1861-65

«John Bull n'est-il pas un être exceptionnel ? A en croire le Times, ce qui chez d'autres serait infâme est en lui vertu.»
K. Marx, N.Y.D.T., 8.5.1858.
«... depuis le début, l'expédition du Mexique n'a pas eu le but que l'on proclame, mais tient lieu de guerre contre les États-Unis.»
K. Marx, N.Y.D.T., 25.8.1861.

Une publication effectuée en collaboration avec la bibliothèque de sciences sociales de l'Université de Québec.


La guerre civile aux États-Unis

K. Marx - F. Engels

3
PHASE POLITIQUE

IMPÉRIALISME ANGLAIS ET DÉFAITISME OUVRIER


Karl Marx : L'INTERVENTION AU MEXIQUE [1]

New York Daily Tribune, 23 novembre 1861.

Londres, le 8 novembre 1861.

L'intervention au Mexique, préparée par l'Angleterre, la France et l'Espagne est, à mes yeux, l'une des entreprises les plus monstrueuses que connaissent les annales de l'histoire internationale [2]. C'est une machination de type purement palmerstonien, qui étonne le non-initié par l'absurdité du projet et l'imbécillité des moyens employés, ceux-ci semblant parfaitement en opposition avec le savoir-faire bien connu de ce vieil intrigant.

Par ailleurs, il est probable qu'une campagne mexicaine représente l'un de ces innombrables expédients que Louis Bonaparte est obligé de tenir en réserve dans sa besace pour distraire le peuple français de ses soucis. Bien sûr, l'Espagne, à qui les récents succès fragiles remportés au Maroc et à Saint-Domingue [3] ont tourné la tête qu'elle avait déjà bien fragile, rêve d'une restauration au Mexique, mais il est certain que le plan français était loin d'être mûr et que la France, aussi bien que l'Espagne, rechignaient fortement devant une expédition commune au Mexique, sous la direction de l'Angleterre.

Le 24 septembre, le Moniteur privé de Palmerston - le Morning Post de Londres - annonça le premier dans tous ses détails le plan d'une intervention commune, en accord avec les termes du traité tout récemment conclu entre l'Angleterre, la France et l'Espagne. Cette déclaration avait à peine traversé la Manche que le Gouvernement français, par le truchement de la Patrie parisienne, affirma que c'était là un mensonge pur et simple.

Le 27 septembre, l'organe national de Palmerston - le Times de Londres - rompit le silence dans un éditorial contredisant la Patrie, sans la nommer. Le Times déclara même que lord Russell avait informé le Gouvernement français de la décision anglaise d'intervenir au Mexique et que M. Thouvenel avait répondu que l'empereur français en était venu à une conclusion similaire. Maintenant, c'est le tour de l'Espagne. Un journal madrilène semi-officiel, tandis qu'il confirmait l'intention de l'Espagne de s'immiscer dans les affaires mexicaines, repoussait cependant l'idée d'une intervention commune avec l'Angleterre. Mais, on n'est pas encore au bout des démentis. Le Times avait annoncé catégoriquement que « le président américain avait donné son plein accord à l'expédition projetée ». Depuis longtemps, tous les journaux américains qui ont cité l'article du Times, ont réfuté cette assertion.

Ainsi, il est certain - et le Times l'a admis expressément - que l'intervention commune, dans sa forme actuelle, est ourdie. par l'Angleterre, ou plus exactement par Palmerston. L'adhésion de l'Espagne au plan a été obtenue grâce à la pression française, et la France a été amenée à cette position par des concessions anglaises, dans le domaine de la politique européenne. A ce point de vue, il y a une coïncidence significative dans le fait que le Times du 6 novembre - précisément dans le numéro où il annonce la décision d'une intervention conjointe au Mexique - publie un éditorial où il traite avec un mépris et un cynisme extraordinaires la protestation de la Suisse contre la récente incursion dans son territoire par la vallée des Dappes de forces armées françaises. En échange de sa participation à une expédition au Mexique, Louis Bonaparte a eu carte blanche (fr.) pour ses projets d'empiétements sur la Suisse, et sans doute sur d'autres régions du continent européen [4]. Les tractations sur ces points entre l'Angleterre et la France ont traîné de début septembre à fin octobre.

