1922

Annexe à la brochure «La nouvelle politique économique des Soviets et la révolution mondiale» (Librairie de l'Humanité, 1923)
Première parution, en russe Izvestia le 30 novembre 1922 nº 271 :
"Les perspectives politiques" de L.Trotsky (Réponse à Friedlander) suivi par
"Demain" (Article de Friedlander polémiquant avec Trotsky)


Œuvres - novembre 1922

Léon Trotsky

Les perspectives politiques (Réponse à Friedlander)

30 novembre 1922


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Les perspectives politiques

Demain (Friedlander)


Les perspectives politiques (Réponse à Friedlander)

Je suis très heureux de l’occasion qui m’est offerte par l’article du camarade Friedlander de m’élever résolument encore une fois contre la conception mécanique, fataliste, antimarxiste, de la marche de la révolution, qui, malgré l’œuvre salutaire au plus haut point du 3e Congrès, reste ancrée dans les cerveaux de quelques camarades qui apparemment se considèrent comme « de gauche ».

Nous avons entendu dire au 3e Congrès que la crise économique durerait et ne cesserait de s’aggraver jusqu'à la prise du pouvoir par le prolétariat. C’est sur cette conception mécanique que s’appuyait l’optimisme révolutionnaire de certains camarades « de gauche ». Lorsque nous expliquions que des oscillations accidentelles de l’économie mondiale sont inévitables et qu’il faut les prévoir et en tenir compte dans notre tactique, il semblait à ces camarades que nous entreprenions presque la révision de tout le programme et de toute la tactique de l’Internationale. En réalité, nous ne faisions que la « révision » de quelques préjugés de gauche.

Or, maintenant, dans l’article du camarade Friedlander, dans le discours du camarade hollandais Ravensteyn, et dans quelques autres déclarations et discours, nous trouvons cette même conception mécanique antimarxiste transférée du domaine économique dans celui de la politique : le capital, nous dit-on, attaque politiquement et économiquement, son offensive se renforce, le soulèvement du prolétariat sera, à un certain moment, la riposte à l’offensive sans cesse croissante du capital ; où y aurait-il place pour une nouvelle période, même courte, de réformisme pacifiste ?

Pour bien mettre en lumière dès le début tout ce qu’a de mécanique la conception de Friedlander, prenons l’exemple de l’Italie, où la contre-révolution est à son apogée. Quel est le diagnostic politique que l’on peut faire pour l’Italie ? A supposer que Mussolini semaintienne au pouvoir pendant un temps suffisant pour grouper contre lui les ouvriers des villes et de campagne, pour leur donner le temps de reprendre la confiance perdue en leur force de classe et de s’unir autour du Parti communiste, il n’est pas impossible que le régime de Mussolini soit directement balayé par celui de la dictature du prolétariat. Mais il est une autre éventualité, au moins aussi probable que la première. Si le régime de Mussolini se brise contre les contradictions intérieures de sa propre base sociale et les difficultés de la situation intérieure et internationale avant que le prolétariat italien arrive à la situation où il se trouvait en septembre 1920, — mais cette fois sous une direction révolutionnaire forte et résolue — il est évident que l’on assistera de nouveau en Italie à l’instauration d’un régime intermédiaire, d’un régime de phraséologie et d’impuissance, d’un ministère Nitti ou Turati, ou bien Nitti-Turati, en un mot d’un régime analogue à celui de Kérensky qui, par sa faillite inévitable et pitoyable, déblayera la voie au prolétariat révolutionnaire. Cette seconde hypothèse, non moins vraisemblable que la première , impliquera-t-elle la révision du programme et de la tactique des communistes italiens ? Pas le moins du monde. Demain comme aujourd’hui, les communistes italiens mèneront la lutte dans le cadre du régime créé par la victoire de Mussolini. Le morcellement du prolétariat italien ne permet pas à nos camarades d’Italie de s’assigner aujourd’hui comme tâche immédiate le renversement du fascisme par la force armée. Les communistes italiens doivent préparer soigneusement les éléments de la lutte armée prochaine et développer en premier lieu la lutte par de larges méthodes politiques. Leur tâche immédiate, tâche d’une immense importance, est d’introduire la désagrégation dans la partie populaire et particulièrement dans la partie ouvrière des éléments qui soutiennent le fascisme et de rallier des masses prolétariennes de plus en plus nombreuses sous les mots d’ordre particuliers et généraux de la défensive et de l’offensive. Par une politique d’initiative et de souplesse, les communistes italiens peuvent accélérer considérablement la chute des fascistes et, par là même, contraindre la bourgeoisie à chercher son salut devant la révolution dans ses atouts de gauche : Nitti, et peut-être même du premier coup de Turati. Que signifiera pour nous un tel changement ? La continuation de la désagrégation de l’Etat bourgeois, l’accroissement des forces offensives du prolétariat, le développement de notre organisation de combat, la création des conditions nécessaires à la prise du pouvoir.

