1942

LA LUTTE de CLASSES  - n° 5
Prolétaires de tous les pays, unissez-vous !
Organe du Groupe Communiste (Quatrième Internationale)


Barta

30 Novembre 1942


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Le premier pas dans l'éducation révolutionnaire des ouvriers doit consister à savoir distinguer sous les formules, les mots-d'ordre et les phrases hypocrites officielles, les appétits, les plans et les calculs impérialistes réels. Léon Trotsky

DE LA GUERRE DEMOCRATIQUE
A LA GUERRE POUR LA "LIBERATION DES PEUPLES"

A la suite de l'échec des plans de l'impérialisme allemand en URSS et en Afrique, la guerre est entrée dans une nouvelle phase, qui ouvre directement la voie à la Révolution prolétarienne en Allemagne, en Italie et dans toute l'Europe, principalement dans les Balkans.

Les chances de victoire de cette Révolution prolétarienne dépendent avant tout de la capacité de l'avant-garde d'arracher les ouvriers et – à leur suite – les paysans pauvres, à l'idéologie impérialiste. Celle-ci, en poussant les peuples les uns contre les autres, renforce d'autant plus sûrement l'exploitation capitaliste. En France surtout, l'idéologie bourgeoise de la "mission coloniale" a servi non seulement contre les peuples économiquement faibles de l'"empire", mais ce fut justement l'arme maîtresse contre le prolétariat révolutionnaire de la Métropole.

Les événements militaires et politiques de cette guerre ont actuellement fait passer l'"empire français" dans d'autres mains que celles du débile "Etat français" ; cependant des masses considérables d'ouvriers se laissent à nouveau prendre dans les filets de la propagande des capitalistes français qui, dans le camp allié ou dans le camp de l'Axe, s'efforcent à les ramener à leurs traditions historiques de rapines en leur inculquant plus que jamais l'idée de "mission coloniale", de "grandeur française", etc...

Comment expliquer le succès incontestable de cette propagande impérialiste auprès des ouvriers ? En septembre 1939, quand éclata la 2ème guerre impérialiste mondiale, les ouvriers n'avaient pas oublié les tromperies et les mensonges des capitalistes pendant et après la guerre mondiale de 14-18. Ils l'ont prouvé en contraignant le chef "démocratique" de la IIIème République en guerre, Daladier, à transformer le pays en une vaste prison et à prendre des mesures terroristes copiées sur le modèle fasciste.

Le changement intervenu dans l'état d'esprit du prolétariat a-t-il été provoqué par la défaite militaire de juin 1940 ? A première vue, on pourrait le croire. Cependant, si le chauvinisme de la petite bourgeoisie s'est réveillé avec l'occupation de la France, le nationalisme "anti-boche" ne s'est introduit dans les rangs des ouvriers les plus avancés que depuis le début de la guerre à l'Est, un peu après juin 1941. C'est ainsi que nous arrivons à la véritable cause du passage des ouvriers avancés au chauvinisme : LA POLITIQUE DU PARTI DIT COMMUNISTE, commandée par la bureaucratie soviétique anti-révolutionnaire.

Rappelons les principales étapes de cette politique depuis le début de la guerre. Après avoir essayé depuis le pacte Laval-Staline (2 mai 1935), de réconcilier les ouvriers avec la "défense nationale" ("pour battre le fascisme"), la politique stalinienne du PC change brusquement, quelques jours avant la guerre, après la signature du pacte Hitler-Staline. Ce pacte fut présenté par la propagande stalinienne comme un pacte "de paix, ouvert à tous". Après le partage de la Pologne, transformée par Hitler en un pays d'opprimés, le PCF poursuivit une agitation pour "la signature immédiate de la paix" (lettre des députés communistes à Herriot). Si la classe ouvrière fut sensible à cette propagande, c'est qu'elle la prenait naïvement pour la propagande révolutionnaire des bolchéviks en 14-18. Cette politique, dont le but était de démontrer à Hitler la "solidité" des engagements de Staline coûta cher à la classe ouvrière moralement et physiquement.

