1931

Une étude écrite par Rakovsky alors en déportation et principal dirigeant de l'Opposition de gauche demeuré en U.R.S.S.


Problèmes de l’économie de l’U.R.S.S.

Kh. Rakovsky

6
Quelques résultats de l'industrialisation.


Ni l'accroissement des indices de la production élaborés par le plan, ni le plan élaboré des constructions de base ne furent préparés par toute la politique antérieure. Toute la politique passée équivalait en réalité à une utilisation élargie de l'ancien capital de base qui fut véritablement, dans une série de branches, livré au pillage sans le moindre souci du lendemain. Toute la politique dans le domaine de la répartition du revenu national et, en particulier, la politique des prix trouvait son aboutissement dans le fait que le peu de bénéfice que rapportait l'industrie se trouvait dissipé, sans parler du manque d’afflux de ressources extérieures. On ne commença à se soucier du lendemain que lorsqu'on y fut contraint par aujourd'hui. Tout ceci est tellement connu qu'il est superflu d’en parler. Je me bornerai à en donner des exemples puisés dans les régions sur lesquelles s'appuie toute l'industrie.

Caractérisant la situation dans la région de Nrivorojsk, qui alimente notre métallurgie en minerai de fer dans la proportion de 72 %, S. Doubinker écrit :

"Il semblait, jusqu'au moment où la production n'était pas intensive et où l'on pouvait utiliser ce qui existait avant‑guerre, que tout allait pour le mieux dans la région de Krivorojsk. Mais le rythme d'exploitation a changé ... Les réserves commencèrent à s'épuiser et la question de pousser les travaux de base se posa". (Pour l'Industrialisation, 27‑5).

Il n'y a rien à ajouter à cela : on ne posa le problème des constructions de base de l'industrie du fer que lorsqu'on tira à la fin des réserves accumulées avant‑guerre. La situation était analogue dans l'industrie minière. Là aussi il s'agissait "de planifier sur la base du vieux bassin du Donetz" et de limiter les travaux à l'utilisation "du pauvre état d'épuisement et de fatigue du vieux Donbass", (Pour l'Industrialisation, 9‑5). On ne se préoccupa du percement de nouveaux puits que lorsqu'on fut mis brutalement en face de l'épuisement complet du vieux Donbass. "Nous retardons honteusement ‑ écrit Chvetovsky (Sur le front du Plan, n°S 9‑10) ‑ dans la préparation des réserves productives de l'industrie minière". En réalité, la production du charbon, dans toute l'Union, atteint en 1929‑30 près du double du niveau d'avant guerre, mais ce résultat est acquis pour 90 % sur la base des vieilles mines.

Ce n'est qu'à la lumière de tels faits qu'on peut comprendre de quel droit se permet d’imputer aux ouvriers l'inexécution du plan d'ac­croissement de la production, ou celui de la diminution du prix de re­vient. La situation était identique dans les autres branches où l'on se contenta, dans, le meilleur des cas, d’une réparation rapide du capital de base. Le centrisme espérait bondir d'un seul. coup, en sautant les degrés de cet héritage, aux rythmes super-américains, grâce à une pres­sion exercée sur la classe ouvrière en l'enchaînant à "l'émulation so­cialiste" et aux brigades de choc, alors que la situation matérielle empirait progressivement. Plus les ruines s'accumulaient dans d'autres branches, plus on se déplaçait vers la ligne de moindre résistance, c'est‑à‑dire vers la pression exercée sur la classe ouvrière. Il n'est pas étonnant qu'à la suite des grandes "réalisations" atteintes sur cette voie, les réserves se trouvèrent rapidement épuisées, même si l'on se borne à un simple calcul économique. L'utilisation de cette réserve a atteint de telles limites que son application, épuisant l'ouvrier, n'apporte déjà rien à l'économie, ou même lui est nuisible : l'expression concrète de ce fait apparaît dans la différence existant entre la quantité et la qualité.

La politique des deux dernières années a atteint par l'autre bout le même résultat que faisait prévoir la politique des années antérieures. Élargissant toutes les disproportions, approfondissant toutes les fissures, elle a exigé une quantité incroyable de ressources, telles que le pays n'en possède pas. Durant un certain temps, ce processus se caractérisait par une hausse des indices quantitatifs aux prix d'un épuisement de la classe ouvrière. Lorsque cette réserve s'épuisa, il apparut alors clairement qu'il s'agissait d'un manque de ressources réelles. Cet état de fait décida de la marche des constructions de base. Et que signifie cette situation pour l'avenir de l'industrialisation ? La non‑exécution des travaux d'édification de base ne signifie pas seulement la non‑exécution du plan dans une des branches de l'économie nationale. Elle signifie la faillite des tentatives, dans la situation présente, d'asseoir dans un avenir prochain l'économie nationale sur une nouvelle base industrielle, en édifiant celle‑ci sur une nouvelle base technique. Je n'ai pas besoin d'indiquer que la faillite des constructions de base dans une des branches se répercutent directement sur les autres branches, et que cela signifie l'effondrement des indices quantitatifs qui, à leur tour, influent sur la marche ultérieure des travaux de base, etc.

Tout cela est indiscutable. Mais il est nécessaire de souligner l'un des moments de ce processus, qui aura une signification décisive dans un avenir prochain. La non‑exécution, ne serait ce que de 2 à 3 % d'une construction quelconque, signifie que toute cette construction ne peut pas encore être incorporée à la constitution organique du capital en activité. Jusqu'au moment où l'on termine la construction, toutes les ressources qu'on dépense pour elle continuent à être un capital mort. D'où le rôle important joué par les rythmes. Plus la construction nécessite de matériel, plus son retard requiert d'importance. Si, par exemple, le plan des constructions n'est exécuté que dans la proportion de 70 %, cela ne signifie nullement que les nouvelles constructions, agrégats, etc. seront réalisés dans les mêmes proportions par rapport au plan. Ce projet peut n'être que de 10 à 20 %. Dans ces conditions, seuls quelques pourcentages décident de la réalisation du plan. Mais lorsqu'il s'agit de dizaines de alors tout se répercute avec une force décuplée.