Quelle est la situation en France ? Le 16 juin de l’année dernière, dans mon discours à l’Exécutif élargi, je développais la pensée que, si en Europe et en France il ne survenait pas auparavant d’événement révolutionnaire, toute la vie politique parlementaire de la France se cristalliserait inévitablement autour d’un « bloc des Gauches » opposé au « Bloc National » qui détient actuellement le pouvoir. Une année et demie s’est écoulée depuis lors, et la révolution n’est pas arrivée. Et certes ceux qui suivent avec attention la vie politique de la France ne nieront pas que cette politique — exception faite pour les communistes et les syndicalistes révolutionnaires — n’aille dans la voie de la substitution du Bloc des Gauches au Bloc National. La France, il est vrai, vit sous le régime de l’offensive du capital, des menaces incessantes à l’adresse de l’Allemagne. Mais en même temps on observe la croissance du désarroi des classes bourgeoises, particulièrement des classes intermédiaires, leur crainte du lendemain, leur désenchantement de la politique des « réparations », leurs efforts pour atténuer la crise financière par la réduction des dépenses affectées à des buts impérialistes, leurs espoirs dans le rétablissement des relations avec la Russie, etc. Cet état d’esprit envahit également, par l’intermédiaire des syndicalistes et des socialistes réformistes, une partie considérable de la classe ouvrière. Bien plus, il envahit certains éléments de notre propre parti, ce que montre entre autres la conduite de Barabant, récemment exclu, qui, étant membre du Comité Directeur du parti communiste, prêche le Bloc des gauches. Ainsi donc la continuation de l’offensive du capital français et de la réaction française n’empêche pas la bourgeoisie française de préparer manifestement une nouvelle orientation.

En Angleterre, la situation n’est pas moins instructive .La domination de la coalition des libéraux et des conservateurs a fait place, après les récentes élections, à celle des conservateurs purs. C’est une évolution manifeste vers la droite. Mais d’autre part les statistiques des dernières élections prouvent précisément que l’Angleterre bourgeoise et social-opportuniste s’est déjà préparé une nouvelle orientation au cas où les contradictions continueraient à s’aggraver et où les difficultés intérieures augmenteraient (les deux sont inévitables). Les conservateurs ont obtenu à peine 5 millions et demi de voix ; le Labour Party et les libéraux indépendants, presque 7 millions. Ainsi donc dès maintenant la majorité des électeurs anglais s’est affranchie des illusions de la victoire impérialiste pour s’adonner aux maigres illusions du réformisme et du pacifisme. Fait remarquable : « l’Union du contrôle démocratique », organisation radicale pacifiste, a réussi à faire entrer en entier son comité au Parlement. Y a-t-il des raisons sérieuses de penser que le régime conservateur actuel précédera directement en Angleterre la dictature du prolétariat ? Pour nous, nous n’en voyons pas. Au contraire, nous estimons que les contradictions économiques coloniales et internationales insolubles qui déchirent l’Empire britannique actuel, fourniront une large pâture à l’opposition petite-bourgeoise représentée par le Labour Party. Tout atteste qu’en Angleterre, plus qu’en aucun autre pays du globe, la classe ouvrière avant d’instaurer sa dictature, devra passer par le stade du gouvernement ouvrier, qui sera, en l’occurrence, le Labour Party réformiste et pacifiste qui a déjà réuni aux dernières élections environ 4 millions et demi de voix.

