1843-50

"On remarquera que, dans tous ces écrits, et notamment dans ce dernier, je ne me qualifie jamais de social-démocrate, mais de communiste... Pour Marx, comme pour moi, il est donc absolument impossible d'employer une expression aussi élastique pour désigner notre conception propre.." F. Engels, 1894.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


Le parti de classe

K. Marx - F. Engels

Formation de l'Internationale

Efforts d'aménagement de l'Internationale


Résolution sur l'admission des sociétés ouvrières à l'Association internationale des travailleurs [1]

I

Les organisations ouvrières sont invitées à adhérer collectivement à l'Association, le montant de leur cotisation étant laissé à leur choix selon leurs moyens.

II

Les sociétés qui adhèrent à l'Association obtiennent le droit d'élire un représentant au Conseil central, tandis que le Conseil se réserve le droit d'accepter ou de refuser ces représentants [2].

Appel du Conseil central aux associations ouvrières

Les organisations de métier, les sociétés de secours mutuel et autres associations ouvrières sont invitées à adhérer collectivement [3]. La seule condition en est que les membres reconnaissent les principes de l'Association et paient 5 sh pour leur déclaration d'adhésion (sur toile de lin laquée et munie d'un fleuron). Il ne sera exigé aucune cotisation des associations adhérentes. On s'en remettra à leur discrétion pour verser une cotisation selon leurs moyens, ou pour soutenir l'Association de temps à autre, lorsqu'elles jugeront que ses efforts justifient leur soutien.

Le Conseil central est tout disposé à envoyer à toute société qui le désire l'Adresse et les statuts qui exposent dans le détail les principes et les buts de l'Association. À l'intérieur du district londonien, il est prêt à envoyer des délégations pour leur donner tous les renseignements ultérieurs souhaités. Les sociétés adhérentes obtiennent le droit de déléguer un représentant au Conseil central. La cotisation par membre individuel se monte à 1 sh par an, à quoi s'ajoute 1 penny pour la carte de membre. On peut obtenir la carte, ainsi que tous les renseignements relatifs à l'Association, du secrétaire honoraire ou aux séances du Conseil central qui se tiennent tous les mardis de huit à dix heures du soir au n° 18, Greek Street.

E. DUPONT, secrétaire correspondant pour la France
K. Marx, secrétaire correspondant pour l'Allemagne
HOLTORP, secrétaire correspondant pour la Pologne
H. JUNG, secrétaire correspondant pour la Suisse
L. LEWIS, secrétaire correspondant pour l'Amérique
G. ODGER, président du Conseil central
G. W. WHEELER, trésorier honorifique
W. R. CRÉMER, secrétaire général honorifique.

L'Association ‑ ou plutôt son comité ‑ est importante [4], car les chefs des syndicats de Londres en font partie, ceux-là mêmes qui ont organisé l'énorme réception à Garibaldi, et ont fait échouer, grâce aux meetings monstres de Saint James Hall, le plan de Palmerston d'une guerre contre les États-Unis. Les chefs des ouvriers parisiens sont également en relation avec nous.


Notre association a fait de grands progrès [5]. Elle possède déjà trois organes officiels, un à Londres, The Workman's Advocate, un autre à Bruxelles, La Tribune du peuple, et un de la section française de Suisse, Journal de la Suisse romande (Genève). Enfin, un journal de la section suisse allemande, Der Vorbote, paraîtra dans quelques jours, sous la direction de J. B. Becker (adresse : 6, rue du Môle, Genève, pour le cas où vous voudriez lui envoyer des correspondances politiques ou sociales).

Nous avons réussi à entraîner dans le mouvement la seule organisation ouvrière vraiment importante, les syndicats anglais qui, autrefois, s'occupaient exclusivement de questions de salaire. Grâce à eux, la société anglaise que nous avons fondée pour instaurer le suffrage universel [6] (dont la direction se compose pour la moitié de membres ‑ ouvriers ‑ de notre Conseil central) a organisé, il y a quelques semaines, un meeting de masse où seuls des travailleurs ont pris la parole [7]. Vous pouvez juger de l'effet produit, quand je vous aurai dit que le Times s'en est occupé dans ses éditoriaux de deux numéros successifs.


Le comité londonien des syndicats anglais (dont le secrétaire est le président de notre association, Odger) discute en ce moment s'il doit s'appeler section britannique de l'Association internationale [8]. S'il le fait, le gouvernement de la classe ouvrière passera en Angleterre en un certain sens entre nos mains, et nous pourrons fortement pousser en avant le mouvement.