Si l'on considère la situation de fait, on peut sans aucun doute, non seulement déduire l'inévitabilité de l'échec, pratiquement déjà commencé, de toute l'industrialisation centriste, mais aussi dé­terminer la brèche qui fera surgir la crise. Cette brèche sera le déséquilibre entre la mise au rancart du vieux capital de base et I'impossibilité d'y substituer à temps voulu, un nouveau capital de base. Il se pourra que la somme totale du capital de base conservé et des ressources investies dans l'édification dépasse la somme du capital de base avec lequel fut commencée la réalisation du plan quinquennal, mais l'industrie n'en supportera pas moins une crise aiguë du capital de ba­se, tandis que les ressources investies dans des constructions inter­rompues seront immobilisées. Il se peut que les premiers symptômes de la crise prennent la forme d'une brusque chute des indices quantitatifs qui se prépare de divers côtés : d'un côté par l'impossibilité d'augmenter prochainement l'intensité du travail (elle diminuera plutôt, car le niveau atteint ne peut pas être maintenu, physiquement, durant un laps de temps très long), et d'un autre côté par la rupture du plan de tra­vaux de base et, enfin, l'insuffisance de matières premières nécessai­res à l'économie, qui constitue déjà un aspect critique du fonctionne­ment de notre industrie. Les avertissements espacés de la situation de notre approvisionnement qui empire, agissent dans le même sens. Paral­lèlement à la rupture des indices de quantité, il est fort possible que surgisse un peu plus tard, dans toute son acuité, la crise du capital de base par suite de l'échec des constructions de base. La crise de l'industrie est inévitable, en fait l'industrie y est déjà entrée. Et plus longtemps persistera la politique actuelle, plus brusque et aigu sera cet éclatement, et plus le recul sera accentué. La tentative de passer outre tout l'héritage de la politique antérieure, la tentative de passer outre par une voie aventuriste, en transférant tout le poids de l'industrialisation sur le dos de la classe ouvrière, tirent là leur fin. La façon dont les centristes entreprirent, avec un retard énorme, l'in­dustrialisation, ne pouvait que la vouer à l'échec. La faillite de l'in­dustrialisation centriste signifiera en même temps le discrédit énorme de l'industrialisation aux yeux de la ouvrière dans la mesure où elle assimile, grâce à la politique actuelle, à une pression exer­cée sur elle qui tient du brigandage et à une brusque aggravation de ses conditions de vie.

I ‑ L' électrification

"La base de l'énergie électrique, dans le développement de l'industrie et de l'économie nationale est des plus étroites", disent les thèses de Konibvochev au XVI° congrès. "La disette de l'énergie élec­trique approche", traduit en une langue concrète Konkelkraïevsky dans un article ainsi intitulé (Pour l'Industrialisation, 6‑6).

"Il suffit, dit‑il, de parcourir les numéros des deux derniers mois de Pour l'Industrialisation pour se convaincre qu'il existe déjà dans tous les rayons industriels une véritable, "disette d’électricité,". L'Union n'a pas un seul kilowatt d'énergie électrique en réserve. Les avaries dans le nombre augmente parce que nous continuons à travailler avec du "matériel qui a fait son temps", amène l'arrêt du courant. Si même les nouvelles constructions industrielles n'avaient pas été arrêtées, les nouvelles usines n'auraient pu être incorporées dans la production fau­te d'énergie électrique. Il est facile de se convaincre, par l'exemple de l'édification électrique qu'il est impossible de juger la situation réelle sur la base des données fournies de l'exécution du plan. Le plan des travaux de base de l'édification étatique a été réalisé dans la pro­portion de 37 %, c'est‑a‑dire un peu plus que la moyenne générale de I'industrialisation. Mais le programme est déjà interrompu et les trois quarts de toutes les constructions sont déjà arrêtées (id.). Comment cela est‑il arrivé ? Toujours pour la même raison, à cause du manque de ressources matérielles et du défaut d'équipement des matériaux de constructions. "Le manque de matériaux de construction ‑ dit Konkel­kraïevsky - n'est pas la cause déterminante de la rupture, car de toutes façons, on aurait été contraint de fermer la plus grande partie des constructions  interrompues, par suite du manque de matériel d'équipement''. La plus grande partie des commandes d'équipements d'importation a été annulée, et une partie en a été répartie dans nos usines dans des délais dépassant ceux du plan d'au moins de 4 à 18 mois. De même une des commandes n'ayant pu être répartie à l'intérieur de­vient de nouveau une perspective de commandes pour l'étranger. Le sort de l'année prochaine est déjà décidé cette année à la fin de laquelle apparaîtra un déficit d'un demi‑million de kilowatts. La part de Moscou et de Léningrad dans ce déficit est de 30 à 33 %, mais à la seule condition qu'aucune des stations actuellement en activité ne s'arrête, sans qu'il y ait une trop grande consommation de courant, ce qui, d'un autre côté, déséquilibrerait les sources d'énergie. On pourra sauver encore, la situation en 1932, en s'en prenant aux constructions nouvelles de 1930-31, mais seulement grâce à une augmentation hardie et appréciable de nouvelles constructions durant l'année prochaine, contrairement aux chiffres de contrôle du plan.

La situation de l'électrification met encore en évidence une des nombreuses disproportions qui existent ‑ la rupture entre l'industrie et sa base électrique, ce qui limite encore le développement de l'industrie.

On a pris aux constructions aux transports et ail­leurs des ressources liquides qu'on jeta dans l'industrie. Les sommes assignées à l'édification électrique n'ont été que de 14,1 % de l'ensemble des investissements industriels, contre 32,7 % en 1925‑26. mais comme le déplacement des ressources n'a pas augmenté leur volume général, cela ne fit que créer des disproportions complémentaires. Konkelralevsky caractérise fort bien la politique centriste qui s'accroche à l'effet immédiat et ne se soucie guère du lendemain, lorsqu'il remarque mélancoliquement : "Comme les résultats de l'édification électrique n'apparaîtront que dans quelques années, alors on y pense fort peu et on ne prêta aucune attention aux protestations du Centre Electrique". Il ne voit pas du tout le fond des choses. Il ne voit "qu'une attitude déconcertante par sa légèreté dans cette question de la part des dirigeants de notre industrie, alors qu'il s'agit simplement du manque de ressources réelles".

