1920

Cet article a paru dans le numéro 8 du Bulletin communiste, 6 mai 1920, avec comme titre « Léon Tychko ».


Léon Tyszka

Grigori Zinoviev


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Je fis la connaissance du camarade Tyszka (Leo Jogiches) à Londres, au Congrès du Parti ouvrier social-démocrate russe voici douze ans, en mai 1907.

Le camarade Tyszka venait de s'échapper des travaux forcés. En 1906, à Varsovie, il avait été en effet condamné par les jugea du tsar à huit ans de travaux forcés pour avoir dirigé les grèves et l'insurrection des prolétaires polonais en 1906-1906. Au dépôt des forçats, L. Tyszka avait réussi à influencer par sa propagande les soldats de garde, et il s'échappa avec l'un d'eux. Il vint directement du dépôt des forçats au congrès de Londres, où il assuma de suite le rôle de guide principal de la délégation polonaise et de membre de la présidence du congrès de toutes les Russies.

Mais le camarade Tyszka avait déjà à cette époque à son actif seize ans de labeur révolutionnaire. Avec notre inoubliable Rosa Luxemburg, avec les camarades Marchlewski-Karski et Adolf Warszawskiy (Warski), le camarade Tyszka a été le fondateur du Parti révolutionnaire social-démocrate polonais. Il a été l'un des auteurs de son programme, membre inamovible de son Comité central, rédacteur perpétuel de ses journaux scientifiques ou politiques, l'âme du Parti.

Et Tyszka n'était pas seulement un révolutionnaire polonais... Le camarade Tyszka était un socialiste internationaliste au sens le plus complet de ce mot. Il travaillait avec une égale énergie et avec un égal talent pour les prolétaires polonais, pour les prolétaires russes ou allemands.

C'est ainsi qu'en 1910, le camarade Tyszka, venu à Berlin, se consacra, entièrement au, travail allemand. A ce moment commençait la scission entre le « centre » à la tête duquel se trouvait Kautsky et la « gauche radicale » conduite pair Rosa Luxemburg. Le camarade Tyszka, ami intime et coreligionnaire politique de Rosa Luxemburg, devint l'un des organisateurs principaux de cette gauche radicale qui groupa les futurs spartakistes.

Mais la guerre éclata. La social-démocratie officielle trahit la classe ouvrière. Rosa Luxemburg et les membres de la gauche radicale sont en prison. Les ennemis de la guerre sont poursuivis par le fer et par le feu. Et c'est à ce moment que le camarade Tyszka déploie la plus intense activité.

Plus la nuit est noire et plus les étoiles brillent. Le camarade Tyszka était précisément de ceux qui se montrent d'autant plus dévoués que les circonstances sont plus difficiles. Plus il y avait d'obstacles et plus il était opiniâtre.

Tyszka d'ailleurs donnait même par son aspect extérieur, l'impression d'un homme de bronze. L'opiniâtreté, l'obstination, une volonté de fer, tels étaient les traits dominants de son caractère. Quand il s'agissait de la défense des intérêts du prolétariat, l'impossible n'existait pas pour lui.

Tyszka organisa les premiers groupes illégaux des spartakistes allemands. La grande expérience de révolutionnaire-conspirateur qu'il avait rapportée de Russie et de Pologne lui fut en Allemagne extrêmement opportune. Pas à pas, Tyszka édifia le parti communiste allemand ; il a été son principal constructeur. Organisateur de tempérament, il devint le premier organisateur du glorieux parti communiste allemand. Il fut pour ce parti une force organisatrice, plus grande encore que feu Sverdlov pour les bolcheviks pusses.

Rosa Luxemburg était la claire intelligence du parti communiste allemand ; Karl Liebknecht était son cœur de flamme, Léo Tyszka sa main de fer.

Et il fallait entendre avec quel amour parlaient de lui, de son vivant encore, les communistes allemands. « Rosa assassinée, Mehring mort, Karl mort, Léo nous reste... Puissant organisateur, aux nerfs d'acier, dont la main forte et ferme ne tremble jamais, il est devenu notre appui, il aidera le parti à traverser cette heure terrible... »

Oui, Tyszka n'avait qu'une pensée, une seule, mais ardemment passionnée : l'intérêt du parti communiste,

Je me souviens d'un billet de Tyszka, reçu à Moscou peu de temps après la mort de Rosa Luxemburg. C'était un petit bout de papier, envoyé avec des précautions infinies. Sur ce papier, l'écriture ordinaire, en un mot mâle, forte, nette et précise de l'homme de fer, Tyszka. Et pourtant, ce billet avait été écrit le lendemain de la mort de Rosa Luxemburg et de Karl Liebknecht.

« Rosa et Karl ont accompli hier leur dernière tache pour notre cause. » Ainsi débutait ce message. Et plus un mot sur ce sujet.

A la ligne suivante, Tyszka, avare de ses mots, passait « aux affaires », aux informations, aux messages, etc.

Tyszka incarnait l'attitude pratique du prolétariat. Il était destiné à devenir un des plus grands organisateurs de la nouvelle société communiste.

Scheidemann et sa bande connaissaient bien le rôle de Tyszka. Leurs mouchards étaient sans cesse sur ses talons. Pourtant, pendant de longs mois, Tyszka resta, pour les bourreaux de la classe ouvrière allemande, insaisissable. A la fin de mars 1919, il fut arrêté à Berlin après un nouvel effort infructueux de l'insurrection prolétarienne. Les officiers de Scheidemann le conduisirent tout droit en prison et, naturellement, se conformant aux ordres du gouvernement « social-démocrate », l'y fusillèrent sur place, entre les murs de pierre, étroits et sombres, d'un petit corridor...

Nous ne savons pas comment est mort Tyszka. Mais ceux qui l'ont connu n'ont pas douté une seconde qu'il ait accueilli la mort sans broncher. Au moment où les assassins de Scheidemann allaient presser la détente, Tyszka, sans doute, a dû leur jeter quelque apostrophe si pleine de mépris et un tel regard, qu'en se souvenant de cette minute, ses assassins endurcis sentiront jusqu'au dernier instant de leur misérable vie un frisson leur passer dans le dos.

Tel fut Léon Tyszka, l'un des chefs des glorieux spartakistes, l'homme de fer qui construisit le Parti communiste allemand.


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