Tout le monde sait que le Conseil général des syndicats siégeant à Londres se compose de six à sept membres, dont trois font partie du Conseil général de l'A. I. T. Odger (secrétaire de la direction centrale et délégué des cordonniers), E. Applegarth (délégué du syndicat des charpentiers et menuisiers) et Howell (délégué des maçons et secrétaire de la Ligue pour la réforme  [9].

En outre, on découvre que le reste des syndicats affiliés (il y en a cinquante rien que pour Londres, sans compter les syndicats de province) est représenté au Conseil général de l'A. I. T. par cinq autres membres : R. Shaw, Buckley, Cohn, Hales et Maurice, sans parler de ce que chaque union a le droit ‑ et en use ‑ d'envoyer des délégués au Conseil général dans certaines circonstances déterminées. De plus, les organisations anglaises suivantes sont représentées au Conseil général de l'A. I. T.

Comme on le voit, il n'est pas d'organisation importante du prolétariat britannique qui ne soit pas directement représentée par ses propres dirigeants au sein du Conseil général de l'A. I. T. Enfin, le Bee-Hive, sous la direction de George Potter, l'organe officiel des syndicats anglais, est en même temps l'organe officiel du Conseil général de l'A. I. T., dont il fournit chaque semaine le compte rendu de séance.


Mon cher Le Lubez,

Le succès de notre association doit nous inciter à la prudence. À mon avis, nous gâcherions tout si nous accueillions Mr Beales dans notre conseil [10].

Je le tiens pour un homme honnête et bien intentionné ; malgré cela, il est et ne peut rien être d'autre qu'un politicien bourgeois. Il est faible, médiocre et ambitieux. Il veut se présenter aux prochaines élections parlementaires comme candidat dans le Marylebone. Ce simple fait devrait suffire à ce que nous ne l'acceptions pas dans notre comité. Nous ne devons pas permettre qu'il serve de tremplin aux mesquines ambitions parlementaires.

Vous pouvez être sûr que si nous admettons Beales, le ton cordial, sincère et franc qui caractérise nos présents débats disparaîtrait et céderait la place au commerce des mots. Beales serait bientôt suivi par Taylor, cet insupportable voyou et lèche-cul.

Aux yeux du public, notre association obtiendrait un caractère tout autre si nous acceptions Beales : nous serions l'une des nombreuses associations qu'il honore de sa faveur [11]. Là où il met pied, d'autres de sa classe suivront, et nos efforts jusqu'ici si fructueux pour libérer le mouvement ouvrier anglais de toute tutelle de la classe bourgeoise ou de l'aristocratie seraient anéantis.

Je sais d'avance que les questions, surtout de caractère social, qui surgiraient après l'admission de Beales le contraindraient bientôt de se retirer. Nous allons avoir à préparer des manifestes sur la question agraire, etc., auxquels il est impossible qu'il souscrive. Dans ces conditions, ne vaut-il pas mieux ne pas l'admettre du tout, au lieu de lui donner plus tard l'occasion de se dédire ?

Je sais qu'après la folle démarche de Mr Dell cette candidature posera quelques difficultés [12].

Je veux admettre que toute cette affaire pourra se régler paisiblement par des discussions avec les membres anglais dirigeants, avant qu'elle ne soit posée au comité.


En ce qui concerne l'élection des correspondants, le Conseil central a reconnu aux sociétés affiliées le droit d'élire elles-mêmes leurs représentants [13]. Il s'est simplement réservé la faculté de les confirmer. À Bruxelles, les choses se sont passées autrement, parce qu'aucune société ne s'y est encore formée. Serait-il possible d'arriver au compromis selon lequel vous seriez accepté comme correspondant des sociétés, celles-ci élisant à leur tour un comité de gestion, comme cela s'est passé à Paris et à Genève ?

En ce qui concerne le paiement de la cotisation, les sociétés comprendront facilement que le Conseil central serait empêché d'entreprendre toute action générale, si aucune société affiliée ne voulait payer de contribution. Il semble que l'objection ne porte que sur le paiement d'une double cotisation. Ne serait-il pas possible de régler ces choses à l'amiable ? Le Conseil central fera toute concession qui est compatible avec sa responsabilité.

