1944


Les cahiers du militant nº2

Barta

Le P.O.I. et la révolution prolétarienne en France

15 février 1944


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Formellement, l'attitude du POI à l'égard de la révolution prolétarienne en France a radicalement changé. Les appels à l'union avec des bourgeois " pensant français ", pour la création de " comités de vigilance nationale ", et les phrases nationalistes ont fait place à une propagande internationaliste. Mais un parti qui se réclame de l'internationa­lisme, n'est garanti contre les errements social-patriotiques que s'il découvre, par une cri­tique inexorable, les sources mêmes de ses erreurs passées, pour réarmer ses militants à l'aide d'une analyse marxiste sérieuse.

Mais loin de renoncer à l'attitude qu'ils ont prise depuis juin 1940, les dirigeants du POI aggravent le désarmement idéologique de leurs militants, en justifiant théori­quement leur attitude depuis l'occupation du territoire par l'impérialisme allemand.

En effet nous lisons en substance dans le bulletin commun POI-CCI de juillet 1943 : le POI n'a commis que la faute d'employer dans La Vérité " certaines expressions dange­reuses " ; la position fondamentale a été non seulement juste, mais perspicace, car le POI aurait " prévu en 1940 " la transformation du mouvement national en mou­vement de classe ! ("du mouvement national est sorti le mouvement de classe"). Le POI se serait d'autre part efforcé de combattre les préjugés de la petite-bourgeoisie pour dégager le mouvement confus des masses vers une issue prolétarienne...

Pour pouvoir – dans un texte exprimant la position officielle – transformer la trahi­son du mouvement de la IVème Internationale en un conte bleu de perspicacité bolchévique (hormis " quelques " expressions dangereuses), il faut que le niveau idéologique de la plupart des militants du POI soit bien bas. A son tour, cette explication, en travestissant entièrement les faits, ne peut qu'augmenter la confusion des prétendus " guides révolu­tionnaires ", qui n'arrivent presque jamais à trouver le véritable centre de gravité des événements.

Les dirigeants du POI comptent sur l'oubli ou sur des préjugés encore existants quand ils prétendent avoir lutté contre les préjugés des masses. Nous pourrions remplir le présent texte d'expressions typiquement staliniennes ou gaullistes qui remplissent les publications du POI depuis juin 40. L'abstrait internationalisme qu'elles évoquaient par-ci par-là ne faisait qu'aggraver les conclusions pro-"démocratiques". Cependant le but du présent texte n'est pas de reprendre des critiques anciennes, mais d'analyser la prétendue transformation du mouvement national en mouvement prolétarien.


Dans le n° 1 du Cahier du Militant (Décembre 42), nous avons montré que l'occupa­tion impérialiste n'avait pas transformé le pays en pays historiquement opprimé, que la France restait un pays impérialiste, exportateur de capital financier, partici­pant à l'exploitation de peuples coloniaux et semi-coloniaux sur tous les continents. L'occupation militaire devait être regardée comme " des déplacements conjoncturels de fronts militaires lors d'une nouvelle mêlée des impérialistes " (Trotsky, Après Munich), la liberté de toutes les nations d'Europe, petites et grandes, ne pouvant être assurée que dans le cadre des États-Unis d'Europe. La tactique prolétarienne impliquait donc une indépendance de classe organisationnelle absolue (que reniait la politique de " comités de vigilance nationale "), la fraternisation avec les soldats allemands (au lieu de la " lutte contre l'envahisseur "), un langage internationaliste d'une clarté irrésistible.

Pour le POI, après juin 1940, nous nous trouvons en présence d'un "mouvement national duquel est sorti le mouvement de classe".

La transformation du mouvement national en mouvement prolétarien implique que certains objectifs communs à la nation (y compris de larges couches de la bourgeoisie) ont été atteints et dépassés en mouvement prolétarien ; et même dans ce cas jamais dans une révolution nationale à l'époque impérialiste, le prolétariat ne peut renoncer à son in­dépendance de classe par l'entrée dans une organisation commune avec les bourgeois, comme les comités de " vigilance nationale ".

