1920

Article paru dans le numéro 19-20 (première année) du Bulletin communiste, 22 juillet 1920.


Le deuxième congrès de l'Internationale Communiste

Grigori Zinoviev


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Voici plus d'un an qu'a eu lieu le congrès Constitutif de l'Internationale Communiste. Depuis, le mouvement communiste a augmenté dans des proportions extraordinaires. Dans presque tous les pays où vit et lutte la classe ouvrière, nous avons actuellement une presse communiste très étendue, et des organisations communistes qui se développent rapidement. C'est pourquoi le mouvement communiste se trouve aux prises avec des problèmes nouveaux et de plus en plus complexes. Il est donc tout naturel que l'Internationale Communiste soit à présent placée devant la nécessité de convoquer son 2e congrès qui, on peut le dire avec toute certitude, sera le congrès mondial de l'avant-garde des prolétariats. A ce 2e congrès nous devrons tenir compte de la riche expérience acquise depuis le printemps 1919 jusqu'en été 1920. Nous devrons donner au prolétariat mondial des réponses absolument précises et nettes sur les questions les plus délicates du mouvement.

Et comme un fait exprès, comme pour laisser aux ouvriers de tous les pays la possibilité de faire un choix définitif, les socialistes-traîtres ont fixé au 31 juillet 1920 leur congrès — celui de la 2e Internationale qui doit avoir lieu à Genève. Nous voulons espérer que cette fois-ci MM. Huysmans et Cie. n'auront pas besoin de remettre de nouveau le congrès de la 2e Internationale.

Il y a six mois, ces messieurs avaient déjà tout préparé pour la convocation du Congres de la 2e Internationale. Les invitations avaient été envoyées, le lieu où le congrès devait avoir lieu avait été fixé ; mais tout à coup, inopinément, Messieurs les Huysmans remirent leur congrès à une date ultérieure. Maintenant il est clair par quoi cela a été provoqué : Huysmans et Cie avaient flairé que le parti allemand des Indépendants se prépare à abandonner le bateau de la 2e Internationale faisant naufrage. Ces Messieurs Huysmans sentaient que les socialistes français allaient faire la même chose et jugèrent nécessaire de remettre leur congrès. Nous avons bien peur qu'une déconvenue pareille ne soit réservée à Huysmans cette fois-ci encore. Il est vrai qu'il ne reste plus grand'chose à sortir de la 2e Internationale ; mais M. Huysmans n'est point garanti contre ces surprises désagréables.

Et il serait extrêmement regrettable que ces Messieurs Huysmans soient obligés de nouveau de remettre leur congrès. Pour éclaircir une fois pour toutes la situation, nous désirons sincèrement qu'à côté du congrès Mondial de la 3e Internationale se tienne au moins quelque chose qui ressemble à un congrès de la 2e Internationale. A l'ordre du jour du congrès que Huysmans et Cie ont fixé à Genève se trouvent les questions de la dictature et de la démocratie, des moyens de lutte pour la socialisation, etc. Il est extrêmement désirable que, devant les yeux des ouvriers du monde entier aient lieu deux Congrès, que le prolétariat de tous les pays ait devant lui des plateformes politiques claires, exactement définies, que l'on puisse comparer l'une avec l'autre et entre lesquelles on doit choisir une fois pour toutes l'une ou l'autre.

Non seulement les éléments transitoires du « centre » sont sortis et continuent à sortir de l'Internationale Jaune mais aussi les opportunistes les plus clairvoyants, ceux qui ont senti ce que l'avenir leur apportera, ceux qui ont compris que s'ils veulent profiter encore de la moindre influence sur la classe ouvrière, ils doivent au moins avoir l'air de se séparer de la honteuse Internationale des traîtres et des assassins.

Comme l'on sait, dans l'espace de deux mois, les Partis suivants sont sortis de la 2e Internationale :

  1. Le Parti des Indépendants d'Allemagne ;

  2. Le Parti Socialiste Unifié de France ;

  3. Le Parti Travailliste Indépendant d'Angleterre ;

  4. Le Parti Socialiste de Suisse ;

  5. Le Parti Socialiste d'Amérique ;

  6. Le Parti Socialiste d'Espagne.

Parmi les chefs des partis sus-nommés dominent les éléments transitoires du centre, qui, en réalité, ne font qu'osciller entre la 2e et la 3e Internationale, c'est-à-dire entre la bourgeoisie et le prolétariat1.

