1921

Source : Le bulletin communiste, numéro 50 (deuxième année), 10 novembre 1921.


Ni indolence, ni démagogie

Boris Souvarine


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Moscou, octobre.

J'ai reçu communication, il y a quatre mois déjà, d'une résolution qui circula de section en section dans la Fédération Communiste de la Seine. L'Humanité fit, à l'époque, dans un compte rendu de Conseil fédéral, allusion à cette résolution appelée par les uns « motion anonyme », par les autres « motion superbolcheviste ». Elle l'a fait sous une forme que je n'hésite pas à critiquer, — et à condamner, — parce qu'elle ne mettait nullement le lecteur au fait. Il faut croire que cette résolution a empli d'aise les dissidents du Parti Communiste allemand puisque Paul Levi la publie dans le dernier numéro de sa revue Unser Weg et avec une intention qu'il est trop facile de discerner.

Comme c'était mon devoir, j'avais communiqué au nouveau Comité Exécutif de l'Internationale le texte de la résolution, dès que les travaux les plus importants légués par le 3e Congrès à l'Exécutif furent terminés, et qu'il nous fut loisible d'examiner les questions secondaires. J'ai naturellement, comme c'était mon devoir aussi, donné à mes camarades de l'Exécutif mon opinion propre quant à la résolution, à son contenu, à sa portée. Je me proposais d'exprimer aussi cette opinion à l'intention des tenants de la résolution, par suite d'une incurable habitude que j'ai de dire ma pensée très nettement et en face des contradicteurs, soit pour tenter de les convaincre, soit par acquit de conscience, mais toujours pour prêcher d'exemple et contribuer pour ma modeste part à éliminer de notre Parti Communiste jeune et sain les mauvaises pratiques d'hypocrisie en honneur dans le vieux Parti Socialiste pourri. L'excès du travail à assumer à l'Exécutif a seul retardé cet article où j'entends répondre sans hostilité mais sans réticence aux auteurs de la résolution qui nous intéresse ici.

Il faut dire d'abord que cette résolution n'a trouvé personne à l'Exécutif pour la prendre au sérieux, avant même que je l'eusse commentée. Quand j'en remis la texte à Bela Kun, notre « gauchiste » par excellence, celui-ci s'en empara avec un vif intérêt. Mais après lecture, il dut déchanter, et il ne m'en reparla plus. C'est qu'on trouve dans la résolution de telles puérilités et de telles erreurs de fait, d'interprétation et de démonstration que les rares passages méritant de retenir l'attention en sont éclipsés.

La motion débute sur une classification arbitraire artificielle et superficielle du Parti en trois courants. Elle n'en donne ni les caractéristiques, ni les conceptions doctrinales ou tactiques, elle n'en signale pas la moindre manifestation originale à chacun. Elle se contente d'affirmer, sans apporter la moindre justification à ses affirmations. Elle ne trace aucune ligne de démarcation visible à l'œil nu entre ces vagues « courants » que nos inopportunistes n'aperçoivent que très vaguement eux-mêmes. Ceux-ci s'imaginent, par une aberration vraiment enfantine, qu'il est permis à quiconque de baptiser droite, gauche ou centre les différentes parties d'un parti. Ils oublient que les mots ont une signification qu'il n'appartient pas au premier venu de changer. Ils méconnaissent que « gauche » et a droite » ont un contenu dans l'Internationale. J'ai déjà eu l'occasion d'écrire ici que la « gauche », dans notre Internationale, se caractérise par un programme, par des méthodes d'action spécifiques (antiparlementarisme, ou scission dans les vieux syndicats, ou tactique offensive, etc.), dont aucune n'est mise en avant par aucune tendance du Parti français. Attendons que des courants se dessinent et se définissent avant de les enregistrer dans une motion. Il est possible que des tendances diverses existent dans notre Parti ; mais à ce jour, nous ignorons encore lesquelles, et ce qu'elles veulent. Le prochain Congrès national leur donnera l'occasion de se manifester ; à ce moment-là, nous parlerons de courants et, pour la commodité des discussions, nous leur donnerons un nom ; jusque-là, ne codifions pas des incertitudes ou des présomptions.

