1930

août 1930 : le combat pour unifier et souder l'Opposition de Gauche Internationale face à la montée de la bureaucratie stalinienne.


Œuvres - août 1930

Léon Trotsky

Le social-fascisme

Incapable de tenir sa langue, Manouilsky a déclaré de façon inattendue au 16° congrès: "La question de la nature du social-fascisme est un problème qui n'a pas encore été assez élaboré dans l'Internationale communiste".

Nous y voilà! Depuis le commencement, ils ont annoncé, confirmé, assuré, canonisé et crétinisé et maintenant ils vont "élaborer encore plus" sur cette question. Qui donc va s'occuper d'élaborer ? Nous proposons Radek. En dehors de lui il n'y a personne. Tous les autres ont disparu.

Radek doit faire son noviciat. Dans ce but, il écrit dans la Pravda des articles verbeux sur "l'essence du social-fascisme". Comme le demandait le philosophe Khemnitzer, "Qu'est-ce, une corde ?". Et depuis, l'ennui est que les lecteurs des nombreux articles sur le "social-fascisme" ont catastrophiquement oublié tous les excellents arguments des enquêteurs précédents. Radek doit tout commencer au début. Pour commencer par le commencement, dire qu'il déclare que Trotsky est de l'autre côté de la barricade. Il est possible que Radek ait eu à insérer cette phrase sur requête spéciale du comité de rédaction, comme honoraire moral pour la publication de cet article.

Mais tout de même, quelle est l'essence du social-fascisme ? Et en quoi diffère-t-il du fascisme véritable ? Il apparaît que la différence (qui l'aurait pensé ?) réside dans le fait que le social-fascisme est aussi "pour mener la politique fasciste, mais de façon démocratique.," . Radek explique longuement pourquoi il ne restait à la bourgeoisie allemande qu'à mener la politique fasciste par le parlement, "avec une apparence de conservation de la démocratie". De quoi s'agit-il ? Jusqu'à présent, les marxistes expliquaient que la démocratie était le déguisement sur la dictature de classe - un de ses déguisements possibles. La fonction politique de la social-démocratie contemporaine est la création d'un tel déguisement démocratique. Elle ne diffère nullement autrement du fascisme qui, avec d'autres méthodes, d'autres idéologies, et en partie aussi avec une autre base sociale, organise, assure et protège la même dictature du capital impérialiste.

Mais, argumente Radek, il n'est possible de maintenir le capitalisme décadent qu'avec des mesures fascistes. A long terme, c'est tout à fait juste. Mais il n'en découle pas cependant que la social-démocratie est obligée à long terme d'ouvrir la voie au fascisme, alors que ce dernier, venant prendre sa place ne se prive pas du plaisir de cogner sur pas mal de têtes social-démocrates. Mais Radek, dans son article, déclare cependant que de telles objections sont une "excuse pour la social-démocratie". Ce terrible révolutionnaire pense apparemment que dissimuler les traces sanglantes de l'impérialisme à la brosse de la démocratie est une mission plus élevée et plus éminente que de défendre les coffres impérialistes le nerf-de-boeuf à la main.

Radek ne peut pas nier que la social-démocratie se cramponne de toute sa faible force au parlementarisme, car toutes les sources de son influence et de sa prospérité sont liées avec cette machine artificielle. Mais, proteste l'inventif Radek, "il n'est dit nulle part dit que le fascisme exige la dispersion formelle du parlement". Est-ce vraiment le cas ? Mais c'est précisément le parti politique qui fut appelé pour la première fois fasciste qui, en Italie, pour la première fois détruisit la machine parlementaire au nom de la garde prétorienne de la domination de classe bourgeoise. Cela, s'avère-t-il, n'a guère d'importance. Le phénomène du fascisme est une chose et son essence une autre. Radek découvre que la destruction du parlementarisme n'a pas besoin du fascisme, si on prend cette destruction comme une chose en soi. "Qu'est-ce que c'est, une corde ?".

Mais comme il sent que cela ne se passe pas aussi simplement, Radek ajoute avec plus d'ingénuité encore: "Même les fascistes italiens ne dispersent pas tout de suite le parlement". Ce qui est vrai est vrai. Et pourtant, ils l'ont dispersé sans épargner même la social-démocratie, le plus belle fleur du bouquet parlementaire. Selon Radek, on dirait que les social-fascistes ont dissous le parlement italien, pas tout de suite, mais après réflexion. Nous craignons que la théorie de Radek n'explique pas bien aux ouvriers italiens pourquoi les social fascistes vivent maintenant en exil. Les ouvriers allemands, eux non plus, ne vont pas comprendre facilement ce qui se passe et qui, en Allemagne, veut vraiment disperser le parlement, les fascistes ou les social-démocrates ?

Tous les arguments de Radek, comme ceux de ses maîtres, peuvent être réduits au fait que la social-démocratie n'est nullement la démocratie idéale (évidemment pas le type de démocratie sur laquelle Radek a des rêves roses après ses embrassades conciliatrices avec Jaroslavsky). La théorie profonde et fertile du social-fascisme n'est pas construite sur la fondation d'une analyse matérialiste de la fonction particulière, scientifique, de la social-démocratie, mais sur la base d'un critère démocratique abstrait particulier aux opportunistes même quand ils veulent ou doivent occuper une position sur l'aile la plus extrême des barricades (et pendant ce temps, ils ont tourné le dos et leurs armes du mauvais côté).

Il n'y a pas de contradiction de classe entre la social-démocratie et le fascisme. Mais le fascisme et la social-démocratie sont des partis bourgeois; pas bourgeois au sens général, mais le sort que préserve un capitalisme en déclin est encore moins capable de tolérer des formes démocratiques ou toute forme fixée de légalité. C'est précisément pourquoi la social-démocratie, compte non tenu des flux et reflux de ses fortunes, est condamnée à l'extinction, laissant la place à l'un des opposés, ou le fascisme ou le communisme.

La différence ente blonds et bruns n'est pas si grande, en tout cas substantiellement, moindre que la différence entre hommes et singes. Anatomiquement et physiologiquement, blonds et bruns appartiennent à une même espèce, peuvent appartenir à la même nationalité, la même famille et finalement peuvent être la seule et même canaille. Pourtant la peau et la couleur des cheveux ont un sens pas seulement pour les passeports mais en général dans la vie. Radek, pourtant, pour gagner l'applaudissement cordial de Jaroslavsky, veut prouver que le brun est au fond un blond seulement avec une peau plus sombre et des cheveux noirs.

Il y a de bonnes théories dans le monde qui servent à expliquer les faits. Mais dans la mesure où il s'agit du social-fascisme, les seuls besoins qu'il sert sont ceux des capitulards faisant leur noviciat.


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