1934

Source, pour les sept premiers points, Léon Trotsky, Œuvres 4, Avril 1934 – Décembre 1934. Institut Léon Trotsky, Paris 1979, pp. 182-186, une traduction à partir des Writings en anglais, édités par G. Breitman. Le point huit a été reproduit d'une version en français du texte «Le conflit catalan et les tâches du prolétariat», extrait d'un exemplaire conservé au RGASPI de Moscou (TROTSKY, L. «Le conflit catalan et les tâches du prolétariat», Arkhiva Kominterna, p. 552, op. 1, d. 7, ll. 5-7). Cf. la présentation en catalan de cette publication à l'adresse : https://serhistorico.net/2020/11/25/el-conflicte-catala-i-les-tasques-del-proletariat-l-trotsky-et-al/


Le conflit catalan et les tâches du prolétariat

Léon Trotsky

(été 1934)


1 — L’appréciation du conflit catalan et des possibilités qui en découlent doit partir du fait que la Catalogne représente incontestablement aujourd’hui la plus forte position des forces défensives face à la réaction espagnole et au danger fasciste. Si cette position était perdue, la réaction aurait remporté une victoire décisive et pour longtemps. Avec une politique juste, l’avant-garde prolétarienne pourrait utiliser ce bastion défensif comme point de départ d’une nouvelle offensive de la révolution espagnole. Telle devrait être notre perspective.

2 — Ce développement n’est pas possible tant que le prolétariat catalan n’a pas réussi à prendre la tête du combat défensif contre le gouvernement central réactionnaire de Madrid. Mais cela n’est pas possible si le prolétariat catalan ne promet de soutenir cette lutte que dans le cas où elle serait engagée […] ou l’intransigeance du gouvernement de Madrid, ou le caractère réactionnaire de la petite bourgeoisie catalane. La politique suiviste de Maurin est poursuivie par nos camarades dans l’Alliance ouvrière de Catalogne. Mais cela n’est possible que s’il se place à la tête du mouvement de défense, s’il éclaire les perspectives, s’il lance des mots d’ordre toujours plus courageux et commence à prendre la direction de la lutte, pas en paroles, mais en actes.

3 — Une résistance victorieuse n’est concevable que si, non seulement elle mobilise toutes les forces des masses — et toutes les préconditions existent maintenant pour cela —, mais si elle pousse en avant, à l’offensive. C’est pourquoi il est d’une importance décisive que l’avant-garde prolétarienne explique dès maintenant aux masses ouvrières et paysannes du reste de l’Espagne que la victoire ou la défaite de la résistance catalane tranchera également de leur propre victoire ou de leur défaite. Il faut mobiliser ces alliés dans l’Espagne entière maintenant, et pas au moment où l’offensive réactionnaire sera devenue un fait. (C’est la position de nos camarades et de la majorité du comité de l’Alliance ouvrière).

4 — La Catalogne peut demeurer l’axe de la révolution espagnole. La prise de la direction en Catalogne doit être la base de notre politique en Espagne. Mais la politique de nos camarades rend cela tout à fait impossible. Il faut très vite changer cette politique si l’on ne veut pas qu’une situation décisive se termine, par notre faute, par une nouvelle défaite qui pourrait être décisive pour longtemps.

Il ne faut pas nous dissimuler que la politique de nos camarades sur cette question a porté une rude atteinte au prestige non seulement de notre organisation et de l’Alliance ouvrière, mais du prolétariat lui-même, et qu’elle ne peut pas être réparée à moins d’un tournant radical et de preuve par les faits. La position de nos camarades et de ceux de l’Alliance ouvrière ne peut être comprise par les masses travailleuses non prolétariennes que de la façon suivante : le prolétariat, par la voix de ses organisations, est prêt à participer si les autres commencent. Mais il exige son prix pour cela (cf. les termes imposés par l’Alliance ouvrière) de l’Esquerra catalane, ignore totalement les intérêts particuliers de la paysannerie et des masses petites-bourgeoises, et s’emploiera à diriger aussi vite que possible le combat vers ses propres objectifs de classe, la dictature du prolétariat. Au lieu d’apparaître comme le dirigeant de toutes les couches opprimées de la nation, comme le dirigeant du mouvement de libération nationale, le prolétariat n’apparaît ici que comme un partenaire des autres classes : un partenaire très égoïste en fait, à qui il faut donner, ou plutôt promettre, parce qu’on a besoin de lui, et tant qu’on en a besoin. La petite bourgeoisie catalane, la grande bourgeoisie et la réaction, se basant sur la faillite de la petite bourgeoisie, ne pouvaient rien demander de mieux que le prolétariat dans une position pareille.

