1947

PRIX : 3 francs – 10 JUILLET 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs Renault


La Voix des Travailleurs Renault nº 12

Barta

3 juillet 1947


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POUR FAIRE PAYER LES RICHES, IL FAUT LA DICTATURE DES PAUVRES !

Pourquoi cela va-t-il de mal en pis ! C'est la question que chacun se pose et à laquelle on ne trouve pas de réponse satisfaisante chez ceux qui prétendent diriger nos destinées.

Les "adversaires" du gouvernement ont la partie belle.

Pour le P.C.F., tout le mal vient du glissement à droite, depuis que lui-même n'est plus au pouvoir. "La preuve qu'il y a glissement à droite ? Mais, depuis que nous sommes dans l'opposition, nous dénonçons vigoureusement comme une tromperie la baisse des prix de Blum, nous condamnons les mesures financières de Schuman, nous sommes contre les crédits militaires, nous sommes pour faire payer les riches. Si on revenait au pouvoir..."

Incontestablement, le gouvernement est bien à droite par rapport à cette... démagogie. Car rien de ce que fait le gouvernement actuellement ne s'écarte d'un millimètre de la politique pratiquée par tous les gouvernements précédents, auxquels le P.C.F. avait participé

Pour De Gaulle, c'est le salut public qui est à l'ordre du jour. Tout le mal vient des partis. Il faut les supprimer ; pour cela, il a construit le sien propre : le R.P.F.

Comment le "salut public" entend-il résoudre le problème économique ? Tout simplement par l'entente et l'arbitrage entre employeurs et employés ! Voilà comment notre pain deviendra blanc. Avec cela, on comprend qu'après avoir trouvé une solution aussi brillante, De Gaulle se soit dispensé de s'élever contre le plan Schuman et d'appuyer les revendications actuelles des ouvriers.

Le paternalisme d'un petit patron de province n'aurait pas trouvé mieux. Mais la pauvreté de ses idées vient de ce que De Gaulle doit tenir cachées ses véritables idées, sa "grande idée" : derrière le paternalisme de salut public, il y a, en réalité, les complots et les coups de main fascistes contre les ouvriers. Il ne s'agit pas, pour De Gaulle, d'améliorer la situation économique des travailleurs, mais de les empêcher de réclamer contre cette situation.

Les soutiens du gouvernement, eux, essaient d'accréditer l'idée que ce qu'il manque au gouvernement, c'est de définir sa politique économique ! Chose qui n'est pas difficile, mais qui n'a pu être réalisée "en raison même du grand nombre de plans économiques mis en avant" ! Et si l'abondance d'idées laisse le gouvernement aussi perplexe que le ferait la pénurie totale, on peut être sûr que, dans tous ces plans gouvernementaux, il s'agit simplement de trouver la meilleure manière de tondre les moutons --pardon ! les contribuables.

Car c'est ce qui explique à la fois l'abondance et l'inutilité des plans : tondu et retondu, le mouton n'a plus de laine. Quelle politique définir encore après le vote des lois Schuman ? Il faudrait laisser aux contribuables le temps de se refaire une fourrure... Mais un semblable plan n'a jamais vu le jour parmi les membres d'un gouvernement capitaliste !

Si le vote de la Constitution ne nous a pas sortis du provisoire politique, la politique économique est toujours celle du temps du provisoire. L'explication en est simple : au chaos économique permanent, résultat de l'exploitation des pauvres par les riches, de la mainmise des deux cents familles sur l'économie, correspond le chaos politique nécessité par les besoins gouvernementaux de la classe au pouvoir.

La difficulté ne consiste pas à trouver un plan de relèvement. Celui-ci est connu et reconnu de tout le monde : il faut produire des biens de consommation et non pas des biens de destruction ; il faut détruire le parasitisme militaire et civil, réduire la marge scandaleuse des profits capitalistes...

Techniquement, ce n'est pas non plus très difficile. Les savants, les techniciens et les experts aimeraient davantage se consacrer à sauver l'humanité qu'à la mener à sa destruction.

