1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


V. Le facteur idéologique dans la guerre civile

Tu sais - poursuit Casanova - et j'ai pu l'expérimenter au front dans la tranchée et pendant les attaques, que les meilleures armes ne valent pas grand'chose quand il n'y a pas des hommes prêts à se sacrifier et à se faire enterrer plutôt que de céder du terrain à l'ennemi. Oui, il faut des hommes, dans l'Etat-Major, comme je l'ai déjà expliqué, mais aussi des hommes sur le terrain pour manier les fusils, les mitrailleuses, les bombes à main, le mortier, l'artillerie légère et lourde, les tanks et aussi les avions.

Le matériel sans l'homme ne vaut pas grand-chose, surtout, j'y insiste, dans une guerre civile où le gouvernement qui a devant lui la tâche de lutter contre la ré­action ne dispose pas d'un appareil de contrainte fonc­tionnant depuis des décades, comme dans une guerre im­périaliste, où il doit créer un nouvel organisme de toutes pièces. Dans une guerre civile, le soldat doit savoir pour­ quoi il lutte, il doit être convaincu que c'est pour sa classe, pour que sa femme et ses enfants connaissent un monde nouveau, meilleur. Alors il se lance avec des bom­bes à main contre l'ennemi plus armé, enlève des posi­tions imprenables et inflige des coups mortels à l'ennemi au sein duquel il sème la démoralisation et la panique.

Oui, continue Casanova, je les vois en ce moment, mes camarades du bataillon, à l'assaut pendant l'offensive de Belchite, par exemple. Je vois mon lieutenant Ferrer, tué à Codo [1] en conduisant sa section à l'attaque du parapet des requêtes. J'entends ses ordres : « Fuego ! (Feu !) et  Adelante ! (En avant !) » à notre section composée en majorité de membres des Jeunesses Libertaires. Ah, oui ! pour prendre une tranchée le feu de l'artillerie et des mitrailleuses ne suffit pas. Il faut qu'après un feu nourri de l'artillerie et des mitrailleuses, si l'ennemi s'obstina, à ne pas abandonner da position, l'infanterie aille l'en déloger à coups de fusils, de grena­des et à coups de baïonnettes.

Mes camarades des Jeunesses Libertaires savaient pourquoi ils se battaient. Ils haïssaient la vieille Espagne du fond de leur cœur enflammé. Ils haïssaient les bourgeois, mais surtout l'Eglise et les curés, - symbole de l'oppression moyenâgeuse, - et ils luttaient pour un monde où leurs pères, métallurgistes, serruriers, tour­neurs ou simples dockers, seraient les maîtres. Ils al­laient à l'attaque en chantant : « Hijos del Pueblo » (Fils du peuple) et « Arroja la bomba ! » (Que la bombe explose !), chants anarchistes

Mais nos adversaires, il faut le rappeler, n'étaient pas  des mercenaires comme dans d'autres secteurs, des Ita­liens ou des Allemands ou des Marocains venus en Espa­gne afin d'y trouver des villages à piller et des femmes à violer. C'étaient des Requêtes, animés d'une flamme et d'un fanatisme qu'inspirait leur profonde foi catholique. Ils luttaient pour le « Cristo Rey » (Le Christ Roi) et pour la Sainte Vierge contre le diable rouge incarné dans les « marxistes ».

Voilà les inscriptions que j'ai notées le 26 août 1937 après le « nettoyage » de Codo, où nous étions entrés la veille dans les tranchées conquises :  « Viva et Cristo Rey ! » (Vive le Christ Roi !), « Vienen los marxistas ! Coraje ! » (Les marxistes viennent ! Du courage !) et encore celle-là « Quando matas un rojo tienes un ano de purgatorio de menos ! » (Quand tu tues un rouge, tu as un an de purgatoire de moins à faire). Ils se défen­daient jusqu'au bout, jusqu'à la dernière cartouche, en­cerclés complètement et ils étaient seulement trois cents environ à défendre Codo et nous peut-être deux mille ou plus.

Ils récitaient plusieurs fois des prières dans la journée et attendaient les secours de la Sainte Vierge et ceux, plus matériels, de la cavalerie maure. Voyant mercredi soir que l'aide ne venait ni du ciel ni de la terre (la cavalerie qu'ils aperçurent de loin et qui s'approchait vers Codo n'était pas celle des Maures, mais la cavalerie républicaine), ils tentèrent d'utiliser la dernière planche de salut : une sortie forcée. On vit d'un seul coup une ruée d'hommes sortir de l'église et dévaler la colline, Nos mitrailleuses commencèrent à fonctionner. Beaucoup ont été tués ou fait prisonniers [2].

Je me suis permis cette digression - intercale Casanova - afin de souligner encore une fois que dans une guerre civile, la seule guerre juste et sacrée du côté des opprimés, de ceux qui sont porteurs du progrès et des valeurs humaines nouvelles, on se tue parfois avec un acharnement particulier et avec un fanatisme sans exem­ple.

Donc, je répète, les hommes et les idées, surtout les idées, jouent un rôle primordial. Que les révolutionnai­res ne l'oublient pas dans les combats à venir et qu'ils ne se laissent pas influencer par les solidisant réalistes qui, d'une façon savante mettront en avant seulement les problèmes de la technique militaire.


Notes

[1] L'attaque du Codo eut lieu le 23-25 août 1937.

[2] Dans Codo nous avons trouvé une grosse quantité des <bojnes rojas » (bérets rouges) et... aussi des munitions françaises livrées à Franco malgré la non-intervention sous le gouvernement Léon Blum, s'il vous plaît.


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