En Angleterre, personne ne souhaite une intervention au Mexique, à l'exception des créanciers de l'État mexicain, qui toutefois n'ont jamais pu se targuer de la moindre influence sur l'opinion de la nation. D'où la difficulté de faire admettre le plan de Palmerston à l'opinion publique. Le meilleur moyen après tout, n'est-il pas de déconcerter l'éléphant britannique par des informations contradictoires qui, provenant de la même source, sont de la même eau, mais ne varient que par la dose administrée à l'animal.

Le Morning Post, dans son édition du 24 septembre, annonça qu'il n'y aurait pas « de guerre territoriale pour le Mexique », que le seul point litigieux, c'était les revendications financières auprès du Trésor mexicain, qu' « il est impossible de traiter le Mexique comme un gouvernement établi et organisé » et qu'en conséquence « les principaux ports du Mexique seraient occupés provisoirement et leurs revenus douaniers confisqués ».

Le Times du 27 septembre déclare, au contraire, qu' « une longue patience nous a accoutumés à la malhonnêteté, aux refus de paiement et au pillage légal et irrémédiable de nos compatriotes par suite des défaillances d'un État en banqueroute », et qu'en conséquence « le vol privé des créanciers d'État anglais » n'est pas le motif de l'intervention, contrairement à ce que pense le Morning Post. Néanmoins, le Times remarque en passant (fr.) que le climat de « la capitale du Mexique est relativement sain, pour le cas où il faudrait pousser une pointe jusque-là ». Mais, il souhaite cependant que « la simple présence d'une escadre alliée dans, le golfe et l'occupation de quelques ports suffisent à stimuler les efforts du Gouvernement mexicain pour rétablir la paix et pour convaincre les mécontents qu'ils doivent s'en tenir aux formes plus constitutionnelles que le brigandage ».

En conséquence, si - selon le Morning Post - l'expédition a dû être entreprise, parce qu' « il n'existait pas de gouvernement au Mexique », elle n'aurait été projetée - selon le Times - que pour encourager et appuyer le Gouvernement mexicain existant. Le moyen le plus original pour renforcer un gouvernement est bien sûr de conquérir son territoire et de réquisitionner ses ressources financières !

Après que le Times et le Morning Post eurent ainsi donné la note, John Bull fut livré aux oracles ministériels mineurs, qui, quatre mois durant, le travaillèrent au corps systématiquement dans le même style contradictoire jusqu'à ce que l'opinion publique, bien qu'étant tenue exprès dans l'ignorance des buts et desseins d'une intervention, fût enfin suffisamment préparée à l'idée d'une intervention conjointe au Mexique. A la fin, les transactions avec la France aboutirent : le Moniteur annonça que la convention entre les trois puissances interventrices avait été signée le 31 octobre.

Le journal des Débats - l'un de ses copropriétaires fut nommé commandant de l'un des navires de l'escadre française - communiqua au monde qu'il n'était pas prévu de conquête permanente du territoire; que Vera Cruz et quelques points de la côte devaient être occupés, que l'on s'était mis d'accord pour une avance vers la capitale, au cas où les autorités constituées n'accepteraient pas les revendications des envahisseurs, et qu'enfin on instaurerait un gouvernement fort dans la République.

Le Times, qui après sa première annonce du 27 septembre, semblait avoir oublié jusqu'à l'existence du Mexique, devait de nouveau faire un pas de plus. Si l'on ignorait ses liens avec Palmerston et le fait qu'il a été le premier à publier dans ses colonnes le plan de l'expédition, on pourrait penser que l'éditorial du Times d'aujourd'hui est la satire la plus mordante et la plus impitoyable de toute l'aventure mexicaine. L'article commence par la constatation que « l'expédition est très remarquable » (plus tard, elle sera « curieuse »). « Trois États s'allient pour forcer un quatrième à se bien comporter, non pas tant au moyen d'une guerre que par une intervention autoritaire pour rétablir l'ordre. »

Intervention autoritaire pour rétablir l'ordre ! Tel est littéralement le jargon de la Sainte-Alliance [5]. Ce langage frappe curieusement de la part de l'Angleterre qui glorifie par principe la non-intervention ! Et pourquoi « les méthodes de la guerre, la déclaration de guerre et tous les autres recours de la loi internationale » sont-ils abandonnés pour « une intervention autoritaire pour rétablir l'ordre » ? Parce que, dit le Times, il « n'existe pas de gouvernement au Mexique ».