Mais la classe au pouvoir ne peut pas s'engager dans cette voie sans commettre le suicide de sa situation dirigeante. Pour sauver sa domination de classe condamnée par l'histoire, et ses privilèges économiques, elle est prête à toutes les aventures : "Périsse le monde plutôt que de le laisser vivre sans nous !"

Seule la classe opposée - la classe ouvrière - dont les intérêts économiques, matériels, se confondent avec les intérêts de l'écrasante majorité de la population, et avec les intérêts culturels et l'avenir de la société, peut reconstruire celle-ci sur de nouvelles bases et permettre le relèvement de l'économie.


Cependant, même pour un simple rajustement des salaires, les ouvriers doivent lutter, c'est-à-dire opposer leur volonté à la volonté du patron. Pour arriver à imposer une politique économique favorable à tous, il faut que la classe ouvrière, par-dessus les intérêts des corporations, s'élève à une conscience de classe et arrive à agir, en face du patronat et du gouvernement capitaliste, comme une force unie capable non seulement d'opposer un obstacle à la politique réactionnaire et anti-populaire du gouvernement, mais aussi d'imposer sa propre volonté et ses solutions à elle.

La tâche de la classe ouvrière, ce n'est pas de remettre ses destinées à d'autres qu'à elle-même, de fonder des espoirs insensés en des sauveurs, mais de vaincre la résistance des capitalistes. Tant qu'elle ne s'engagera pas dans cette voie, il n'y aura d'autres "plans" que ceux des gouvernements capitalistes contre le peuple.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


LA GREVE "D'AVERTISSEMENT" DE LA METALLURGIE
MANIFESTATION SANS LENDEMAIN

La décision du Comité national de la Fédération des métaux C.G.T. d'une grève d'avertissement de vingt-quatre heures a été accueillie, comme s'exprime le tract du Syndicat démocratique Renault, "avec surprise et mécontentement". Les ouvriers ont été, en général, là où le tract a été répandu, d'accord avec les arguments et la position du S.D.R. (chez Renault, L.M.T., Citroën-Javel, etc.).

"...Les dirigeants cégétistes, disait le tract, qui avaient saboté notre grève en l'isolant à coups de poing, ne nous ont appelés à nous joindre ni aux cheminots ni aux mineurs... S'il suffisait d'une grève générale d'avertissement pour arracher nos revendications, pourquoi les ouvriers de chez Citroën, après des semaines de grève perlée, font-ils aujourd'hui la grève totale sans limitation préalable ? La classe ouvrière à dépensé plus de peine et d'efforts dans des mouvements fractionnés qu'elle aurait dû en dépenser dans un mouvement général."

Ambroise Croizat, secrétaire de la Fédération des métaux, avait fait adopter le mot d'ordre de la grève d'avertissement, sous prétexte qu'"un recours trop fréquent à la grève risquerait d'émousser l'arme principale des ouvriers". En réalité, comme l'a démontré le tract du S.D.R., une grève "d'avertissement", alors que la classe ouvrière se trouve depuis deux mois (depuis la grève Renault) en lutte ouverte contre le patronat, n'est plus un moyen de lutte contre celui-ci, mais un moyen de tromper et de donner le change aux ouvriers, d'émousser leur esprit combatif par des manifestations sans lendemain.

Il n'est pas étonnant que, dans ces conditions, les ouvriers n'aient éprouvé aucun désir de suivre le mot d'ordre de la C.G.T.

Dans les départements 6 et 18 de notre usine, le travail a eu lieu normalement, non suivant la demande des dirigeants du S.D.R., mais suivant la volonté des ouvriers. Le S.D.R. comprend sa tâche comme étant la mise en pratique de la volonté des ouvriers ; les ouvriers ayant voulu travailler, ils ont été en mesure de le faire sous la protection de leurs délégués.

Dans d'autres départements, malgré la volonté des ouvriers de ne pas participer à cette manifestation sans lendemain, le manque d'organisation les a cependant contraints à rentrer chez eux. Par-ci par-là, des îlots ont travaillé comme à l'habitude. Mais, pour la majorité, le mot d'ordre de la C.G.T. : rester au pied des machines en faisant grève, n'a pas été suivi, les ouvriers ayant ainsi prouvé qu'ils n'ont pas eu confiance dans ce mot d'ordre.

