1930

A l'heure du combat contre le cours gauchiste de la bureaucratie stalinienne.


La "troisième période" d'erreurs
de l'Internationale Communiste

Léon Trotsky

 

8 janvier 1930


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V

 

"Pas d'accord avec les réformistes"

Une autre conclusion importante découlant de la "troisième période" est présentée par Molotov sous la forme suivante :

"Plus que jamais la tactique de coalition entre les organisations révolutionnaires et organisations réformistes est aujourd'hui inacceptable et nuisible." (Pravda N°177, 4 août 1929).

"Plus que jamais." Elle l'était donc — inacceptable — déjà précédemment ? Comment alors expliquer toute la politique des années 1926-1928 ? Et puis, pourquoi cette coalition — inacceptable en général — est-elle devenue particulièrement inacceptable maintenant ?

Parce que désormais — nous répond-on — nous sommes entrés dans une période de recrudescence révolutionnaire. Mais alors, comment oublier que lorsqu'on fit bloc avec le conseil général des trade-unions on motiva cette mesure en prétendant que l'Angleterre était entrée dans une période de recrudescence révolutionnaire et que la radicalisation des masses ouvrières anglaises allait pousser les réformistes vers la gauche ? Par quel hasard la sagesse d'antan de la tactique stalinienne se retournerait-elle comme un gant ? Mais nous chercherions vainement à éclaircir cette énigme. S'étant échaudés à l'expérience du comité anglo-russe, les empiriques du "centrisme" veulent tout simplement se prémunir, par un serment solennel, contre toute gaffe à l'avenir. De quoi, hélas ! leur serviront les meilleurs serments s'ils n'ont toujours pas compris la leçon qui se dégageait de cette expérience ?

En effet, l'erreur de l'accord anglo-russe ne résidait pas du tout dans le fait même d'un accord passager avec le conseil général qui, à l'époque (1926) inclinait incontestablement à gauche, sous la pression des masses. L'erreur intiale fut d'avoir conclu le bloc non sur la base de tâches nettes et pratiques, accessibles à la compréhension de la masse ouvrière, mais sur la base de phrases pacifistes d'orde général et de formules mensongèrement diplomatiques.

Mais la principale erreur — et qui dégénéra en crime historique d'une portée immense — de nos stratèges, est de n'avoir pas su rompre immédiatement et franchement lorsque, retournant ses armes, le conseil général se mua d'allié incertain en ennemi déclaré de la grève générale.

L'influence qu'exerce la radicalisation des masses sur les réformistes est en tous points semblable à celle exercée par le développement de la révolution française sur les libéraux. Dans les premiers stades du mouvement des masses, les réformistes évoluent à gauche dans l'espoir de conserver la direction. Puis, lorsque ce mouvement dépassant la limite des réformes, la masse ouvrière réclame la rupture ouverte de ses chefs avec la bourgeoisie, la majorité des réformistes changent brusquement de ton et de suiveurs apeurés qu'ils étaient, deviennent franchement briseurs de grève et traîtres. Toutefois une fraction d'entre eux — et souvent non des meilleurs — passent dans le camps de la révolution.

Un accord momentané avec les réformistes, dans la phase précise où, sous la pression des événements ils se sentent contraints de faire un demi-pas en avant, peut devenir nécessaire. Mais cet accord doit prévoir implicitement la rupture nette et inévitable dès qu'ils font brusquement machine arrière. Les réformistes ne sont pas traîtres en ce sens qu'à tout moment et dans tous leurs actes ils exécutent les ordres formels de la bourgeoisie. S'il en était ainsi les réformistes n'auraient pas la moindre influence sur les ouvriers et dès lors la bourgeoisie n'aurait pas besoin d'eux. Or, c'est pour disposer de l'autorité nécessaire au moment propice que les opportunistes se voient obligés, dans la période de préparation, d'assumer la direction de la lutte ouvrière, surtout dans les premiers temps de la radicalisation des masses. D'où la nécessité de la tactique du front unique, dans l'application de laquelle, au nom d'une plus grande cohésion des masses, nous devons nous résigner à des accords pratiques avec les chefs réformistes de celles-ci. Pour déloger pas à pas la social-démocratie de ses positions, il serait avant tout nécessaire d'avoir une conception d'ensemble bien claire quant à son rôle historique, conception dont il n'y a même pas trace dans les directives actuelles.

