1937

 


Œuvres - août 1937

Léon Trotsky

La vérification des idées et des individus à travers l'expérience de la révolution espagnole

24 août 1937


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La révolution espagnole [1] revêt aux yeux des ouvriers avancés une signification énorme, non seulement en tant qu'événement historique d'une importance primordiale, mais aussi comme école supérieure de stratégie révolutionnaire. Les idées et les individus sont soumis à une vérification exceptionnellement importante et, pourrait on dire, infaillible. C'est une obligation pour tout marxiste sérieux que d'étudier non seulement les événements de la révolution, mais aussi les positions politiques que divers groupements et des militants isolés prennent, dans notre sein même, face aux événements espagnols.

Le camarade Vereecken et le camarade Sneevliet.

Je voudrais dans cette lettre m'arrêter sur un exemple particulier mais au plus haut degré instructif, à savoir la position du camarade Vereecken, l'un des militants dirigeants de notre section belge. Vereecken fut rapporteur sur la question espagnole à la séance du comité central du parti socialiste révolutionnaire [2] de la fin de juillet de cette année. Le compte rendu de son rapport, reproduit dans le bulletin intérieur de la section belge de juin juillet, est fort bref, dans les vingt cinq lignes au plus, mais donne néanmoins un tableau suffisamment clair des erreurs du camarade Vereecken, erreurs très dangereuses tant pour notre section belge que pour toute l'Internationale [3].

Le camarade Sneevliet, chef du R.S.A.P. hollandais, s'est, comme on le sait, complètement solidarisé avec la politique du P.O.U.M. [4] et a ainsi clairement révélé combien il s'est éloigné du marxisme révolutionnaire. En ce qui concerne le camarade Vereecken, les choses sont quelque peu différentes. Vereecken est plus prudent. Ses raisonnements, tant passés que présents, sont parsemés de réserves : " d'une part... ", " d'autre part... ". Il a à l'égard du P.O.U.M. une position " critique " qui emprunte de nombreux arguments à notre arsenal commun. Mais, au fond, sa position centriste risque beaucoup plus que celle du camarade Sneevliet d'apporter du trouble dans nos rangs . C'est pourquoi il est nécessaire de soumettre les conceptions de Vereecken à une critique attentive.

Le fatalisme optimiste, caractéristique du centrisme.

Vereecken a présenté son rapport avant l'écrasement du P.O.U.M. et avant l'assassinat scélérat de son chef par les agents de Staline en Espagne, Antonov Ovseenko et autres. Nous défendrons implacablement la mémoire de Nin et de ses compagnons contre les calomnies des canailles de Moscou et d'ailleurs. Mais le sort tragique de Nin ne peut modifier nos appréciations politiques, dictées par les intérêts historiques du prolétariat et non par des considérations sentimentales. Depuis longtemps, le camarade Vereecken a apprécié le P.O.U.M. de façon totalement erronée, pensant que, sous la pression des événements, ce parti devrait pour ainsi dire, évoluer " automatiquement " à gauche, et que notre politique en Espagne devrait se borner à un " soutien critique " du P.O.U.M. Les événements n'ont absolument pas confirmé ce pronostic fataliste et optimiste, tout à fait caractéristique de la pensée centriste, mais nullement de la pensée marxiste.

Il suffit de rappeler ici que c'est du même optimisme fataliste qu'était imprégnée toute la politique du P.O.U.M. dont la direction s'est adaptée aux chefs anarchistes dans l'espoir qu'ils entreraient automatiquement dans la voie de la révolution prolétarienne , tout comme Vereecken s'est adapté aux chefs du P.O.U.M. Toutes ces espérances ont été cruellement déçues : les événements ont rejeté à droite les chefs anarchistes, de même que les chefs du P.O.U.M. Au lieu de reconnaître ouvertement le caractère erroné de sa politique, Vereecken veut passer subrepticement sur une nouvelle position, qui ne se distingue de celle de la veille que par une confusion plus grande encore.

Caractérisation du P.O.U.M.

