nashe Slovo, qu'il éditait à Paris. Trotsky révisa ces articles en mai 1917, et les publia sous forme d'une brochure programmatique dans la presse bolchevique en Russie, en juin 1917."


Œuvres - mai 1917

Léon Trotsky

Le droit des nations à l'autodétermination


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Nous avons vu que la social-démocratie, dans la solution de questions concrètes du domaine du regroupement et de la formation nouvelle de groupes d'Etats nationaux, ne peut accomplir aucun pas sans le principe d'autodétermination nationale, qui, en dernière instance, apparaît comme la reconnaissance du droit de chaque groupe national à décider du sort de son Etat, donc du droit des peuples à se séparer d'un Etat donné (comme par exemple de la Russie et de l'Autriche). Le seul moyen démocratique pour connaître la " volonté " d'une nation est le référendum. Cette réponse démocratique obligatoire restera pourtant, telle qu'elle est décrite, purement formelle. Cela ne nous éclaire pas sue les possibilités réelles, les façons et les moyens de l'autodétermination nationale dans les conditions modernes de l'économie capitaliste ; et pourtant, c'est précisément là qu'est le sens même de la question.

Pour plusieurs nations, sinon pour la majorité des nations opprimées, des groupes et sections de nations, le sens de l'autodétermination est l'annulation des limites existantes et le démembrement des Etats actuels. En particulier, ce principe démocratique mène à l'émancipation des colonies. Pourtant, toute la politique de l'impérialisme, indifférent au principe national, a pour but l'extension des limites de l'Etat, l'incorporation obligatoires d'Etats faibles à l'intérieur des frontières douanières et l'acquisition de nouvelles colonies. Par sa nature même, l'impérialisme est expansif et agressif, et c'est cette qualité qui caractérise l'impérialisme et non les manœuvres variables de la diplomatie.

D'où découle le conflit perpétuel entre le principe de l'autodétermination nationale qui, dans plusieurs cas, mène à la décentralisation économique et étatique (démembrement, séparation) et les puissantes tendances centralisatrices de l'impérialisme qui a à sa disposition l'organisation d'Etat et la force militaire. Il est vrai qu'un mouvement national séparatiste trouve souvent un appui dans les intrigues impérialistes d'un Etat avoisinant. Pourtant cet appui ne peut devenir décisif que par l'application de la force militaire. Et dès que les choses arrivent à un conflit armé entre deux organisations impérialistes, les nouvelles limites de l'Etat ne seront pas décidées sur la base du principe national, mais sur le principe des rapports réciproques des forces militaires. Forcer un Etat victorieux à s'abstenir d'annexer de nouvelles terres conquises est aussi difficile que de le forcer à accorder la liberté de l'autodétermination à des provinces acquises auparavant. Finalement, même si par miracle l'Europe était divisée par la force des armes en Etats nationaux fixes et en petits Etats, la question nationale ne serait pour cela décidée en rien, et, au lendemain même de la " juste " redistribution nationale, l'expansion capitaliste reprendrait son travail. Des conflits naîtraient, engendrant de nouvelles guerres et des acquisitions, en violation totale du principe national dans tous les cas où sa préservation ne peut être maintenue par un nombre suffisant de baïonnettes. Tout cela donnerait l'impression de joueurs acharnés contraints à répartir l'or " justement " entre eux au beau milieu du jeu afin de recommencer le même jeu avec une frénésie redoublée.

De la puissance des tendances centralisatrices de l'impérialisme, il ne découle nullement que nous sommes contraints à nous soumettre passivement à elles. Une communauté nationale est le cœur vivant de la culture, comme la langue nationale est son organe vivant, et cela gardera sa signification à travers des périodes historiques indéfiniment longues. La social-démocratie est désireuse de sauvegarder et est obligée de sauvegarder pour la communauté nationale sa liberté de développement (ou dissolution) dans l'intérêt de la culture matérielle ou spirituelle. C'est dans ce sens qu'elle a repris comme une obligation politique le principe démocratique de l'autodétermination nationale de la bourgeoisie révolutionnaire.