Ces directives consistent tantôt à emboîter le pas à a social-démocratie (méthode Brandler 1926-1928), tantôt à vouloir confondre social-démocratie et fascisme, la méthode révolutionnaire faisant place à d'impuissantes bordées d'injures. D'où, comme résultat, les errements des six dernières années : renforcement de la social-démocratie et affaiblissement du communisme. Les directives automatiques du Xe plenum ne pourront qu'aggraver encore une situation déjà par avant suffisamment compromise. Il faut être bien simple d'esprit pour croire que par l'unique vertu miraculeuse de la "troisième période", la classe ouvrière va abandonner en masse la social-démocratie, et pousser la bureaucratie réformiste dans les bras du fascisme. Il n'en sera rien car le processus se déroulera par des voies infiniment plus tortueuses et contradictoires. Que tous les Molotov se le disent donc bien une fois pour toutes ; le mécontentement croissant contre le gouvernement social-démocrate en Allemagne ou travailliste en Angleterre, et l'évolution des grèves partielles et disséminées vers des mouvements de masse de plus en plus amples, auront comme conséquence infaillible (quand ça viendra !) le glissement à gauche d'une très grande partie du camp réformiste, tout comme les fluctuations intérieures en U.R.S.S. provoquèrent le gauchissement du camp centriste celui-là même dont Molotov fait partie.

A l'exception peut-être des éléments les plus conscients de l'aile droite (tels J. H. Thomas, Hermann Muller, Renaudel, Jouhaux, etc.) les social-démocrates et les gens d'Amsterdam seront bien contraints dans certaines circonstances de prendre eux-mêmes la tête du mouvement. Nous savons d'avance qu'ils ne le feront que pour mieux retenir ce mouvement dans les limites bien étroites ou pour frapper le prolétariat dans le dos dès que ces limites viendraient à être forcées ; mais bien que nous en avertissions ouvertement l'avant-garde prolétarienne, force nous est d'ajouter que des centaines et des milliers de fois, encore les communistes devront composer avec les réformistes jusqu'à prendre eux-mêmes l'initiative de pareilles ententes pour conserver la main sur la direction et rompre au moment précis où ces alliés peu sûrs viendront à trahir ouvertement. Cette politique sera surtout inévitable à l'égard de la social-démocratie de gauche, celle-là même qui, lors de la radicalisation des masses, est forcée davantage de se poser en antagoniste de l'aile droite jusqu'à devoir peut-être s'en séparer par une scission ouverte. Et cependant une telle perspective n'infirme en rien le fait que la tête de la social-démocratie de gauche est presque toujours composée des agents les plus corrompus et les plus dangereux de la bourgeoisie.

Comment pourrait-on, par exemple, se passer d'un accord pratique avec les réformistes dans le cas où ce sont eux qui assument la direction des grèves ? Si momentanément ces cas sont rares, cela tient au fait que le mouvement gréviste est encore faible et que les réformistes peuvent encore l'ignorer ou le saboter. Mais lorsque des masses de plus en plus importantes se verront entraînées, les ententes s'imposeront de part et d'autre. Même nécessité encore de composer avec les formations social-démocrates et avec leurs chefs eux-mêmes — plus vraisemblablement avec une partie d'entre eux — dans la lutte antifasciste. Cette dernière éventualité pourrait être plus proche qu'on ne croit, non seulement en Autriche, mais même en Allemagne.

Ainsi donc les directives du X° plenum s'avèrent être inspirées surtout par une mentalité d'opportunistes mortellement apeurés. Nous entendons déjà les Staline, Molotov et autres alliés d'hier de Tchang-Kaï-Chek, Wan-Tin-Weï, Pucell, Cook, Fimmen, La Follette, Raditch, s'écrier que l'opposition de gauche préconise le bloc avec la II° Internationale ! Mais ces exclamations n'empêcheront pas que lorsque la radicalisation des masses les prendra de nouveau au dépourvu, ces bureaucrates proclameront une "quatrième période" ou une "seconde phase de la troisième période" et que tous les Molotov se déclareront prêts à entrer "des deux pieds" dans la période d'expériences opportunistes genre "comité anglo-russe" ou "Kuomintang ouvrier et paysan".