Plus encore, le Parti Menchevik russe est sorti de la 2e Internationale. Dans le dernier numéro de l'Internationale Communiste, nous insérons un extrait du compte rendu sténographique officiel du Conseil des Ouvriers et des Paysans de Moscou, contenant une déclaration officielle du leader des Mencheviks Russes, L. Martov, qui annonçait catégoriquement la sortie du Parti Menchevik de la 2e Internationale. Évidemment, cette sortie des Mencheviks de la 2e Internationale n'aura pas une grande répercussion sur le sort des ouvriers russes. L'influence des Mencheviks russes parmi le prolétariat est insignifiante. Toutefois, leur geste est un symptôme très significatif de l'écroulement de la 2e Internationale. Les camarades qui nous arrivent des différents pays, nous ont plus d'une fois raconté comment MM. Branting, Scheidemann, Renaudel, Huysmans et Henderson, pérorant dans les assemblées d'ouvriers, affirmaient que le mouvement ouvrier en Russie est mené, non pas par le Parti Communiste, mais bien par le Parti Menchevik, et disaient avec fierté que le Parti Menchevik était un des adeptes fidèles de la 2e Internationale. A présent, les socialistes-traîtres sont privés même de cet « argument »-là. En outre, le Bund Polonais dont le chef est l'opportuniste bien connu V. Medem, est également sorti de la 2e Internationale (il en a tout au moins fait le premier pas). Et, il n'y a pas longtemps, la Conférence de toutes les organisations du Bund opérant en Russie Soviétiste a adopté à une écrasante majorité une résolution dans laquelle elle se déclare solidaire de la 3e Internationale.

Qui est donc resté dans la 2e Internationale ? Si l'on nous proposait de citer trois des noms parmi les plus importants personnifiant la tactique actuelle de la 2e Internationale, il nous lesterai! à nommer seulement Pilsudski, Noske et Branting.

Pilsudski, l'assassin des ouvriers polonais et russes, l'agent des banquiers français, parti en guerre maintenant contre les ouvriers et les paysans russes et ukrainiens, apparaît comme le père et en fait l'instigateur de ce même parti « socialiste » qui est représenté au Comité Exécutif de la 2e Internationale par M. Daszyński. Les ouvriers du monde entier et, nous osons l'espérer, même les ouvriers entrant dans le Parti Ouvrier Belge, dont le guide est toujours Huysmans, haïssent le bourreau Pilsudski qui a assumé l'exécution des ordres abjects de la bourse française. Mais il est à regretter que tous ces ouvriers ne sachent pas que ce même vil agent de la coterie de banque la plus basse est un des actionnaires de la société Huysmans s'appelant 2e Internationale.

Branting est déjà le leader sciemment reconnu par la 2e Internationale. Branting est maintenant président du Conseil des ministres en Suède. Le roi de Suède et la bourgeoisie suédoise ont trouvé que le meilleur chien de garde de leurs gros bénéfices contre le prolétariat suédois qui commençait à s'agiter serait encore Branting, le chef de la Social-Démocratie suédoise. Nous ne savons pas si le roi de Suède est entré officiellement dans le Parti Social-Démocrate suédois. Au futur congrès de la 2e Internationale, Branting entonnera peut-être en l'honneur de « son » roi le même hymne que lui et Henderson ont entonné déjà à la célèbre conférence de la 2e Internationale à Berne en l'honneur de leur patron d'alors Woodrow Wilson. Mais nous savons une chose : les plus grandes bassesses qui se soient jamais produites en Suède, les plus iniques lâchetés qu'ait connues la classe ouvrière de Suède, les manœuvres les plus viles qui se soient jamais pratiquées par les coquins de la diplomatie internationale en Suède, sont accomplies maintenant par les guides de la 2e Internationale. Branting et son ami et camarade de parti, le ministre des Affaires étrangères, le baron Palen Choru.