Il est certain qu'un beaucoup plus grand nombre d'ouvriers, dans toute l'usine, seraient venus travailler comme d'habitude mardi, si la C.G.T. n'avait pas annoncé lundi, que la cantine serait supprimée le lendemain.

Au L.M.T., la plupart des travailleurs voulaient venir travailler, mais la section syndicale a eu soin de parler, la veille, de "cassage de gueule", et l'on sait que c'est là la seule tâche devant laquelle elle ne recule pas.

Après cette manifestation de vingt-quatre heures sans lendemain, les ouvriers de la métallurgie ne sont pas plus avancés qu'avant le mouvement. Par conséquent, la seule voie qui reste, c'est la proposition de la C.E. du S.D.R. : la grève générale illimitée jusqu'à l'obtention de nos revendications : un salaire minimum vital calculé sur l'indice des prix (c'est-à-dire garanti par l'échelle mobile) ; le contrôle ouvrier sur les livres de comptes des capitalistes.


FAUT-IL SE SYNDIQUER ?

par Pierre BOIS

Les camarades qui ont créé le S.D.R. l'ont créé pour faire renaître la vie syndicale, que les bureaucrates cégétistes avaient tuée par leur politique antidémocratique.

Parmi les nombreux ouvriers que les bureaucrates avaient éloignés du syndicat, beaucoup s'étaient dit : "On a compris qu'avec la C.G.T. ce n'est pas la peine d'être syndiqués et de payer des cotisations". Lorsqu'on leur a appris qu'un nouveau syndicat se constituait, ils ont répondu : "Ce n'est pas la peine d'avoir quitté un syndicat pour rentrer dans un autre".

Mais, pour se défendre contre le patronat, les ouvriers ont besoin de se concerter, de discuter de leurs affaires et de décider entre eux de l'action à mener. Sinon, ils sont à la merci du patronat et de son Etat. Les ouvriers ont besoin d'être organisés ; c'est pourquoi ils ont besoin d'un syndicat. C'est toujours dans les périodes où les syndicats ont été inexistants que les ouvriers ont été le plus exploités. Et si depuis trois ans leur situation empire chaque jour, c'est qu'en fait il n'y a pas de syndicats. Il y a une bureaucratie syndicale qui manoeuvre entre les partis politiques et le gouvernement, mais il n'y a pas de vie syndicale où l'ensemble des ouvriers discute et décide des problèmes qui les intéressent.

Les ouvriers qui ont adopté la position attentiste croient, en réalité, que les tâches syndicales se bornent à payer les cotisations à des gens chargés de les défendre. Dans ces conditions, ayant fait l'expérience de gens qui les ont mal défendus, ils se disent : "Avant de verser de nouvelles cotisations, attendons d'abord de voir ce que feront les nouveaux !"

Mais, tout d'abord, les cotisations ne doivent nullement être envisagées comme destinées à payer des avocats pour plaider auprès des patrons. Elles sont destinées à louer des locaux où des ouvriers puissent se réunir, à acheter des livres et des brochures pour s'instruire, à éditer des journaux et des tracts pour que tous puissent être au courant de l'activité collective et même individuelle des syndiqués. Elles sont destinées avant tout aux fonds de grève, pour soutenir les travailleurs en lutte. Si les cotisations doivent également servir à payer des responsables syndiqués, ce n'est pas pour en faire des avocats, mais des délégués sous le contrôle des ouvriers, ayant un salaire égal au leur.

Etre syndiqué, c'est s'intéresser à ses propres affaires, c'est participer régulièrement aux réunions, c'est apprendre à se défendre et à se battre collectivement.

Si l'ancien syndicat a mal fini, c'est que les ouvriers se sont contentés de payer des cotisations sans prendre eux-mêmes en main la défense de leurs propres intérêts. Ne luttant pas, ils ne pouvaient pas non plus exercer un contrôle sur les dirigeants syndicaux. Les dirigeants, non contrôlés et non soumis à la volonté des ouvriers, ont fini par s'élever au-dessus d'eux et par les trahir.