 

N'oubliez pas votre passé !

Ce serait l'occasion pour tous les chefs actuels du Parti communiste français — comme des autres partis de l'Internationale aussi d'ailleurs — de se souvenir un peu de leur passé : sauf les jeunes, tous sont sortis des rangs réformistes sous la poussée à gauche des masses. Cela ne nous a pas empêchés — nous, bolcheviks — d'entrer en accord avec ces réformistes gauchisants en les laissant toutefois souscrire face à la masse à nos conditions bien précises. Zimmerwald entre autres fut une de ces sortes d'ententes. Comment se fait-il alors que ces social-patriotes d'hier soient tellement assurés que, demain, les masses "abordant les premières positions d'une recrudescence révolutionnaire", ne feront pas sortir de leurs rangs une nouvelle équipe de Cachin , Monmousseau, etc. (une équipe réussie faut-il espérer) et que ces messieurs ne se feront pas de nouveau tirer l'oreille jusqu'en première ligne du combat révolutionnaire, en nous forçant tantôt à signer avec eux des accords momentanés avec 21 — et s'il le faut 42! — conditions, tantôt à les rejeter tête en avant dans leur marais réformiste dès qu'ils battent en retraîte.

Les théoriciens officiels se trompent complètement lorsqu'ils expliquent le renforcement de l'aile droite du communisme par le fait que les réformistes au sein du parti se sont effrayés de la soi-disant radicalisation des masses. C'est faire montre d'un manque absolu de psychologie politique ! Car s'il y avait réellement à l'heure actuelle une recrudescence révolutionnaire quelconque, on verrait tous les Brandler, Ilek et Lovestone se déplacer eux-mêmes vers la gauche, et cela serait surtout vrai pour les arrivistes genre Sellier, Garchery, etc., qui n'ont qu'un seul souci, qui est de conserver leur mandat. Certes, cette faculté des opportunistes à évoluer à gauche n'est pas illimitée et, arrivés au Rubicon d'une décision capitale ou de l'insurrection, ils reviennent promptement à droite. Ce fut vrai jusque dans les rangs même d'un parti aussi éprouvé que l'était le parti bolchevik : voyez Zinoviev , Kamenev, Rykov, Kalinine, Tomsky, Lounatcharsky, etc.

Et alors ce n'est qu'après la victoire que les opportunistes tournent de nouveau à gauche, ou plus exactement du côté du pouvoir tels : Lozovsky, Martynov, Kuusinen, etc., etc., et à leur suite, les héros genre Pepper, Cachin, Frossard, etc. Mais ce sont là toutes éventualités avec lesquelles nous sommes en France, hélas! loin de compte. Et si à l'heure qu'il est, les opportunistes français ne vont pas vers la gauche mais retournent au contraire à droite, c'est là un signe infaillible du relâchement des masses, de l'affaiblissement du parti et de ce que tous ces arrivistes, pour conserver leurs mandats municipaux et autres, sentent l'avantage qu'il y a pour eux de marcher contre le communisme. (A remarquer qu'en donnant naissance au parti "ouvrier et paysan" en remplaçement de "parti prolétarien", Louis Sellier et Cie ont réalisé pour l'Occident la formule géniale que Staline destinait à l'Orient.)

La perte d'éléments aussi pourris serait un bienfait pour le parti si par malheur la politique mensongère, irresponsable, aventuriste, à la fois lâche et vaniteuse, qui caractérise les directives officielles ne facilitait à ces transfuges une retraite commode dans laquelle ils arrivent à entraîner avec eux des éléments prolétariens précieux dont la place demeure dans les rangs communistes.

 

Encore le danger de guerre

Pour mieux encore brouiller les choses, on corse cette soi-disant imminence de la recrudescence révolutionnaire d'une non moins certaine imminence de la guerre.

Cette fois, pour défendre sa thèse, Molotov dirige d'une manière bien innatendue les foudres de sa science contre Varga, théoricien et courtisan fameux, ce Polonius shakespearien qui a toujours toute prête une parole aimable pour chaque "prince", tantôt à gauche, tantôt à droite, selon le temps qu'il fait. Le malheur a voulu que cette fois Polonius ait raté son coup. Trop au courant de la presse étrangère avec faits et chiffres, il a omis de déplacer à temps le méridien de l'Internationale communiste de manière à le faire passer exactement à l'endroit où Molotov allait poser son pied gauche. Aussi s'était-il permis d'apporter très respectueusement l'amendement suivant :

Aucune des grandes puissances ne désirant momentanément résoudre par une guerre la tension des contradictions inhérentes au régime impérialiste, force est de chercher à les résoudre au moyen de la politique des réparations.