Après la victoire de son "allié" Hitler en juin 1940 Staline dut garder l'expectative, pour maintenir un certain équilibre entre les deux camps. Il fallait préparer les masses à toute éventualité et le PCF, après son apparent internationalisme de la "drôle de guerre" glissa à nouveau sur des positions "nationales", mais sans chauvinisme. Thorez et Duclos écrivent (3 septembre 1940) : "de même que le traité de Versailles... une organisation européenne (!) qui consacrerait la victoire d'un groupe impérialiste sur un autre, ferait planer sur l'humanité la menace de nouveaux conflits". "Organisation européenne" au lieu de "brigandage de l'impérialisme allemand", le nom impersonnel d'"occupant" donné à l'état-major allemand, voilà le ton des dirigeants staliniens après la défaite de l'impérialisme français. Leurs attaques étaient dirigées seulement contre Vichy, et les travailleurs français ne furent pas choqués d'avoir à "balayer devant leur propre porte" (Liebknecht), sous les yeux de l'"étranger". Mais ils furent lancés à une vitesse accélérée sur les rails du nationalisme avec son langage patriotique et, quand le 22 juin, ne cherchant qu'à nuire à la machine de guerre de Hitler sans se préoccuper du prolétariat, les staliniens firent appel au plus grossier chauvinisme, le terrain se trouva tout préparé.

C'est donc la politique criminelle du PCF aux ordres de la bureaucratie stalinienne qui, en faisant usage du plus vil chauvinisme a ramené la classe ouvrière à un niveau idéologique inférieur au jusqu'auboutisme de 14-18. Aujourd'hui, la classe ouvrière se trouve, après plus de trois ans de guerre impérialiste, désarmée idéologiquement devant la bourgeoisie. Oubliées les leçons chèrement payées de l'entre-deux guerres. Aujourd'hui, par le pacte Staline-De Gaulle, la direction de la lutte des masses a été confiée à ce général bourgeois, sur lequel les staliniens eux-mêmes se prononçaient comme suit quelques jours à peine avant le conflit à l'Est : "nous disons que ce n'est pas derrière un tel mouvement (gaulliste) d'inspiration REACTIONNAIRE et COLONIALISTE, à l'image de l'impérialisme britannique, que peut se réaliser l'union de la nation française pour l'unité nationale". Aujourd'hui, telle est donc la situation du prolétariat sur lequel notre théorie révolutionnaire doit exercer son action.

Mais aucune conclusion "pessimiste" ne peut en être tirée par les véritables internationalistes. Si les opérations militaires alliées en Afrique du Nord ont fourni un appui tangible au chauvinisme français  ces mêmes événements provoquent en Allemagne et en Italie une évolution contraire ; et la victoire des ouvriers sur quelque point du continent sur leurs capitalistes, dessillera automatiquement les yeux des ouvriers français trompés aujourd'hui. Nous devons plus que jamais lutter contre le chauvinisme, et, pour cela, montrer quelles sont les tromperies des impérialistes ; ceux-ci spéculent sur les malheurs d'un peuple autrefois à l'avant-garde des révolutions, mais qui traîne maintenant à la remorque des événements PARCE QU'ON LUI A OTE LA FOI DANS LA FORCE REVOLUTIONNAIRE DES OUVRIERS.

Le débarquement des troupes américaines en Algérie et au Maroc a provoqué parmi les hommes de confiance de la bourgeoisie française, le même mouvement d'ensemble qu'après la défaite de juin 1940 : ceux qui l'ont pu, ont passé avec armes et bagages dans l'autre camp. Et quand le "démocrate" Roosevelt essaie de justifier son accord avec des fascistes et réactionnaires français notoires comme Giraud, Darlan, Pucheu, Flandin, par la nécessité de vaincre d'abord "Hitler", n'est-il pas clair qu'une victoire obtenue en union avec ceux qui le soutenaient hier, ne peut être qu'une victoire impérialiste ? Si Hitler a étendu sa domination à toute l'Europe, ce n'est pas uniquement par des moyens militaires ; il a trouvé également un appui considérable dans les sphères militaires et réactionnaires des pays où la bourgeoisie voyait le danger principal du côté du prolétariat. Pendant la débâcle de l'armée française, l'ex-président Lebrun ne se lamentait-il pas : "les généraux ne veulent pas se battre" ?

Roosevelt peut invoquer les nécessités militaires ; mais quand des ennemis du peuple trouvent possible de lui faire confiance, c'est précisément cela qui dévoile aux masses la valeur pratique de la phraséologie du président des Etats-Unis, le caractère impérialiste de la lutte menée par les "alliés".

Roosevelt a dit encore, pour se justifier, que l'accord n'avait qu'un caractère temporaire. Mais nous savons que dans la politique impérialiste "temporaire" peut cacher une entente durable qu'il faut cacher aux masses. Par contre, un accord "définitif" peut ne durer que très peu de temps : exemple, l'entente Churchill-De Gaulle.