Cependant, notre grève a montré que l'intervention active des ouvriers les plus avancés peut vaincre l'appareil bureaucratique. C'est pourquoi le Syndicat démocratique Renault veut grouper les ouvriers les plus actifs --et nous aurons ainsi un autre genre de syndicat que celui de la C.G.T. "Actifs", cela ne veut pas dire que tous les membres du syndicat, du militant du rang au responsable permanent, ont les mêmes tâches, les mêmes obligations. On demande plus à un responsable qu'à un simple syndiqué. Mais, sur tout l'échelle, chaque ouvrier doit faire quelque chose. Et l'une des premières activités est aussi le contrôle sur les dirigeants (comment ils remplissent leur tâche, s'il faut les remplacer, etc.).

Il ne s'agit donc pas du tout, en payant un timbre, d'accorder une fois pour toutes, sa confiance à une organisation. Ce qu'il faut, c'est grouper les ouvriers qui veulent lutter pour défendre leur niveau de vie. Cette lutte concerne chacun d'entre nous. Nous ne disons donc pas : "C'est à nous que vous devez faire confiance", mais nous vous disons qu'il faut lutter et suivre ceux qui luttent le mieux pour la classe ouvrière.

Notre S.D.R. est sorti de la grève, et c'est dans la grève qu'il a fait ses preuves. Si les ouvriers pensent que nous leur avons été fidèles, que nous avons tenu tête à nos ennemis, que nous avons fait tout notre possible pour les éclairer et leur dire la vérité (notre matériel le prouve), leur méfiance n'est qu'un prétexte pour rester dans l'expectative ; et cela est un danger ; car ne rien faire, c'est faire le jeu des bureaucrates qui se maintiennent à leurs places grâce à la passivité des ouvriers. Les dernières élections de délégués l'ont prouvé : parce que notre syndicat n'est pas encore assez fort et que, par conséquent, notre travail et notre propagande ne touchent pas toute l'usine, les ouvriers ont été amenés, malgré leur antipathie pour des délégués qui se sont comportés en garde- chiourme, à faire passer, bien que de justesse, la liste cégétiste.

La création du Syndicat démocratique Renault par les camarades qui ont pris l'initiative de la grève donne aux ouvriers une arme de combat contre le patronat et contre la trahison des anciens dirigeants. Les ouvriers qui restent dans l'attentisme vis-à-vis du nouveau syndicat s'affaiblissent eux-mêmes. Mais, quelle que soit leur attitude présente, l'expérience leur montrera qu'il n'y a pas d'autre voie que celle que nous leur proposons. De même que, pendant trois ans, on a essayé de les détourner de la lutte ("Produire", etc.) et qu'ils ont dû finalement avoir recours à la grève, à l'arme de combat que nous préconisions.


VIGILANCE :

le patronat développe son offensive contre le droit de grève !

M. Boulanger, patron de combat du trust Citroën-Michelin, vient d'intenter contre les délégués syndicaux une action en justice pour "occupation illégale des lieux".

Si, dans la forme, M. Boulanger en veut aux délégués syndicaux, en réalité, ce sont les ouvriers qu'il veut atteindre ; car ce ne sont pas les quelques responsables, qui ont du reste tout fait pour éviter la grève, qui occupent les lieux mais bien les ouvriers qui défendent, par l'occupation des locaux, leur mouvement contre l'intrusion de jaunes, l'intervention de la police, etc.

Ce sont les ouvriers que M. Boulanger veut frapper. Et, pour cela, il a recours à la loi pour protéger son usine contre l'occupation par les ouvriers. Selon cette loi, les 20.000 ouvriers qui défendent la vie de leurs familles contre la rapacité de leur exploiteur commettent un délit en occupant l'usine sans travailler ; et la loi, c'est-à-dire les juges bourgeois, à moins qu'ils n'aient peur de la riposte ouvrière, peut les condamner et mettre ses gendarmes à la disposition de M. Boulanger.

M. Boulanger veut que "ses" ouvriers travaillent, même avec des salaires de famine. Mais, si demain les intérêts capitalistes de M. Boulanger lui dictent de mettre au chômage les ouvriers, personne ne l'empêchera de fermer son usine comme il fermerait sa tabatière et de jeter les ouvriers sur le pavé. L'usine dont M. Boulanger dispose ainsi à sa guise est le fruit du travail de générations d'ouvriers qui l'ont bâtie, qui ont créé les machines, en y laissant tous les jours leur sueur et leur sang.