Pour ma part, je suis persuadé que vos mesures étaient exclusivement dictées par votre zèle pour la cause commune. J'en appelle à ce zèle, et vous prie de vous engager dans la voie de l'entente et de la collaboration future. Je vous serais très reconnaissant d'une réponse rapide, tout d'abord parce que je dois en informer le Conseil central, et ensuite parce qu'une préconférence des membres des différents comités de gestion doit avoir lieu le 25 septembre.

Le Conseil central s'est convaincu que le congrès ne peut pas avoir lieu cette année, la préconférence de Londres doit d'abord le préparer.


Notes

[1] Ce projet a été élaboré par Marx et soumis le 22 novembre 1864 au Conseil central qui l’adopta à l'unanimité.
L'Internationale étant un parti politique, l'adhésion est en principe individuelle. Cependant, si Marx a estimé que des organisations ouvrières pouvaient y adhérer collectivement dans certaines conditions, c'est sans doute qu'il s'agissait de rassembler un certain nombre d'éléments et notamment de réaliser une liaison avec les syndicats de toute urgence. Dans l'introduction, nous avons déjà reproduit une citation expliquant que Marx rédigea les statuts de l'A. I. T. de manière que tous les socialistes de la classe ouvrière de cette époque pussent y participer (proudhoniens, Pierre-Lerouxistes, et même la partie la plus avancée des syndicats anglais), et que seule sur cette large base l'Internationale est devenue ce qu'elle fut : le moyen de dissoudre et d'absorber progressivement ces petites sectes, à l'exception des anarchistes. Dans une lettre à Bolte du 23 novembre 1871, Marx précise encore : « Tant que les sectes se justifient historiquement, la classe ouvrière n'est pas encre mûre pour un mouvement historique indépendant. » C'est sans doute la raison pour laquelle l’Internationale pouvait admettre ces organisations qui avaient encore leur raison d'être historique. On ne saurait donc extrapoler cette méthode, comme technique d'organisation durant la première période de la vie d'un parti ou d'une Internationale.
Dans la suite de la lettre, Marx affirme clairement que, dans l'organisation formelle de l'Internationale, le rôle du parti historique ‑ Conseil général où Marx jouait un rôle prépondérant ‑ a été déterminant pour élever l'Internationale à la hauteur de ses tâches historiques : « L'histoire de l'Internationale a été une lutte continuelle du Conseil général contre les sectes et les tentatives d'amateurs qui tentaient sans cesse de se maintenir contre le mouvement réel de la classe ouvrière au sein de l’Internationale elle-même. Cette lutte a été menée dans les congrès, mais bien davantage encore dans les tractations privées du Conseil général avec chaque section particulière. »
Si ces tensions s'expliquent par la marge qui existe entre le parti formel et historique au sein d'une même organisation, elles doivent diminuer, voire cesser, puisque, avec le temps, le parti historique doit pratiquement coïncider avec le parti formel, les conditions matérielles et idéologiques étant plus mûres.

[2] Dans le Bee-Hive Newspaper, la seconde résolution est rédigée en ces termes : « Les sociétés londoniennes qui adhèrent à l'Association obtiennent le droit d'élire un représentant au Conseil central, le Conseil se réservant le droit d'accepter ou de refuser ce représentant. Les sociétés de province qui désirent adhérer obtiennent le droit d'élire un membre correspondant de l'Association.
À la séance du Conseil central provisoire du 22 novembre 1864, les citoyens Dick et Dell proposèrent que le journal des syndicats devint l'organe officiel qui publierait les comptes rendus de séance du Conseil central de l'A. I. T. ainsi que les documents officiels de l'internationale. Cette proposition fut acceptée à l'unanimité. Cependant, Marx dut protester à plusieurs reprises contre les déformations ou coupures auxquelles ce journal procédait dans la publication des documents. Étant pratiquement devenu un organe bourgeois, le Conseil général rompit avec lui à la demande de Marx en avril 1870.

[3] Le sous-comité décida, dans sa séance du 6-6-1865, de lancer ce tract qui s'efforcerait en premier lieu de gagner les syndicats anglais à l'Internationale. Cette décision fait suite à la discussion sur les conditions d'admission à l'A. I. T.

[4] Cf. Marx à Ludwig Kugelmann, 29 novembre 1864.
Profitant d'une tendance à la politisation des syndicats anglais dans les années 1864-1865, le Conseil central de l'Internationale établit des liens avec les dirigeants syndicaux, afin de souder les organisations économiques du prolétariat au programme politique de l'A. I. T.

[5] Marx à Kugelmann, 15 janvier 1866.

