1947

Paru dans "L'Ecole émancipée" n° du 26 janvier 1947.

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Les deux voies du syndicalisme ouvrier

Marcel Valière

26 janvier 1947


Les espoirs que la Libération avait fait naître dans la majeure partie de la classe ouvrière ont été déçus, tant sur le plan intérieur que sur le plan international.

Non seulement la volonté populaire de rénovation sociale a été bafouée par les gouvernements successifs, non seulement les grandes réformes de structure annoncées sont restées à l'état de promesses ou n'ont donné lieu qu'à des caricatures de réalisations, mais encore, c'est le pain quotidien des travailleurs qui est menacé aujourd'hui, c'est le pouvoir d'achat ouvrier déjà insuffisant à la Libération qui s'abaisse à un niveau tel que la santé des masses laborieuses se trouve dangereusement compromise.

Parallèlement la situation internationale reste trouble, malgré la fin des hostilités. Le monde est loin d'avoir retrouvé son équilibre et le spectre d'une troisième guerre mondiale commence à rôder avec persistance. “ Le fascisme c'est la guerre ”, proclamait-on généralement dans les milieux ouvriers avant 1939. Les régimes bâtis par Mussolini et Hitler, celui du Mikado ont été abattus. Et la paix reste aussi précaire aujourd'hui qu'hier. La victoire des régimes dits démocratiques n'a pas écarté les dangers d'un nouveau conflit.

Comment, dans de telles conditions, s'étonner qu'un malaise règne dans les masses ouvrières et notamment au sein de la C.G.T. où il ne cesse de gagner en profondeur et en gravité ? La situation présente et les perspectives réelles ne correspondent pas du tout à ce que les grandes organisations ouvrières, politiques et syndicales avaient fait espérer aux travailleurs.

Depuis deux ans la classe ouvrière française répond au mot d'ordre lancé par le bureau confédéral du Parti communiste français : Produire ! Depuis deux ans mineurs, cheminots, métallos… prodiguent leurs efforts dans des conditions matérielles déplorables. Les responsables fédéraux et confédéraux leur avaient affirmé que ces efforts né seraient pas vains, qu'une production accrue amènerait une baisse des prix et par ricochet une augmentation du pouvoir d'achat: De janvier. 1945 à juin 1946 l'indice de la production industrielle est passé de 30 à 86 et celui des prix de gros pour la même période est monté de 260 à 604. Pendant que, sur les conseils de ses “ guides éclairés ” les Frachon, Monmousseau, Raynaud, Hénaff et Cie, la classe ouvrière s'exténuait, les entreprises capitalistes réalisaient des bénéfices scandaleux.

Les dirigeants confédéraux ont mené grand bruit autour de la “ victoire ” des 25% en juillet dernier. Les mois qui ont suivi l'ont amenée à ses justes proportions, quelles proportions, hélas !

En définitive, comme l'annonçait la minorité révolutionnaire, au 26° congrès de la C.G.T., le bénéficiaire de l'effort ouvrier, c'est avant tout le patronat.

Un patronat qui revient de loin ! Affaibli et divisé en septembre 1944 par suite des compromissions d'une partie de ses éléments avec l'occupant nazi et avec Vichy, résigné presque à sa disparition, il a réussi à rétablir sa situation, il a ressoudé son unité, il a retrouvé son arrogance et voilà déjà quelques mois qu'il se sent assez fort pour renoncer à la défensive et mener une attaque générale en règle contre la classe ouvrière. Et ainsi cette dernière, après avoir supporté la part la plus lourde de l'occupation et de la guerre impérialiste, s'aperçoit tous les jours davantage qu'elle seule fait les frais de ce que d'aucuns baptisent fallacieusement la renaissance française et qui n'est en réalité que la reprise économique dans le cadre capitaliste replâtré.

Devant un tel renversement de la situation, les travailleurs conscients s'interrogent avec amertume et avec angoisse. Jusqu'à quand le mouvement syndical battra-t-il en retraite ? Comment faire pour reconquérir 1e terrain perdu et aller à nouveau de l'avant?

C'est en définitive toute l'orientation, tout le fonctionnement interne et toutes les méthodes de travail de la direction Frachon-Jouhaux de la C.G.T. qui sont en cause et qu'il faut changer.

La bourgeoisie de notre pays cherche par tous les moyens à survivre. En agissant ainsi elle est dans son rôle de classe exploiteuse et nous ne saurions nous en étonner. Mais face à cette bourgeoisie préoccupée avant tout, exclusivement, de ses intérêts de classe, nous voyons une centrale ouvrière groupant plus de six millions d'adhérents dont la direction tourne pratiquement le dos aux principes fondamentaux du syndicalisme ouvrier. Nous la voyons s'appuyer sur une doctrine de “ l'intérêt général ” qui ne peut être qu'une tromperie dans une société divisée en classes antagoniques comme la nôtre. Nous la voyons maintenir sa participation au C.N.R., organisme de collaboration des classes. Nous la voyons depuis des mois, pour des motifs extra-syndicaux, biaiser, louvoyer, reculer en dépit d'un rapport des forces favorable, au lieu d'utiliser sa puissance au mieux des intérêts du monde du travail. Nous l'avons vue participer aux travaux de la Commission nationale économique, nous la voyons approuver le Plan Monnet au lieu de dénoncer la duperie de ces initiatives gouvernementales. Nous la voyons saboter les mouvements d'action directe d'une base qui s'exaspère au lieu de les coordonner pour les mener à une victoire plus complète. De plus en plus clairement il apparaît que des préoccupations d'ordre électoraliste ont une influence décisive dans la politique confédérale. La C.G.T. renonce à son action propre pour faire confiance à l'action parlementaire. Au lieu de puiser ses directives exclusivement dans son sein, la C.G.T. s'aligne docilement, comme le faisait jadis la C.G.T.U., sur le P.C.F.

Sa carence s'étale en matière de ravitaillement, de salaires, d'assurances sociales, de fiscalité, de comités d'entreprise, de nationalisation et d'éducation ouvrière.

La preuve est faite, une fois de plus, que la collaboration des classes est une duperie pour la classe exploitée, que l'action parlementaire est inopérante.

La preuve est faite une fois de plus que la subordination du mouvement syndical à un parti politique conduit à l'impuissance et met l'unité en péril.

La voie suivie par la C.G.T. a conduit dans une impasse. Il est temps de retrouver la bonne route. Il faut en revenir aux méthodes éprouvées de la lutte de classe et de l'internationalisme ouvrier.

Cela suppose un immense effort de redressement du mouvement syndical par les syndiqués eux-mêmes en vue de faire de la C.G.T. à tous les degrés une organisation démocratique et indépendante.

C'est à cette tâche difficile, mais nécessaire, que s'emploient dans l'enseignement les Amis de l'Ecole émancipée et sur le plan confédéral les Amis de Front ouvrier.


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