Mais, contre l'arbitraire du patron, ils ne peuvent pas, eux, recourir à la loi pour faire marcher l'usine. Ils n'ont que le droit de mourir, eux et leurs familles. La loi des patrons reconnaît ainsi à un seul individu plus de droits qu'à 60.000.

Mais le recours en justice de M. Boulanger est une atteinte à un droit reconnu aux ouvriers : le droit de grève. Depuis les mouvements grévistes, qui ont débuté par celui de Renault, et l'échec des tentatives gouvernementales de réquisition, M. Boulanger est le premier patron qui ose en appeler contre ce droit.

Il rejoint ainsi l'offensive menée au parlement pour les lois antigrèves et donne le signal d'une lutte du patronat visant à réduire à néant les droits des ouvriers. Car, si la loi bourgeoise arrive à porter atteinte au mode de déclenchement et de conduite de la grève, elle aura porté atteinte au droit de grève lui-même.

Aux Etats-Unis, une semblable politique de la part de la bourgeoisie a suscité de grandes grèves de protestation tandis que les organisations ouvrières avancées préconisent un mouvement de grève générale.

Le seul moyen de défense qu'ont les ouvriers contre la rapacité patronale, c'est le droit de grève.

Si M. Boulanger obtenait gain de cause aujourd'hui, cela voudrait dire que, demain, Lefaucheux et tous les patrons invoqueraient les uns après les autres la loi et les gendarmes pour bâillonner les ouvriers. Aussi les ouvriers doivent-ils être vigilants et suivre l'affaire de près, pour pouvoir manifester par une action de classe solidaire contre toute sentence antiouvrière.


QUE SIGNIFIE L'ECHELLE MOBILE DES SALAIRES ?

Les lois Schuman, qui vont à bref délai anéantir les quelques augmentations de salaire arrachées par les dernières grèves, nous permettent de comprendre aujourd'hui pourquoi le comité de grève Renault avait lié à la revendication des 10 fr. sur le taux de base celle de l'échelle mobile des salaires.

Depuis des mois, les ouvriers ne luttent plus pour accroître leur bien-être, mais pour empêcher leur pouvoir d'achat de diminuer continuellement. En effet, le salaire qui leur est reconnu en échange de leur travail perd chaque jour de sa valeur, bien que leurs efforts et la quantité de produits qui sort de leurs mains augmentent.

Cette perte de valeur quotidienne est due à l'inflation, c'est-à-dire à l'émission par le gouvernement de billets sans valeur, qui oblige les ouvriers à revendiquer toujours de nouveau des augmentations de salaire. Mais, jusqu'à maintenant, le patronat, prenant prétexte de ces augmentations, a repris par la hausse des prix plus qu'il n'a été obligé de lâcher. Au bout de leurs efforts, les ouvriers se retrouvent aussi pauvres, sinon plus pauvres qu'auparavant. C'est ainsi que l'expérience a largement démontré aux ouvriers qu'il faut imposer au patronat, en même temps que la revalorisation de leurs salaires, des mesures qui la garantisse.

La garantie du salaire minimum vital consisterait en une vérification permanente du salaire, par rapport à l'indice des prix des produits indispensables à l'ouvrier pour qu'il puisse reproduire sa force de travail : pain, viande, vin, textiles, cuirs, logement, etc.

Certaines corporations, comme la Presse, avaient déjà avant la guerre imposé cette mesure au patronat. Sur la base de l'indice mensuel des prix, pour un certain nombre de produits "témoins", le syndicat vérifiait constamment si le salaire correspondait toujours au même pouvoir d'achat.

Voici donc le sens de l'"échelle mobile" : une défense du salaire de l'ouvrier contre la planche à billets de l'Etat-patron, en imposant le droit pour les organisations syndicales de vérifier, tous les quinze jours, à chaque paie, le rapport entre les prix et le salaire et en adaptant celui-ci, chaque fois qu'il est nécessaire, au coût de la vie.