Après cette présentation trop légère de l'aspect du Parti, qu'elle appelle on ne saurait deviner pourquoi une « critique générale », la motion énumère « un certain nombre de faits indiscutables » pour « corroborer cette critique générale ». J'observe : 1° que les faits indiscutables sont précisément on ne peut plus discutables, à tel point qu'ils ne résistent pas à la discussion ; 2° que ces faits soi-disant indiscutables ne corroborent rien du tout ; 3° que la prétendue critique générale n'en est pas une.

Premier « fait Indiscutable » dont je discute, en citant textuellement :

a) Les postes importants dans l'organisation inférieure et dans la presse du Parti sont pour la plupart occupés par d'anciens reconstructeurs.

Il est vrai que ce fait est réel, mais il n'est pas indiscutable car il ne suffit pas de constater un fait, il faut encore l'analyser et l'interpréter. Que signifie donc ce fait ? Simplement que le Comité de la 3e Internationale n'a pas lutté pour conquérir des places, contrairement à ce que prétendent mensongèrement les gens du Populaire, mais pour transformer le Parti en parti communiste, affilié à la 3e Internationale. En choisissant les hommes de confiance du Parti, et notamment les titulaires des principales rubriques de nos journaux, nous ne nous sommes pas préoccupés de l'ancien classement des membres du Parti, nous n'avons eu en vue que leur aptitude, leur compétence. Nous avons maintenu à leurs postes éminents tous ceux, comme Frossard, Cachin, Renoult, Dunois, Paul Louis1, etc., qui s'étaient ralliés à notre programme, ne leur demandant que de servir fidèlement le communisme. Je persiste à croire que nous avons bien fait. A tout le moins, l'expérience valait d'être tentée. Aucune charge, n'est inamovible dans notre Parti, qui reste toujours libre de destituer et de remplacer ceux dont les mérites ou les services rendus apparaîtront insuffisants. Ce faisant, le Parti n'aura pas à faire intervenir comme élément d'appréciation l'ancien classement de nos militants ; il recherchera les capacités et comme, à l'heure actuelle, il n'aura pas l'embarras du choix, l'esprit de concurrence ne devra pas s'en mêler. Le Comité de la 3e Internationale a placé, à côté des anciens reconstructeurs, un très petit nombre de camarades qui se montraient aptes à rendre des services au Parti, mais il n'a pas cherché à imposer des militants parce que ayant appartenu à son organisation. Nous avons la volonté d'obtenir une fusion intime des anciennes tendances ; ce ne serait pas une bonne méthode pour y parvenir que de juger les hommes d'après leur ancienne position dans le Parti. Si j'ai à critiquer Frossard ou Rappoport, ou tout autre, c'est parce que je considère qu'ils se trompent, et non parce qu'ils ont ou n'ont pas appartenu à un Comité dont j'étais membre moi-même. De même, si un camarade est mécontent du représentant du Parti à l'Exécutif, il doit dire franchement pourquoi, sans se préoccuper du rôle passé de celui-ci.

Deuxième « fait indiscutable », dans la motion inopportuniste ;

b) Les articles publiés par la presse communiste émanent le plus souvent d'anciens reconstructeurs. Certains organes de province comme le Progrès de Loir-et-Cher, sont rédigés en partie double, « sous le contrôle du Parti » (tout court), par le Parti Socialiste (S.F.I.O.) et le Parti Socialiste (S.F.I.C.).

Même argumentation que pour le fait précédent. Qu'importe que la plupart des articles soient signés par d'anciens reconstructeurs, si les articles sont bons, s'ils sont communistes ? Les articles sont-ils communistes ? Toute la question est là, et non pas dans la qualité d'anciens reconstructeurs des signataires. Nous devons critiquer tous les articles qui propagent ou entretiennent des erreurs, ou de la confusion, quels qu'en soient les auteurs. Si Loriot écrivait un article nuisible au Parti ou à l'Internationale, il mériterait la critique ou le blâme, quoique n'étant pas ancien reconstructeur. Je suis de ceux qui désapprouvent beaucoup d'articles publiés dans l'Humanité, mais j'affirme ne pas tenir compte de l'ancienne tendance des rédacteurs. L'ancienne tendance « reconstructrice » doit être évoquée et dénoncée si elle survit comme tendance actuelle.