A la différence de la C.N.T. et de la F.A.I. qui existent depuis des années   ainsi Vereecken commence t il son rapport  , " le P.O.U.M. est récent, hétérogène, la gauche y est faible. " Cette caractérisation constitue une condamnation radicale, non seulement de la position de Sneevliet, mais aussi de la politique antérieure de Vereecken lui même. Car où est l'évolution à gauche que l'on nous avait promise ? En même temps, cette caractérisation du P.O.U.M. se distingue par une imprécision voulue. " L'aile gauche " ? Le mot " gauche " ne signifie rien ici. S'agit-il de la fraction marxiste du P.O.U.M. ou de sa fraction centriste de gauche ? [5] Consciemment, Vereecken refuse de répondre à cette question. Nous répondrons donc pour lui : aucune fraction marxiste conséquente n'existe dans le P.O.U.M. après l'exclusion des trotskistes. Mais même la fraction centriste de gauche est faible, et, sur ce point, Vereecken a raison. Toutefois, cela signifie seulement qu'après six années d'expérience de la révolution, la politique du P.O.U.M. est déterminée par les centristes de droite . Telle est la vérité, sans fard.

Le camarade Vereecken " critique " le P.O.U.M.

Ecoutons maintenant la façon dont Vereecken critique le P.O.U.M. :

" Fautes du P.O.U.M. : ralliement au Front populaire lors des élections. Il répara cette erreur le 19 juillet par la lutte armée. Autre faute : participation au gouvernement et dissolution des comités. Mais, après sa sortie du gouvernement, une clarification s'opéra dans le P.O.U.M. "

Tout cela rappelle à première vue une critique marxiste. En fait, Vereecken utilise des fragments stérilisés de la critique marxiste, non pour dévoiler, mais au contraire pour dissimuler la politique opportuniste du P.O.U.M.   la sienne. Et, d'abord, il saute aux yeux que, pour notre critique, il s'agit d' " erreurs " isolées du P.O.U.M., non d'une caractérisation marxiste de l'ensemble de sa politique. Toute organisation peut commettre des " erreurs " : Marx a commis des erreurs, Lénine a commis des erreurs et le parti bolchevique dans son ensemble en commit également. Mais elles furent corrigées à temps, grâce à une ligne fondamentale correcte. Dans le cas du P.O.U.M., il ne s'agit pas d' " erreurs " isolées, mais d'une ligne fondamentalement non révolutionnaire, centriste, c'est à dire, au fond, opportuniste. Autrement dit, pour un parti révolutionnaire, les erreurs sont l'exception ; pour le P.O.U.M., l'exception, ce sont des positions correctes.

Le 19 juillet 1936.

Vereecken nous rappelle que le P.O.U.M., le 19 juillet 1936 a participé à la lutte armée. Evidemment ! Seule une organisation contrerévolutionnaire pouvait ne pas participer à cette lutte qui embrasait tout le prolétariat ; et aucun de nous n'a traité le P.O.U.M. d, "organisation contre révolutionnaire " ! Mais en quoi sa participation à la lutte des masses qui, au cours de ces journées, ont imposé leur politique et aux anarchistes et aux socialistes et aux poumistes, pouvait elle " réparer " l' " erreur " d'avoir participé au Front populaire ? Le P.O.U.M. a t il modifié l'orientation politique fondamentale qui est la sienne ? Nullement.

La lutte du 19 juillet, bien qu'elle se soit soldée par la victoire réelle des ouvriers, s'est terminée sur une équivoque de dualité de pouvoirs, .  uniquement parce qu'il n'existait pas d'organisation aux idées suffisamment claires et au courage nécessaire pour mener la lutte jusqu'au bout. La participation du P.O.U.M. au Front populaire n'a pas été une " erreur " fortuite, mais le signe infaillible de son opportunisme. Au cours des journées de juillet, c'était la situation extérieure qui avait changé, non le caractère centriste du parti. Le P.O.U.M. s'est adapté à l'insurrection ouvrière de la même façon que, quelques mois auparavant, il s'était adapté à la mécanique électorale du Front populaire. Le zigzag à gauche du centrisme complète son zigzag à droite mais ne le " répare "en rien. Pendant son zigzag à droite, le P.O.U.M. a conservé intégralement sa position hybride et ainsi préparé la catastrophe à venir.

La participation au gouvernement.