On aurait pu penser que cette formule archiprudente énonçait une vérité indiscutable. Mais comme elle exigeait quand même un certain effort de réflexion, elle eut le don de mettre Molotov hors de lui.

"Comment peut-on croire — glapissait-il — qu'aucune des grandes puissances n'estime rationnel de résoudre les contradictions impérialistes par la guerre ? Tout le monde sait — écoutez, écoutez : c'est Molotov qui parle ! — tout le monde sait que la menace d'une nouvelle guerre impérialiste augmente tous les jours".

Et voilà que Varga "c'est le contraire qui est vrai". N'est-ce pas inoui ? Comment Varga ose-t-il "nier que la tension et les contradictions sont inévitables précisément à la suite de l'application du plan Young" ?

Tout ceci est tellement bête et primaire que l'ironie même s'en trouve désarmée. "Tout le monde sait que la menace d'une nouvelle guerre impérialiste augmente tous les jours." Quelle puissance de pensée ! Tout le monde sait ? Malheureusement ce n'est pas connu que d'une très petite partie de l'humanité, et le nouveau maître de l'Internationale communiste lui-même ignore comment, en fait, a lieu cette aggravation du danger de guerre. Il est faux qu'elle augmente "tous les jours" les masses vont de plus en plus à gauche. Nous avons affaire à un processus dialectique avec, tantôt des accalmies, tantôt des recrudescences des tensions impérialistes. Molotov n'a-t-il jamais entendu dire que même le développement des forces productives du capitalisme — un de ses caractères fondamentaux cependant — ne se produit pas "tous les jours" mais sous forme d'alternatives de crises et d'essors avec certaines périodes où l'on voit les forces productives diminuer ou même subir une destruction massive (en temps de guerre). Les processus politiques suivent une voie analogue mais avec des alternatives plus opposées encore.

La politique des réparations conduisit, en 1923, à l'occupation de la Rhur. Ce fut comme une reproduction de la guerre à une plus petite échelle. Cette échelle suffit toutefois à provoquer en Allemagne une conjoncture révolutionnaire. Mais l'Internationale communiste, dirigée par Zinoviev et Staline, et le Parti communiste allemand conduit par Brandler, ont annihilé cette conjoncture favorable. L'année 1924 qui vit le plan Dawes vit aussi l'affaiblissement de la lutte révolutionnaire en Allemagne et l'atténuation de l'antagonisme franco-allemand. Telles furent les prémisses politiques de la stabilisation économique. Lorsque nous le proclamâmes tout haut — ou plus justement — lorsque nous prédîmes cette évolution à la fin de l'année 1923, les Molotov et autres sages nous accusèrent d'être des "liquidateurs" et entrèrent "des deux pieds" dans "la période de recrudescence révolutionnaire".

Les années de stabilisation firent surgir de nouveaux antagonismes et accentuèrent les anciens. La révision du plan Dawes vint s'imposer. Si la France avait repoussé le plan Young et si l'Allemagne l'eût fait de son côté également, l'Europe serait à l'heure qu'il est devant un recommencement de l'occupation de la Ruhr, mais sur une échelle infiniment plus vaste avec toutes ses conséquences. Mais, précisément, il n'en est rien. Tous les joueurs ont considéré comme plus sage d'arriver momentanément à un accord, de sorte qu'au lieu d'une seconde occupation de la Ruhr nous en voyons l'évacuation.