Or, quels objectifs économiques, politiques, culturels, religieux, etc... impliquaient une lutte dirigée spécifiquement contre l'impérialisme allemand, par l'union nationale, et non pas par la lutte de classes contre notre propre bourgeoisie ? Le pillage économique, la dictature politique ouverte, la destruction de la culture, les persécutions religieuses (ou des " métèques ") étaient-ils le résultat spécifique de l'occupation militaire allemande, ou bien le résultat inévitable du maintien du capitalisme en France et de la participation du pays à la guerre impérialiste (même en cas de victoire) ? A l'ordre du jour de la lutte des masses en France depuis le 30 septembre 1939 en passant par juin 1940, le parti révolu­tionnaire devait mettre seulement les objectifs de classe (aboutissant à l'expropriation des capitalistes), la révolution socialiste. La " libération nationale " préconisée par le POI après juin 1940 était-elle de la perspicacité pour capter le mouvement de masses, ou une tromperie pour les masses, qui pour en finir avec l'impérialisme et la guerre n'avaient d'autre moyen que de suivre le prolétariat français dans sa lutte pour les États-Unis Socialistes d'Europe ?

Mais si le mouvement national s'est transformé en mouvement prolétarien, comme le mouvement démocratico-révolutionnaire dans les colonies se transforme en révolution socialiste, il faut montrer quand et comment cette transcroissance a eu lieu.

Si après juin 1940, quand la France disposait encore de la presque totalité de ses colonies, d'une flotte de guerre importante dans le rapport de forces en Méditerranée, quand elle entretenait des relations diplomatiques dans le monde entier, nous nous sommes trouvés objectivement en présence d'un mouvement national, comment ce mou­vement national s'est-il volatilisé en 1943 dans un pays totalement occupé et mis au pas, tombé très bas sous la protection de l'impérialisme " étranger " (allemand et anglo-saxon) ?

En réalité, ce que le POI appelle un mouvement national, est envisagé par lui, RÉTROSPECTIVEMENT, comme un état idéologique des masses. Le nationalisme " superficiel " des masses dit le POI, ne pouvait manquer de se transformer en lutte de classe !

A-t-on jamais vu un Parti qui se réclame du marxisme tirer sa stratégie et sa tactique non pas de l'analyse objective des rapports de classes, mais de l'état idéologique des masses ? C'est cependant ce que fait le POI.

Un parti marxiste tire sa stratégie et sa tactique de l'analyse de l'économie et des classes en présence (expression de cette économie). L'état idéologique des masses lui ser­vant de critère pour apprécier le rapport de forces à chaque moment.

Au contraire, le POI loin de prendre les réactions nationalistes d'après juin 1940 (qu'il continue à appeler " aspirations nationales "), comme une composante du rapport de forces en défaveur de la révolution prolétarienne, prétend, en juillet 43, que "du mouvement national est sorti le mouvement de classe" ! Mais comme le soi-disant mouve­ment national n'a aucune base historique objective, comme la France d'après juin 1940 était un pays impérialiste économiquement et idéologiquement (toute idéologie en de­hors de celle de la révolution prolétarienne est impérialiste), la formule du POI signifie tout simplement que les PRÉJUGÉS nationalistes des masses petites-bourgeoises fran­çaises (qui n'étaient et ne sont rien moins que des aspirations nationales) ont aidé à la renaissance du mouvement ouvrier !! Les préjugés petits-bourgeois nationalistes des masses seraient le feu qui a ravivé la lutte de classe en France !!! Voilà ce que cache la formule du POI qui, destinée à laver les fautes de ses dirigeants et à sauver leur " prestige ", leur permettra demain de recommencer.

Puisque le POI appuyait après juin 40 le "mouvement" national, il faut bien que ce­lui-ci ait eu des vertus magiques. Sans lui, que serait devenu le mouvement de classes ? On frémit rien qu'à y penser !

Mais le "secret" du mouvement national, à la ville et à la campagne, nous l'avons " dévoilé " dans notre brochure de novembre 1940 en écrivant : " Les paysans envisa­gent les réquisitions des autorités allemandes de la même façon qu'ils envisageaient les réquisitions des autorités françaises : sur le plan des rapports entre la campagne et la ville et de la continuation de la guerre – et non pas sur le plan " national "-– . La seule différence qu'ils font, c'est que l'État français n'avait pas encore produit l'inflation, pourtant inévitable pour lui aussi. Les sentiments nationaux des paysans seraient réduits à peu de chose si les Allemands avaient une monnaie stable. La lutte des paysans est une lutte anti-impérialiste ".

Que le schéma de la " transformation du mouvement national en mouvement pro­létarien " ne soit qu'un alibi invoqué par les dirigeants du POI pour couvrir leurs erreurs passées (donc à venir), on le voit on ne peut plus clairement quand on passe à l'analyse du mouvement idéologique du prolétariat (les marxistes analysent les classes, que ce soit au point de vue économique, politique, idéologique, etc... et non pas les " masses ", abs­traction dont se servent les politiciens pour camoufler leurs trahisons).

