1931

Brochure rééditée dans les "Ecrits" de Trotsky, tome III, Supplément à la revue "4ème Internationale", 1959


Contre le national-communisme

Léon Trotsky

(les leçons du plébiscite "rouge")

25 août 1931


Les feux éteints


Les analogies historiques ne sont que des analogies. Il ne peut pas y être question d'identité de conditions et de tâches. Mais, dans le langage conventionnel des analogies, nous pouvons demander : est-ce que, au moment du référendum, en Allemagne, se posait la question de la défense contre le danger Kornilov, ou était-on vraiment à la veille du renversement de tout le régime de la bourgeoisie par le prolétariat ? Cette question ne se résout ni par des principes abstraits ni par des formules polémiques, mais par le rapport des forces. Combien minutieusement et consciencieusement les bolcheviks avaient étudié, calculé et mesuré les rapports de forces à chaque étape donnée de la révolution ! La direction du P.C. allemand, a-t-elle essayé, en s'engageant dans la lutte, d'établir un bilan préliminaire des forces en lutte ? Nous ne trouvons ce bilan ni dans les articles, ni dans les discours. A l'instar de leur maître Staline, ses disciples berlinois conduisent la politique tous feux éteints.

Thaelmann a réduit ses considérations sur la question décisive des rapports de forces à deux ou trois phrases générales. " Nous ne vivons plus en 1923 – disait-il dans son rapport. Le Parti communiste est maintenant un parti qui entraîne des millions d'hommes, qui croît prodigieusement. " Et c'est tout ! Thaelmann n'a pas pu démontrer plus clairement combien la compréhension de la différence entre la situation de 1923 et celle de 1931 lui était étrangère ! A ce moment-là, la social-démocratie se décomposait par morceaux. Les ouvriers qui n'avaient pas encore pu quitter les rangs de la social-démocratie, tournaient les yeux avec espoir du côté du Parti communiste. A ce moment-là le fascisme représentait beaucoup plus un épouvantail dans le potager de la bourgeoisie qu'une réalité politique sérieuse. L'influence du Parti communiste sur les syndicats et sur les comités d'usines était en 1923 incomparablement plus importante que maintenant. Les comités d'usines remplissaient alors effectivement les fonctions des soviets. La bureaucratie sociale-démocrate perdait chaque jour du terrain dans les syndicats.

Le fait que la situation de 1923 n'a pas été utilisée par la direction opportuniste de l'Internationale Communiste et du P.C. allemand est toujours vivant dans la conscience des classes et des partis et dans les rapports entre eux. Le Parti communiste, dit Thaelmann, est un parti qui entraîne plusieurs millions d'hommes. Cela nous réjouit ; nous en sommes fiers. Mais nous n'oublions pas que la social-démocratie reste encore, elle aussi, un parti qui influence plusieurs millions d'hommes. Nous n'oublions pas que, grâce à la chaîne des erreurs effroyables des épigones, au cours des années 1923-1931, la social-démocratie d'aujourd'hui fait montre d'une plus grande résistance que la social-démocratie de 1923. Nous n'oublions pas que le fascisme d'aujourd'hui, qui s'est nourri et a grandi grâce aux trahisons da la social-démocratie et aux erreurs de la bureaucratie stalinienne, représente une entrave énorme sur la voie de la conquête du pouvoir par le prolétariat. Le Parti communiste est un parti qui influence des millions d'hommes. Mais, grâce à la stratégie antérieure de la " troisième période ", de la période de la bêtise bureaucratique concentrée, le Parti communiste est aujourd'hui encore très faible dans les syndicats et dans les conseils d'usines. On ne peut pas mener la lutte pour le pouvoir en ne s'appuyant que sur les voix du référendum. Il faut avoir un appui dans les usines et dans les ateliers, dans les syndicats et dans les conseils d'usines. Thaelmann oublie tout cela en remplaçant l'analyse de la situation par de fortes expressions.

Il n'y a que des hommes d'une autre planète qui puissent affirmer qu'en juillet-août 1931, le Parti communiste allemand était assez puissant pour pouvoir entrer dans une lutte ouverte avec la société bourgeoise représentée par ses deux ailes, la social-démocratie et le fascisme. La bureaucratie du Parti elle-même n'y croit pas. Si elle recourt à cette affirmation, c'est parce que le plébiscite a échoué et que, par conséquent, elle n'a pas eu à être soumise à un examen ultérieur. C'est dans cette irresponsabilité, dans cet aveuglement, dans cette recherche insensée .des effets, que trouve toute son expression la moitié aventuriste de l'âme du centrisme stalinien !


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