Mais tout cela n'est que de la démagogie. Le commentateur des nouvelles de la Radio-Londres reprend, le 24 novembre, pour justifier "l'accord algérien", l'argument favori de Déat quand il plaide pour Hitler : il faut que dès maintenant le maximum de forces françaises participent à la lutte si l'on veut qu'au moment du "traité" de paix" la France soit bien représentée. Ainsi, les impérialistes eux-mêmes sont souvent obligés d'expliquer les véritables rapports de leur beau monde ! Ce qui compte, ce n'est pas que la France ait eu 1.800.000 prisonniers, 200.000 morts et ait souffert des maux innombrables dont on ne voit pas la fin. Non, ce qui compte c'est, en traduisant le langage hypocrite du "commentateur" de Londres dans le langage honnête du bolchévik Lénine "le rapport des forces entre les participants au partage impérialiste". Voilà ce qui rend l'entente Roosevelt-Darlan durable, car ce dernier compte précisément sur un certain "rapport des forces".

Ce n'est donc pas un simple hasard que ni Roosevelt, ni personne d'autre n'a prononcé depuis les derniers événements le mot "démocratie" (existe-t-elle en Afrique du Nord ?). Celle-ci a fait brusquement place à une autre formule, "la libération des peuples". Il est certain que, tout en renforçant l'esclavage colonial et la main-mise économique sur des pays plus faibles, les alliés "libéreront" certains peuples. Car il leur faut entourer leurs ennemis d'états-tampons destinés à jouer le rôle de contre-poids. Le traité de Versailles l'avait déjà fait, on voit aujourd'hui avec quel succès.

Mais Hitler lui-même veut "libérer" des peuples : par hasard ce sont ceux opprimés par ses adversaires. Cette émulation inter-impérialiste a déjà été expliquée par Lénine : "ce qui est essentiel pour l'impérialisme, c'est la rivalité de plusieurs grandes puissances tendant à l'hégémonie, c'est-à-dire la conquête de territoires, NON PAS TANT POUR ELLES-MEMES QUE POUR AFFAIBLIR L'ADVERSAIRE ET SAPER SON HEGEMONIE".

De même que Hitler, après l'annexion des Sudètes allemandes (septembre 1938) avait dû camoufler ses nouveaux brigandages sous la formule "espace vital", au lieu de "sang allemand", pour les justifier aux yeux du peuple allemand, de même les impérialistes "démocratiques" recourent à la formule "libération des peuples", quand il s'agit de justifier aux yeux du peuple américain et anglais l'alliance militaire avec les pires ennemis de la démocratie ; et cela ne se limitera sûrement pas à Darlan et Cie. Les alliés ne font-ils pas la cour à Franco et Salazar ? Et le régime totalitaire empêcherait-il les alliés d'accepter l'amitié d'une des puissances de l'Axe...? Jusqu'à la dernière minute, Mussolini a hésité entre les alliés et l'Axe. Il y a eu le front unique démocratico-fasciste (Angleterre-France, Allemagne-Italie) contre l'Espagne républicaine ; il y a eu Munich ! Mais les exploités oublient hélas, bien vite, quand ils sont livrés sans défense à leurs exploiteurs. SEUL UN PARTI REVOLUTIONNAIRE PEUT MAINTENIR LA CONSCIENCE DE CLASSE DU PROLETARIAT. Une tâche immense attend la QUATRIEME INTERNATIONALE !

"Le rôle réactionnaire anti-national de la bourgeoisie, complètement dévoilé par la guerre, s'exprime actuellement sans équivoque dans l'action de ses deux sauveurs : Pétain et De Gaulle. Par l'un, elle se jette dans l'étreinte mortelle de Hitler, par l'autre elle lutte pour la REVANCHE, pour un nouveau Versailles dicté par l'impérialisme anglais. Mais dans un cas comme dans l'autre, son rôle ne peut plus être que celui d'exécutant docile. Plus que jamais la domination de la bourgeoisie signifie pour la France bassesse et servilité. C'est seulement la voie prolétarienne qui reste ouverte au relèvement de la France. Les ouvriers français unis aux ouvriers européens dans la même lutte anti-impérialiste – l'impérialisme français allemand, italien et espagnol – mettront fin à l'exploitation de classe et à l'oppression nationale sur le continent. Le succès du prolétariat européen est assuré par la situation sans issue de l'Europe dans le monde capitaliste." (Notre brochure de novembre 1940).

LE PROLETARIAT DOIT CHASSER CEUX QUI ONT MORCELE L'EUROPE, PRENDRE LE POUVOIR POUR UNIFIER CETTE DERNIERE ET CREER   LES ETATS-UNIS SOCIALISTES D'EUROPE ! (L. Trotsky)


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