Nous écrivions dans le n° 5 de Lutte de Classes, contre les staliniens : " Comment expliquer le succès incontestable de cette propagande impérialiste auprès des ouvriers (fin 1942) ? En septembre 1939, quand éclata la deuxième guerre impérialiste mondiale, les ouvriers n'avaient pas oublié les tromperies et les mensonges des capita­listes pendant et après la guerre mondiale de 14-18. Ils l'ont prouvé en contraignant le chef " démocratique " de la IIIème République, Daladier, à transformer le pays en une vaste prison et à prendre des mesures terroristes copiées sur le modèle fasciste.

" Le changement intervenu dans l'état d'esprit du prolétariat a-t-il été provoqué par la défaite militaire de juin 40 ? A première vue on pourrait le croire. Cependant, si le chauvinisme de la petite-bourgeoisie s'est réveillé avec l'occupation de la France, le na­tionalisme " anti-boche " ne s'est introduit dans les rangs des ouvriers les plus avancés que depuis le début de la guerre à l'Est, un peu après juin 1941. C'est ainsi que nous arrivons à la véritable cause du passage des ouvriers avancés au chauvinisme : LA POLITIQUE DU PARTI DIT COMMUNISTE, commandé par la bureaucratie soviétique anti-révolutionnaire. "

Il faut repousser avec dégoût les prétextes invoqués, à la manière stalinienne, par le POI, qui rejette ses fautes sur les " masses ". De ce point de vue il est caractéristique que les organisations POI-CCI attribuent l'effondrement des organisations de la IVème en France en 1939 à l'éclatement de la guerre qui aurait " isolé " l'avant-garde des masses. Tout révolutionnaire ayant fait son travail pendant la " drôle de guerre " sait que c'est là un pur mensonge : tout au contraire, jamais le contact avec les masses ouvrières n'a été plus facile (et pas seulement avec les masses ouvrières), jamais les masses n'ont été plus disposées à accueillir la propagande révolutionnaire.

Juin 1940 n'a pas produit de changements radicaux parmi les ouvriers. La défaite, dans la première phase, n'avait au contraire qu'exaspéré au maximum l'hostilité des masses (ouvrières et petites-bourgeoises) contre la bourgeoisie nationale. Et malgré la lourde poigne de l'impérialisme occupant, il a fallu le travail du parti stalinien (au fur et à mesure que la guerre avec l'URSS apparaissait comme inévitable) pour introduire le poison nationaliste-chauvin dans les rangs ouvriers. Dans ce travail, le POI, immédiatement après juin 40, a occupé une des premières places parmi les partis ouvriers, puisque le parti stalinien dirigeait à ce moment ses coups contre Vichy et jouait à l'internationa­lisme : en effet, le POI ne fut-il pas, dès l'été 40, un des initiateurs du concert nationalo-démocratico-allié. Le POI est un des principaux responsables de l'état idéologique des masses après juin 1940.

C'est seulement l'entrée de l'URSS comme facteur permanent dans la guerre, l'en­trée en guerre de l'impérialisme américain, les défaites de l'impérialisme allemand à partir de l'hiver 41-42 et ses défaites continues depuis l'hiver 42-43 à l'Est et en Afrique qui ont délivré les dirigeants du POI du cauchemar " hitlérien " (qui n'était autre chose que leur propre peur de petits-bourgeois devant l'expression monstrueuse – Hitler – de l'exaspéra­tion extrême de la lutte de classes à l'époque des guerres impérialistes), et leur ont permis de changer la " ligne " suivie. Mais là aussi le POI suit prudemment le courant... Car, après tout, leur main tendue aux "bourgeois pensant français" et aux staliniens pour la construction de " Fronts ouvriers " n'a rien donné. D'autre part, la félonie et la cruauté de l'impérialisme anglais et américain contre lesquels ils dirigent maintenant leurs coups (fin 43-début 44) est devenue de plus en plus visible pour de larges couches ouvrières et petites-bourgeoises. Et en dernier lieu, la critique des organisations et des éléments internationalistes du POI ont également exercé une pression sur les sphères dirigeantes du POI. Mais ces facteurs ne constituent nullement une garantie pour l'avenir du POI et du travail révolutionnaire.