Cette mesure, en elle-même, ne peut empêcher le salaire d'être en retard sur le coût de la vie ; mais, du fait que la vérification se fait tous les quinze jours ou tous les mois, ce retard est beaucoup moins considérable que celui provoqué par un rajustement des salaires intervenant tous les six mois, ou tous les ans, sur la base d'explosions de mécontentement, comme cela s'est produit jusqu'à maintenant, avec de grands dommages pour les travailleurs.

La reconnaissance de l'échelle mobile, c'est-à-dire le droit de vérification constante des salaires par les ouvriers, souderait, en outre, toute la classe ouvrière en un seul bloc qui monterait une garde vigilante et permanente autour des salaires, par-dessus le corporatisme étroit.

L'échelle mobile, en tant que garantie d'un salaire minimum vital, est une mesure indispensable, parce qu'elle assure la défense immédiate de l'ouvrier et empêche son salaire de descendre continuellement.

Mais elle ne peut pas améliorer sa situation. Pour améliorer le niveau de vie, il faut mettre un terme à la vie chère, il faut la baisse des prix. Cependant, dans les conditions actuelles du capitalisme, la baisse des prix, dont le gouvernement n'a fait qu'une tromperie, ne peut être obtenue que par un contrôle ouvrier sur les livres de comptes des capitalistes (dont les spéculations et les immenses profits se traduisent en hausse des prix et diminution de nos salaires). Pour cela, il nous faut un degré de préparation et de combativité bien plus grand que celui qui nous est nécessaire pour assurer la défense de nos salaires, puisqu'il s'agit d'intervenir directement dans un domaine que les patrons gardent jalousement et où réside la source de leur puissance économique. Mais la lutte pour l'échelle mobile est aussi une étape de préparation à la lutte pour le contrôle ouvrier, en ce sens que le succès dans la lutte pour ce premier objectif nous rendra aptes à réaliser le deuxième.

F. DURIEUX


LA SOLIDARITE OUVRIERE

Une liste de souscriptions pour les grévistes de chez Citroën, qui a circulé dans notre usine, a rencontré un accueil très froid dans certains départements. Les ouvriers reprochent aux ouvriers de chez Citroën de les avoir reçus à coups de poing quand ils sont allés faire appel à eux lors de notre grève.

Mais ce ne sont pas les ouvriers de chez Citroën qui nous ont réservé cet accueil.

Quel intérêt auraient-ils eu à le faire, eux qui mènent la lutte pour les mêmes revendications que nous et suivaient, au contraire, notre mouvement avec beaucoup de sympathie ?

Ceux qui nous ont reçu en leur nom, ce sont les mêmes responsables cégétistes qui ont saboté notre mouvement et le leur. Allons-nous faire leur jeu en les mettant dans le même sac que les ouvriers du rang et en entretenant la division au sein de la classe ouvrière ? Des ouvriers de chez Citroën ont compris ce danger et ont fait circuler dans leur usine, le vendredi 27, un tract demandant à leurs camarades d'aller trouver eux-mêmes les ouvriers de chez Renault, "comme ceux-ci sont venus les trouver au moment de leur mouvement...

"Il faut que, malgré les saboteurs, les ouvriers entrent en contact eux-mêmes les uns avec les autres, d'usine à usine, afin de refaire cette unité à laquelle aspirent tous les ouvriers et qui est nécessaire à notre victoire.

"Vive la solidarité ouvrière !

"Pour notre salaire minimum vital, calculé sur l'indice des prix !"

En effet, les ouvriers des deux grandes usines peuvent unir leur commune expérience de lutte, par-dessus la tête des bureaucrates. Cette union créera une force décuplée à opposer au patronat et sera le gage de la grande solidarité de toute la classe ouvrière.


DANS L'USINE...


AUGMENTATION DE LA CANTINE

Les vacances approchent et l'ensemble des ouvriers ne sont guère disposés à entrer en bagarre quelques jours avant cette période où ils pourront goûter un peu de repos. La direction connaît cet état d'esprit et en profite pour imposer une augmentation du prix de la cantine.