" L'autre faute, écrit Vereecken, fut la participation au gouvernement et la dissolution des comités. " Mais d'où a bien pu provenir cette " autre faute ", si la participation à l'insurrection de juillet avait " réparé " la politique erronée de la période précédente ? En fait, la participation au gouvernement a constitué un nouveau zigzag qui découlait de la nature centriste du parti. Le camarade Sneevliet a écrit qu'il " comprenait " cette participation. Cette formule ambiguë, hélas, ne fait que démontrer que Sneevliet ne comprend pas les lois de la lutte des classes à l'époque de la révolution. Les journées de juillet 1936   à un moment où le prolétariat catalan, avec une direction juste, aurait pu, sans efforts ni sacrifices supplémentaires, s'emparer de tout le pouvoir et ouvrir dans toute l'Espagne l'ère de la dictature du prolétariat   se sont terminées, en grande partie par la faute du P.O.U.M., par un régime de dualité de pouvoir, c'est à dire un partage provisoire du pouvoir entre le prolétariat les comités   et la bourgeoisie représentée par ses laquais, dirigeants staliniens, anarchistes et socialistes. L'intérêt des ouvriers était d'en finir au plus vite avec cette équivoque dangereuse en faisant passer tout le pouvoir aux comités, c'est à dire aux soviets espagnols. En revanche, la tâche de la bourgeoisie était d'anéantir les comités au nom de l'" unité du pouvoir ". La participation de Nin au gouvernement a constitué une partie du plan de la bourgeoisie contre le prolétariat. Si Sneevliet " comprend " pareille chose, tant pis pour lui. Vereecken, lui, est plus prudent ; il écrit que la participation au gouvernement a été l'" autre faute ". Pas mal, cette " faute " qui consistait à soutenir directement le gouvernement de la bourgeoisie contre les comités ouvriers !

" Mais, s'empresse d'ajouter Vereecken pour briser la pointe de sa propre critique, après sa sortie du gouvernement, une clarification s'est opérée dans le P.O.U.M. "

C'est là une contre vérité manifeste, déjà réfutée, par Vereecken lui même, dans sa caractérisation déjà citée du P.O.U.M. comme un " parti hétérogène " dans lequel la gauche était faible. Qu'est ce donc que cette " clarification " après laquelle le centrisme de gauche lui même continue à n'être dans ce parti qu'une petite minorité ? Ou peut être faut il entendre que la " clarification " a pris la forme de... l'exclusion des bolcheviks-léninistes ?

La critique du Secrétariat international.

Mais Vereecken va encore plus loin dans sa défense avocassière du centrisme. Enumérant les " fautes " du P.O.U.M., il s'empresse, tout de suite après, sans doute par souci de symétrie, d'énumérer celles du Secrétariat international. Citons le une fois de plus littéralement :

" Fautes du S.I. : dix jours après le 19 juillet, à Paris, on n'avait pas de position. On ne voyait pas l'importance des événements. On n'a pas assisté à la conférence de Bruxelles ; on a appliqué trop à la lettre la résolution de Paris. On aurait dû profiter de cette occasion pour pousser le P.O.U.M. vers une politique révolutionnaire. On s'est coupé de Nin en publiant la lettre de Trotsky. "

On ne peut en croire ses yeux à la lecture de cette somme d' " accusations " : évidemment, le S.I. a pu commettre telle ou telle négligence pratique, voire telle ou telle faute politique. Mais les mettre sur le même plan que la politique du P.O.U.M. ne serait possible qu'à un homme en position d'arbitre entre un parti qui nous combat et notre propre organisation internationale. Le camarade Vereecken révèle ici   et ce n'est pas la première fois - une absence de sens des proportions désespérante. Examinons pourtant de plus près ses accusations.

" Dix jours " après le 19 juillet, le S.I. n'avait pas de position Admettons que ce soit vrai. Quelle en est la cause ? Le manque d'informations ? Une excessive prudence ? Vereecken ne le dit pas. Bien entendu, il vaut mieux avoir " immédiatement " une position juste. Le S.I. est l'institution administrative suprême Il se devait d'être très prudent avant de prendre position politiquement, d'autant plus qu'il ne dirigeait pas directement  et ne pouvait pas diriger   la lutte en Espagne. Mais si le S.I., " dix jours plus tard ", n'avait pas de position, le camarade Vereecken, pour sa part, un an après le 19 juillet, défend une position erronée. C'est bien pire.