Or quel est le but avoué de l'expédition ? « Adresser des revendications aux autorités constituées du Mexique. »

Les seuls griefs des puissances interventrices les seules raisons qui ont donné à leur hostilité un vernis de justification, sont faciles à énumérer. Ce sont les réclamations d'argent des créanciers et quelques outrages personnels subis par des sujets anglais, français et espagnols, et dont le Mexique se serait rendu coupable. Telles étaient les raisons de l'intervention, mentionnées d'abord par le Morning Post et confirmées officiellement par lord John Russel il y a quelque temps dans une interview accordée aux représentants des créanciers de l'État mexicain en Angleterre. Le Times d'aujourd'hui écrit : « L'Angleterre, la France et l'Espagne ont préparé une expédition pour amener le Mexique à remplir ses obligations particulières et assurer la protection des sujets des trois couronnes. »

Mais, dans la suite de son article, le Times opère un tournant, et s'exclame : « Nous obtiendrons indubitablement au moins une reconnaissance de nos revendications financières : en fait, à tout moment, il eût suffi d'une seule frégate britannique pour que nous obtenions satisfaction. Aussi, voulons-nous espérer que les pires excès qui ont été commis, seront réparés rapidement et complètement. Il est clair, en effet, que si nous voulons simplement obtenir cela, il est superflu de recourir aux moyens extrêmes que l'on nous propose actuellement. »

Le Times confesse ensuite, en termes diffus, que les raisons avancées à l'origine pour justifier l'expédition n'étaient que de creux prétextes, qu'aucune des mesures appliquées en ce moment n'était nécessaire pour obtenir réparation, et qu'en fait la, « reconnaissance des dettes financières et la protection des sujets européens » n'avaient absolument rien à voir avec la présente intervention commune au Mexique. Quels en sont alors les véritables buts ?

Avant de suivre le Times dans ses explications, nous voulons, en passant, relever quelques « curiosités » qu'il s'est bien gardé d'aborder. Premièrement, il est vraiment « curieux » que ce soit l'Espagne - précisément l'Espagne - qui entreprenne une croisade pour les sacro-saintes dettes étrangères. Le dernier Courrier du Dimanche invite le Gouvernement français à profiter de l'occasion pour contraindre l'Espagne « à l'accomplissement sans cesse ajourné de ses vieilles obligations vis-à-vis des créanciers français ».

Une seconde « curiosité » plus étonnante encore, c'est que Palmerston - qui, selon la récente déclaration de lord John Russell, a préparé le plan d'invasion du Mexique pour forcer son gouvernement à payer les créanciers anglais - que ce même Palmerston ait renoncé, volontairement et sans consulter le Gouvernement mexicain, aux droits reconnus à l'Angleterre par le Traité de 1826, et notamment aux garanties de créance du Mexique en faveur des créanciers anglais.

En vertu du Traité conclu en 1826 avec l'Angleterre, le Mexique s'obligeait à ne tolérer l'instauration de l'esclavage sur aucune partie de son territoire actuel. Une autre clause de ce traité prévoyait que l'Angleterre obtenait une hypothèque sur quarante-cinq millions d'acres de domaine d'État au Texas pour garantir les prêts accordés par les capitalistes britanniques. Ce fut Palmerston qui, dix ou douze ans plus tard, intervint comme médiateur en faveur du Texas contre le Mexique. Dans le traité conclu par lui avec le Texas, il ne renonça pas seulement à la clause anti-esclavagiste, mais encore à l'hypothèque sur les domaines d'État. Ce fut donc lui qui dépouilla les créanciers anglais de leur garantie [6].

A l'époque, le Gouvernement mexicain protesta; mais, dans l'intervalle, le ministre John C. Calhoun pouvait se permettre cette plaisanterie : annoncer au cabinet de Saint-James que son souhait « d'abolir l'esclavage au Texas serait mieux réalisé par l'annexion du Texas aux États-Unis ». En fait, les créanciers anglais perdirent tout droit sur le Mexique, du moment que Palmerston avait sacrifié volontairement la garantie hypothécaire prévue par le traité de 1826.

Cependant, puisque le Times lui-même reconnaît que la présente intervention n'a rien à voir avec les réclamations d'argent et les vexations subies par des personnes privées, quel peut bien être son but aussi bien prétendu que réel ?