Mais, objecte Friedlander, une telle perspective écarte complètement la question de l’Allemagne. Et pourquoi donc ? L’Allemagne révolutionnaire est un des facteurs les plus importants du développement européen et mondial, mais il n’est pas le seul. Nous suivons tous avec une attention extrême les succès de notre parti allemand. Son développement est entré dans une nouvelle phase après les événements de Mars 1921. Les événements de Mars clôturent sa période de développement intérieur. Sa nouvelle période a débuté par la critique des événements de mars et ceux qui n’ont pas encore compris le sens et la nature de cette nouvelle étape, sont des gens dont il n’y a plus rien à espérer et avec lesquels il est inutile de parler sérieusement. Dans sa grande majorité, le Parti communiste allemand marche avec assurance et fermeté dans la voie de son développement. En même temps l’économie allemande se désagrège. Quand l’entre-croisement de tous ces facteurs amènera-t-il la classe ouvrière allemande à la prise du pouvoir ? Dans un an ? Dans un an et demi ? Dans deux ans ? Il est très difficile de fixer des dates. Si l’Allemagne était isolée ou si elle n’avait pas à ses côtés la Russie Soviétiste, nous dirions plutôt une demi-année qu’une et une année plutôt que deux. Mais il y a la France et le maréchal Foch, il y a l’Italie avec Mussolini, il y a l’Angleterre avec Bonar Law et Curzon, il y a encore l’offensive du capital qui de développe et tous ces facteurs ont une puissante influence sur le développement de la révolution en Allemagne. Ce n’est pas à dire, évidemment, que le Parti communiste allemand ne doive pas entreprendre d’action révolutionnaire offensive avant que la révolution n’éclate en France. Nos camarades allemands sont loin de ce bas opportunisme, de cette tendance à ne faire la révolution qu’avec toutes les garanties désirables, qu’avec l’assurance d’avoir Paris et Londres à leurs côtés. Mais, évidemment, la menace d’une occupation militaire de la part des Etats occidentaux aura pour résultat de freiner le développement de la révolution allemande jusqu’au moment où le Parti communiste français montrera qu’il est en état de paralyser ce danger et disposé à le faire.

Mais de là il ne résulte pas que la révolution allemande ne puisse pas éclater avant la chute des gouvernements impérialistes agressifs qui existent actuellement en France, en Angleterre et en Italie. La victoire du prolétariat allemand donnerait indubitablement une puissante impulsion au mouvement révolutionnaire dans tout les pays d’Europe. Mais de même que, sous l’impulsion de la Révolution russe, le pouvoir en Allemagne est tombé un an plus tard aux mains de Scheidemann et non dans celles de Liebknecht, de même sous l’influence de l’impulsion de la révolution prolétarienne victorieuse en Allemagne, le pouvoir pourrait en Angleterre échoir à Henderson ou à Clynes, et en France à Caillaux avec Blum et jouhaux. Dans les conditions historiques actuelles, ce régime menchéviste ne serait en France qu’une très courte période d’agonie de la bourgeoisie. Il est possible que même en France le prolétariat communiste arrivât dans ce cas au pouvoir directement, par-dessus la tête des mencheviks. En Angleterre, c’est moins probable. En tout cas cette perspective présuppose la victoire de la révolution en Allemagne au cours des mois prochains. Cette victoire est-elle assurée dans un tel délai ? personne ne songera sérieusement à l’affirmer. En tout cas, ce serait une faute grossière que de faire dépendre notre diagnostic d’une perspective aussi étroite, aussi problématique. Sans diagnostic il n’est pas de politique révolutionnaire de grande envergure. Mais le diagnostic ne doit pas être mécanique, il doit être dialectique. Il doit tenir compte de l’action réciproque des forces historiques objectives et subjectives : alors apparaissent plusieurs éventualités, dont la réalisation dépend de la façon dont se manifestera cette corrélation des forces dans l’action effective.

Ainsi donc il n’est guère de raison d’affirmer catégoriquement que la révolution prolétarienne triomphera en Allemagne avant que les difficultés intérieures et extérieures de la France n’amènent dans ce pays une crise gouvernementale et parlementaire. Cette crise aurait pour résultat de nouvelles élections, et de nouvelles élections donneraient la victoire au Bloc des Gauches. L’avènement du Bloc des Gauches au pouvoir porterait un fort coup au gouvernement conservateur en Angleterre, elle renforcerait l’opposition du Labour Party et très probablement entraînerait une crise parlementaire, de nouvelles élections et la victoire du Labour Party, seul ou allié aux indépendants. Quelle serai l’influence de ces événements sur la situation intérieure de l’Allemagne ? Les social-démocrates allemands sortiraient immédiatement de leur demi-opposition et offriraient au peuple leurs services pour le rétablissement des relations pacifiques normales et autres avec les « grandes démocraties occidentales ». C’est dans ce sens que je disais que, s’il ne produisait avant la victoire du communisme en Allemagne, un revirement de la politique intérieure de la France et de l’Angleterre pourrait encourager pour un certain temps la social-démocratie allemande. Il se peut que Scheidemann arrive de nouveau au pouvoir, mais son avènement sera le prologue du dénouement révolutionnaire, car il est évident que, dans la situation de l’Europe actuelle, il suffira, non pas de quelques années, mais de quelques mois ou semaines pour que le régime réformiste-pacifiste manifeste sa complète impuissance.