La conférence de Bruxelles.

Il fallait, voyez vous, participer encore une fois à la pitoyable et insignifiante conférence des centristes à Bruxelles, pour " pousser " le P.O.U.M. " vers la politique révolutionnaire ". Il s'avère qu'il fallait agir sur le P.O.U.M. non à Barcelone, mais à Bruxelles. Non devant les masses révolutionnaires, mais dans la salle close d'une conférence. Comme si c'était la première fois que nous rencontrions les dirigeants du P.O.U.M. ! Comme si, au cours des six dernières années, nous n'avions pas essayé de les " pousser " dans la voie de la politique révolutionnaire ! Toutes les méthodes, toutes les voies possibles, nous les avons utilisées : correspondance abondante, articles nombreux et des brochures entières, liens d'organisation, envois de délégués, et enfin critique publique. Cependant, au lieu d'entrer dans la voie de la politique marxiste, les dirigeants du P.O.U.M., effrayés devant les exigences inexorables de la révolution, se sont définitivement engagés dans la voie du centrisme. Tout cela n'est évidemment pour Vereecken qu'un hasard sans importance. En revanche, c'est une énorme importance que devait revêtir... la conférence centriste de Bruxelles, où Vereecken, en présence d'un ou deux dirigeants du P.O.U.M., aurait fait un discours lequel, dans le meilleur des cas, n'aurait pu que répéter ce qui avait été dit et écrit des centaines de fois avant la conférence. Cette fois encore, chez le camarade Vereecken, le centriste se double d'un sectaire. Pour le sectaire, le moment suprême dans l'existence est celui où il s'exhibe à sa mille-et-unième conférence !

La lettre de Trotsky.

Enfin, dernière accusation, la publication de la lettre de Trotsky [6]. Cette dernière, autant que je sache, n'était pas destinée à publication. Mais il faut véritablement avoir perdu les derniers restes de sens politique pour voir dans sa publication un facteur important dans la détermination de nos rapports avec le P.O.U.M. La lettre qualifiait la participation à l'alliance avec la bourgeoisie de " trahison " du prolétariat . Est-ce juste, oui ou non ? Nous n'avons jamais soupçonné la pureté des intentions de Nin. Mais l'appréciation politique portée sur sa participation au Front populaire comme un acte de trahison était parfaitement juste. Comment, dans ces conditions, la publication de cette lettre pouvait-elle nous " couper " de Nin ? Même avant cette publication, nous étions passablement coupés de lui, et pas par hasard : toute sa politique allait en sens contraire de la nôtre. Ce n'est pas à la suite d'un caprice que Nin a rompu avec nous, trois ans avant la publication de la lettre de Trotsky. A moins que Vereecken ne veuille dire qu'au lendemain des élections Nin évoluait vers nous et que la publication de cette lettre a arrêté cette évolution ?

Les paroles de Vereecken, en admettant qu'elles aient l'ombre d'une signification, ne peuvent en avoir une autre. En fait, nous le savons, Nin et ses amis ont continué à penser qu'ils avaient eu raison de participer au Front populaire, puis au gouvernement, et ils ont même revendiqué le renouvellement de cette participation. Et là, ce n'était pas d'une " erreur " qu'il s'agissait, mais de toute une ligne politique. Enfin, même si l'on admet que le P.O.U.M. ait compris l' " erreur " que constituait sa participation au Front populaire, comment la publication de cette lettre, même si elle contenait une caractérisation très vive de cette erreur, pouvait-elle empêcher l'évolution du P.O.U.M.? Vereecken veut-il dire - en admettant qu'il veuille vraiment dire quelque chose - que Nin fut à ce point offensé par cette lettre que cela le décida à revenir vers sa position antérieure erronée ? C'est une hypothèse fort injurieuse pour Nin, qui était guidé par des idées politiques et non par d'étroites considérations d'amour-propre personnel.