II - Les transports.

La situation est ici, catastrophique au sens propre du mot. On en parlé et l'état catastrophique des chemins de fer ne fait qu'empirer. Cependant, là aussi il y a un accroissement des indices quantitatifs. Mais ils ne se basent, d'une manière flagrante, que sur le capital ancien sans qu’il y ait la moindre tentative de renouvellement. En 1928‑29, nos chemins de fer occupaient déjà la première place dans le monde pour l'utilisation intensive du matériel roulant. Mais cela ne pouvait et ne peut se produire qu'au prix d'un épuisement colossal. Les années précédentes, les transports ne furent pas aussi délaissés que les autres branches de l'économie. Après, lorsque la nécessité, du développement de l'industrie "apparut", on tenta de sacrifier les transports. Ce n'est pas cela qui sauva la situation, mais ainsi surgit une disproportion de plus dans l'économie sociale. Les transports devinrent déjà le point le plus sensible, aussi bien pour l'industrie que pour l'économie rurale.

  Un aperçu général du travail tendu effectué par les transports ainsi que des ressources dont ils disposent pour le réaliser, est four­ni par les comparaisons ci‑dessous :

Par rapport à l'année 1913, on a en 1928-29 :

Pour l'année courante, la rupture s'est accentuée plus encore, parallèlement à l'accroissement de l'usure des voies et du matériel roulant. Ce que signifie cette rupture dans son expression matérielle et combien il est vain d'espérer une amélioration quelconque dans un avenir prochain, c'est ce que fait apparaître le fait suivant : le plan quinquennal prévoit la nécessité, étant donné le tonnage des marchandises en circulation en automne, d'une mise de fonds de 7 milliards de roubles (le réseau existant y entre pour 4 milliards et demi et les constructions nouvelles pour 2 milliards 200 millions de roubles). La question deviendra plus claire encore si l'on indique que concrètement cela signifie : 30 nouvelles locomotives ; 24 000 km de rails nouveaux ; 17 000 km de voies nouvelles ; 95 millions de traverses ; 59 000 km de lignes dispersées, par l'introduction de locomotives dans différentes régions.

Les transports ne reçurent rien de tout cela, et comme le déclara Roudzoutak à la conférence du Parti en Ukraine, "ils ne l'auront pas de sitôt". Bien plus, ce que les transports reçoivent ne permet pas de réparer l'usure courante. Le nombre des grosses locomotives varie de 11,2 à 23,9 %, selon les différentes voies. (Décret des Commissaires des voies et communications, Pravda du 19‑4). Plus de 10 000 km de rails ont dépassé leur courbe de vie. Sur les voies du Sud, 37 % des rails sont usés et ne peuvent répondre des convois qui y passent. Il y a des rails qui ont une usure de 14 à 20 mètres. Les rivets et les traverses ne valent rien et doivent être remplacés. Une série de ponts se trouvent dans un état tel que non seulement ils ne peuvent pas permettre le passage de lourds camions, mais ils menacent d'interrompre la circulation générale. Les entrepôts sont complètement abandonnés. De I'immense quantité de fournitures nécessaires aux transports, ils ne reçoivent rien. Avec bien du mal et plus d'un combat, on arrivera peut‑être à recevoir "quelque chose". L'état des livraisons effectuées par l'industrie forestière se compose ainsi. Selon le Commissariat de l'Economie Nationale, pour la première moitié de l'année : des traver­ses, 10 % au lieu de 20 % ; les poutres, 12 % au lieu de 20 % ; matériel roulant, 13 % au lieu de 40 % ; matériel pour ponts, 9 % au lieu de 28 % (Vie Économique, 10‑7).

Pour une demande pressante de 460 000 tonnes de rails, on ne réussit recevoir que 420 000 tonnes, mais même cette commande n'est pas exécutée et pour la première moitié de l'année, les transports n'ont reçu qu'une livraison de 115 000 tonnes en tout. Il est paru un décret spécial du Commissariat de la Défense du Travail enjoignant aux usines appropriées de commencer à satisfaire les commandes, mais cela s'est immédiatement traduit pas l'interruption de la fournitures des poutres et poutrelles en fer indispensables aux constructions indus­trielles. On s'est vu contraint d'interrompre la pose d'une double voie dans une série d'endroits (en particulier en Sibérie où c'est d'une grande importance). On se vit forcé d'interrompre 500 km de pose de rails de nouvelles voies et de remettre à plus tard le remplacement des rails sur les voies anciennes. Mais même lorsque les transports re­çoivent des rails, leur acier n'est qu'une véritable poussière, alors qu'avant‑guerre les rails servaient 30 à 40 ans, celles qui sont produites actuellement ne résistent pas 5 ans. (Vie Économique, 21‑6). Malgré cela, on a un besoin accru des transports ce qui fait augmenter le fret ainsi que la rapidité de l'usure.

Il n'est pas étonnant que dans de telles conditions les transports donnent de plus en plus des contre‑coups dans le travail. C'est rapidement qu'augmentent le nombre des "évènements", comme on dit, et dans leur nombre de "sérieux accidents", s'accompagnant d'une détérioration de matériel roulant et parfois de victimes humaines". (Vie Économique, 8‑7). Bien que le cas d'accidents de locomotives en pleine marche s'élèvent à plus de 8 000 en juin et pour la première quinzaine de juillet à plus de 5 500 contre 1 920 cas durant toute l'année dernière, les transports sont‑ils en état de fournir tout le travail qu'on leur demande ? Il est peu probable que quelqu'un y pense sérieuse­ment. Il n'y a pas de miracles. Peut‑on douter que, lorsque déjà l'année dernière, les transports donnaient de forts contre‑coups, avec un chargement journalier de 45 000 wagons, cette année, dans une situation bien pire, ils ne pourront supporter un chargement journalier moyen de 25 000 wagons ? Si durant tout l'été les transports ne furent pas capables de transporter ce qui était nécessaire seulement aux constructions, peut‑on donc penser que cela ira mieux lorsqu'on y adjoindra le transport des chargements de blé ? S'ils transportent si peu que ce soit du stockage de blé, alors on sera contraint de suspendre le transport des matériaux de construction. Telle est une des autres situations qui affaibliront la marche de la construction.

