1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


VI. Pouvait-on désagréger l'armée franquiste ?

Si mes camarades du bataillon étalent animés d'une idéologie révolutionnaire, quoique confuse, nos hauts parleurs, à Matamala, par exemple, faisaient de la propagande platement réactionnaire qui parfois ressemblait comme deux gouttes d'eau à celle de Franco, et qui ne pouvait démoraliser l'armée adverse et en tout cas ne pouvait pas y provoquer des révoltes. On criait : « Somos de la raza española ! » (Nous sommes de la race espagnole !). On voulait prouver qu'on est plus « espagnol » que Franco.

Une politique révolutionnaire pouvait faire pénétrer « la peste bolcheviste » même parmi les éléments les plus retardataires et les plus réactionnaires. N'a-t-on pas vu au cours de la révolution russe, même les détachements cosaques passer à l'armée rouge ?

Pourquoi en Espagne n'a-t-on pu assister au même phénomène ? Le fanatique requeté avec son Cristo-Rey était-il impénétrable à la propagande révolutionnaire ? Pas le moins du monde. Certes, il aimait la Sainte Vierge, mais il aimait aussi d'autres vierges et en général des choses plus matérielles. Il était catholique fervent. Oui, mais il était aussi paysan, toujours roulé, toujours ex­ploité. Que lui a donné la république démocratique, même sous la présidence de M. Azaña et même quand Largo Caballero était ministre (et il l'était déjà en 1931) ? La misère et les balles. Or, que lui promettait contre Franco le Front populaire ? Le maintien de la même république. Cette république, c'est vrai, on la lui pro­mettait meilleure et plus juste. Mais n'a-t-il pas entendu déjà la même musique et les mêmes promesses ?

Et le Marocain, que lui promettait le Front populaire sous Négrin et aussi sous Caballero, Hernandez et sous le terrible « anarchiste » Garcia Oliver ? Indépendance nationale, par hasard ? Seul un trotskyste criminel pouvait penser à cela ! Les sages et réalistes dirigeants et ministres du Front populaire ne faisaient que des décla­rations sur le respect de traités et sur l'intangibilité du protectorat, c'est-à-dire sur l'intangibilité de l'esclavage du Maroc espagnol.

Cela ne rassurait pas complètement Chamberlain qui était plus sûr avec Franco, mais n'était pas de nature à enthousiasmer le Marocain. Etre esclave sous Franco ou sous Négrin, c'était pour lui un peu pareil. Il avait peut-être tort, dira un malin. Peut-être ! Car pour nous aussi, le régime de Négrin est moins mauvais que celui de Franco. Mais Ben Mahomed n'était pas fort en socio­logie. Malgré sa roublardise dans ce cas précis il pensait à peu près comme Staline c'est-à-dire avec ses pieds la social-démocratie et le fascisme étaient pour lui non des antipodes ; mais des jumeaux [1].

Et les « volontaires » italiens et allemands ? Etaient­-ils tous des fascistes enragés par hasard ? Je ne le crois pas. Certes, il y avait parmi eux des vendus et aussi de enthousiastes d'un autre Cristo Rey : Hitler et Mussolini, mais le gros, c'était à peu près comme le gros du genre humain, c'est-à-dire des gens trompés. Et leur disait-on qu'il n'y a plus des Français, des Allemands, et des Italiens, mais tout simplement des prolétaires et que l'on luttait pour une République Universelle ? Leur disait-on, comme Jaurès, que le mot « étranger » n'a aucun sens pour le prolétariat ? Non !

- Hélas depuis quelques années chez nous en France aussi le Front populaire travaille jour et nuit pour rendre les ouvriers français plus patriotes et plus chau­vins.