Telles sont les " fautes " du S.I. que Vereecken place sur le même plan que la politique centriste du P.O.U.M. Ce faisant, il ne fait que démontrer qu'il se situe lui-même dans une position d' " arbitre " entre le marxisme et le centrisme.

La préparation aux journées de mai 1937.

Vereecken en vient ensuite aux événements de mai de cette années : " On constate, dit-il, que le P.O.U.M. s'y attendait et s'armait. L'ampleur des événements surprit le parti. Mais n'importe quel parti aurait été surpris. "

Pas une phrase ici qui ne constitue une erreur - et non une erreur fortuite, mais le produit d'une ligne politique erronée. " Prévoir " les événements de mai et s'y préparer, on ne pouvait le faire que d'une seule façon : en déclarant une guerre implacable aux gouvernements de Catalogne et d'Espagne, en leur refusant toute collaboration politique, en opposant son parti à tous les autres, c'est-à-dire à leurs directions, en particulier et avant tout à la direction de la C.N.T. Ne pas permettre un seul instant aux masses de confondre les dirigeants révolutionnaires avec les laquais de la bourgeoisie ! Une politique intransigeante de ce type, avec, bien entendu, une participation active à la lutte militaire et aux mouvements révolutionnaires des masses, aurait assuré au P.O.U.M. une autorité inébranlable parmi les ouvriers anarchistes qui constituent la grande majorité du prolétariat catalan. Au lieu de cela, le P.O.U.M. réclamait le retour de ses dirigeants au sein du gouvernement contre révolutionnaire et, dans le même temps, assurait dans chaque numéro de La Batalla que les ouvriers pouvaient prendre le pouvoir sans combat [7]. C'est même dans ce but que le P.O.U.M. a lancé le projet d'un congrès spécifique convoqué par le gouvernement bourgeois afin de... transmettre le pouvoir aux ouvriers et aux paysans . C'est précisément la raison pour laquelle le P.O.U.M. a été surpris et pour quoi les événements de mai n'ont constitué pour lui qu'une nouvelle étape sur le chemin de la catastrophe. " Mais, s'écrie Vereecken, n'importe quel parti aurait été surpris ! " Cette phrase invraisemblable démontre une fois encore que Vereecken ignore la différence entre un parti centriste et un parti marxiste. On peut certes admettre qu'une insurrection jaillie véritablement des masses dépasse, dans une plus ou moins grande mesure, n'importe quel parti révolutionnaire. Mais toute la différence réside précisément dans cette mesure. Là aussi la quantité se change en qualité. Un parti centriste est emporté par les événements et s'y noie, tandis qu'un parti révolutionnaire, à la fin des fins, les domine et assure la victoire.

" Défensive, et non offensive ".

" Les 4 et 5 mai, continue Vereecken, sa politique (celle du P.O.U.M.) fut juste : défensive et non offensive. Marcher à la prise du pouvoir, c'était une aventure dans les circonstances du moment. La grande erreur du P.O.U.M. fut de créer des illusions pendant la retraite et de faire passer la défaite pour une victoire. "

On voit avec quelle précision d'apothicaire Vereecken pèse et balance les actions " justes " et les " fautes " du P.O.U.M. Cependant, l'ensemble de son raisonnement est faux. Qui a dit   et où   qu'aller en mai à la prise du pouvoir était une aventure ? Telle n'était pas, avant tout, l'opinion du P.O.U.M. lui-même. La veille encore, il assurait aux ouvriers que, si seulement ils le voulaient, ils s'empareraient du pouvoir sans combat. Les ouvriers ont " voulu ". Où est ici l'aventure ? L'élément fourbe de provocation de la part des staliniens n'a, du point de vue qui nous intéresse, qu'une importance secondaire. Tous les comptes rendus publiés après les événements montrent qu'avec une direction tant soit peu sérieuse et ayant confiance en elle même la victoire de l'insurrection de mai était assurée. C'est en ce sens que le P.O.U.M. avait raison de dire que les ouvriers pouvaient prendre le pouvoir s'ils le " voulaient ". Il oubliait seulement d'ajouter : " Malheureusement, nous n'avons pas de direction révolutionnaire. " Le P.O.U.M. ne pouvait mener le prolétariat catalan à l'offensive révolutionnaire parce que   et seulement parce que   toute sa politique antérieure l'avait rendu incapable d'une telle initiative.