Noske. Point n'est besoin de s'étendre longuement sur l'œuvre accomplie par lui au cours de l'année passée. Le général le plus sanglant de la bourgeoisie française, le boucher de la Commune de Paris, n'est en vérité qu'un apprenti comparé à Noske, l'ex-ministre de la Guerre de la République presque « socialiste » allemande. Maintenant Noske est libéré de son poste honorifique de ministre de la Guerre auprès du gouvernement social-démocrate allemand. A présent, Noske a beaucoup de temps à perdre. Et les camarades allemands avec lesquels nous avons parlé récemment nous annoncent avec un grand sérieux que le parti social-démocrate allemand officiel a choisi pour représentant principal au Comité Exécutif de la 2e Internationale nul autre que... Gustav Noske. Nous en félicitons sincèrement la 2e Internationale. Branting, Pilsudski, Noske, sont des guides absolument conformes et inspirateurs de l'organisation jaune qui s'appelle la 2e Internationale. De tous les vieux partis formant autrefois les fondements de la 2e Internationale, il ne reste actuellement que les Scheidemann qui seront représentés par Noske. Il reste la Social-Démocratie finlandaise qui soutient le Galliffet finlandais Mannerheim et quelques autres groupes insignifiants.

Mais il ne faut pas oublier qu'il reste encore dans les rangs de la 2e Internationale quelques organisations importantes en nombre qui s'appuient sur les ouvriers et qui servent encore de soutien à la bourgeoisie. Nous parlons du Parti Travailliste Anglais, des Trade-Unions Anglaises modérées et des vieux syndicats professionnels d'Amérique menés par Gompers. Je me souviens comment il y a dix ans eut lieu une grande controverse au Comité Exécutif de l'Internationale pour accepter ou ne pas accepter dans ses rangs le Parti Travailliste Anglais duquel Kautsky disait alors qu'il était pénétré de part en part de tendances bourgeoises. Actuellement, ce « Parti Travailliste » est au fond l'unique grande organisation ouvrière restant encore dans la 2e Internationale. Il faut dire la même chose des syndicats professionnels d'Amérique dirigés par Gompers, l'agent reconnu de la bourgeoisie. Ce sont ces deux organisations qui constituent la base réelle de la 2e Internationale et qui, en vérité, n'ont rien de commun avec le socialisme (pour autant qu'il est question des « dirigeants » du Parti) mais qui représentent néanmoins une force quantitative assez considérable.

Quand l'Internationale Communiste aura également conquis ces masses ouvrières marchant encore derrière le « Parti Travailliste » Anglais, derrière les syndicats professionnels de Gompers en Amérique, alors on pourra dire que la bourgeoisie a été privée de son dernier soutien dans le mouvement ouvrier.

Le deuxième congrès

Lorsque, en mars 1919, nous avons formé l'Internationale Communiste, il nous est arrivé d'entendre certaines contradictions. L'une d'entre elles consistait à dire que la proclamation officielle de l'Internationale Communiste est encore prématurée. Le lecteur se rappelle que l'unique représentant des Spartacus Allemands se trouvant à notre congrès était d'avis qu'il fallait encore attendre pour organiser officiellement l'Internationale Communiste.

Plus d'un an a passé depuis et, aujourd'hui, il est parfaitement évident que ces idées pessimistes n'étaient fondées en rien. La proclamation de l'Internationale Communiste n'était non seulement pas prématurée, mais on peut dire au contraire que nous nous sommes mis un peu tardivement à son organisation, ce par quoi nous avons retardé le groupement organisé du prolétariat international.

Quinze mois ont passé depuis notre congrès. Au cours de ces quinze mois, l'influence politique de l'Internationale Communiste a augmenté de jour en jour. Le nombre de nos partisans s'est accru et s'accroît constamment. Le prestige de notre étendard a augmenté et augmente de plus en plus. Comme un aimant puissant, l'Internationale Communiste attire à elle le cœur de tous les ouvriers d'avant-garde du monde entier. Toutefois, nous ne dissimulerons pas que notre influence sur le mouvement international est relativement faible au point de vue organisation. Nous sommes encore loin de posséder cette organisation internationale qui est indispensable pour assurer le succès de notre lutte.