Les indices quantitatifs et l'état des nouvelles constructions dénotent une situation pire encore dans les transports fluviaux.

La situation du réseau ferroviaire et fluvial est telle qu'il ne servirait à rien d'y transporter toutes les mesures de sauvetage : I'émulation socialiste, les brigades de choc. Le problème ici aussi revient au manque de ressources réelles, dont il faut une quantité énorme.

Les tentatives de forcer le développement de l'industrie en privant de ressources réelles les transports et l'édification électrique, n'aboutirent qu'à une brusque interruption de ces dernières qui, à leur tour, enrayent le développement de l'industrie.

III ‑ Les finances et la circulation monétaire.

Les finances ne constituent pas, par elles-mêmes, une branche particulière de l'économie. Elles reflètent et permettent seulement d'un certain point de vue, les processus que traverse l’économie.

Le plan financier unique (qui réunit le budget d'État et les budgets régionaux avec le plan financier de l'industrie, des transports, etc.) totalise cette année près de 20 milliards de roubles contre 12 milliards l'année passée. Le budget unifié (celui de l'Etat et des régions) totalise 13 milliards 60 millions de roubles contre 91 million de roubles l'année précédente. Grâce au rôle important que joue l'Etat dans notre économie, 55 à 60 % environ du revenu national est compris dans le plan financier (A. Weinstein : Vie Economique du 26‑6). La plus grande part des revenus du plan financier, plus de 80 % est acquise grâce à la taxation des prix. Pour l'année courante, les ressources acquises sur les prix concernant le secteur des biens public, doivent donner environ 16 milliards et demi sur les 20 milliards de roubles. La part des impôts est d'environ 15 % (données fournies par le Commissariat des Finances, Vie Économique, 8‑5).

On s'aperçoit facilement que le problème du plan financier et de ses ressources est tout simplement, pour une grande partie, celui de la répartition du revenu national. C'est pourquoi je ne puis m'arrêter sur ce problème pris dans son ensemble, ce qui nous mènerait trop loin. Je m'arrêterai principalement sur le problème des causes générales de la rupture sérieuse déjà officiellement avouée du plan financier et sur les possibilités de la liquider qui. existent.

Le repli effectué dans la politique paysanne, sous l'influence de grands événements, donna, avant tout, naissance à un abaissement de l'impôt levé sur la campagne et à l'abandon de taxations de toutes sortes, à l'aide des méthodes de mesures administratives. A la réunion du Collège du Commissariat des Finances, Brioukhanov communiqua à ce sujet ce qui suit : "Sous la pression de la situation créée ces derniers temps à la campagne, il faut adopter pour la période à venir de sérieuses directives dirigées dans le sens d'un complet anéantissement des méthodes d'imposition administratives qui ressemblent à la taxation de païoks de dépôts, d'emprunts au compte de la conservation de l'argent de la paysannerie. Cette même situation économique impose aux organes gouvernementaux d'entrer dans la voie d'un abaissement des impôts à la campagne". (Vie Economique, 25‑5). Ajoutant à cela d'autres facteurs, y compris la hausse des prix, Brioukhanov tire la conclusion qu'on ne pourra retirer de la campagne que 1 milliards 700 millions de roubles, au lieu des 2 milliards prévus par le plan. Par conséquent, le déficit est ici de 300 millions de roubles.

Cette même situation amena une révision du plan de financement de l'économie agricole et une assignation de 500 millions aux kolkhozes.

Ainsi donc, le déficit à la est de l'ordre de 800 à 900 millions de roubles.

La faillite indiquée plus haut, du plan financier de l'industrie et des autres branches de l'économie se chiffre, d'après les données officielles fournies par Mindline, à plus de 1 milliard de roubles (Vie Economique, 21‑6).

Donc, d'après les données officielles, "le total du complément de ressources financières, indispensables sera de 2 milliards, ou même dépassera ce chiffre d'une quantité importante".

Ce déficit qui est maintenant officiellement reconnu, pose deux problèmes :

  1. Cette rupture peut‑être liquidée, et comment ?
  2. Que signifie cette rupture ?

  Nous trouvons la réponse à la question de savoir comment le gouvernement s'apprête à combler ce déficit, dans le même article de Mindline, qui indique les sources suivantes : les réserves et les ressources supplémentaires des assurances sociales et gouvernementales, qui doivent, selon le calcul du Commissariat des Finances, de la Banque d'Etat et des autres institutions, donner 250 à 300 millions de roubles l'excédent de recettes des transports par rapport au plan d'environ 250 à 300 millions de roubles ; l'excédent de recettes du budget d'Etat par rapport au plan, de 600 à 700 millions de roubles ; la mobilisation complémentaire des ressources intérieures de l'industrie, des transport; etc., 150 à 200 millions de roubles ; la suppression de certains chapitres, de dépenses du budget et le report d'une partie des dépenses à l'année prochaine : 200 à 250 millions de roubles. Au total, 1 450 à 1 700 millions de roubles.

Même si nous admettons que toutes ces ressources soient réelles (voir ci‑dessus), il n'en reste pas moins un déficit de 300 à 550 millions. Comment le comblera‑t‑on ? D'après Mindline, ce déficit ne peut être couvert "qu'au prix d'un certain excédent du plan d'émission", exclusivement. Cela nous conduit infailliblement au problème de la situation de notre circulation monétaire, et, par voie de conséquence, à celui de savoir jusqu'à quel point cette source est réelle.

Le problème de la situation de la circulation monétaire ‑ plus exactement celui de savoir si l'inflation existe chez nous est parmi nous un sujet de controverse qui ne date pas de cette année. Au moins dès 1928 nous répondions affirmativement à cette question. Lorsque Boukharine, dans ses Remarques d'un Economiste, s'enfermait dans un cercle vicieux, en s'étonnant de ce que toutes les branches de l'économie retardaient les unes par rapport aux autres de ce qu'on manquait de produits manufacturés et de produits agricoles, Smilga lui expliquait ce dont il s'agissait.

"Si toutes les marchandises sont insuffisantes (écrivait‑il en réponse à Boukharine), cela signifie qu'une seule marchandise, l'argent, se trouve en excédent".