Le droit de l'autodétermination nationale ne peut être exclu du programme prolétarien de paix : mais il ne peut prétendre acquérir une importance absolue. Au contraire, il est limité pour nous par les tendances convergentes profondément progressives du développement historique. Si ce " droit " doit être - par la force révolutionnaire - opposé à la méthode impérialiste de centralisation qui met en esclavage des peuples faibles et arriérés et brise le cœur de la culture nationale, le prolétariat d'autre part, ne peut permettre au " principe national " d'être un obstacle à la tendance irrésistible et profondément progressive de la vie économique moderne dans la direction d'une organisation planifiée sur tout notre continent, et, par suite, sur tout notre globe. L'impérialisme est l'expression du capitalisme en tant que brigand, de la tendance de l'économie moderne qui veut s'arracher complètement à l'idiotie de l'étroitesse nationale, comme ce fut auparavant le cas avec les limites provinciales et locales. Tout en luttant contre les formes impérialistes de centralisation économique, le socialisme ne prend pas du tout position contre la tendance particulière en tant que telle, mais, au contraire, fait de cette tendance son propre principe directeur.

Du point de vue du développement historique ainsi que du point de vue des tâches de la social-démocratie, la tendance de l'économie moderne est fondamentale et il faut lui garantir la possibilité totale d'exécuter sa mission historique de véritable libération : pour construire l'économie mondiale unifiée, indépendante des cadres nationaux, ses barrières d'Etats et des barrières douanières, assujettie seulement aux particularités du sol et des ressources naturelles, au climat et au besoin de la division du travail. La Pologne, l'Alsace, la Dalmatie, la Belgique, la Serbie, et d'autres faibles nations européennes qui ne sont pas encore annexées peuvent être réintégrées ou établies pour la première fois dans la configuration nationale vers laquelle elles gravitent et, par-dessus tout, elles pourront demeurer dans ces configurations et développer librement leur existence culturelle dans la mesure seulement, où, de groupements nationaux, elles cesseront d'être des regroupements économiques, où elles ne seront pas liées par des limites d'Etats et ne seront pas séparées ou opposées l'une à l'autre économiquement. En d'autres termes, pour que les Polonais, les Roumains, les Serbes et d'autres soient capables en fait de former des unités nationales sans entraves, il est nécessaire que les limites étatiques qui les divisent actuellement en plusieurs parties soient annulées, que le cadre de l'Etat soit élargi en une organisation économique mais non en une organisation nationale, jusqu'à englober toute l'Europe capitaliste qui, jusqu'à présent, est divisée par des tarifs et des frontières et déchirée par la guerre. L'unification étatique de l'Europe est nettement la condition préalable de l'autodétermination des grandes et des petites nations de l'Europe. Une existence culturelle nationale dépourvue d'antagonismes économiques nationaux et basée sur une réelle autodétermination n'est possible que sous le toit d'une Europe unie démocratiquement, libre de toute barrière étatique ou de douanes.

Cette dépendance directe et immédiate de l'autodétermination nationale des peuples faibles, du régime collectif européen, exclut la possibilité que le prolétariat pose des questions comme l'indépendance de la Pologne ou l'unification de tous les Serbes en dehors de la révolution européenne. Mais, d'autre part, cela signifie que le droit à l'autodétermination, en tant que partie du programme de paix prolétarien, n'a pas un caractère " utopique " mais un caractère révolutionnaire. Cette considération se dirige en deux sens : contre les David et les Landberg allemands qui, du haut de leur " réalisme " impérialiste, dénigrent le principe de l'indépendance nationale comme du romantisme réactionnaire ; et contre les simplificateurs dans notre camp révolutionnaire qui déclarent que ce principe n'est réalisable que sous le socialisme et par-là se débarrassent de la nécessité de donner une réponse principielle aux questions posées sur le tranchant du couteau de la guerre.

Entre nos conditions sociales actuelles et le socialisme, il reste encore une époque étendue de révolution sociale : c'est à dire l'époque de la lutte prolétarienne ouverte pour le pouvoir, la conquête et l'application de ce pouvoir dans le but de la démocratisation totale des rapports sociaux et de la transformation systématique de la société capitaliste en société socialiste. Ce n'est pas l'époque de pacification et de calme, mais au contraire, de la plus haute intensité de la lutte des classes, l'époque de soulèvements populaires, de guerres, d'expériences d'extensions du régime prolétarien et de réformes socialistes. Cette époque exige du prolétariat une réponse pratique : c'est à dire une réponse applicable immédiatement à la question de l'existence permanente des nationalités et de leurs rapports réciproques avec l'Etat et l'économie.