5 — Nos camarades doivent fonder leur tournant avant tout là-dessus : ils doivent faire de l’agitation (par leur propre organisation comme par l’Alliance ouvrière) en faveur de la proclamation d’une république catalane indépendante, et doivent exiger, pour la garantir, l’armement immédiat du peuple tout entier. Il ne leur faut pas attendre que le gouvernement les arme : ils doivent immédiatement former des milices ouvrières qui non seulement exigeront du gouvernement un meilleur équipement, mais les obtiendront en désarmant les réactionnaires et les fascistes. Le prolétariat doit prouver aux masses catalanes qu’il éprouve un intérêt sincère pour la défense de l’indépendance catalane. C’est en cela que résidera le pas décisif vers la conquête de la direction dans la lutte de toutes les couches, préparée pour la défense à la fois de la ville et de la campagne. L’armement du peuple doit devenir le centre de notre agitation dans les semaines qui viennent autour des mots d’ordre suivants : « Pas de retenues sur les salaires ! Le gouvernement et les patrons doivent supporter le coût de l’équipement et des réserves ! ». Il faut embaucher comme instructeurs dans la formation des milices les forces militaires existantes, faire élire les officiers par les milices. La base de la milice, c’est l’usine.

Les ouvriers de la grande industrie, des chemins de fer, etc. et de tous les services publics doivent automatiquement faire partie de cette milice. La majorité du peuple doit être appelée à la rejoindre. Chaque régiment élit son comité, lequel envoie pour sa part un représentant au comité central de toutes les unités de milice de Catalogne. Le comité central — c’est-à-dire le soviet central — fonctionne comme l’État politique, mais d’abord et avant tout comme organisme de contrôle et plus tard comme autorité centrale pour les réserves et l’équipement des forces armées. Dans la réalisation de cette tâche, il deviendra l’organisme à côté du gouvernement, le gouvernement lui-même proprement dit. C’est là la forme, le développement concret des soviets dans la situation actuelle en Catalogne.

6 — Du fait de ses profondes divisions internes qui ne lui permettent pas d’établir son hégémonie en Catalogne, le prolétariat ne peut pas, dans la situation actuelle, proclamer à lui seul l’indépendance de la Catalogne. Mais il peut et il doit appeler de toutes ses forces à l’indépendance et l’exiger du gouvernement petit-bourgeois de la Esquerra. Il doit répondre à ses manœuvres dilatoires par la tenue immédiate d’élections. « Nous avons besoin d’un gouvernement qui représente et dirige la volonté de lutte réelle des masses populaires. » Les comités de régiment de la milice doivent devenir le moyen principal de la préparation et de la tenue de ces élections. En d’autres termes, dans la mesure où les deux phases du problème, la proclamation de l’indépendance et l’armement du peuple, peuvent être séparées l’une de l’autre, c’est au moyen de la seconde qu’il faut réaliser la première.

7 — Non seulement le prolétariat doit mettre en avant les revendications démocratiques (liberté de la presse, État à bon marché, nivellement des salaires des fonctionnaires, économie démocratique, suppression des impôts indirects, impôt progressif direct sur les propriétaires pour financer la résistance, etc.) pas seulement pour lui-même et en plus de ses propres revendications de classe, mais encore il doit mettre en avant toutes les revendications spécifiques des paysans et des masses petites-bourgeoises en plus de revendications antérieures.

L’information manque sur les détails de la question agraire, mais le prolétariat doit avant tout, de sa propre initiative, armer les masses des mots d’ordre et revendications pour lesquels combattre. Mais ne pas présenter ces revendications comme des conditions pour être lui-même prêt à participer à la lutte.

8. Plus haut on parle toujours vaguement de "le prolétariat doit...". La raison en est que malheureusement on ne peut pas parler du "Parti du prolétariat". Notre organisation qui - avec une politique juste - pourrait prendre sur elle le rôle du parti, paraît s'être plus ou moins dissoute dans la masse molle d'unité de l'"Alliance". Dans quelle mesure ici serait possible un tournant rapide qui corresponde à la poussée de l'heure actuelle, il n'est assurément pas possible de le fixer hors du lieu-même. Comme dans la situation actuelle le sort de la Révolution espagnole et de notre organisation en Espagne peut être décidé pour une longue période (naturellement il y a aussi la possibilité de résoudre le conflit - mais même dans ce cas l'influence de notre organisation, si elle continue la politique actuelle, devrait subir parmi les masses prêtes à lutter un dommage extraordinaire capable de la pousser entièrement hors de l'arène politique). L'envoi d'un délégué du S.I. est nécessaire. Son voyage devrait être préparé par une lettre du S.I. à écrire immédiatement et qui exposerait notre position dans la question.


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