- Et bien ! là-bas c'était pareil. On disait qu'on luttait contre les étrangers et pour une Espagne libre, forte et heureuse. L'Italien et l'Allemand amenés par force en Espagne par les bandits fascistes réagissaient comme il fallait s'y attendre, il se fortifiait dans ses préjugés na­tionalistes. Si les autres luttent pour que l'Espagne soit forte, ne dois-je pas, moi, lutter aussi pour que l'Italie soit forte ? Après tout, ne suis-je pas Italien ?

Et les ouvriers, car il y en avait dans l'armée franquiste, quand ils apprenaient qu'on luttait pour le retour à la même république où la propriété capitaliste sera sacrée, comme ils l'avaient connu ; quand ils appre­naient non seulement par le canal ce la propagande fas­ciste, mais aussi par l'intermédiaire des prisonniers de guerre, qu'à Barcelone la C.N.T. était persécutée, tout cela ne pouvait pas les prédisposer à risquer leur vie et à se révolter contre la discipline de l'armée franquiste.

Il est vrai que des soldats, parfois même des petits détachements, passaient dans nos rangs, mais c'était surtout à cause de passagers revers militaires de Franco.

Mais de vraies révoltes, au cours de ces derniers deux ans, il n'y en eut pas. C'est frappant, mais cela ne peut étonner que ceux qui ne comprennent pas que pour qu'une révolte se produise dans une armée, il faut qu'elle soit travaillée de l'intérieur et aussi de l'extérieur par une propagande révolutionnaire et non par les litanies sur « le gouvernement légitime ».

Certains veulent expliquer le fait qu'il n'y a pas eu de révolte chez Franco par la terreur.

Comme si les ouvriers étaient par leur nature une race d'esclaves !

Les chefs du Front populaire ignorent que la propagande révolutionnaire est plus forte que toutes les ter­reurs et tous les appareils. Un jour ils l'apprendront !

La terreur ne régnait-elle pas aussi dans les armées blanches en Russie ? Les Japonais pendant leur occupa­tion de la Sibérie ont-ils été des anges, ne commettaient-­ils pas des atrocités dont le rappel fait aussi frémir ? Les armées de la France démocratique ne pendaient-elles pas à Odessa, ne torturaient elles pas ? Et les corps expéditionnaires d'un autre démocrate et très Front populaire, Mr. David Lloyd George, ne commettaient-ils pas des atrocités ?

Ouvrez les dernières pages de Jimmie Higgins, d'Upton Sinclair et vous verrez le propagandiste bolcheviste torturé par les démocratiques représentants du corps expéditionnaire de Sa Majesté le roi d'Angleterre. Et ce n'était pas seulement une image littéraire

Mais malgré les tortures, « la peste bolcheviste » péné­trait partout, et disloquait non seulement les armées blanches, mais aussi les corps expéditionnaires étrangers : français, anglais, tchécoslovaques, etc…

D'où venait cette force magique qui existait en Russie et qui manquait en Espagne ? Elle venait de la force d'attraction de la révolution prolétarienne.

Tout cela montre que le langage mou et la politique pourrie de la démocratie bourgeoise et du Front popu­laire étaient incapables de disloquer et de démoraliser l'armée fasciste, composée des éléments précisément faciles à gagner : les paysans exploités, les esclaves colo­niaux, et même les Allemands et les Italiens luttant pour une cause qui n'était pas la leur.

Tu vois - insiste Casanova - pour ces charlatans du Front populaire tout est difficile et ils essayent même de persuader le prolétariat qu'il est impossible d'abattre le régime capitaliste, parce que les capitalistes ont à leur service les fascistes, les tanks, une quantité indéfinie d'avions, etc... Ils oublient seulement de se regarder dans la glace et d'ajouter que le capitalisme se maintient sur­tout parce qu'il a des valets qui s'appellent Blum, Staline, Thorez, Négrin et Comorera.


Notes

[1] « La social-démocratie et le fascisme ne sont pas des antipodes, mais des jumeaux », la géniale et très réussie phrase de Staline qui était la base « théorique » de la fameuse politique du « social-fascisme » qui a permis l'installation de Hitler au pouvoir en Allemagne.


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