Quant au fait intolérable signalé à propos du Progrès de Loir-et-Cher, et que je ne suis pas à même de vérifier, il doit provoquer une intervention immédiate et décisive de la Direction du Parti. Voilà pour les promoteurs de la motion une excellente occasion d'intervenir dans l'intérêt du Parti, de se montrer plus actifs, plus vigilants, plus sérieux que les camarades dont ils critiquent avec raison, en cette occurrence, l'indifférence ou l'apathie. Mais est-il besoin de former une « gauche » pour empêcher une Fédération de commettre une faute ? Nullement. Le devoir de tout communiste est de travailler à l'amélioration de son Parti sans pour cela former une tendance spéciale, à moins que ne se produisent des divergences de vues fondamentales. Je n'aperçois pas encore ces divergences fondamentales. Quand elles se produiront, il sera temps de parler de tendances et, à ce moment, j'espère bien ne pas être à droite.

Continuons la discussion des faits indiscutables :

c) Las élections législatives complémentaires qui ont eu lieu depuis le Congrès de Tours (2e secteur de Paris, Oise, Côtes-du-Nord, Haute-Savoie) ont été l'occasion pour les candidats du Parti, non pas d'une opposition intransigeante à tous les partis adverses, mais d'appels réitérés publics en faveur de la conciliation des « gauches » et de l'échec concerté au « Bloc National ».

Cette fois, il y a un fait au moins qui est, non seulement discutable, mais encore inexistant. J'ignore tout des élections de l'Oise, des Côtes-du-Nord et de Haute-Savoie, mais je puis parler de celle du 2e secteur parisien à laquelle j'ai été bien malgré moi mêlé. Il a fallu évidemment que nos inopportunistes soient très démunis d'arguments pour qu'ils recourent à un de ceux qu'affectionnent Le Populaire, si l'on peut appeler argument un mensonge. Il n'a jamais été question, lors de l'élection du 2e secteur parisien, de « conciliation des gauches », ni d'aucune autre « conciliation », pas plus que de ce « Bloc des gauches » qui préoccupe tant les dissidents. Nous ayons mis en avant les thèses les plus caractéristiques du communisme, en particulier la négation de la défense nationale en régime capitaliste ; cela excluait toute « conciliation ». Au deuxième tour de scrutin, après le retrait des candidatures dites « de gauche » défavorisées au premier tour, nous avons exploité la retraite de nos plus proches adversaires en faisant appel aux masses sans nous adresser aux chefs. On cherche en vain, dans tout cela, une « conciliation » ou un « bloc ». A moins de considérer les élections comme un moyen de recensement des communistes adhérant au Parti, recensement inutile puisque c'est au secrétariat du Parti qu'on le fait en tout temps, on est bien obligé de les envisager comme un moyen d'attirer des sympathisants, des hésitants, des mécontents, voire même des citoyens momentanément indignés de certains excès du régime, que l'on s'efforce ensuite de catéchiser plus avant. Si les communistes ne profitaient pas de toutes les circonstances favorables à détacher des masses de leurs chefs pour les entraîner à leur suite, — abus du pouvoir, cherté de la vie, charges fiscales, menaces de guerre, etc. — ils ne formeraient pas le parti d'action et d'agitation du prolétariat, ils ne constitueraient que des cercles d'étude, des foyers intimes de discussion. Il ne faut pas confondre « l'opposition intransigeante à tous les partis adverses » dont parlent nos inopportunistes et à laquelle il n'a pas été dérogé dans le 2e secteur parisien avec une opposition intransigeante aux masses égarées que nous avons précisément pour mission d'attirer vers le communisme en tirant parti de toute occasion propice. Il ne faut donc pas confondre l'appel aux masses « de gauche » avec la « conciliation » ou le « bloc » des « gauches ».

Si les autres exemples invoqués par la motion inopportuniste valent le premier, ils ne valent rien. Il faut souhaiter pour les signataires qu'ils ne se trompent pas à tout propos. Admettons que les autres cas invoqués soient réels. Rapprochés d'autres faits d'une intransigeance inutile et sans portée, ils signifient que le Parti est dépourvu de tactique, qu'il se fie à l'improvisation, à des initiatives locales privées de coordination. C'est un mal qu'il faut combattre, et nos inopportunistes ont eu là de belles occasions de s'employer utilement à l'amélioration des méthodes de lutte de leur parti. Mais ils se sont tus alors qu'ils auraient dû parler et ils parlent après coup comme s'ils avaient le droit d'oublier qu'ils partagent la responsabilité des erreurs qu'ils déplorent. Au lieu de former une tendance sans raison d'être, ils feraient mieux de travailler pour engager le Parti dans une bonne voie.

