1919

Article paru dans le numéro 12 (première année) du Bulletin communiste, 3 juin 1920.


Petrograd

Grigori Zinoviev


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La ville de Petrograd fut la première à lever l'étendard de la révolte en 1905 ainsi qu'en février et en octobre 1917. Dans trois révolutions Petrograd a tenu la première place.

Nulle part en Russie le pouls de la lutte prolétarienne ne bat avec autant de force qu'à Petrograd.

Je me souviens de mes premières impressions de Petrograd, quand j'y revins au printemps de 1917, après huit ans d'exil, j'eus alors l'impression d'avoir été subitement précipité dans un creuset ardent, dans un brasier où les classes sociales ennemies se faisaient une guerre sans merci. La mer prolétarienne déferlait autour de moi, les passions bouillonnaient et l'on avait le pressentiment de la proximité du moment où la lutte des classes allait revêtir une forme plus âpre encore, celle de la guerre civile...

En tout temps, Petrograd fut à l'avant-garde de la Russie, la devançant toujours, au moins de quelques mois. Le plus souvent, la capitale se voyait forcée de ralentir son travail pour permettre aux renforts de la rejoindre. Ainsi se passait les choses avant la révolution d'octobre. Ainsi elles se sont passées depuis...

Nulle autre ville en Russie, nulle autre ville au monde, n'a souffert autant, n'a été aussi éprouvée, que Petrograd pendant les années 1917-1919. La disette, trois évacuations, trois offensives de la contre-révolution, les assassinats des leaders ouvriers (Volodarsky et Ouritsky), les complots des socialistes-révolutionnaires de droite et de gauche, le choléra, la trahison de Krasnaïa-Gorka1, — quelle suite d'épreuves !

Petrograd cependant a toujours tenu forme. A l'heure présente, au deuxième anniversaire de la révolution prolétarienne, Petrograd est debout, plus solide que jamais. Les privations, les malheurs, les souffrances, la famine, toutes les calamités imaginables — n'ont eu d'autre résultat que de tremper davantage l'âme de son héroïque prolétariat.

Petrograd avait sa droite et sa gauche. Des masses ouvrières s'y concentraient. Elles s'y éprouvaient aux brasiers des fabriques et des usines, elles se disciplinaient dans la grande ville, elles y trempaient leur esprit, elles y formaient l'avant-garde de la Russie ouvrière.

Mais ce même Petrograd avait son pôle opposé. Pendant des dizaines d'années, tout un monde de fonctionnaires et toute une bourgeoisie entourée d'une nombreuse domesticité s'y concentrèrent. Nulle autre ville ne posséda tant de bourgeois d'élite, de propriétaires fonciers, de ploutocrates. Après deux ans de révolution prolétarienne, on trouve encore à Petrograd les traces de cette concentration de bourgeois et de fonctionnaires. Et la main de fer de la révolution a cependant fait un grand nettoyage. C'est à Petrograd que le prolétaire remporta sa victoire finale. L'esprit prolétarien plane toujours sur la ville révolutionnaire demeurée, parmi les pires souffrances, noble et grande.

Le génie prolétarien a remporté à Petrograd la plus grande victoire morale.

Plus les jours que Petrograd vivait étaient durs et noirs, et plus son prolétariat donnait de preuves de la richesse de ses forces morales. Aux heures terribles, des forces nouvelles surgissaient comme par enchantement de son sein et l'ouvrier de Petrograd tenait victorieusement contre tous les ennemis acharnés après lui. Petrograd étonne. Petrograd est, en vérité, comme une citée érigée sur une montagne. Petrograd brille et luit ainsi qu'un phare, et sa lumière brille pour tous ceux d'entre les travailleurs qui pensent, pour tous les ouvriers et les paysans de Russie.

Parcourez les rues et les places publiques de Petrograd. On peut dire, en vérité, que chaque pierre y appartient à la révolution russe.

Voici la place du Palais d'Hiver où se sont déroulés les événements du 9 janvier 1905. Voici le Palais d'Hiver lui-même que l'assaut des prolétaires les plus vaillants emporta de haute lutte le 25 octobre 1917. Voici le Palais de Tauride (aujourd'hui Palais Ouritzky) où siégeait la Douma d'Empire réactionnaire, où fut plus tard dissoute la Constituante de triste mémoire, — où se forma pour la première fois, le 3 juillet 1917, la majorité bolcheviste de la section ouvrière du Soviet. Voici, près de la Porte de Narva, un édifice où, au mois d'août 1917, le 6e congrès du Parti Communiste russe tint ses assises à peu près clandestines. Voici l'école des aspirants militaires où de jeunes hobereaux tsaristes en embuscade tentèrent de fusiller la révolution ouvrière. Voici enfin Smolny, quartier général de la plus grande révolution prolétarienne. Il semble que l'on entende encore dans la grande salle de Smolny vibrer les échos des discours historiques qui y furent prononcés...