Les " journées de juillet " 1917 et les " journées de mai " 1937.

Ici le camarade Vereecken peut cependant nous rétorquer " Mais même les bolcheviks, en juillet 1917, ne se sont pas décidés à s'emparer du pouvoir, et se sont bornés à la défensive en faisant sortir les masse du feu avec le moins de victimes possible. Pourquoi donc cette politique ne pouvait elle pas convenir au P.O.U.M. ? " Examinons l'argument. Les camarades Sneevliet et Vereecken aiment beaucoup nous rappeler que " l'Espagne n'est pas la Russie ", etc. D'abstraites homélies de ce genre ne font pas très sérieux. Bien ou mal, nous nous sommes efforcés, au cours des six années écoulées, d'analyser les conditions concrètes de la révolution espagnole. Dès son début, nous avons averti qu'il ne fallait pas s'attendre à un rythme rapide de développement des événements à la manière russe de 1917. Au contraire, nous avons utilisé l'analogie avec la Grande Révolution française qui, commencée en 1789, est passée par une série d'étapes avant d'atteindre son point culminant en 1793. Mais c'est précisément parce que nous ne sommes nullement enclins à schématiser les événements historiques que nous ne jugeons pas possible d'appliquer la tactique des bolcheviks en juillet 1917 à Pétersbourg aux événements de mai 1937 en Catalogne. " L'Espagne n'est pas la Russie. " Les différences sont trop évidentes.

La manifestation armée du prolétariat pétersbourgeois éclata quatre mois après le début de la révolution, trois mois après que le parti bolchevique eut lancé un programme véritablement bolchevique, les Thèses d'avril de Lénine. La masse écrasante de la population de ce gigantesque pays commençait à peine à se dégager des illusions de février. Au front, se trouvait une armée de douze millions d'hommes qui commençaient seulement à entendre parler des bolcheviks. Dans ces conditions, l'insurrection du prolétariat de Pétersbourg isolé l'aurait immanquablement conduit à l'écrasement. Il fallait gagner du temps. C'est cette circonstance qui détermina la tactique des bolcheviks.

En Espagne, les événements de mai eurent lieu, non pas après quatre mois, mais après six ans de révolution. Les masses du pays tout entier ont fait une gigantesque expérience. Elles ont depuis longtemps perdu leurs illusions de 1931, tout comme les illusions réchauffées du Front populaire. Elles ont pu, à maintes reprises, dans toutes les régions du pays, démontrer qu'elles étaient prêtes à aller jusqu'au bout. Si le prolétariat de Catalogne s'était emparé du pouvoir en mai 1937, il aurait trouvé un soutien dans l'Espagne entière. La réaction bourgeoise stalinienne n'aurait même pas trouvé deux régiments pour écarter les ouvriers catalans.

Dans le territoire occupé par Franco, non seulement les ouvriers, mais aussi les paysans, se seraient tournés du côté de la Catalogne prolétarienne, auraient isolé l'armée fasciste et y auraient introduit une, désagrégation irrésistible. On peut douter que quelque 'gouvernement étranger se serait dans de telles conditions risqué à jeter des régiments sur le sol brûlant de l'Espagne. L'intervention serait devenue matériellement impossible, ou, au moins, extrêmement dangereuse.

Bien entendu, dans toute insurrection il existe un élément d'imprévu et de risque, mais tout le cours ultérieur des événements a démontré, que, même en cas de défaite, la situation du prolétariat espagnol aurait été incomparablement plus favorable que maintenant, sans compter que le parti révolutionnaire aurait assuré à tout jamais son avenir.

Mais sur quoi Vereecken fonde t il l'affirmation catégorique selon laquelle la prise du pouvoir en Catalogne aurait dans les circonstances du moment, constitué une " aventure " ? Absolument sur rien, sinon... le désir de justifier l'impotence du centrisme et en même temps sa propre politique, qui fut et reste seulement l'ombre gauche du centrisme.

Vereecken défend l'exclusion des bolcheviks léninistes.