Désormais le vin et un plat de légumes seront supprimés. Les ouvriers pourront consommer le plat de légumes en payant 6 francs supplémentaires, de la bière, en la payant 5 francs et du vin en le payant 10 francs. Pour le même repas qui nous est fourni aujourd'hui, il nous faudra payer 16 francs supplémentaires, soit en tout 41 francs. Comme la direction donne une subvention de 20 francs par repas, cela mettra le prix du repas à 61 francs.

Qu'est-ce qui justifie cette augmentation de la cantine ? Absolument rien. Les prix des denrées qui sont servies à la cantine n'ont pas augmenté. De plus, elle devient de plus en plus mauvaise.

La direction prétend qu'avec 45 francs on ne peut pas servir un repas actuellement. Ceci est plus que contestable. Nos salaires ne nous permettent pas de vivre et la cantine est un appoint indispensable à la paye de l'ouvrier. Augmenter la cantine signifie diminuer le salaire de 2 francs par heure.

Et puis nous ne voulons pas entrer dans le détail des difficultés financières de la Régie. Car nous avons les nôtres beaucoup plus dures à surmonter. Les ouvriers n'ont jamais demandé l'aumône des soupes populaires que sont les cantines. Ils revendiquent un salaire vital. Que la direction leur donne un salaire basé sur l'indice des prix de 1938 et ils se débrouilleront pour manger au restaurant ou apporter leur gamelle. Mais si le patronat se refuse à nous payer décemment, nous ne voulons pas non plus admettre qu'on augmente le prix de la cantine.

C'est pourquoi nous engagerons la lutte contre l'augmentation de la cantine. Dès que l'augmentation entrera en vigueur, nous prendrons notre repas comme à l'habitude et nous refuserons catégoriquement de payer les suppléments.


Le journal L'Acier ayant consacré un article à me calomnier, m'appelant "l'agent de Lehideux", j'invite mes détracteurs à fournir des preuves dans un délai de huit jours. Si j'ai fait partie du Conseil municipal de Malakoff, le Comité de libération local n'ayant rien à me reprocher, je considère toutes les accusations portées contre moi pour ce qu'elles sont : des calomnies.

MONNIER


LES OUVRIERS NE SONT PAS DES MACHINES

Au Département 6, Atelier 31, les chronos sont venus avant la grève "réviser" les temps trop courts, afin de pouvoir supprimer les suppléments accordés par bons chamois. Après leur descente, les temps ont été changés, mais tous sont insuffisants et les contremaîtres sont encore obligés d'accorder des suppléments.

Au 31, sur un temps relativement court, le chronométreur est venu faire une "démonstration". Tandis qu'il avait troqué sa blouse blanche contre une cote bleue, un autre chronométreur prenait le temps.

Le "démonstrateur" se mit à travailler comme un sauvage, écoeurant à la fois les ouvriers et la maîtrise. Toute la chaîne cessa le travail et vint prier le zélé "démonstrateur" de bien vouloir quitter les lieux.

Après une discussion des ouvriers avec le chef de département et le chef chrono, qui dura près de deux heures, les chronos durent s'en aller. Nous ne voulons plus voir les chronos ; chaque fois qu'ils viennent c'est pour nous rouler. D'ailleurs nous sommes contre le travail au rendement. Quand on "révise" les temps, c'est toujours à l'avantage du patron.

Comme disait un ouvrier : "Nous sommes des ouvriers sur machines et non des machines sur machines ; nous voulons bien travailler, mais non pas être des esclaves." Encore faut-il dire, que la machine est entretenue pour durer le plus longtemps possible, tandis que l'ouvrier, on l'use au maximum, puisqu'il ne coûte rien de le remplacer.

Un autre ajoutait : "Nous sommes des hommes libres ; chronométrer le moindre de nos gestes est une atteinte à la liberté."

A l'objection du chef de département qui disait qu'il n'était pas nécessaire d'arrêter tous les ouvriers pour régler cette affaire, un ouvrier répondit : "Nous sommes des ouvriers solidaires les uns des autres, les difficultés des copains nous intéressent tous. C'est notre droit de discuter collectivement les problèmes qui nous intéressent."

Au département 49 également, à la suite d'une descente de chronos, les ouvriers ont décidé de refaire eux-mêmes leurs chronométrages.