Dans son discours sur le programme, Thalheimer nous a rappelé justement les raisons fondamentales qui excluent la possibilité pour le capitalisme de faire machine en arrière, de revenir au principe « manchestérien », au libéralisme pacifiste et au réformisme. A supposer que Clynes, Caillaux-Blum ou Turati soient au pouvoir, ils ne pourraient mener une politique essentiellement différente de Lloyd George, Bonar Law, Poincaré et même Mussolini. Ils arriveront au pouvoir lorsque la situation de la bourgeoisie deviendra encore plus pénible que maintenant. La complète faillite de leur politique pourra, à condition bien entendu que nous ayons une tactique révolutionnaire résolue et souple en même temps, être entièrement dévoilée dans un délai très court. Après les illusions de la guerre et de la victoire, les illusions pacifistes et les espérances réformistes ne peuvent, dans l’Europe capitaliste, ruinée et désorganisée à fond, qu’être les illusions éphémères de l’agonie bourgeoise.

Le camarade Ravensteyn est prêt, apparemment, à reconnaître tout cela avec certaines réserves pour la plèbe capitaliste, mais non pour l’arisrocratie capitaliste, c’est-à-dire non pour les puissances coloniales : la perspective de la période réformiste-pacifiste qui doit précéder la dictature du prolétariat, de même que le mot d’ordre du gouvernement ouvrier, ne conviennent pas, selon lui, à la Grande-Bretagne, à la Belgique et à la Hollande. Ravensteyn a parfaitement raison de lier le mot d’ordre du gouvernement ouvrier au fait que la bourgeoisie a encore à sa disposition une ressource réformiste-pacifiste, non pas matérielle, mais idéologique en la personne des partis bourgeois-réformistes et social-démocrates, qui conservent encore leur influence. Mais Ravensteyn est complètement dans l’erreur lorsqu’il fait certaines objections pour les puissances coloniales. Avant d’attaquer la révolution russe par la force armée, l’Angleterre a envoyé Henderson à la rescousse de Buchanan pour maintenir la révolution dans le droit chemin. Or, durant la guerre, la Russie était la colonie de l’Angleterre. La bourgeoisie anglaise a agi de même envers l’Inde ; elle y envoyait des vice-rois bienveillants et libéraux en même temps des escadrilles d’avions et de la dynamite. Le développement du mouvement révolutionnaire aux colonies avancerait indubitablement le moment de l’événement au pouvoir du Labour Party, quoique ce dernier ait toujours et partout vendu les colonies au capital anglais. Il est hors de doute également que le développement du mouvement révolutionnaire aux colonies, parallèlement au mouvement prolétarien dans la métropole, couchera pour toujours dans la tombe le réformisme historique, le réformisme petit-bourgeois et son représentant, le Labour-Party.

Le radicalisme révolutionnaire qui, pour se soutenir le moral, doit ignorer, dans l’économie comme dans la politique la dialectique des forces libres et tracer son diagnostic avec la règle et le compas est des plus instables, des moins sûrs. Il suffit d’un détour de la conjoncture politique et économique pour le désorienter complètement. Au fond, ce « gauchisme » couvre du pessimisme et de la méfiance . Ce n’est pas sans raison que l’un des critiques est un communiste d’Autriche et l’autre un communiste de Hollande : ces deux pays, jusqu'à présent, ne sont pas des foyers révolutionnaires. L’optimisme actif du Parti Communiste repose sur des bases plus larges et plus sérieuses. La bourgeoisie n’est pas pour nous une pierre qui roule au précipice, mais une force historique vive, qui lutte, manoeuvre, avance tantôt son aile droite, tantôt son aile gauche . Et ce n’est que si nous apprenons tous les moyens et les méthodes politiques de la société bourgeoise pour réagir chaque fois sans hésitation ni retard que nous réussirons à accélérer le moment où d’un mouvement juste et sûr nous jetterons définitivement la bourgeoisie à l’abîme.