Que de fois nos ennemis crurent déjà avoir conquis Petrograd rouge ! Plus de dix fois les radios anglais et français ont annoncé au monde que les Finlandais avaient occupé la ville de Pierre. Que de savants projets élaborés par les génies militaires de la réaction mondiale pour s'emparer de Petrograd ! Par deux fois, les bandes blanches se sont trouvées aux abords de Petrograd, a une trentaine de verstes de la ville rouge. Et, chaque fois ce corps à corps titanique s'est terminé par la victoire des enfants de la ville ouvrière, si fermes et fiers, de ces prolétaires révolutionnaires de Petrograd affamé qui savaient avec une telle fierté, une telle fermeté tendre leurs dernières forces...

280 000 ouvriers ont quitté Petrograd pendant les dix-huit mois écoulés, depuis le coup d'Etat d'octobre.

Où sont allés tous ces prolétaires ?

La plupart d'entre eux garnissent nos multiples fronts de guerre. Des milliers et des milliers de militants prolétariens de Petrograd sont glorieusement tombés sur les divers fronts de la guerre civile, en défendant le communisme. D'autres, par milliers se sont rendes dans les campagnes où ils accomplissent une œuvre de civilisation et d'organisation. Parmi les présidents de Soviets de district, parmi les doyens de comités exécutifs de villages — on trouve, dans la plupart des cas, des travailleurs de Petrograd. Ce sont ces ouvriers qui ont porté la lumière aux villages, ce sont eux qui se sont faits les véritables guides, les apôtres des pauvres campagnes russes, ensevelies sous la neige, aux confins les plus éloignés du pays ; ce sont eux qui conduisent maintenant nos campagnes à la vie nouvelle qui les régénérera.

Et c'est pour cette raison que Petrograd est si cher à toute la Russie des Soviets. On peut dire, sans craindre d'exagérer, que Petrograd est aimé des ouvriers et des paysans de toute la Russie avec une sorte de ferveur. Depuis plus de deux ans, des wagons isolés, chargés de blé, arrivent sans relâche à Petrograd, lui apportant le pain que la population de la Sibérie lointaine, des régions du Volga ou du centre de la Russie amasse pour lui par kilogrammes et même par grammes... Les enfants des ouvriers de Petrograd reçoivent de tous les coins de la Russie des dons et des cadeaux que leur font les paysans, souvent privés eux-mêmes des objets de première nécessité. Les mots « ouvrier de Petrograd » ont l'effet d'une étincelle magique. Dès qu'un prolétaire arrive au front, au village, au chemin de fer, partout où s'imposent des tâches difficiles et importantes pour la Russie des Soviets — les affaires marchent comme sur des roulettes. Serré de près par les ennemis, affamé et ruiné, Petrograd tout en repoussant l'attaque des forces mauvaises qui veulent le tuer continue à organiser la vie nouvelle. Petrograd fut le premier à mettre en jeu l'appareil grandiose de réfectoires communaux qui nourrit déjà 1 100 000 hommes. Les dîners que l'on y sert sont, il est vrai, bien maigres, mais cet état de choses ne durera pas toujours. Quoi qu'il en soit, l'appareil créé pour délivrer chaque jour à la population 1 100 000 dîners donne indiscutablement un bel exemple de socialisme. Ce fut aussi Petrograd qui appela, le premier, sur une large échelle, les ouvrières au service de l'Etat. Les couches les plus larges du prolétariat féminin étaient profondément agitées par la lutte héroïque des travailleurs de Petrograd ; par dizaines de milliers les ouvrières ont pris place dans nos rangs. Et cette foule d'ouvrières nous a donné des centaines de militantes. Il n'y a pas d'institution soviétiste où l'on ne trouve des ouvrières de Petrograd. C'est encore Petrograd qui, le premier, arma un millier d'ouvrières et confia à ces miliciennes le maintien de l'ordre dans la grande ville. C'est Petrograd qui le premier appela des centaines et des centaines d'ouvrières d'élite au service des hôpitaux où elles soignent les blessés de l'armée rouge, au contrôle de tous les organes les plus importants de l'assistance publique, etc., etc...