L'ignorance se caractérise par la confusion des genres, la connaissance, par la faculté de les discerner. Je ne sache pas que le marxisme ait jamais encouragé l'ignorance. Mais l'application du plan Young — se demande notre distingué stratège — "n'aura-t-elle pas forcément pour résultat une aggravation des antagonismes ?" Oui, forcément, mais pour résultat ! Il faut quand même saisir tant soit peu la suite logique des phénomènes et la dialectique de leur succession. "En résultat" d'une conjonture capitaliste favorable surgira inévitablement une phase de dépression, sinon une crise profonde. Mais ceci ne veut pas du tout dire qu'une conjonture favorable est équivalente à une conjonture défavorable et que la crise s'aggrave "tous les jours". "En résultat" de sa vie, l'homme s'en va ad patres, mais cela ne signifie pas qu'il ne doive passer par des périodes d'enfances, de croissance, de maladie, de maturité, de vieillesse, le tout avant d'arriver au seuil de la mort. L'ignorance est la confusion des genres. Le fruit de la science est de les discerner. C'est un fruit auquel Molotov n'a jamais mordu.

Et que l'on ne croie pas que le schématisme indigent des dirigeants actuels soit un jeu innocent ; il porte matériellement atteinte à la révolution, à chaque instant. Le conflit sino-soviétique imposait la nécessité pressante de mobiliser les masses contre le danger de guerre et pour la défense de l'U.R.S.S. On peut tenir pour assuré que sur cette voie, même dans les conditions actuelles, les partis communistes auraient pu remporter d'importants succès. Il eût suffi pour cela que l'agitation eût à se réclamer d'un fait saillant éloquent par lui-même. Le malheur a voulu que ce conflit se déclarât en pleine préparation du 1er Août. Les agitateurs et les journalistes officiels firent tant de bruit autour du danger de guerre "en général" que le conflit international concret fut comme noyé dans ce bruit, ne touchant que faiblement la conscience populaire.

Voilà comment, dans la politique actuelle de l'Internationale communiste, les vaches maigres des schémas bureaucratiques dévorent les vaches grasses de la réalité vivante.

En ce qui concerne cette question des dangers de guerre, il n'est également pas inutile de remonter encore une fois à la stratégie de la "seconde période" : alors aussi la nécessité de lutter contre les dangers de guerre fut un des arguments principaux en faveur de l'accord avec le conseil général des trade-unions. Lors du plenum du C.E., en juillet 1927, Staline soutenait que l'entente avec le conseil général se justifiait par le fait que les trade-unions nous aidaient, paraît-il, à lutter contre l'impérialisme anglais et que par conséquent ceux-là seuls qui n'avaient pas à coeur la défense de l'U.R.S.S. pouvaient réclamer la rupture avec ces briseurs de grève.

Ainsi non seulement la poussée à gauche des ouvriers anglais, mais les dangers de guerre en 1926-1927 servaient d'argument-massue en faveur d'un bloc avec les réformistes. Et voilà que maintenant la radicalisation des masses et l'approche d'une menace de guerre exigent au contraire, l'une et l'autre, de renoncer à tout accord avec ces mêmes réformistes. C'est à croire que tous les problèmes sont présentés de façon à brouiller exprès l'entendement de l'avant-garde ouvrière.

Il est incontestable qu'en cas de guerre ou de son approche immédiate, les réformistes seront entièrement du côté de leur bourgeoisie. Vouloir s'entendre avec eux pour lutter contre la guerre est aussi illusoire que de vouloir les décider à faire la révolution prolétarienne. C'est précisément pourquoi c'était tromper grossièrement les ouvriers que de vouloir, à la façon de Staline, leur représenter le comité anglo-russe comme étant une arme contre l'impérialisme. Seulement l'histoire ne connaît pas que des guerres et des révolutions ; il y a les périodes intermédiaires au cours desquelles la bourgeoisie prépare la guerre pendant que le prolétariat prépare la révolution. Telle est notamment la période présente. Il nous faut arracher les masses aux réformistes qui dans ces dernières années ont accru leurs forces. Il est vrai que, par le fait même, il se sont placés sur une plus grande dépendance de l'évolution de leur base prolétarienne. C'est sur le fait de cette dépendance que doit porter entièrement la tactique du front unique, pourvu que l'on ne revienne pas à la manière de Zinoviev ou de Brandler, ni de Staline ou de Boukharine. C'est à Lénine seul qu'il faut, en l'occurence, revenir.

 

Les groupements au sein du communisme

Les équilibristes genre Monmousseau accusent de nouveau la déviation de droite l'opposition de gauche qui refuse de souscrire au catéchisme de la "troisième période". Après l'expérience des six dernières années, nous pouvons envisager cette accusation avec d'autant plus de sang-froid qu'au III° Congrès de l'Internationale communiste déjà nous fûmes, avec Lénine, accusé de déviation de droite par beaucoup de ces messieurs qui plus tard passèrent à la social-démocratie ou s'arrêtèrent momentanément au stade Brandler. Qu'il suffise de rappeler qu'au V° Congrès l'un des accusateurs principaux du "trotskysme" fut Louis Sellier.