En réalité, si l'on part véritablement de la conception de l'inflation qui découle de la théorie marxiste de la circulation monétaire, seul peut nier l'inflation celui qui ignore cette théorie. (Mais on sait que sa connaissance n'est pas obligatoire pour les partisans de la ligne générale).

Cette dernière année, l'accroissement du volume de la circulation monétaire devance brutalement toutes les prévisions du plan, dépasse brutalement les revenus en argent de la population et commence par rapport à l'année dernière, à devancer l'accroissement de la circulation des marchandises. Le tableau ci‑dessous donne la physionomie générale de ce phénomène :

1926‑27
1927‑28
1928‑29

Accroissement du volume de la circulation monétaire en %

21

34

Rapport du rythme d'accroissement du revenu en argent de la population au rythme d'accroissement de la masse moné­taire

66,7

33,3

37,7

Rapport du rythme d'accrois­sement de la circulation des marchandises avec celui de la masse monétaire

98,6

105,4

87,4

(Extrait de l'article de Diachenko, Vie Economique du 29 juin et 2 juillet).

On a pour cette année, projeté d'augmenter le volume monétaire jusqu'à concurrence de 3 milliards 1 million, et l'on se prépare actuellement à l'élever encore, étant donné la situation de disette de marchandises brutalement accrue, aussi bien pour les produits agricoles que pour les produits manufacturés. Cela signifiera que l'unique marchandise ‑ l'argent ‑ qui de toute façon est loin d'être en excédent, s'accroîtra quantitativement. Le plan ne nous fournit aucune justification de ce fait, si l'on ne tient pas compte de la situation générale qui fait dire que "chez nous ce n'est pas comme chez les autres".

N'ayant aucune possibilité de dire quelque chose de personnel, Diachenko nous propose d'étudier et de rechercher "ce que, dans la situation de l'économie soviétique nous pouvons définir comme étant de l'inflation, dans quelles conditions elle est inévitable, et quels en sont les symptômes dans la circulation monétaire et dans celle des marchandises".

Mais il se hâte aussitôt de prévenir les résultats de cette investigation savante et déclare "mal fondés (?) les bavardages de toute sorte sur l'imminence de l'inflation (ou même déjà commencée)" et il promet, en compagnie de Mindline, de "taper sur les doigts" de tous ceux qui "font des sorties déplacées à propos des émissions de billets". Mais dans la mesure où la vie ne s'embarrasse guère de ces menaces et où nous n'avons aucune raison de craindre l'accentuation des attaques contre la ligne générale, nous ferons notre possible pour comprendre ce problème.

Que peut‑on, dans les conditions de l'économie soviétique appeler inflation ? Pour l'instant, c'est la même chose que dans les économies non‑soviétiques : il s'agit d'une situation où ‑ pour employer les termes de Smilga ‑ toutes les marchandises font défaut et où une seule marchandise ‑ l'argent ‑ se trouve en excédent, lorsque l'accroissement du volume monétaire ne correspond pas aux exigences de l'économie nationale.

Dans quelles conditions l'inflation devient‑elle inévitable ?

Malgré l'exception qui existe chez nous, du fait du rôle particulier que joue l'Etat dans l'économie nationale, les conditions qui créent inévitablement l'inflation sont les mêmes que dans les autres pays. L'inflation devient inévitable lorsque l'Etat ne possède pas suffisamment de valeurs réelles pour couvrir ses dépenses. C'est pour se procurer ces ressources insuffisantes que l'État émet du papier monnaie qui correspond, non pas aux nécessités de l'échange des marchandises, mais à celles de son calcul financier. De même que dans les autres pays, cette émission de papier monnaie représente par elle-même un impôt d'inflation, à l'aide duquel le gouvernement draine à lui les ressources réelles dont il a besoin. C'est pourquoi le problème qu'on doit poser, n'est pas de savoir ce qu'est l'inflation et quand elle devient inévitable, mais de savoir quelle est l'étendue de l’inflation et sur qui retombe cet impôt d'inflation. Il y a des différences plus sensibles avec les autres pays en ce qui concerne les voies que prend I'emprunt d'inflation pour atteindre le dernier des contribuables. Dans les pays où l'Etat ne joue pas directement un grand rôle dans l'économie nationale, il gagne pour autant que perd l'économie nationale. C'est seulement ensuite que commence la lutte entre les différentes classes et couches de la population pour savoir sur qui l'impôt doit retomber en dernier ressort. Chez nous, l'affaire se présente d'une manière toute différente. Chez nous, l'Etat entre immédiatement en lice comme facteur de l'économie (pour la seule industrie, la production constitue 37,1 % du revenu national) ; c'est pourquoi il devrait supporter une part correspondante de l'impôt d'inflation. Il recevrait par l'intermédiaire du Commissariat des Finances ce qu'il perdrait au Commissariat des Voies et Communications et au Collège de l'Economie nationale, etc. Mais une telle opération, qui ne ferait que changer l'argent de poches, serait insensée. C'est pourquoi, utilisant les leviers de commandes qu'il a entre les mains, il s'efforce de rejeter le poids de cet impôt. Or, il est évident que l'impôt ne peut être rejeté que sur la paysannerie ou sur la classe ouvrière (évidemment seulement à la condition que soient inscrites dans les budgets de la campagne et de la classe ouvrière des ressources réelles qui puissent être prises). Si l'on ne trouvait pas ces ressources, alors l'Etat serait contraint de se payer à lui-même cet impôt et, en conséquence, il n'aurait pas de nouvelles ressources.