Nous avons essayé de montrer plus haut que l'union économique et politique de l'Europe est la condition préalable indispensable pour toute possibilité d'autodétermination. Comme le mot d'ordre d' " indépendance nationale " des Serbes, des Bulgares, Grecs et autres, reste une abstraction creuse sans le mot d'ordre supplémentaire de " Fédération des républiques balkaniques " - qui joue un tel rôle dans toute la politique de la social-démocratie aux Balkans - ainsi, à l'échelle européenne, le principe du " droit " des peuples à disposer d'eux-mêmes ne peut être rendu pleinement effectif que dans les conditions d'une " Fédération des Républiques européennes ". Mais, si dans la péninsule balkanique, le mot d'ordre de fédération démocratique est devenu un mot d'ordre essentiellement prolétarien, à bien plus forte raison il s'applique à l'Europe dont les antagonismes capitalistes sont incomparablement plus profonds.

La suppression des barrières douanières entre les différents pays de l'Europe, semble aux politiciens bourgeois, une insurmontable difficulté ; mais sans cette suppression les cours d'arbitrage entre Etats et les codes de lois internationales n'auront pas plus de durée que la neutralité de la Belgique, par exemple. La poussée vers l'unification du marché européen, qui, comme l'effort pour s'emparer des pays arriérés non européens, est causé par le développement du capitalisme, se heurte à la puissante opposition des propriétaires fonciers et des capitalistes, entre les mains desquels les tarifs douaniers, conjointement à l'appareil militaire, constituent un moyen indispensable d'exploitation et d'enrichissement.

La bourgeoisie industrielle et financière hongroise est hostile à son unification économique avec l'Autriche qui a atteint un plus haut développement capitaliste qu'elle-même. La bourgeoisie de l'Autriche-Hongrie est hostile à l'idée d'une union douanière avec l'Allemagne bien plus puissante qu'elle.

D'autre part, les propriétaires fonciers allemands ne consentiront jamais volontairement à la suppression des droits sur les grains. De plus, les intérêts économiques des classes possédantes des empires centraux ne peuvent pas si facilement être amenés à coïncider avec ceux des capitalistes et des propriétaires fonciers français, anglais et russes. La présente guerre le démontre avec suffisamment d'éloquence. Dernièrement, le manque d'harmonie et le caractère inconciliable des intérêts capitalistes entre les alliés eux-mêmes sont encore plus flagrants qu'entre les Etats de l'Europe centrale. Dans ces conditions, une union économique de l'Europe incomplète et formée d'en haut, conclue au moyen de traités entre gouvernements capitalistes est, tout simplement une utopie. Ainsi la chose ne saurait aller plus loin qu'à des compromis partiels et des demi-mesures. Par conséquent l'union économique de l'Europe qui présente des avantages énormes pour le producteur aussi bien que pour le consommateur et en général pour tout le développement culturel devient la tâche révolutionnaire du prolétariat européen dans sa lutte contre le protectionnisme impérialiste et contre son instrument, le militarisme.

Les Etats-Unis d'Europe, sans monarchie, sans armées permanentes et sans diplomatie secrète constituent la partie la plus importante du programme prolétarien de paix.

Les idéologues et les politiciens de l'impérialisme allemand firent figurer fréquemment, surtout au début de la guerre, dans leur programme, les Etats-Unis européens, ou du moins central européens (sans la France, l'Angleterre et la Russie). Le programme d'une unification de l'Europe par la violence est aussi caractéristique des tendances de l'impérialisme allemand que celui du démembrement forcé de l'Allemagne l'est des tendances de l'impérialisme français.

Si les armées allemandes remportaient à la fin de la guerre la victoire décisive sur laquelle on compte en Allemagne, alors l'impérialisme allemand ferait sans aucun doute une tentative gigantesque en vue d'imposer une union douanière obligatoire aux Etats européens comportant des clauses préférentielles, des compromis, etc... et réduisant ainsi au minimum le sens progressif de l'unification du marché européen. Il n'est pas besoin d'ajouter que dans de telles conditions il ne saurait être questions d'autonomie pour les nations réunies ainsi par la force, en une caricature, d'Etats-Unis d'Europe. Admettons pour un moment que le militarisme allemand réussisse à réaliser effectivement par la force une demi union de l'Europe, justement comme le militarisme prussien a, par le passé, réussi à réaliser celle de l'Allemagne. Quel devrait être alors le mot d'ordre central du prolétariat européen ? Serait-ce la dissolution de la coalition européenne forcée et le retour de tous les peuples sous l'égide des Etats nationaux isolés ? Ou bien le rétablissement des tarifs douaniers, des systèmes monétaires " nationaux ", de la législation sociale " nationale " et ainsi de suite ? Certainement rien de tout cela. Le programme du mouvement révolutionnaire européen serait alors la destruction de la forme obligatoire antidémocratique de la coalition, tout en conservant et en amplifiant ses bases sous forme de suppression complète des tarifs douaniers, d'unification de la législation, et, avant tout, de la législation ouvrière, etc... En d'autres termes, le mot d'ordre des Etats-Unis d'Europe " sans monarchie ni armées permanentes " deviendrait dans ces conditions, le mot d'ordre principal d'unification de la révolution européenne.