Suite des « faits indiscutables » :

d) Certains élus ont, au Parlement, une attitude non communiste et ne se différencient en quoi que ce soit des réformistes ou des bourgeois. Le Bulletin Communiste du 9 juin en donne une illustration supérieure.

Cette fois, impossible de contester le fait. Il n'est que trop évident. Mais constater ce fait et critiquer l'attitude de certains élus, cela signifie-t-il être à gauche ? En ce cas, je suis à gauche, et Bela Kun sera tout étonné de voir sa fraction s'enrichir d'un tel « gauchiste ». Plutôt que de récriminer dans une motion maladroite que déconsidèrent des énormités malgré quelques critiques fondées, il faut mettre en discussion dans les sections l'attitude blâmable de ces élus, exiger du Comité Directeur un contrôle sévère, des interventions fréquentes et fermes. Tous tes communistes sérieux seront d'accord là-dessus, et auront à cœur de ne pas laisser aux inopportunistes le monopole de la critique salutaire.

e) La mobilisation de la classe 1919, que la presse, tant communiste que bourgeoise, avait cependant fait prévoir deux mois à l'avance, a pu être opérée par le gouvernement sans rencontrer l'opposition, non point théorique, mais pratique et active, du Parti qui ne fut même pas consulté sur la question par le Comité Directeur.
Devant la carence de celui-ci, les Jeunesses communistes, syndicalistes et anarchistes, qui avaient préalablement, mais en vain, sollicité le concours du Parti, ont, seules, assumé cette tâche désertée par lui et encouru seules la répression de la bourgeoisie. Diverses sections du Parti, pour avoir tenté le même geste, ont été désavouées par le Comité Directeur. La seule conclusion logique que le Comité Directeur ait donnée à cette grave question a consisté à s'opposer, quelques jours après, à l'introduction, dans les statuts du Parti, de la négation de la défense nationale en régime capitaliste, votée par la Fédération de la Seine.

Il faut espérer qu'après les débats du Comité Exécutif de l'Internationale cette question est considérée comme liquidée. On ne remplace pas la lutte des classes par la lutte de la classe 19, ainsi que l'a démontré Trotsky avec force et avec esprit. Le Comité Directeur n'avait pas à consulter le Parti : il avait, comme son nom l'indique, à le diriger. Il ne l'a pas fait. C'est là qu'est son tort, et c'est le seul reproche qu'on doive lui décerner. Le reste n'est que rhétorique creuse. Quelle opposition « non point théorique, mais pratique et active » concevaient nos inopportunistes ? Si c'est l'insoumission des jeunes recrues, l'idée n'est ni pratique, ni efficace : elle est simplement irraisonnée.

Quant à la négation de la défense nationale en régime capitaliste, sa place n'était pas dans des statuts. Si on l'y introduisait, il n'y aurait aucune raison d'omettre la théorie de la valeur, celle de la plus-value, celle de la concentration capitaliste, celle de la paupérisation du prolétariat, la loi d'airain des salaires, et le reste... La carte du Parti se présenterait alors sous l'aspect d'un in-octavo. Là, nos inopportunistes ne sont pas seulement dans l'erreur, ils sont dans le ridicule.

