1931

Brochure rééditée dans les "Ecrits" de Trotsky, tome III, Supplément à la revue "4ème Internationale", 1959


Contre le national-communisme

Léon Trotsky

(les leçons du plébiscite "rouge")

25 août 1931


Pourquoi le Parti s'est-il tu ?


Mais comment le Parti a-t-il pu se taire ? Le rapport de Thaelmann qui signifiait un tournant à 180 degrés dans la question du référendum a été adopté sans discussion. Telle a été la proposition venue d'en haut : et ce qui est proposé, est ordonné. Tous les comptes rendus de la Rote Fahne témoignent que, dans toutes les réunions du Parti, le référendum a été adopté " unanimement ". Cette unanimité est présentée comme un signe de force particulière du Parti. Où et quand y eut-il dans l'histoire du mouvement révolutionnaire un pareil " monolithisme " muet ? Les Thaelmann et les Remmele jurent par le bolchevisme. Mais toute l'histoire du bolchevisme est l'histoire de luttes intérieures intenses, dans lesquelles le Parti acquérait ses opinions et forgeait ses méthodes. Les chroniques de l'année 1917, la plus importante dans l'histoire du Parti, sont pleines de luttes intérieures intenses, comme l'est également la période des cinq premières années qui ont suivi la prise du pouvoir : et cela, sans scission, sans une seule exclusion importante pour des motifs politiques. Et cependant à la tète du Parti bolchevik se trouvaient des chefs d'une autre taille, d'une autre trempe et d'une autre autorité que Thaelmann, Remmele et Neumann. D'où vient donc ce " monolithisme " effrayant d'aujourd'hui, cette unanimité funeste qui transforme chaque tournant des chefs malencontreux en une loi absolue pour un Parti gigantesque ?

" Aucune discussion !" Parce que, comme l'explique la Rote Fahne, " dans une telle situation il faut des actes et non des discours ". Hypocrisie répugnante ! Le Parti doit commettre des " actes " en renonçant à les examiner auparavant. Et de quel " acte " s'agit-il dans le cas donné ? Il s'agit de poser une petite croix dans une case d'un papier officiel, et l'addition de ces petites croix prolétariennes ne peut être faite, de sorte qu'il est même impossible de savoir si c'est une croix prolétarienne ou une croix gammée. Accepte sans hésitations, sans réflexions, sans objections, même sans inquiétude dans le regard, le nouveau saut de mouton des chefs désignés par la Providence, sinon tu es un renégat et un contre-révolutionnaire. Voilà l'ultimatum que la bureaucratie stalinienne internationale applique comme un revolver sur la tempe de chaque ouvrier avancé.

En apparence, il semble que la masse tolère ce régime et que tout marche à merveille. Mais non ! La masse n'est pas du tout de la terre glaise qu'on peut modeler comme on veut. Elle réagit à sa manière, lentement mais d'autant plus solidement, contre les erreurs et les stupidités de la direction. Elle s'opposait à sa manière à la " troisième période" en boycottant les journées rouges innombrables. Elle abandonne les syndicats unitaires en France lorsqu'elle ne peut pas s'opposer par la voie normale aux expérimentations de Lozovsky-Monmousseau. N'ayant pas accepté " l'idée" du référendum rouge, des centaines de milliers et des millions d'ouvriers ont évité d'y participer. C'est bien cela la rançon des crimes de la bureaucratie centriste qui imite d'une façon indigne l'ennemi de classe mais qui, par contre, tient solidement à la gorge son propre Parti.

Staline a-t-il vraiment sanctionné par avance le nouveau zigzag ? Personne ne le sait, comme personne ne sait également les opinions de Staline sur la révolution espagnole. Staline se tait. Quand les chefs plus modestes, à commencer par Lénine, voulaient influencer la politique d'un parti frère, ils prononçaient des discours ou écrivaient des articles. C'étaient parce qu'ils avaient, eux, quelque chose à dire. Staline, lui, n'a rien à dire. Il ruse avec le processus historique de la même manière qu'il ruse avec les hommes. Il ne pense pas à aider le prolétariat allemand ou espagnol, à faire un pas en avant, mais il cherche à s'assurer pour lui-même un repli politique.

L'attitude de Staline dans les événements allemands de 1923 est un échantillon incomparable de sa duplicité dans les questions fondamentales de la révolution mondiale. Rappelons ce qu'il écrivit à Zinoviev et à Boukharine en août de la même année :

" Est-ce que les communistes doivent s'acheminer (dans le stade actuel) vers la prise du pouvoir sans la social-démocratie, sont-ils déjà mûrs pour cela ? Voilà, à mon avis, la question. Quand nous avons pris le pouvoir, nous avions en Russie des réserves telles que : a) la paix ; b) la terre aux paysans ; c) l'appui de la majorité énorme de la classe ouvrière ; d) la sympathie de la paysannerie. Les communistes allemands n'ont, aujourd'hui, rien de tout cela. Bien entendu, ils ont dans leur voisinage le pays des Soviets, ce que nous n'avions pas, mais que pouvons-nous leur donner en ce moment ? Si, aujourd'hui, le pouvoir en Allemagne s'écroule pour ainsi dire de lui-même, et si les communistes s'en saisissent, ils échoueront avec fracas. Cela – " dans le meilleur des cas ". Et dans le pire des cas, ils seront réduits en miettes et rejetés en arrière A mon avis, il faut retenir les Allemands et non pas les encourager ".

Ainsi, Staline se trouvait à droite de Brandler qui, en août-septembre 1923, considérait, au contraire, qu'on pouvait conquérir le pouvoir en Allemagne sans peine, mais que les difficultés commenceraient au lendemain de la conquête du pouvoir. L'opinion officielle de l'Internationale Communiste consiste aujourd'hui à dire que les brandlériens ont laissé échapper en 1923 une situation particulièrement révolutionnaire. L'accusateur suprême des brandlériens, c'est... Staline. S'est-il cependant expliqué avec l'Internationale Communiste au sujet de sa propre position en 1923 ? Non, il n'y a là aucune nécessité : il suffit d'interdire aux sections de l'Internationale Communiste de soulever cette question.

Staline essaiera, sans doute, de faire la même mise en scène dans la question du référendum. Thaelmann, même s'il l'osait [1], ne pourrait pas le confondre. Staline a poussé le Comité Central allemand par l'intermédiaire de ses agents, et lui-même s'est retiré prudemment en arrière. En cas de succès de la nouvelle politique, tous les Manouilsky et tous les Remmele auraient déclaré que l'initiative en appartient à Staline. Et eu cas d'échec, Staline a gardé toute la possibilité de trouver le coupable. C'est bien en cela que consiste la quintessence de sa stratégie. Dans ce domaine il est fort.


Note

[1] La question de savoir si Thaelmann s'est opposé effectivement au dernier tournant et n'a fait que se soumettre à Remmele et à Neumann qui ont trouvé un appui à Moscou, ne nous intéresse pas ici, comme étant une question purement personnelle et épisodique : il s'agit du système. Thaelmann n'a pas osé faire appel au Parti et porte par conséquent toute la responsabilité.


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