Léon Trotsky


"Demain" de Friedlander

Dans la péroraison de son remarquable discours au Congrès, Trotsky, parlant de la révolution russe, a fait en traits concis les pronostics de l’étape prochaine du développement des pays autres que la Russie ; il en ressort que, dans les conditions actuelles, une période de pacifisme et de réformisme est inévitable, tant en France qu’en Angleterre. Trotsky prête à cette circonstance une importance décisive ; c’est là le postulat de sa position, dirigée contre les dangers opportunistes qui menacent soi-disant, les Partis Communistes.

Il y a de sérieuses objections à ces pronostics ; je veux les indiquer ici.

L’objection principale sera dirigée contre le point de départ des pronostics de Trotsky. C’est là la clef de toute la question. Les considérations fondamentales de Trotsky contredisent l’interprétation du développement de la Révolution donnée par l’I.C. et confirmée par le Congrès. Le point de départ pour Trotsky n’est point l’Allemagne. Il la laisse de côté ; mais il suppose que, grâce à l’évolution pacifiste et réformiste de l’Angleterre, les social-démocrates allemands respireront un air plus frais. De l’exposé qu’il donne ensuite, il ressort qu’il considère cette étape de l’évolution comme devant durer non pas des mois, mais des années. Jusqu'à présent, et nous croyons que c’était juste, c’était l’Allemagne que l’on attribuait le rôle décisif dans le processus de l’évolution prochaine, du moins en ce qui concerne l’Europe. On pensait, et on pense encore à juste titre, que l’évolution intérieure de l’Allemagne, de même que la constellation politique extérieure dont l’Allemagne est le foyer d’attraction, amèneront de grands événements et des combats décisifs entre le prolétariat et la bourgeoisie allemande. Quant à Trotsky, il base ses pronostics sur la supposition que l’on ne saurait s’attendre dans un avenir prochain à une aggravation catastrophique des antagonismes de classes en Allemagne et que, par conséquent, dans la détermination des perspectives d’avenir de l’Europe, il faut faire abstraction du développement révolutionnaire en Allemagne, en tant que facteur décisif.

A la base des considérations de Trotsky (il est impossible d’aboutir à une autre conclusion), il y a l’hypothèse que l’Allemagne devra marcher dans la même voie que l’Autriche, qu’elle cessera d’être, sur l’échelle internationale ou même sur l’échelle nationale, un facteur d’action politique et se transformera en un objet tout à fait passif pour l’action des puissances de l’Entente . Une telle interprétation est injustifiée : l’Autriche est une puissance insignifiante, éprouvant un grand besoin de produits alimentaires et de matières premières, un pays non viable, incapable d’agir, dépendant de l’étranger ; mais pour l’Allemagne, c’est autre chose. Elle a d’autres possibilités politiques et économiques, particulièrement grâce à son accord avec la Russie des Soviets. Elle n’a aucune ressemblance avec l’état tragi-comique de l’Autriche. A la différence de la grande masse du prolétariat autrichien, le prolétariat allemand est incapable d’une soumission fataliste à l’Entente, il ne se pliera pas sans combat sous le joug horrible de l’exploitation et de la paupérisation.

Il est beaucoup plus probable que, dans le processus d’une telle évolution, le prolétariat allemand entreprendra une lutte décisive contre le gouvernement bourgeois. Cette lutte décisive influera sur tout le reste de l’Europe et tout particulièrement sur la France et l’Angleterre.

Toutes ces considérations protestent contre les perspectives d’avenir dessinées par Trotsky, pour qui le rôle décisif était joué par la domination économique et politique de l’Angleterre et de la France en Europe. Il y a encore d’autres objections. A part l’Allemagne, il existe encore d’autres foyers de développement révolutionnaire, en particulier dans l’Europe centrale et méridionale. La situation y est instable. De là la vague de réaction, la tentative de rétablir un équilibre stable, - dans l’acceptioncapitaliste du mot, - entre l’Europe centrale et l’Europe méridionale, à l’aide des moyens politiques les plus féroces. Cette vague de réaction avance encore et il n’y a aucune raison de croire qu’elle se brisera contre le pacifisme ou le réformisme de l’Angleterre ou de la France.

En outre, il y a le conflit oriental et les machinations militaires qui, par malheur, en découlent.

Bref, la perspective dessinée par Trotsky est peu probable ; car, outre qu’elle est une révision de l’ancienne interprétation de l’évolution révolutionnaire et que, par conséquent, elle entraîne une modification des bases de la politique concrète de l’Internationale Communiste dans la période prochaine, il n’aurait point fallu la masquer, mais la mettre à découvert.

Friedlander.


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