En ce qui concerne la campagne, elle a utilisé ces dernières années toute une série de mesures pour essayer de se débarrasser et de rejeter sur les autres tout paiement, y compris l'impôt d'inflation. Une des méthodes qui découle tout naturellement du caractère d'économie marchande de notre économie agricole est la hausse des prix. L’index général des prix agricoles est le suivant (selon les données de Maïmen dans Sur le Front du Plan, n° 9‑10) :

1927-28
1928-29
1929-30
185,8
196,8
217,4

L'une des conséquences est que les "ciseaux" se resserrent de plus en plus :

1926-27
1927-28
1928-29
140,7
126,6
110,7

Il n'y a pas de doute que, cette année, les ciseaux se resserreront tout à fait. C'est ainsi que s'opérait à la campagne une accumulation accrue à la fois nous forme de marchandises et sous forme d'argent Selon les calculs de Milmen (id.), la campagne accroîtra cette année son fonds d'utilisation de marchandises de 600 millions de roubles, après quoi il lui restera quelque "deux cents millions de roubles". Mais ce n'est là qu'un accroissement. Je n'ai pas pu découvrir d'estimation de la somme générale des ressources accumulées à la campagne pour l'année courante. A la réunion du commissariat des Finances, on indiqua une somme de 2 milliards pour l'année prochaine.

Mais dans notre situation, la hausse des prix agricoles ne signifie pas encore que la paysannerie repousse loin d'elle l'impôt d'inflation. Cela serait vrai si la paysannerie recevait des produits manufacturés contre du papier‑monnaie. Mais en présence d'une disette aigüe, des marchandises et en l'absence de fait de tout marché, la paysannerie ne reçoit pas autant de produits manufacturés qu'elle a accumulé de ressources monétaires, et lorsqu'elle en reçoit elle ne les obtient en fait, durant ces dernières années, qu'en échange de ses produits agricoles. Ainsi, l'accumulation monétaire perd tout sens pour la paysannerie. La paysannerie se refuse de plus en plus a vendre contre de l'argent ; elle n'a besoin d'argent que dans la mesure des paiements qu'elle doit faire au gouvernement, et dans la mesure où elle espère se procurer pour de l'argent sur le marché libre, les marchandises qui lui sont nécessaires. C'est pourquoi, en vendant, elle cote l'argent selon le prix qu'elle doit payer sur le marché libre pour les marchandises dont elle a besoin, par exemple, 20 kopecks pour 4 rouble. (L'index du marché libre s'est déjà élevé à 500). Au‑delà des sommes qui lui sont nécessaires dans ce but, la paysannerie se refuse de plus en plus à vendre contre de l'argent et exige des valeurs réelles en échange de ses marchandises. Ainsi, la paysannerie tente de se libérer de l'impôt d'inflation, premièrement en refusant l'argent et, deuxièmement en ne l'acceptant qu'à la mesure de sa valeur sur le marché libre. Evidemment, elle ne réussit pas à se libérer entièrement de cet impôt, mais il est fort peu probable, ainsi qu'en témoigne le poids spécifique de sa production propre dans le revenu national (27 %), qu'elle le supporte dans sa plus grande partie.

Reste le problème du partage de l'impôt d'inflation entre l'Etat et la classe ouvrière.

Il est évident qu'une partie de cet impôt retombe sur l'Etat lui-même. Mais, ayant entre les mains une série de leviers de commande qui lui permettent de s'en débarrasser, l'Etat les utilise pour rejeter cet impôt sur la classe ouvrière. La forme sous laquelle se paie l'impôt d'inflation se voit d'une manière palpable ; cette forme est le retard du salaire réel par rapport au salaire nominal. La mesure de ce retard indique quelle est la proportion de l'impôt d'inflation qui retombe sur la classe ouvrière. Et le fait que la classe ouvrière se trouve désarmée, n'ayant, contrairement à la paysannerie et à l'État, aucun moyen de rejeter sur d'autres cet impôt, détermine aussi le fait que cet impôt retombe pour une grande part sur elle et est en tout cas, loin d'être proportionnel à sa part dans le revenu national.

Telle est la véritable réponse tirée des faits, et non du dévouement à la ligne générale, à la question de savoir s'il y a chez nous de l'inflation et sur qui retombe le poids principal de l'impôt d'inflation.

La prochaine étape, qui découlera de la politique menée en matière de circulation monétaire, sera évidemment le retrait du tchervonetz de la circulation. L'émission se fait maintenant uniquement en billets de trésorerie (1 rouble, 3 roubles, 5 roubles). On freine à dessein l'émission de tchervonetz, afin de le préserver et de sacrifier les coupures de trésorerie. Il ne fait à peu près aucun doute qu'avec la persistance de la tendance actuelle nous allons à une nouvelle étape, vers la répartition du parallélisme monétaire que nous avions connu a la fin de 1923 et au commencement de 1924, lorsque le tchervonetz planait au‑dessus des billets soviétiques qui perdaient leur valeur. Mais nous avions alors la possibilité de conserver, à ce prix, le tchervonetz. Actuellement, si le billet divisionnaire de trésorerie joue le rôle des billets soviétiques (dont il ne se différencie nullement par sa nature), il risque, dans la situation présente, d'entraîner le tchervonetz dans sa chute. Si même, comme on va l'essayer, on tente de préserver le tchervonetz en limitant son émission et en le séparant nettement des billets divisionnaires de trésorerie, alors il disparaîtra rapidement de la circulation. Ces symptômes témoignent aussi de l'étendue de l'inflation. Elle a atteint une proportion telle que la menace d'une faillite entière du système monétaire se fait pleinement sentir. Telle est la véritable réponse à la question de l'étendue de l'inflation.

J'en reviens au problème du plan financier. Pour examiner à quelles sources on peut se procurer de l'argent pour couvrir les déficits qui s'y manifestent, il est nécessaire de s'arrêter un peu longuement sur la partie des sources générales de ses revenus.

Comme nous l'avons déjà indiqué, les voies principales par lesquelles on mobilise les ressources se trouvent être la saisie directe des ressources de la population (15 à 18 %) et la taxation des prix (75 à 80 %). La première source ne compose des impôts agricoles, de l'imposition volontaire, des impôts sur les revenus des ouvriers et des employée, des emprunts, des investissements dans le système coopératif, etc. Comment ne répartissent‑ils entre les groupes et les classes de la population ? L'impôt agricole et, par conséquent, l'imposition volontaire constituent, en comparaison, une somme peu importante (sans doute pas plus de 300 à 350 millions de roubles au maximum) ; en tous les cas, ils ne sont pas susceptibles d'augmentation. L'accroissement des versements aux coopératives ne fait, comme on le sait, "avec plein succès" grâce au travail non‑payé, mais très faiblement à la campagne, notamment depuis que l'on a été obligé de cesser de récolter par la force les versements volontaires. L'impôt sur le revenu des ouvriers et des employés retombe évidemment sur eux seuls. Quant aux emprunts et à leur répartition entre les principales classes, voici ce qu'en disent les chiffres des souscriptions pour le troisième emprunt d'industrialisation, auquel la participation paysanne a atteint le maximum :

En milliards de roubles
Pourcentage
Ouvriers et employés
671 400 000
71,3
Paysannerie
205 900 000
21,9
Divers
64 300 000
6,8
941 600 000
100

La conclusion à tirer est claire ; la principale source est ici la retenue sur les salaires des ouvriers et des employés. S'engageant sur la voie de la moindre résistance, l'Etat semble avoir pressuré ici le maximum possible. On fut même contraint de limiter la souscription "volontaire" pour l'emprunt des salaires de quinzaine.