Ce que le Parti aurait dû faire après Tours, c'est dresser un nouveau programme politique du Parti, traitant de la défense nationale comme de toutes les applications de la doctrine communiste aux problèmes actuels. Le Comité Directeur aurait dû se mettre au travail pour préparer un projet à soumettre au Parti. Devant sa carence, l'initiative des sections aurait dû s'exercer. Tous les responsables de cette paresse méritent la critique, jusques et y compris les auteurs de la motion inopportuniste. Ce qui n'a pas été fait hier doit l'être demain : il n'y a pas d'autre façon de réparer la faute.

f) La manière dont a été choisie et mandatée la délégation du Parti au 3e Congrès de l'lntemationale Communiste lui retire tout droit de parler autrement qu'au nom personnel de ses membres. En effet, contrairement aux termes formels de l'invitation rédigée par le Comité Exécutif, l'ordre du jour de ce Congrès n'a été mis en discussion dans aucune assemblée délibérante ou réunion publique du Parti. Le choix qualificatif des délégués n'a fait l'objet d'aucune consultation des sections, qui ont pu légitimement, mais en vain, protester au sujet de certaines désignations. Ce choix confirme d'ailleurs, pour quiconque connaît la qualité de leurs bénéficiaires, la collusion signalée plus haut entre les courants droitiers et centristes du Parti. Les camarades qualifiés pour représenter le courant de gauche ont été tenus à l'écart de la délégation et ne sont donc pas représentés à Moscou.

Ici, nos inopportunistes justifient cette dénomination d'une manière éclatante. Ils manquent, selon une expression populaire savoureuse, une belle occasion de se taire. Mais ils font plus : ils se livrent à une démagogie qui exige la riposte la plus dure. De fait, ils ne peuvent pas méconnaître que la délégation a été choisie secrètement parce qu'il était impossible d'agir autrement. Révéler le nom des délégués, c'eût été les « brûler », mettre les policiers à leurs trousses, renforcer la surveillance aux frontières, augmenter les risques de la route, perdre certainement les trois quarts de la délégation. Tant que la république capitaliste nous contraindra à l'action illégale, nous aurons à prendre des décisions secrètes et à les appliquer clandestinement. La cause est entendue pour notre Parti depuis Tours, et ceux qui la remettraient en question maintenant trouveraient, qu'ils le sachent bien, à qui parler. Quant à l'invitation de l'Exécutif, elle s'adressait à des militants communistes, et non à des machines. L'Exécutif ne s'est pas donné le ridicule de recommander la désignation secrète par les bureaux des Comités centraux dans les pays où le degré de l'oppression du mouvement communiste l'exige. Si le « choix qualitatif » a été mauvais, que les critiqueurs se lèvent et parlent. C'est leur droit, c'est leur devoir. Les responsables ont des comptes à rendre, ils les rendront, le Parti jugera. Pour ce qui est des camarades qui se croient « qualifiés » pour représenter ce qu'ils croient être un « courant de gauche », il sera plus charitable de n'y pas insister. Souhaitons seulement qu'ils rougissent de honte en relisant ce paragraphe de leur motion, qui atteint là au summum de l'inopportunité et de l'inopportunisme.

g) Aucun effort n'a été fait par le Comité Directeur pour organiser une action méthodique et pratique révolutionnaire, basée sur le travail personnel des adhérents et des sections.

C'est vrai. Le Comité Directeur ne mérite pas d'éloges, sous ce rapport, et « les adhérents et les sections » n'en méritent pas davantage. L'indolence du Comité Directeur doit être secouée, mais qui doit le faire sinon les sections ? Celles-ci sont évidemment moins responsables que celui-là, qui est formé des militants censés être les meilleurs, les plus éprouvés, les mieux informés, les plus capables de diriger le Parti. Pourtant, ne méconnaissons pas que c'est avant tout la formation organique de notre comité central qui est cause de l'insuffisance de son travail. Dans les partis communistes de tous les pays importants, les Comités centraux sont composés de militants exclusivement au service du Parti, lui consacrant tout leur, temps, toutes leurs forces, prêts à se concerter à toute heure, fournissant aux cellules du parti des thèmes de discussion, des programmes de travail, des conseils, des directives. Chez nous, le Comité Directeur compte comme agents exclusifs du Parti des journalistes, des élus, absorbés par d'autres besognes que celles de la direction, et un nombre infime de fonctionnaires ou propagandistes (quatre). Les autres membres ne consacrent que quelques heures par semaine à leur tâche directoriale. Notre personnel de direction est donc insuffisant et mal utilisé. Comment l'enrichir de forces nouvelles, comment répartir les hommes et distribuer les tâches ? Il nous faudrait un Comité Directeur constitué par ce que Lénine appelait autrefois des « révolutionnaires professionnels », et non par des « amateurs ». Un Comité Directeur qui siège trois heures par semaine est incapable de rien diriger. Il nous faut aussi trouver des hommes, sortir du rang les militants trop modestes, les encourager et les former, leur donner confiance en eux-mêmes pour qu'ils acquièrent la confiance du Parti, renforcer ainsi nos cadres et améliorer notre direction. Ce ne sera pas l'œuvre d'un jour.