Examinons maintenant la deuxième possibilité, celle d'une issue " indécise " du conflit actuel. Tout au début de la guerre Liszt, le professeur bien connu, partisan chaleureux des " Etats-Unis d'Europe ", démontrait que, même au cas où les Allemands n'auraient pas raison de leurs adversaires, l'union européenne n'en serait pas moins réalisée, et, selon Liszt, d'une façon beaucoup plus complète qu'au cas d'une victoire allemande. Etant donné leur besoin d'expansion croissant, les Etats européens, hostiles l'un à l'autre tout en étant absolument incapables de lutter les uns contre les autres, continueraient à se mettre mutuellement des bâtons dans les roues, dans l'exécution de leur " mission " dans le Proche-Orient, en Afrique et en Asie, mais seraient partout tenus en échec par les Etats-Unis d'Amérique et le Japon. Au cas d'une issue " indécise " de la guerre, Liszt pense que la nécessité absolue d'une entente économique et militaire des grandes puissances européennes prévaudra contre des peuples faibles et arriérés, et, avant tout sans aucun doute, contre leurs propres masses laborieuses. Nous avons indiqué plus haut les obstacles énormes qui empêchent la réalisation de ce programme.

Mais si, ne fût-ce que partiellement, ces obstacles venaient à être surmontés, l'instauration d'un trust impérialiste des Etats européens, c'est à dire d'une société de pillage par actions, suivrait immédiatement. Le prolétariat aurait en pareil cas, à lutter, non pas pour le retour à un Etat national " autonome ", mais pour convertir le trust impérialiste en une fédération démocratique européenne.

Néanmoins, plus le conflit progresse et révèle l'incapacité absolue du militarisme à résoudre les problèmes que la guerre met à l'ordre du jour, et moins il est questions de ces grands projets d'unification de l'Europe d'en haut. La question des " Etats-Unis d'Europe " impérialistes a cédé le pas, d'une part, aux projets d'une union économique de l'Autriche et de l'Allemagne et d'autre part à la perspective d'une alliance quadripartite avec ses tarifs et ses impôts de guerre complétés par le militarisme des uns dirigé contre les autres.

Après ce qui vient d'être dit, il serait superflu d'insister sur l'importance très grande qu'aura, pour l'exécution de ces plans, la politique du prolétariat des deux trusts d'Etats par sa lutte contre les tarifs établis et contre les remparts militaires et diplomatiques, pour l'union économique de l'Europe.

Et maintenant après les débuts si prometteurs de la révolution russe nous avons de très bonnes raisons d'espérer qu'au cours de la présente guerre un mouvement révolutionnaire puissant va déferler sur toute l'Europe. Il est clair qu'un tel mouvement ne saurait réussir, se développer et gagner la victoire que comme un mouvement général européen. Isolé dans les limites de ses frontières nationales il serait voué au désastre. Nos social patriotes nous montrent le danger qui menace la révolution russe du coté du militarisme allemand. Ce danger est indubitable, mais, il n'est pas le seul. Les militarismes anglais, français, italiens ne sont pas des dangers moins terribles de la révolution russe que la machine de guerre des Hohenzollern. Le salut de la révolution russe est dans sa propagation sur toute l'Europe. Si le mouvement révolutionnaire se développait en Allemagne, le prolétariat allemand chercherait et trouverait un écho révolutionnaire dans les pays " hostiles " de l'Occident, et si dans un des pays européens le prolétariat arrachait le pouvoir des mains de la bourgeoisie, il se verrait obligé, ne serait-ce que pour le conserver, de le mettre immédiatement au service du mouvement révolutionnaire des autres pays. En d'autres termes, l'établissement d'un régime de dictature du prolétariat stable ne serait concevable qu'à l'échelle européenne, sous forme d'une Fédération démocratique européenne. L'unification des Etats de l'Europe, qui ne peut être réalisé ni par la force des armes ni par des traités industriels et diplomatiques, constituera la tâche principale et ne comportant aucun délai du prolétariat révolutionnaire triomphant.