De même, on fut contraint de battre en retraite sur les premiers plans élaborés relatifs à la paysannerie : aussi est‑il inutile de parler naturellement d'une augmentation des ressources sur ce chapitre (si l'on n'envisage pas la confiscation des ressources naturelles par des mesures extraordinaires). Par conséquent, cette première source se trouve tarie.

On se tourne vers la seconde source, vers les ressources acquises par la taxation des prix. Considérant le rôle joué par cette source dans le plan financier, le rapporteur Teoumin disait, à la réunion du Collège du Commissariat des finances : "La base de toute notre politique financière se résume en trois points : les prix, le prix de revient et les salaires". De quelle façon peut‑on réaliser ici une augmentation des ressources ? Passant les salaires sous silence et considérant "qu'on ne peut pas emprunter la voie d'une augmentation des prix", Teoumin aboutit évidemment à cette conclusion que " l'unique ressource complémentaire ne peut être qu'un abaissement du prix de revient". Teoumin expliqua très justement la situation dont découle la politique actuelle et c'est très justement que, se basant principalement sur cette politique, il omit de mentionner les salaires. Si "nous ne pouvons pas nous engager dans la voie d'une augmentation des prix", alors il est évident qu'on ne peut trouver de ressources que par un abaissement du prix de revient, qui ne peut être actuellement réalisé qu'au prix d'un accroissement de l'intensité du travail ou par un abaissement des salaires. Mais comme on n'arrive à récupérer que fort peu par l'abaissement du prix de revient, cela signifie, par conséquent l'abaissement du niveau des salaires.

L'unique personne qui, à cette réunion, ait réfléchi sur ce problème est Malakhovsky, le représentant de la région de Tchernozium. Il est remarquable que, passant sous silence le prix de revient, il ait posé le problème de la nécessité de réaliser une hausse des salaires réels de l'ordre de 10 à 15 %. Après cela, il lui fut facile de démontrer qu'on peut, à la seule condition d'une stabilisation des prix, réaliser "une balance formelle du plan financier et du budget telle qu'il restera à la campagne 1 milliard 500 millions à 2 milliards de ressources monétaires sans emploi". Estimant que ne pas satisfaire une demande si importante de la campagne signifie "laisser sans défense et sans protection la base du plan de l'économie nationale", il propose de soustraire cette somme à la campagne en haussant les prix par un élargissement du système de la dualité des prix [1].

Je répondrai plus bas à la question de savoir ce que cela pouvait donner réellement. Mais le fait est que le centrisme ne s'engage pas dans cette voie ... On peut encore prendre quelque chose à la classe ouvrière au compte des "réserves et du superflux des assurances ; on peut encore s'en prendre à d'autres sources, mais le seul fait qu'on lui oblige d'interrompre les souscriptions à l'emprunt par prélèvement sur les salaires mensuels et mi‑mensuels témoigne que le centrisme lui-même commence à comprendre qu'on ne peut pas comprimer à l'infini le budget de l'ouvrier. Il n'y a pas le moindre doute que le centrisme s'efforcera de pousser en avant sur la voie d'une double pression sur la classe ouvrière : l'intensification du travail et l'abaissement de fait du salaire.

Mais s'ils ne comprennent pas, ou ne veulent pas comprendre, les conséquences politiques de ces actes, ils n'en seront pas moins forcés de comprendre d'un point de vue strictement économique, le caractère irrationnel de cette façon de se procurer des ressources. Prendre à l'ouvrier ce qui lui reste peut suffire à renforcer son mécontentement aigu, mais c'est parfaitement insuffisant pour combler le déficit des valeurs réelles. Dans la mesure où le fardeau retombe à nouveau sur l'économie étatique il ne fait qu'engendrer un cercle vicieux. Cela ne peut donner aucune ressource nouvelle si l’on ne considère pas qu'une répartition et une utilisation plus rationnelle des ressources existantes peuvent en fournir une partie. Mais comme toutes les réserves de l'économie étatique sont pressurées à l'extrême, il est fort peu probable que cela donne quelque chose. On ne peut, par là, que joindre les deux bouts dans la comptabilité et réaliser une balance formelle, mais on obtiendra vraisemblablement fort peu de ressources. Tout cela signifie qu'on obtiendra aucune autre ressource complémentaire, à l'intérieur du cercle que constituent l'économie étatique et la classe ouvrière, par la réduction au minimum des réserves étatiques et l'épuisement physique extrême de la classe ouvrière. Et qu'arrive‑t‑il à la limite du cercle ? On doit ici avoir en vue deux circonstances fondamentales :