h) La question des statuts, la seule sur laquelle les sections aient été appelées à se prononcer depuis Tours, présente un exemple frappant des méthodes par lesquelles l'exercice du droit de libre discussion, théoriquement reconnu aux sections, est rendu en fait illusoire. La rédaction du projet des statuts, confiée à une commission qui ne fonctionna jamais, fut en réalité le travail de deux membres du Comité Directeur. Il ne fut porté à la connaissance des sections qu'une dizaine de jours avant les Congrès fédéraux précédant le Congrès national. Faute d'un délai suffisant pour une discussion sérieuse, la Fédération de la Seine fut seule en mesure d'apporter hâtivement des amendements appréciables. Tout fut d'ailleurs mis en jeu, avant et pendant le Congrès, pour les étouffer, en sorte que les 26 premiers articles furent votés en quelques minutes sans discussion et que, sur les 25 derniers, la Fédération de la Seine ne fut admise à faire entendre sa voix qu'à la suite d'une protestation énergique.

Il est rare de lire un texte si dépourvu d'idées, d'inspiration si médiocre et de dialectique si pauvre que l'est ce paragraphe. Une commission qui ne se réunit pas, qui laisse faire son travail à deux de ses membres, qui en présente le résultat trop tard aux sections, c'est, hélas ! un fait d'une banalité courante, qui témoigne d'une grande indolence dont notre Parti n'a d'ailleurs pas le monopole et qui reflète une situation politique générale trouble, incertaine, peu propre à stimuler l'activité des partis. Disons aussi que si le projet de nouveaux statuts dressé par la commission était nul, — et c'est mon point de vue depuis le premier jour, — les amendements de la Fédération de la Seine ne valaient pas grand'chose le plus souvent, étaient même quelquefois d'une absurdité intégrale, quand ils avaient été imposés par certains inopportunistes, précisément à la faveur de cette indolence générale qui a laissé le champ libre à la démagogie. Que l'on relise les thèses sur la structure et l'organisation des partis communistes, votées au 3e Congrès de Moscou, et qu'on les confronte avec notre organisation, telle que les nouveaux statuts la déterminent. On en concluera que le travail de réorganisation du Parti reste à faire. Si le Parti s'en rend compte aujourd'hui, il saura profiter du Congrès de Marseille pour examiner l'adaptation à la France des thèses de Moscou sur la constitution organique d'un Parti communiste.

La place me manque cette fois-ci pour réfuter la dernière partie de la motion inopportuniste, basée sur une ignorance totale de la vie du Parti communiste russe dont elle prétend pourtant s'inspirer. Ce pourrait faire l'objet d'un autre article, sur le thème sempiternel et rebattu de la centralisation. Nous avons surtout tenu, pour l'heure, à citer, pour en discuter tous les « faits » invoqués par les inopportunistes français à l'appui de leur petit mouvement sans fécondité. Peu de chose mérite d'en être retenu. Il se dégage clairement d'un examen objectif de cette critique de notre Parti que celui-ci souffre de l'indolence des uns, de la démagogie des autres. Mais celle-ci n'existera pas si celle-là disparaît. Le devoir s'impose donc impérieusement aux communistes sérieux de combattre sans ménagements la paresse qui stérilise nos organes directoriaux, tout en refusant de faire la moindre concession à la surenchère brouillonne d'une prétendue « gauche ».

Ni indolence, ni démagogie ! Cette formule ne ressemble en rien à une théorie du « juste milieu ». Elle traduit la nécessité d'éviter un double danger, — et non de trouver un équilibre entre deux forces. Elle n'est d'ailleurs qu'une autre expression du mot d'ordre lancé par le 3e Congrès Communiste mondial et déjà revendiqué ici : Ni opportunisme de droite, ni inopportunisme de gauche.

Note

1 Paul-Louis (1872-1955), « reconstructeur », puis membre du Parti Communiste de 1920 à 1922.


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