Les Etats-Unis d'Europe sont le mot d'ordre de la période révolutionnaire dans laquelle nous sommes entrés. Quelque soit la tournure que peuvent prendre les opérations militaires par la suite, quel que soit le bilan que la diplomatie puisse tirer de la guerre actuelle, et quelque soit le rythme de progression du mouvement révolutionnaire dans le proche avenir, le mot d'ordre des Etats-Unis d'Europe gardera dans tous les cas, une importance énorme en tant que formule politique de la lutte pour le pouvoir. Dans ce programme est exprimé le fait que l'Etat national est dépassé, en tant que cadre pour le développement des forces productives, en tant que base pour la lutte des classes, et par conséquent en tant que forme étatique de la dictature prolétarienne. A la défense conservatrice de la patrie nationale surannée, nous opposons une tâche progressive, c'est à dire la création d'une nouvelle " patrie " plus haute, de la révolution, de la démocratie européenne, qui, comme point de départ, pourra seule rendre capable le prolétariat de propager la révolution dans le monde. Bien entendu, les Etats-Unis d'Europe ne seront qu'un des deux axes de " réorganisation mondiale " de l'industrie. Les Etats-Unis d'Amérique en constitueront l'autre.

Voir les perspectives de la révolution sociales dans les limites nationales signifie succomber au même esprit nationaliste étroit, qui forme le contenu du social patriotisme. Vaillant, jusqu'à la fin de sa vie, considérait la France comme le pays de prédilection de la révolution sociale, et c'est précisément dans ce sens qu'il insista pour sa défense jusqu'au bout. Lutsh et d'autres, les uns hypocritement, les autres sincèrement, croyaient que la défaite de l'Allemagne signifierait avant tout la destruction des bases mêmes de la révolution sociale. Dernièrement encore, nos Tseretelli et nos Chernov qui, dans nos conditions nationales, ont répété la même triste expérience du ministérialisme français, jurent que leur politique sert les buts de la révolution, et, par conséquent, n'a rien de commun avec la politique de Guesde et de Sembat. D'une façon générale, on ne doit pas oublier que dans le social patriotisme il y a, à coté du plus vulgaire réformisme, un réformisme actif, un messianisme révolutionnaire national qui consiste à considérer sa nation comme l'Etat élu pour conduire l'humanité au " socialisme " ou à la " démocratie ", ne fut-ce que sous sa forme industrielle ou démocratique et vers les conquêtes révolutionnaires. Défendre la base nationale de la révolution par de telles méthodes préjudiciables aux rapports internationaux du prolétariat revient réellement à miner la révolution, qui ne peut commencer autrement que sur une base nationale, mais qui ne saurait être parachevée sur cette base, étant donné l'interdépendance économique, politique et militaire actuelle des Etats de l'Europe, jamais plus amplement démontrée qu'au cours de la présente guerre. Le mot d'ordre des Etats-Unis d'Europe exprimera cette interdépendance qui déterminera directement et immédiatement l'action conjuguée du prolétariat européen pendant la révolution.

Le social patriotisme, qui est en principe, sinon toujours dans les faits, l'application du social réformisme dans sa forme la plus pure, et de son adaptation à l'époque impérialiste se propose, dans la présente tourmente mondiale, de prendre la direction de la politique du prolétariat en suivant la voie du " moindre mal ", c'est à dire en rejoignant l'un des deux camps adverses. Nous rejetons cette méthode. Nous soutenons que la guerre préparée par l'évolution antérieure a posé d'une façon tout à fait claire les problèmes fondamentaux du développement capitaliste actuel dans son ensemble. Bien plus, que la ligne à suivre par le prolétariat international et ses sections nationales ne doit pas être déterminée par des traits politiques et nationaux secondaires, ni par des avantages problématiques de prépondérance militaire d'une des parties contre l'autre (alors que, de plus, ces avantages problématiques doivent être payés d'avance par le renoncement absolu à toute politique indépendante du prolétariat), mais par l'antagonisme fondamental qui existe entre le prolétariat international et le régime capitaliste dans son ensemble. L'union démocratique républicaine de l'Europe, une union réellement capable de garantir le libre développement de national, n'est possible que dans la voie de la lutte révolutionnaire contre le militarisme, l'impérialisme, le centralisme dynastique, au moyen de révoltes dans chaque pays et de la convergence consécutive de tous ces soulèvements en une révolution européenne. La révolution européenne victorieuse peut, indépendamment de son cours dans les différents pays, en l'absence d'autres classes révolutionnaires, transmettre le pouvoir au seul prolétariat. Ainsi, les Etats-Unis d'Europe sont la seule forme concevable de la dictature du prolétariat européen.


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