Les lignes de conclusion du compte rendu sont du niveau de tout le rapport : " Il n'y a pas de démocratie dans le P.O.U.M., dit on, et pourtant, si les bordiguistes  voulaient entrer chez nous, réplique Vereecken, nous les accepterions sans doute, mais sans droit de fraction. " Qui dit cela ? Un avocat du centrisme, ou un révolutionnaire qui se compte parmi les bolcheviks-léninistes ? Pas facile à comprendre... La démocratie du P.O.U.M. satisfait pleinement Vereecken. Les opportunistes excluent de leur parti les révolutionnaires : Vereecken dit : les opportunistes ont raison, car les méchants révolutionnaires construisent des fractions. Rappelons encore une fois ce que Vereecken a dit du P.O.U.M. au commencement : c'est un parti " récent ", " hétérogène ", " la Gauche y est faible ". De ce parti hétérogène, au fond entièrement constitué de fractions et de sous-fractions, le P.O.U.M. exclut, non pas les réformistes avérés, ni les nationalistes petits bourgeois catalans, ni, bien entendu, les centristes, mais seulement les bolcheviks léninistes [8]. Cela semblerait pourtant clair. Cependant le " bolchevik-léniniste " Vereecken approuve les actes de répression réactionnaire des centristes. Il est préoccupé, voyez vous, par la question juridique du droit des fractions, et non par la question politique de leur programme et de leur tactique. Aux yeux du marxiste, l'existence de la fraction révolutionnaire à l'intérieur d'un parti centriste est un fait positif ; celle de la fraction sectaire ou opportuniste dans le parti révolutionnaire est un fait négatif. Que Vereecken réduise la question au simple droit des fractions à l'existence, cela démontre seulement qu'il a complètement effacé la ligne de démarcation entre le centrisme et le marxisme. Voici ce que dirait un véritable marxiste : " On prétend que, dans le ,P.O.U.M., il n'existe pas de démocratie. C'est faux. La démocratie y existe, pour les droitiers, pour les centristes, pour les confusionnistes. Mais non pour les bolcheviks léninistes. " En d'autres termes, l'étendue de la démocratie du P.O.U.M. est déterminée par le contenu réel de la politique centriste, radicalement hostile au marxisme révolutionnaire.

Sortie impardonnable.

Mais Vereecken ne s'en tient pas là. Dans l'intérêt de la défense du P.O.U.M., il recourt à une calomnie directe   impossible de qualifier cela autrement   contre nos camarades d'idées en Catalogne. " La section B. L. de Barcelone, dit il, était formée de carriéristes et d'aventuriers " . On ne croit pas ses yeux quand on lit cette phrase ! Qui écrit cela ? Un social démocrate ? Un stalinien ? Un ennemi bourgeois ? Non, cette phrase est écrite par un militant responsable de notre section belge.

Voilà ce qu'il en coûte de persévérer dans des erreurs que tout le cours des événements a révélées ! Demain, si le bulletin belge tombe entre leurs mains, les agents du G.P.U. à Barcelone diront : " De l'aveu même de Vereecken, les B. L. sont des carriéristes et des aventuriers. Il faut en finir avec eux par les moyens appropriés ! " J'estime que toutes nos sections ont le devoir, de déclarer que nous rejetons avec indignation cette sortie inadmissible du camarade Vereecken et que nous soutenons de toute notre autorité internationale notre jeune organisation barcelonaise. J'ajoute ceci : comme le démontre leur appel programmatique du 19 juillet dernier, nos camarades de Barcelone ont compris les tâches de la révolution avec une profondeur et un sérieux infiniment plus grands que Vereecken. La " faute " véritable du Secrétariat international consiste plutôt en ce qu'il n'a pas jusqu'à maintenant condamné la déclaration de Vereecken et n'a pas exigé de la section belge qu'elle la condamne.

Il faut encore une fois aider le camarade Vereecken à revenir dans la voie juste.