  1. que tous les processus qui se déroulent à la campagne se produisent sur la base de la chute de la capacité de production de l'économie. Un des reflets de ce phénomène, c'est que l'accumulation demeure sous forme d'accumulation monétaire, ne se transformant pas en ressources utiles à la production. L'accaparement des ressources de la campagne par des méthodes économiques aurait avant tout pris la forme d'un accaparement de cette accumulation monétaire. Cela aurait évidemment permis d'atténuer, dans une certaine mesure, la demande de la campagne et aurait permis de transférer ces ressources. Mais comme je l'ai déjà démontré, l'effet n'en aurait pas été bien grandi, car même sans cela la paysannerie n'a déjà pas la possibilité d'utiliser son accumulation monétaire pour la transformer en valeurs réelles. L'accumulation de la paysannerie reste sous forme d'argent, parce qu'elle n'est pas compensée, dans le pays, par une quantité correspondante de ressources réelles.
    Mais dans la mesure où la saisie de cette accumulation d'argent aurait pu libérer des ressources réelles, elle serait nettement insuffisante pour combler ce fossé immense qui s'est creusé dans l'économie étatique. Sans doute aurait‑elle pu être d'un grand secours quelques années auparavant; au moment où cette rupture était beaucoup moins forte, alors que la campagne s'enrichissait. Aujourd'hui par contre, la chose se présente tout autrement, étant donné les proportions actuelles de cette rupture et de l'abaissement des forces productives de la campagne.
  2. Les rapports réels des forces de classe sont tels que la saisie des ressources à la campagne, qui peut paraître très normale économiquement est liée a des complications politiques très aigües.
    Enfin, il ne faut pas perdre de vue que même si nous pouvions prélever des ressources réelles à la campagne, on ne les trouverait pas sous une forme naturelle qui permette de les utiliser immédiatement pour liquider la rupture de l'économie étatique. Cela signifie‑t‑il que le problème de la répartition du revenu national ne se pose plus ? Evidemment non, mais c'est sa signification qui change. Il faut se rendre clairement compte que l'ensemble du pays n'a pas les ressources qui lui sont nécessaires pour réaliser le programme aventuriste du centrisme. C'est en cela principalement que consiste son aventurisme.
    J'ai, en bloc, dépassé le chiffre de 2 milliards de déficit, avancé par Mindline. Mais ce n'est là que le chiffre nécessaire pour réaliser une balance formelle. Il suffit de rappeler les 7 milliards qui devaient être investis dans les transports pour la réalisation de leur programme de travail actuel, pour comprendre ce dont nous avons réellement besoin et quel est notre déficit réel. De plus, le fait qu'entraînée par les transports, l'industrie se mit à courir de l'avant signifie que, dans les transports comme dans l'industrie, de nouvelles brèches se sont ouvertes.

Aucune répartition du revenu national ne peut y remédier. La répartition du revenu national est nécessaire pour effectuer les investissements sans lesquels la base de la dictature du prolétariat disparaît ‑ des investissements dans la classe ouvrière. La répartition du revenu national peut donner quantitativement et qualitativement suffisamment de ressources pour réaliser ces investissements, mais aucune répartition du revenu national ne réparera les brèches ouvertes durant des années par la politique opportuniste.

IV ‑ La situation à la campagne.

Tous les problèmes liés à la campagne sont trop vastes pour qu'on puisse les épuiser brièvement. C'est pourquoi je serai contraint de n'esquisser ici que quelques traits généraux. (J'ai en partie abordé ce problème plus haut).

Dire que la politique de la collectivisation généralisée et de la liquidation du koulak a fait faillite, c'est émettre une banalité. En réalité, les centristes furent d'eux-mêmes obligés d'abandonner cette politique qui ne comportait de si merveilleuses entreprises que sur le papier. Il ne reste plus qu'à dégager quelques résultats généraux et à indiquer les lignes fondamentales sur lesquelles ils apparaissent.

Le premier résultat préparé par toute la politique antérieure et l'accentuation de la période ultra‑gauche est la chute des forces productives agricole, déjà incontestable pour le cheptel et pour certaines parties des cultures techniques, et qui commence à poindre dans le culture des semences. Il faut considérer l'ensemencement d'automne comme infructueux. Les index quantitatifs (même la où ils n'existent pas que sur le papier) se fixent aussi en qualité. Le grand retard des ensemencements (non à cause du mauvais temps, mais par suite de la mauvaise humeur de la paysannerie), le mauvais travail de la terre, se feront sensiblement sentir à la récolte. La façon véritablement pillarde dont les ressources de l'industrie ont été éparpillées et dispersées à la campagne par suite de la politique actuelle, ne se fera pas moins sentir dans toute l’économie. L'autre aspect du problème se résume dans le fait que tout ce qui se trouve à la campagne, comme par exemple les produits industriels, ne peut être repris avec la même légèreté. Il faut encore savoir comment prendre à la paysannerie. Dans la situation actuelle, ce ne sera guère facile. Il est certain que les kolkhozes ne livreront pas leur pain avec plus de bonne volonté que des exploitations individuelles, et que l'on sera forcé de prendre à leur égard des mesures extraordinaires ou plus simplement celles du "droit commun". Ce qui signifiera la fin de la construction des kolkhozes. La ruine des kolkhozes ne fut retardée en automne que parce que l'ensemencement se faisait sous leur égide : ainsi se retirer des kolkhozes équivalait pratiquement à se priver de sa part de récolte. C'est pourquoi les kolkhoziens attendent et n'auront pas la patience d'attendre la fin de la récolte pour réaliser le partage autour duquel se mènera une lutte très âpre. Lorsque la lourde main de l'Etat entre­ra en jeu elle ne fera qu'atténuer la lutte interne et renforcer le front unique de la campagne qui unira le paysan non en tant que kolkho­zien, mais en tant que petit propriétaire, dont l'existence "collecti­viste" sera terminée à ce moment. Le paysan moyen sortira du kolkhoze déçu de la journée d'hier et indécis sur celle d'aujourd'hui. Ce se­rait, dans ces conditions, un non‑sens que de le contraindre à étendre en automne la surface des ensemencements.

La baisse des forces productives à la campagne est maintenant de toute façon inévitable, aussi bien si l'on poursuit la politique actuelle qui renforce le front unique à la campagne que si l'on mène une politique juste qui consisterait à briser ce front unique en introduisant la lutte de classes à la campagne. Ni l'une ni l'autre de ces éventualités n'est favorable à l'accroissement des forces productives.

Or, la baisse des fortes productives de l'économie agricole constitue un des plus grands obstacles à la croissance de l'industrie. Le cercle est fermé. Le retard du développement de l'industrie est déjà une des causes de la dégradation de l'économie agricole qui, à son tour, se met en travers du développement de l'industrie.


Notes

[1] Bien que tous ces chiffres se rapportaient à l'année prochaine, ces considérations sont entièrement acceptables pour l'année courante. Ch. Rakovsky.


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