QUAND LE POI. AFFIRME QUE DU MOUVEMENT NATIONAL EST SORTI LE MOUVEMENT DE CLASSE, IL NE FAIT EN RÉALITÉ QUE SUBSTITUER A L'ÉVOLUTION DE L'IDÉOLOGIE DES CLASSES EN PRÉSENCE, SA PROPRE ÉVOLUTION IDÉOLOGIQUE !


Le reniement du programme de la IVème apparaît aussi clairement quand on examine l'attitude du POI envers les conflits économiques entre patrons et ouvriers : "les luttes principales ont lieu contre les oppresseurs principaux : Hitler (?!), les fascistes (?!), les bourgeois français qui collaborent ou qui bénéficient du régime. Et c'est presque (souligné par nous) toute la bourgeoisie (même gaulliste) qui collabore à la machine de guerre nazie ou bien bénéficie de ses commandes et de l'écrasement des ouvriers". Il s'a­git ici de luttes économiques ; que viennent donc faire Hitler et les fascistes ; pourquoi les oppresseurs et la lutte contre eux, sont-ils divisés en une hiérarchie ? Les ouvriers se sentent-ils plus opprimés dans une grosse boîte travaillant pour la machine de guerre et où les salaires sont plus élevés, que dans une petite boîte ne bénéficiant pas du "régime" et où les salaires sont moindres ?

La bourgeoisie ne profite pas du système " nazi " (en quoi est-il spécifique­ment nazi ?), mais son profit est constitué par la plus-value extorquée aux ouvriers. Les travailleurs entrent dans des conflits économiques non par idéologie, mais poussés à bout par l'exploitation patronale. C'est Radio-Londres et les staliniens qui s'efforcent de détourner les conflits ouvriers de leur contenu de classe. Devant la hausse constante du coût de la vie, les ouvriers de tel ou tel atelier vont réclamer une augmentation à la direction. C'est le patron qui leur fait une réponse " idéologique " pour refuser l'augmentation. A cela les ouvriers ne peuvent répondre que par leur capacité de lutte poussée aussi loin que la situation objective le leur permet.

Il est indigne qu'un groupe se réclamant de la IVème Internationale établisse une hiérarchie d'exploiteurs et de conflits correspondants ; c'est là attribuer aux masses sa propre escrime dans le vide, imaginer une lutte de classes obéissant à ses propres préoccupa­tions, conscientes ou inconscientes.

Le programme de la IVème Internationale dit clairement :

" Aux capitalistes, surtout de petite et moyenne importance qui propo­sent parfois eux-mêmes d'ouvrir leurs livres de comptes devant les ouvriers – surtout pour leur démontrer la nécessité de diminuer les salaires – les ouvriers répondront que ce qui les intéresse, ce n'est pas la comptabilité des banqueroutiers ou des semi-banqueroutiers isolés, mais la comptabilité de tous les exploiteurs. Les ouvriers ne peuvent ni ne veulent adapter leur niveau de vie aux intérêts de capitalistes isolés devenus victimes de leur propre régime. "

Le devoir du révolutionnaire en présence des conflits entre ouvriers et patrons est de donner des objectifs qui découlent du rapport des forces ; contre le patron d'une boîte située en France en zone Nord ou Sud, recourant à la Gestapo ou à la police de Laval, sous prétexte ou à cause des ordres administratifs et politiques, il faut opposer l'action ouvrière, son potentiel de lutte sachant seulement tenir compte avec une grande pénétration de la situation du patron pour en tirer le meilleur parti. Il faut savoir comment obtenir les " pommes de terre " en utilisant les antagonismes au sein de la classe bour­geoise, et entre celle-ci et l'impérialisme allemand.

Mais cela n'est pas possible si l'on établit une hiérarchie à priori des conflits éco­nomiques suivant le gaullisme, le fascisme, collaborationnisme, etc... des patrons. Ce sont là des distinctions de gens qui subissent la pression de leurs adversaires ; car les classes dirigeantes sont toujours et dans tous les pays divisées en une hiérarchie com­pliquée nationale et internationale, qui oppose les bourgeois individuels les uns aux autres, et les prétextes nationaux et autres sont utilisés par eux dans cette lutte.

L'analyse sérieuse de la position du POI montre qu'il n'y a aucun progrès effectif de la part de sa direction, dans ses méthodes théoriques. Or, la théorie révolutionnaire est l'expression de la garantie suprême de la nature de la direction d'une tendance ouvrière. La consécration théorique de la trahison de la lutte de classes après juin 40 est l'acte le plus grave qu'ait pu commettre la direction du POI. Les militants de la IVème qui ne le comprendraient pas se prépareraient des lendemains pires que ceux de juin 40.


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