Nous n'avons pas le moins du monde l'intention d'envenimer les désaccords. Nous avons rencontré le camarade Vereecken dans diverses circonstances et à diverses étapes du développement de la section belge et de l'organisation internationale. Nous avons tous appris à apprécier le dévouement du camarade Vereecken à la cause de la classe ouvrière, son énergie, son empressement à donner, avec désintéressement, toutes ses forces à cette cause. Les jeunes ouvriers doivent apprendre cela chez le camarade Vereecken. Mais, en ce qui concerne sa position politique, elle se trouve malheureusement le plus souvent plusieurs mètres à droite ou plusieurs mètres à gauche de la ligne marxiste, cc qui ne l'incite pas pour autant à épargner ses coups à ceux qui, eux se tiennent sur cette ligne. Il a fallu dans le passé combattre surtout les tendances sectaires du camarade Vereecken, qui ont fait pas mal de tort à la section belge. Mais, même alors, ce n'était pas pour nous un secret que le sectarisme n'est qu'un bouton où peut s'épanouir la fleur de l'opportunisme. Nous avons maintenant sous les yeux une confirmation exceptionnellement claire de cette loi de la botanique politique. Le camarade Vereecken a fait preuve de sectarisme dans des questions secondaires ou dans des questions formelles d'organisation pour tomber dans l'opportunisme sur une question politique d'une gigantesque importance historique.

La vie interne de la IVº Internationale repose sur les principes de la démocratie. Le camarade Vereecken fait de cette démocratie un large emploi, et de façon même anarchique, parfois, Mais la supériorité du régime démocratique consiste en ce que l'écrasante majorité, prenant appui sur l'expérience et la discussion amicale, peut formuler librement son opinion autorisée et rappeler opportunément à l'ordre une minorité qui s'engage dans une voie dangereuse. Tel est le plus grand service que l'on puisse actuellement rendre à notre section belge, et du même coup à la section hollandaise .


Notes

[1] Ce texte a paru pour la première fois dans le Bulletin intérieur du parti socialiste révolutionnaire belge, nº 9, novembre 1937, avec les mentions " A ne pas publier. Seulement pour les membres de l'organisation ", et " A toutes les organisations adhérant à la Quatrième Internationale ". Dans ce bulletin, le texte, signé Crux, est précédé d'une déclaration du C.C. du P.S.R. indiquant que le retard de sa publication est dû au fait que les éditeurs ont attendu la réponse de Vereecken ;mentionné sous la forme abrégée de " Ver. ", comme dans le texte - qui n'a pu en rédiger que la première partie. Celle ci est reproduite à la fin du bulletin sous le titre " La Vérification des individus, des idées, des moyens et des méthodes pour faire triompher les idées, à travers l'expérience de la révolution espagnole ".

[2] Le P.S.R., fondé en octobre 1936 par la fusion de l'Action socialiste révolutionnaire, de Walter Dauge   tendance exclue du parti socialiste où se trouvaient les trotskistes " entrés " de Léon Lesoil   et du groupe Spartacus de Vereecken, qui avaient scissionné au moment de l'adoption de la politique entriste, était adhérent au Centre pour la IVº Internationale.

[3] Il ne nous a pas été possible de nous reporter au texte de ce compte-rendu.

[4] Dès le mois de septembre 1936, La Batalla publie des extraits de Nieuwe Fakkel, organe du R.S.A.P., et un article de Sneevliet (21 septembre 1936).

[5] Par " fraction marxiste ", Trotsky ne peut entendre que " fraction trotskiste "; il entend vraisemblablement par " fraction centriste de gauche " ce qu'on appelle généralement " la gauche " du P.O.U.M., à savoir Juan Andrade et peut-être les dirigeants de la J.C.I., autour de Wilebaldo Solano.

[6] D'après le texte de Trotsky, il s'agirait de la lettre au S.I. publiée dans La Lutte ouvrière du 15 août 1936

[7] Le prolétariat, dans les circonstances actuelles, peut prendre le pouvoir sans avoir recours à l'insurrection armée " (14 mars) ; " La classe ouvrière, avec les positions qu'elle conserve encore, peut s'en prendre au pouvoir sans recourir à la violence " (21 mars).

[8] Julián Gorkin écrivait dans La Batalla du 24 avril 1937 que, si les trotskistes réussissaient à entrer par la porte, grande ouverte, du P.O.U.M., ils seraient " jetés par la fenêtre ".


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