Toutefois, il est incontestable que les éléments de droite vont s'efforcer d'exploiter certaines parties de notre critique. C'est inévitable. Il ne faut d'ailleurs pas croire que tous les jugements des droitiers sont erronés. Ils critiquent souvent avec raison les cabrioles de l'aventurisme gauchiste, mais souvent aussi, sous couvert d'esprit critique marxiste, ils tentent d'opposer le réformisme à l'aventurisme.

Notons cependant que dans les rangs de cette opposition qui a quelque raison de se dénommer de "gauche", on trouvait encore tout dernièrement — et il s'en trouve encore à l'heure présente — certains éléments qui vinrent se joindre à nous en 1924, non pas parce que nous nous posions en défenseurs d'une position révolutionnaire internationale, mais parce que nous nous déclarions les adversaires de l'aventurisme zinoviéviste. A cette époque, en France, nombreux furent ceux qui, virtuellement opportunistes, se camouflaient en oppositionnels russes. Beaucoup d'entre eux se vantaient jusqu'à ces derniers jours d'être d'accord avec nous "sans réserves". Mais lorsque vinrent se poser les problèmes concrets de la lutte pour les idées de l'opposition, on vit qu'un abîme nous séparait de ces oppositionnels de salon, qui nient d'autant plus volontiers l'existence d'une conjoncture révolutionnaire qu'ils n'en ressentent aucune nécessité. Des bonnes âmes étaient sincèrement affectés de nous voir ainsi accentuer à dessein l'écart qui sépare l'opposition de gauche de l'opposition de droite.

On jugea arbitraire notre façon de diviser en trois courants le communisme actuel, objectant que cette division était sans fondement pour la France où il ne se trouvait, paraît-il, pas d'aile droite. Cependant les faits des derniers mois ont donné chair et sang à ce schéma, en France. La "Ligue syndicaliste" a définitivement levé l'étendard contre le communisme, trouvant en cela un terrain commun avec l'opposition syndicaliste seconde levée. Le Parti a vu se détacher en même temps les éléments les plus réformistes qui avaient utilisé la lutte contre l'aventurisme bureaucratique aux fins de s'assurer, sous couvert d'un parti nouveau, la conservation des mandats. Immédiatement après, et par simple vertu de parenté politique, l'opposition syndicaliste de droite se vit rattachée au nouveau "parti" parlementaire-municipaliste. De cette façon et peu à peu, chacun prend sa place. Et ce n'est pas, croyons-nous, le moindre des mérites de la Vérité d'y avoir contribué.

La ligne droite est déterminée par deux points. Pour déterminer la courbe, il en faut au moins trois. Les lignes politiques sont complexes et tortueuses. Pour apprécier exactement les différents groupements,il faut examiner leur attitude sur le parcours de plusieurs étapes : tant dans les périodes de montée que dans les périodes de descente du mouvement ouvrier.

Pour tracer la courbe précise de l'opposition communiste de gauche, il faut au préalable fixer certains points critiques essentiels : attitude à l'égard des événements d'Allemagne (1923) ; à l'égard de la stabilisation (1924) ; à l'égard de l'industrialisation et du "koulak" en U.R.S.S. (de 1923 à 1928) ; à l'égard de question du Kuomintang et du comité anglo-russe ; à l'égard du putsch de Canton ; à l'égard des théories et pratiques de la "troisième période", etc. Et chacune de ces questions comprend à son tour une série de problèmes tactiques qui lui sont particuliers.

Certains maraudeurs de l'appareil du Parti extraient du système compliqué des idées et des principes certaines phrases pour essayer d'échafauder sur elles un rapprochement des oppositionnels de droite et des oppositionnels de gauche. Un vrai marxiste prend le problème dans son ensemble, conservant toujours l'unité de pensée stratégique à travers la diversité des situations. Cette méthode ne donne pas de résultats immédiats, mais elle est la seule qui soit sûre. Que les maraudeurs maraudent. Quant à nous, travaillons à "demain".


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