[6] Allusion à la Reform League, créée à l'initiative du Conseil central sur des positions qui renouaient avec le chartisme.

[7] Les démocrates bourgeois anglais, à leur tour, cherchèrent à profiter non seulement de la disponibilité politique des syndicats, mais encore du concours de l’Internationale. Marx explique, dans une lettre à Engels du I° février 1865, quelles mesures organisatrices il proposa au Conseil central pour déjouer la manœuvre des politiciens bourgeois :
Ce dont nous nous sommes occupés hier [au Conseil central], c'est : notre association ‑ c'est-à-dire notre conseil ‑ doit-elle, conformément au vœu exprimé par ces gaillards (parmi lesquels se trouvent tous ces vieux agitateurs professionnels de la City, tels que Samuel Morley, etc.), envoyer quelques délégués chargés d'assister en observateurs aux discussions de leur comité provisoire ? Ensuite, si ces gaillards s'engagent directement à se prononcer en faveur du suffrage universel et à convoquer dans ce but un meeting public, allons-nous leur accorder notre appui ? Pour eux, il est décisif, et ils en ont besoin tout autant que lors des manifestations contre la déclaration de guerre à l’Amérique en 1862. Sans les syndicats, il n'est pas possible d'organiser une manifestation de masse, et sans nous les syndicats ne marcheront pas. C'est du reste pour cela que ces messieurs se tournent vers nous. Les opinions étaient très partagées [au Conseil central], et les dernières flagorneries de Bright à Birmingham y avaient fortement contribué.
« Sur ma proposition, il fut décidé : 1. d'envoyer une délégation (j'en avais exclu les étrangers, mais Eccarius et Le Lubez furent tout de même désignés, mais comme Anglais et témoins muets) ; 2. pour ce qui est du meeting, d'agir avec eux à condition que : a) leur programme réclame directement et publiquement le suffrage universel ; b) que des hommes choisis par nous fassent partie du comité définitif pour pouvoir observer ces gens et être en mesure de les compromettre, au cas où ils trahiraient, comme c'est leur intention, quoi qu'il arrive. J'écris aujourd'hui à ce sujet à E. Jones. »

[8] Cf. Marx à Ludwig Kugelmann, 13 octobre 1866.
Le 14 janvier 1867, le Conseil général des syndicats de Londres adopta une résolution, selon laquelle il se ralliait aux principes de l'Internationale, mais s'opposait à toute fusion organisationnelle. La liaison entre les deux organisations fut assurée par les dirigeants syndicalistes qui faisaient partie du Conseil général.

[9] Marx, article paru dans Demokratisches Wochenblatt, 17-10-1868.

[10] Marx à Le Lubez, 15 février 1865.
Sur un ton de confiance et d'amitié, Marx s'efforce de convaincre Le Lubez qu'il faut fermer la porte du Conseil central à des chasseurs de postes, dont les intérêts privés sont en contradiction avec les intérêts généraux que doit défendre le Conseil central.
Dans sa lettre à Engels du 25 février 1865, Marx évoque longuement le personnage et les manies de Beales, cf. Correspondance, éd Costes, t. VIII, p 174-76.

[11] Beales était président de la Ligue nationale britannique pour l'indépendance de la Pologne, l’un des dirigeants de la Société d'émancipation (des esclaves) et président de la Reform League.

[12] Le 21 février 1865, Marx réussit à empêcher l'admission de Beales au Conseil central. Il s'en explique à Engels le 25 février 1865 : « J'ai obtenu que l'auteur de la candidature Beales ne renouvelât pas sa motion. Comme raison officielle, j’ai fait valoir 1, qu'aux prochaines élections parlementaires Beales sera candidat dans le Marylebone, et que notre association doit absolument éviter d'avoir l'air de servir les intérêts d'une ambition parlementaire quelconque ; 2, que Beales et nous pouvons nous rendre bien plus de services en suivant chacun notre voie particulière. Le danger est ainsi momentanément écarté... J'ai fait répondre par notre conseil que la classe ouvrière a sa propre politique étrangère qui n'a pas du tout à se demander ce que la bourgeoisie tient pour opportun La bourgeoisie a toujours tenu pour opportun d'exciter les Polonais au début de toute nouvelle insurrection, de les trahir, au cours de l'insurrection, par leur diplomatie, et de les abandonner dès que les Russes les ont vaincus.»

[13] Cf. Marx à Léon Fontaine, 25 juillet 1865.


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