C'est en réagissant de cette façon, dans chaque question journalière, que nous apprendrons à faire respecter notre dignité d'homme.

Jean BOIS


"IL FAUT SAVOIR FINIR UNE GREVE"

L'Humanité du 1er juillet publie l'appel lancé aux mineurs du Pas-de-Calais par Auguste Lecoeur, président cégétiste du syndicat.

Appelant les ouvriers à reprendre le travail, il leur dit : "Il faut savoir terminer une grève lorsque les revendications essentielles sont obtenues".

Or, sur les 60 francs de prime par jour que demandait la Fédération, la prime accordée n'est que de 35 francs, plus une prime supplémentaire variant avec l'augmentation du rendement individuel.

"Nous savons que de sérieuses raisons de mécontentement existent encore... La qualité du pain et les charges nouvelles récemment votées", dit encore l'appel cégétiste.

Mais, pour le pain, nous avons obtenu la promesse (?) qu'il s'améliorera, et "en ce qui concerne les mesures financières, notre organisation syndicale, avec la C.G.T., les a fermement condamnées". (Aux dernières nouvelles, le condamné se porte très bien, malgré la "condamnation").

Les ouvriers de notre usine aussi avaient obtenu la promesse des 10 francs quand les dirigeants cégétistes leur ont fait cesser la grève sur la base de l'aumône de 3 francs. Les cheminots aussi avaient obtenu la promesse que les prix des chemins de fer ne seraient pas augmentés.

Mais, une fois que les ouvriers ne sont plus en lutte, rien n'oblige le patron et le gouvernement à tenir leurs promesses. Les ouvriers peuvent maintenant comprendre pourquoi les conquêtes de 1936 ont été aussitôt perdues : le "Il faut savoir finir une grève" de Thorez, lancé aux ouvriers avant qu'ils n'aient obtenu des garanties contre la patronat, a laissé celui-ci le maître de la situation.


RESULTATS DES ELECTIONS DE DELEGUES

Nous publions une seconde fois le tableau des résultats des élections des délégués chez Renault, par suite d'une faute d'impression qui avait changé l'ordre des chiffres de la première colonne (Toute l'usine) et donné de faux résultats dans le n° 11.

Pourquoi comptons-nous les abstentions à l'actif du S.D.R. ? Parce que le S.D.R. avait préconisé l'abstention ou le vote blanc, au choix du votant.

Aux départements 6 et 18, par exemple, où nous sommes en majorité écrasante, les ouvriers se sont abstenus. Dans les autres départements, les chiffres reproduisent, à quelques voix près, le rapport de forces qui s'est manifesté au moment du vote pour la reprise du travail, après notre grève.

 

Toute l'usine

 88 

 6 

 18 

 inscrits 

 21.484 

 348 

 794 

 187 

 C.G.T. 

 12.683 

 157 

 168 

 34 

 C.F.T.C. 

 2.116 

 21 

 10 

 1 

 S.D.R. (abstentions, votes blancs ou nuls) 

 6.696 

 170 

 616 

 152 

 

Cadres et techniciens 

Inscrits 

4.667 

Abstentions

920

Blancs 

435

Total

1.355 

C.G.T.

1.490

C.F.T.C.

667 

C.G.C.

1.155 

Aucune liste n'ayant obtenu la majorité, il sera procédé à un nouveau vote.

 
 

Pour le n° 10, la vente a rapporté 6.000 frs. (soit 2.000 numéros vendus). Or, juste les frais d'impression, sans compter ceux de transport, de déplacements, etc., se sont élevés à 7.200 frs. C'est-à-dire qu'il faut compter, en moyenne, pour chaque numéro, un déficit de 1.500 fr. Jusqu'alors ce déficit a été comblé grâce aux premières souscriptions qui s'élevaient à 14.000 frs. Cette somme étant épuisée, nous devons faire appel provisoirement à de nouvelles souscriptions. 

 
 
 

Abonnements
Trois mois........................... 40 frs. 
Six mois.............................. 80 frs. 
Abonnement de soutien .....150 frs.    Adresser les abonnements par mandats à Jean Bois, 65, rue Carnot, Suresnes (Seine). 

 

Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le Terminus» 
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres


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