1848-49

Marx et Engels journalistes au coeur de la révolution...

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La Nouvelle Gazette Rhénane

K. Marx – F. Engels

Le ministère Hansemann et le projet de loi pénale

n° 65, 4 août 1848


Cologne, 3 août

Nous l'avons déjà dit : le ministère Hansemann se fait de toutes les façons le thuriféraire du ministère Bodelschwingh. Après la reconnaissance de la révolution, la reconnaissance de l'économie, style Vieille Prusse [1]; ainsi va le monde [2] !

Mais que M. Hansemann atteigne ce comble de virtuosité de vanter lui-même les actes de Messieurs Bodelschwingh, Savigny et consorts, qu'il avait combattu en son temps avec le plus grand acharnement alors qu'il était député rhénan à la Diète, voilà un triomphe sur lequel la camarilla de Potsdam n'avait certainement pas compté. Et pourtant ! Qu'on lise l'article suivant du dernier Preussischer Staatsanzeiger :

Berlin, 1° août. - Dans sa « partie non-officielle » le dernier numéro du journal publié par le ministère de la Justice communique des remarques statistiques sur la peine de mort ainsi qu'un tableau d'ensemble des condamnations à mort prononcées et confirmées de 1826 à 1843 inclus, sans parler des sentences prononcées dans ce qu'on appelle les enquêtes démagogiques. Ce travail est réalisé à partir des dossiers du ministère de la Justice et vu l'importance du sujet, devrait retenir particulièrement l'attention. D'après le tableau d'ensemble, durant la période en question, il y a ou :
1. dans la Province rhénane : 189 condamnations à mort prononcées, 6 confirmées;
2. dans les autres provinces : 237 condamnations à mort prononcées, 94 confirmées;
Au total : 426 condamnations à mort prononcées, 100 confirmées; pourtant 4 n'ont pas été exécutées par suite de l'évasion ou de la mort des criminels.
Si le projet de nouveau code pénal de 1847 avait été en vigueur pendant la même période, il y aurait eu :
1. dans la province rhénane : seulement 53 condamnations à mort prononcées, dont 5 confirmées;
2. dans les autres provinces : seulement 134 condamnations à mort prononcées, 76 confirmées.
Au total : 187 condamnations à mort prononcées, 81 confirmées, en supposant que, lors de la confirmation des peines, on eût suivi les mêmes principes que précédemment.
Donc, suivant les lois en vigueur, la peine de mort n'aurait pas été prononcée pour 237 criminels condamnés à mort, et la peine n'aurait pas été appliquée à 19 criminels exécutés.
Suivant le tableau d'ensemble, la moyenne par an serait :
1. dans la province rhénane de 10 9/18 condamnations prononcées et de 6/18 confirmées;
2. dans les autres provinces : 13 condamnations prononcées et 5 4/13 confirmées.
mais si le projet avait été alors en vigueur, la moyenne par an aurait été :
1. dans la province rhénane : 2 7/18 condamnations à mort seulement, dont 5/18 confirmées,
2. dans les autres provinces - 7 7/18 condamnations à mort, dont 4 4/18 confirmées.

Et maintenant admirez la clémence, l'excellence, de ce glorieux projet de loi pénale dans le royaume de Prusse en 1847 ! Dans la province rhénane peut-être qu'en dix-huit ans un condamné à mort de moins aurait été exécuté ! Quel avantage !

Mais les innombrables accusés - soustraits aux jurés, condamnés et incarcérés par des juges royaux - les bastonnades infâmantes, appliquées ici sur les bords du Rhin avec les triques de la vieille Prusse, ici où depuis quarante ans nous nous sommes libérés de la trique - les procès malpropres pour des attentats aux bonnes mœurs, inconnus du Code, mais évoqués de nouveau par l'imagination pervertie des chevaliers du code civil - la confusion absolument inévitable des notions juridiques, et finalement, les innombrables procès politiques résultant des dispositions despotiques et perfides de cette loi mal faite et condamnable - c'est-à-dire en un mot la prussianisation de toute la province rhénane : les renégats rhénans de Berlin croient-ils peut-être que pour une tête de moins qui tomberait nous oublierions tout cela ?

C'est clair : en utilisant M. Märcker, son agent au département de la Justice, M. Hansemann veut atteindre le but que Bodelschwingh a manqué; il veut faire entrer en vigueur le projet de loi pénale style Vieille Prusse, si profondément détesté.

En même temps, on apprend que les jurés seront installés à Berlin seulement, et encore uniquement à titre d'essai.

Donc : Pas d'introduction du droit rhénan chez les Vieux Prussiens, mais introduction du droit de la vieille Prusse chez les Rhénans, tel est le grand résultat, la formidable « conquête » de la révolution de mars ! Rien que ça.


Notes

Texte en surligné : en français dans le texte.

[1] La vieille Prusse ce sont les anciennes provinces du Brandebourg, Mecklembourg, etc., par opposition à la province rhénane devenue prussienne en 1815.

[2] Cf. Goethe :Faust,  Première partie : « Jardin ».


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