« Une intervention autoritaire pour rétablir l'ordre ! » Comme l'Angleterre, la France et l'Espagne projettent une nouvelle Sainte-Alliance et forment un aréopage militaire pour rétablir l'ordre dans le monde entier, il faut - écrit le Times - que le Mexique soit « sauvé de l'anarchie et retrouve un gouvernement propre et la paix ». Il faut donc que les agresseurs y « instaurent un gouvernement fort et durable »; qui plus est, ce gouvernement doit être constitué sur la base d' « un parti mexicain».



Dans ces conditions, faut-il admettre que Palmerston et son porte-parole - le Times - considèrent effectivement l'intervention commune comme le moyen d'atteindre le but énoncé, à savoir : « étouffer l'anarchie et instaurer un gouvernement durable au Mexique » ? Le Times, loin de caresser des rêves aussi chimériques, écrit ouvertement le 27 septembre dans son premier éditorial : « Le seul point sur lequel il est possible que surgisse un différend entre nos alliés et nous, est celui du gouvernement de la République. L'Angleterre souhaite qu'il soit confié au Parti libéral, actuellement au pouvoir, or, la France et l'Espagne sont suspects de partialité pour le pouvoir ecclésiastique qui vient tout juste d'être renversé... [7] Il serait, en fait, étrange que la France se fasse la protectrice des prêtres et des bandits, dans le vieux et le nouveau monde. »

Dans son éditorial d'aujourd'hui, le Times continue sur sa lancée, et résume ses scrupules en une phrase : « Il est difficile de supposer que toutes les puissances interventrices donnent leur préférence à l'un des deux partis existants au Mexique, et de même on peut difficilement supposer qu'il soit possible de trouver un compromis viable entre des ennemis aussi décidés. »

Palmerston et le Times savent donc parfaitement qu' « il existe un gouvernement au Mexique », que le « Parti libéral » qui a manifestement les préférences de l'Angleterre, est « actuellement au pouvoir », que « le pouvoir de l'Église est renversé », que l'intervention espagnole est le dernier espoir des prêtres et des bandits, et qu'enfin toute l'anarchie mexicaine est en voie de disparition. Ils savent donc que l'intervention commune, dont le but avoué serait de sauver le Mexique de l'anarchie, produit l'effet contraire, c'est-à-dire qu'il affaiblit le gouvernement constitutionnel, renforce le parti de l'Église grâce aux baïonnettes françaises et espagnoles, rallume le feu pratiquement éteint de la guerre civile, et restaure l'anarchie dans toute son ampleur.

La conclusion que le Times en tire lui-même, est à la fois « remarquable » et « curieuse ». Il dit en effet : « Bien que ces considérations puissent donner à réfléchir aux conséquences de l'expédition, elles ne militent pas contre l'opportunité de l'expédition elle-même. »

Ainsi, que l'expédition contredise ses buts avoués ne milite pas contre son opportunité. De même, que les moyens employés s'opposent aux buts avoués ne milite pas contre eux.

Mais, j'ai gardé jusqu'ici par-devers moi la plus grande « curiosité » que nous réserve le Times. En effet, il dit : « Si le président Lincoln devait accepter l'invitation prévue par le traité à participer aux prochaines opérations, l'affaire prendrait un caractère encore plus curieux. »

Il serait, en effet, hautement « curieux » que les États-Unis, qui vivent en bonne amitié avec le Mexique, s'associent aux colporteurs européens de l'Ordre et, en participant à leur action, sanctionnent l'intervention de l'aréopage militaire européen dans les affaires intérieures des États d'Amérique. Le premier plan d'une telle extension de la Sainte-Alliance outre-Atlantique a été conçu par Chateaubriand au profit des Bourbons français et espagnols [8]. Le plan échoua grâce à l'action d'un ministre anglais, M. Cunning, et d'un président américain, M. Monroe [9]. La crise actuelle aux États-Unis représente, aux yeux de Palmerston, le moment favorable pour reprendre ce vieux projet sous une forme modifiée. Comme les États-Unis ne peuvent se permettre actuellement qu'une force étrangère s'immisce dans la guerre pour l'Union, ils en sont réduits à protester. Les partisans en Europe de la cause américaine souhaitent que les États-Unis protestent et refusent, aux yeux du monde entier, toute participation à un projet aussi infâme.