Et c'est précisément pour cette raison que, toute la haine de nos ennemis se concentre sur cette ville toujours rebelle. Kornilov marcha contre Petrograd. Kerensky organisa des formations militaires pour prendre Petrograd. Les traîtres socialistes, par l'organe de leur leader bien connu A. Potressov, insistaient dès septembre 1919 sur la nécessité « d'en finir avec Petrograd ».

Mais les travailleurs révolutionnaires de Petrograd ont déjoué tous ces projets.

Nous avons lu, l'autre jour, dans un journal anglais, un article, dont l'auteur disait que « Petrograd est pour les bolcheviks une espèce de fétiche et que la prise de cette ville équivaudrait pour les bolcheviks à une décapitation ».

Ce bourgeois anglais n'avait pas tort. Petrograd n'est certes pas pour nous une « sorte de fétiche » ; les prolétaires révolutionnaires n'ont pas d'idoles. Mais Petrograd-rouge, le grand révolté, première ville de la révolution prolétarienne, berceau de la Troisième Internationale, Petrograd nous est, en effet, la ville la plus précieuse et la plus chère.

Petrograd ne nous est pas non plus une « relique », comme l'écrivait récemment un adepte mal avisé du pouvoir des Soviets. Nous défendons et nous défendrons Petrograd non seulement comme un monument historique de la révolution, mais aussi comme une ville à laquelle nous sommes immensément redevables. Petrograd est toujours à l'heure présente le cœur ardent de la Russie soviétiste. il donne inlassablement des combattants d'élite à la garde prolétarienne. Petrograd est toujours, comme par le passé, le centre le plus important de la bataille prolétarienne ; il donne à toute la Russie soviétiste, ses meilleurs guides, sortis des profondeurs de ses masses ouvrières. Enfin, Petrograd, malgré son appauvrissement industriel, est toujours un des centres de ravitaillement les plus importants de l'armée rouge.

Notre Petrograd rouge célèbre dans des conditions extrêmement difficiles le deuxième anniversaire de la révolution prolétarienne. Mais quelles que soient les circonstances le prolétaire de Petrograd ne perd pas et ne pendra jamais courage !

« Les ouragans et les tempêtes ne nous ont pas brisés, — ce n'est pas l'automne qui nous brisera ! » ces paroles de la chanson populaire, l'ouvrier et l'ouvrière de Petrograd peuvent les répéter avec confiance.

La situation militaire est-elle menaçante au front sud ? Noms sommes les premiers à accourir aux endroits les plus dangereux. Nous serons les premiers partout à faire à la dic-disposions pour les opposer aux cosaques nous sonnerons le tocsin pour les ouvriers des autres centres, nous soulèverons les paysans et les travailleurs de la Russie entière et la victoire couronnera notre lutte si longue et si dure2.

Il n'y a pas au monde de meilleurs prolétaires que ceux de Petrograd ! Il n'y a pas au monde de ville plus glorieuse que notre Petrograd rouge ! Je connais de vieux prolétaires de Petrograd qui, au sens propre de ce mot, sont épris de leur ville et pour qui une séparation d'avec Petrograd serait aussi douloureuse qu'un grand deuil. Ces vieux prolétaires et leurs jeunes compagnons d'armes ont, les uns et les autres, le même rêve sacré, qui est, dès que cessera la guerre civile, de refaire de Petrograd rouge la capitale des Soviets.

Souhaitons que ce rêve soit pour le troisième anniversaire de la révolution prolétarienne, une réalité ! Souhaitons aussi qu'à cette date l'Internationale Communiste ait vaincu dans le monde entier !

Notes

1 « En juin 1919, un fort important du golfe de Finlande, Krassnaïa Gorka, fut enlevé par un détachement des gardes blancs. Quelques jours après, la place était reprise par des marins de la flotte rouge. On découvrit que le chef de l'état-major de la VIIe armée, le colonel Lundquist, transmettait aux Blancs tous les renseignements de première main. D'autres conspirateurs s'entendaient avec lui. L'armée en fut ébranlée. » (Trotsky, Ma Vie, chapitre XXXV)

2 Ces paroles étaient prononcées pendant les fêtes du 2e anniversaire de la révolution d'octobre. A ce moment, l'offensive du général Denikine se développait au nord d'Orel et les blancs de l'aventurier Youdenitch tenaient encore aux abords de Petrograd. Depuis les trois chefs de la réaction russe, Youdenitch, Denikine et Koltchak, ont été définitivement écrasés par la révolution. — Note du trad.


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