1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

XIV.  La discipline du travail des ouvriers et des petits paysans

Ce serait certainement beau d’organiser la production de façon qu'on puisse vivre sans maître, d'après les principes coopératifs. Il y a cependant une différence entre la théorie et la pratique. Les difficultés surgissent en masse.

Nous avons d’abord l'héritage de la guerre pénible et malheureuse, qui a fini par ruiner le pays. La classe ouvrière doit payer maintenant les verres que Nicolas Romanoff et ses serviteurs — les Stürmer, les Suchomlinoff, les Protopopoff — ont cassés et que plus tard les Gutschkoff et Rodsjanko et leurs serviteurs — Kerensky, Tseretelli, Dan et le reste de cette société de traîtres — ont encore émiettés. Ensuite, la classe ouvrière doit organiser la production et parer les coups de ses pires ennemis : les uns qui, de l'extérieur, veulent envahir, en grinçant de leurs dents d’anthropophages, les autres qui, de l’intérieur, s’efforcent de faire sauter le pouvoir des ouvriers. Dans de telles conditions, la classe ouvrière, pour triompher, pour triompher une fois pour toutes, doit aussi vaincre sa propre mollesse. En organisant l'armée du travail, on doit aussi créer une discipline révolutionnaire du travail pour cette armée. Il y a encore des classes d'ouvriers qui, semble-t-il, ne croient pas qu'ils soient devenus eux-mêmes les maîtres de la vie. Car la caisse d’État est maintenant la caisse des ouvriers et paysans ; les fabriques sont les fabriques du peuple, le sol est le sol du peuple, les forêts, les machines, les mines, les maisons, tout cela passe maintenant dans les mains du peuple travailleur. L’administration de tout cela est maintenant une administration ouvrière. L’ouvrier et le paysan ne doivent plus se comporter à l’égard de tels biens comme autrefois : alors ils appartenaient aux maîtres, maintenant ils sont à tout le peuple.

Le maître extorquait à l’ouvrier tout ce qu’il pouvait. Le seigneur foncier écorchait les petits paysans et les domestiques. Les ouvriers et les domestiques avaient alors raison de ne pas se croire obligés de bien travailler pour leurs maîtres, et de fortifier par leur travail la violence et le pouvoir de leurs bourreaux. C’est pourquoi il ne pouvait être question de discipline ouvrière quand, sur la nuque de l’ouvrier, claquait le fouet du capitaliste, et quand, sur la nuque du paysan et du domestique, sifflait le knout du propriétaire foncier. La chose est maintenant tout à fait différente. Ces fouets sont anéantis. Le peuple ouvrier travaille pour lui, il ne produit pas d'argent pour les capitalistes, il exécute l’œuvre de tout le peuple. l'œuvre du peuple travailleur qui était auparavant esclave.

Néanmoins, nous le répétons, il y a encore des ouvriers inconscients qui, semble-t-il, ne voient pas tout cela. Pourquoi ? Parce qu'ils ont été trop longtemps esclaves ; continuellement naissent dans leur esprit des pensées d'esclaves et de valets. Ils pensent, au plus profond du cœur, qu'on ne peut, en fin de compte, pas réussir sans Dieu et sans bistros. Et ils exploitent la Révolution pour s’efforcer de fourrer le plus possible dans leurs poches, et de s'en aller oisifs quand c’est possible. — Au travail, ils ne pensent jamais à leurs devoirs, ils ne pensent pas que la négligence et l'escroquerie sont maintenant un crime contre la classe ouvrière elle-même. Car on ne travaille plus maintenant pour les riches : le travail profite aux ouvriers, aux pauvres gens qui sont maintenant au gouvernail social. On ne dupe pas maintenant les directeurs et les banquiers, mais les membres des administrations ouvrières, les associations de travailleurs, les conseils ouvriers et paysans. Lorsqu’ils travaillent négligemment avec les machines, quand ils brisent les instruments et s'efforcent de ne rien faire pendant les heures ordinaires pour faire traîner le travail jusqu'aux heures supplémentaires, afin de gagner le double, ces ouvriers ne trompent pas les exploiteurs, ils ne font pas de tort aux capitalistes, mais à l'ensemble de la classe ouvrière. Il en est de même pour le sol Celui qui pille l’inventaire que les paysans et les domestiques ont dressé, vole la société et non le propriétaire foncier qu'on a chassé depuis longtemps, Celui qui abat du bois, malgré l'interdiction des organisations de paysans, le vole aux pauvres. Celui qui, au lieu de travailler la terre qui a été prise aux propriétaires fonciers, s’occupe de spéculation sur les blés ou distille de l'eau-de-vie, est un filou et un criminel à l’égard des ouvriers et des paysans.

Il est bien clair pour chacun, que les ouvriers doivent s’organiser eux-mêmes et créer leur propre règlement de travail, afin d'organiser la production. Dans les fabriques et les usines, les ouvriers eux-mêmes doivent veiller à ce que chaque camarade travaille autant qu’il peut. Les syndicats ouvriers, les conseils ouvriers dirigent la production. Ils peuvent, quand c'est possible, diminuer la journée de travail et nous nous efforçons de réaliser une organisation de la production telle que la tâche de chaque groupe ne comporte pas 8 heures, mais six heures de travail. Mais les organisations ouvrières, et avec elles le gouvernement ouvrier et la classe ouvrière entière, peuvent et doivent exiger de leurs membres l'attitude la plus prudente à l'égard des biens du peuple et l’attitude la plus consciencieuse au travail. Les organisations ouvrières, les syndicats surtout, fixent elles-mêmes la norme de la production, c’est-à-dire la quantité de marchandise que chacun est tenu de produire au cours do la journée de travail. Celui qui ne produit pas cette quantité (il n'est naturellement pas question ici de maladie ou de faiblesse anormale) sabote, brise le travail d’introduction du nouveau régime socialiste libre, et empêche la classe ouvrière de suivre la voie du communisme intégral.

La production est une énorme machine dont toutes les parties s'adaptent les unes aux autres, se complètent et doivent marcher de pair. Un mauvais instrument dans la main d’un ouvrier capable est un non-sens, un bon instrument dans la main d'un mauvais ouvrier est aussi un non-sens. Il est nécessaire que l'instrument soit convenable et que l'ouvrier soit aussi habile. C'est pourquoi nous devons organiser de toutes nos forces la livraison de combustible et de matières premières, mettre en ordre les moyens de transports, répartir équitablement le combustible et les matières premières, mais, d'un autre côté, prendre toutes les mesures pour inculquer aux masses ouvrières la discipline volontaire, la persévérance et la conscience.

C'est plus difficile à réaliser en Russie que dans n’importe quel autre pays. La classe ouvrière (et encore moins les petits paysans) n'a pas passé par cette école d'organisation que les ouvriers d’Europe occidentale et d'Amérique ont connue pendant de longues années. Il y a chez nous beaucoup d'ouvriers qui ne sont pas ouvriers depuis longtemps, qui commencent à s'habituer au travail collectif, qui commencent à se déshabituer de cette pensée : « que nous importe cela ». De tels gens sont toujours désunis. Plus il y a de ces gens qui ont à l'esprit cette idée . « Devenir maître soi-même, épargner de l'argent et ouvrir un magasin » plus il est difficile d’introduire une réelle discipline du travail. Mais d'autant plus grands doivent être les efforts de l'avant-garde de la Révolution, des ouvriers avancés, des organsations ouvrières, pour créer, introduire et assurer une telle discipline.

 

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