Cette expédition militaire de Palmerston, exécutée en alliance avec deux autres puissances européennes, a été commencée pendant l'intersession parlementaire, c'est-à-dire sans l'approbation, ou mieux, contre la volonté du Parlement britannique. La première guerre extra-parlementaire de Palmerston a été la guerre afghane, dont l'ampleur a été minimisée et la cause justifiée par l'exhibition de, documents truqués. Une autre de ces guerres a été la guerre persane de 1857-1858 [10]. Palmerston la défendit à l'époque sous le prétexte que « le principe d'un accord préalable du Parlement n'était pas applicable aux guerres asiatiques ». Il semble que ce principe ne s'applique pas davantage aux guerres américaines. En perdant le contrôle des guerres étrangères, le Parlement renonce à tout contrôle sur le trésor national, et le gouvernement parlementaire n'est plus qu'une simple farce.


Notes

[1] Cette partie est la moins connue de l'histoire de la guerre civile américaine de 1861-1865. C'est celle où l'action de Marx et d'Engels est la plus engagée, et prend donc le plus de relief. Comme on le voit, la crainte d'une guerre impérialiste de l'Angleterre contre la révolution américaine n'était pas sans fondement : depuis 1793, c'est une constante de la politique anglaise de s'allier avec les forces les plus rétrogrades pour empêcher les révolutions modernes qui susciteraient des rivaux commerciaux dans d'autres pays. Enfin, dans la mesure de ses possibilités, l'Angleterre est effectivement intervenue en Amérique, en s'installant au Mexique et en se renforçant au Canada, afin d'être sur place pour saisir toute occasion pour s'immiscer dans la guerre civile. (N. d. T.)

[2] L'intervention au Mexique (1861-1867) avait pour but de renverser le gouvernement progressiste de Juarez et de transformer la République du Mexique en colonie européenne. En outre, elle servait à préparer une base d'invasion des États-Unis pour aider les esclavagistes du Sud. Marx met essentiellement en lumière cet aspect dans les textes que nous reproduisons. En effet, en s'aidant de documents historiques, il s'attache à démontrer que l'Angleterre fut à l'origine de cette expédition (cf. N.Y.D.T., 10.3.1862, Die Presse, 2.5.1862, 20.7.1862 (débat escamoté sur le Mexique et l'alliance avec la France).
S'adressant à une opinion publique et à un peuple « souverain », le Gouvernement anglais devait user de toutes sortes de stratagèmes pour arriver a faire passer ses projets. D'où l'hypocrisie et les mensonges, les faux prétextes et la légalisation frauduleuse d'un éventuel casus belli. Seule une force fondamentalement anti-impérialiste comme le marxisme est en mesure de ne pas se laisser leurrer par ces contrevérités ou demi-vérités. En effet, une force moins radicale, du fait même de son indécision et de ses conceptions moins nettes, se laisserait abuser par de fallacieux espoirs de compromis. Dans l'histoire vivante, chaque puissance ou parti a donc une interprétation des faits historiques propre.

[3] En octobre 1859, l'Espagne entra en guerre avec le Maroc sous prétexte que des tribus arabes avaient envahi les environs de Melilla et de Ceuta. Le Maroc opposa une résistance acharnée, mais fut vaincu finalement. La paix fut signée le 26 avril 1860. En 1861, le chef réactionnaire de Saint-Domingue, Sanatana, proclama que la République dominicaine faisait partie des possessions espagnoles. Les Espagnols furent définitivement chassés de Saint-Domingue en 1865.

[4] Après la guerre d'Italie de 1859, dont le but, pour l'allié français, avait été d'obtenir le comté de Nice et la Savoie, Napoléon III convoitait la Suisse romande, afin de s'assurer des positions stratégiques contre l'Allemagne, qui était en voie de faire son unité; cf. Fr. Engels, Pô et Rhin et Nice, Savoie et Rhin (1859-1860), en traduction française dans les Écrits militaires de Marx et d'Engels, Éditions de l'Herne. Le 28 octobre 1861, des troupes françaises pénétrèrent dans le canton de Vaud et occupèrent le village de Cressonières. En 1862, la Suisse céda à la France la vallée de Dappes en échange d'une autre région frontière.
Marx a écrit sur l'intervention au Mexique un article parallèle à celui de la N.Y.D.T. dans Die Presse du 12 novembre 1861. S'agissant d'un journal européen, il y insiste évidemment plus sur les prétentions de, Napoléon III sur la Suisse et le Rhin, avec, à l'arrière-plan, la menace bonapartiste contre l'unité allemande. Cf. Marx : « L'intervention au Mexique », Die Presse, 12 novembre 1861.

[5] La Sainte-Alliance fut créée en 1815 au Congrès de Vienne, à l'initiative du tsar Alexandre 1er. Sous la tutelle de Metternich, elle avait pour but de combattre la révolution en Europe et de maintenir le statu quo contre-révolutionnaire sur tout le continent. La Sainte-Alliance entreprit un certain nombre d'actions répressives contre les mouvements révolutionnaires en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Hongrie. Au fur et à mesure que les forces révolutionnaires grandirent au cours des années 1860, la Sainte-Alliance se désagrégea.

[6] Marx fournit ici un exemple concret du rôle de l'impérialisme anglais dans le développement des structures esclavagistes au sein de l'Union américaine, en vue de fournir son industrie cotonnière en matières premières. C'est, en outre, un exemple frappant de la théorie marxiste du rapport entre État politique et économie, la superstructure étatique étant déterminée dans son action par la production existante et réagissant à son tour sur celle-ci. (N d. T.)

[7] En 1857, le Mexique adopta une constitution libérale qui restreignit les privilèges du clergé et prévit des élections populaires. Dans le cadre de cette nouvelle constitution, le général Comonfort fut élu président. Un coup d'État, machiné par le parti clérical, le renversa bientôt, pour installer à sa place le général Zuloaga. Les forces progressistes déclarèrent alors que Juarez était le président constitutionnel du Mexique. C'est dans ces conditions qu'éclata en 1858 la guerre civile. Juarez sortit victorieux de trois années de luttes acharnées, et les généraux réactionnaires Zuloaga et Moremon furent vaincus. En 1861, il fit son entrée à Mexico et fut réélu président. Pendant toutes ces luttes, les biens de l'Église furent confisqués, et rien ne fut négligé pour réduire la puissance de l'Église réactionnaire.
À la suite de divergences entre les puissances interventrices, l'Angleterre et l'Espagne retirèrent leurs forces en avril 1862. Les Français continuèrent l'expédition et s'emparèrent de la ville de Mexico en été 1863. Ils installèrent Maximilien au pouvoir, comme on le sait. En 1865, la victoire des nordistes aux États-Unis contribua à affaiblir les positions bonapartistes, et l'aventure prit fin en mars 1867, après que Juarez eut infligé une sévère défaite aux troupes françaises. Marx a exalté cette lutte du peuple mexicain.

[8] Au cours de l'été 1823, Chateaubriand soumit au ministre français des Affaires extérieures un plan prévoyant une intervention armée dans les pays d'Amérique latine, afin d'y rétablir l'empire colonial espagnol et d'y agrandir le domaine colonial français. Chateaubriand proposait de transformer les colonies espagnoles en royaumes autonomes, qui devaient être dirigés par des princes de la dynastie bourbonne parmi lesquels certains étaient Français. Ce plan se heurta aussi bien à l'opposition des populations locales qu'à celle de l'Angleterre et des États-Unis (qui avaient eux-mêmes des visées sur ces pays).

[9] Ainsi, le 2 décembre 1823, le président des États-Unis, James Monroe, adressa au Congrès américain une proclamation, où il exposa les principes de sa doctrine : nulle puissance européenne ne devait s'immiscer dans les affaires d'États américains ni acquérir de terre sur ce continent. (« L'Amérique aux Américains. ») En contrepartie, il proclama que les USA ne s'immisceraient pas dans les affaires européennes. Cette doctrine anti-impérialiste était révolutionnaire à ses débuts, et Marx la défend en tant que telle; cependant, comme tout principe bourgeois, cette doctrine se modifia progressivement et se mua en son contraire, et devint enfin la théorie de l'impérialisme yankee, non seulement pour affirmer l'hégémonie des USA sur l'Amérique latine, mais encore pour interdire à toutes les autres puissances extra-européennes de leur contester cette position privilégiée, tandis que la bannière étoilée flotte dans des pays de tous les continents. Le mérite de l'analyse marxiste est de découvrir dans le modèle classique de l'Angleterre, toute l'évolution, progressiste, conservatrice et réactionnaire, du futur développement économique, politique et social des autres pays. Marx lit ainsi dans l'impérialisme britannique l'avenir de la politique américaine.

[10] On trouvera les textes de Marx et d'Engels sur la guerre afghane et persane dans Marx-Engels, Textes sur le Colonialisme, Éditions en Langues étrangères, Moscou, pp. 100-102, 110-114, 137-144, 145-149, 158-167.


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