C'est justement parce que l'influence morale du communisme augmente de jour en jour que nous devons établir dès aujourd'hui un cadre exact de notre travail d'organisation dans lequel sera compris notre organisation internationale des ouvriers qui s'appelle l'Internationale Communiste. Chaque jour, tantôt dans un pays tantôt dans un autre, on prend des résolutions proclamant que telle ou telle organisation a décidé d'entrer dans l'Internationale Communiste. Pour autant que ces organisations sont composées de prolétaires, pour autant que ces résolutions expriment le désir sincère des ouvriers d'un pays de tendre une main fraternelle aux ouvriers des autres pays, pour autant qu'elles traduisent la décision de plus en plus ferme du prolétariat de livrer le combat suprême à la bourgeoisie, ces résolutions sont dignes de la plus chaude approbation. Mais quand nous entendons que MM. Crispien et Hilferding en Allemagne, Morris Hillquitt et ses partisans en Amérique commencent subitement à regarder avec sympathie eux aussi du côté de la 3e Internationale et qu'ils ne refuseraient pas, sous certaines conditions, d'y entrer, nous nous disons : il faut mettre le verrou à la porte de l'Internationale Communiste, il faut mettre une garde sûre à sa porte.

Nous comprenons fort bien que ce n'est pas parce qu'ils sont bien chez eux que les opportunistes sus-nommés, assagis par l'expérience, s'en viennent frapper à la porte de l'internationale Communiste. Si les milieux officiels du Parti Socialiste Américain dirigé par Hillquitt prennent la résolution d'entrer dans l'Internationale Communiste, cela signifie tout simplement que les ouvriers d'avant-garde américains s'émancipent de plus en plus et nous tendent une main fraternelle. Si les maîtres en affaires parlementaires comme Hillquitt et Cie tournent le regard non pas « en haut » vers l'Olympe parlementaire, mais en bas vers les fourmis travailleuses qui se pressent dans l'Internationale Communiste, cela signifie que les ouvriers américains échappent à l'influence de la bourgeoisie et des social-traîtres et se placent sur le terrain de la révolution prolétarienne.

Il en est de même des « chefs » de droite du Parti des Indépendants allemands. Au congrès du Parti Ouvrier belge, M. Huysmans a répété avec solennité les mots qui lui avaient été confiés par Kautsky. Ce dernier a déclaré : « Si mon parti me force à choisir entre le Parti des Indépendants et la 2e Internationale, je choisirai la 2e Internationale ». Huysmans a cité les mots de Kautsky comme un des arguments importants en faveur de la force de vie de la 2e Internationale. Il est certain que Kautsky eut autrefois une influence sur le mouvement ouvrier allemand, mais à présent, l'on peut affirmer sans exagérer le moins du monde que Kautsky n'a avec lui que son encrier — plein de mauvaise encre décolorée. Si les affairistes les plus avérés parmi les chefs du Parti des Indépendants étaient placés devant la possibilité de choisir d'entrer (naturellement seulement officiellement, uniquement en paroles) dans l'Internationale Communiste ou bien de cesser d'être les chefs du Parti des Indépendants, ils choisiraient évidemment la première alternative. Donc, le problème qui se pose devant le Second congrès de l'Internationale Communiste consiste en ce qu'il faut empêcher de tels chefs de faire un pacte pareil. L'Internationale Communiste doit rester une Internationale d'action, elle doit être une association honnête mondiale des ouvriers déclarant la guerre à outrance à la bourgeoisie, elle doit être une organisation coulée d'un même métal. L'idée de l'Internationale Communiste ne permet aucune équivoque de la vieille diplomatie « socialiste »...

C'est sur quoi reposent nos relations avec ce groupe appelé quelquefois par plaisanterie le groupe de la 2e et demi Internationale. (Nous parlons de ces partis qui sont sortis de la 2e Internationale et qui ne sont pas encore entrès dans la 3e). Notre réponse au Parti des Indépendants est notre réponse catégorique sur ce point2. Nous savons bien que les ouvriers faisant partie du parti sus-nommé sont en grande majorité avec nous. Les ouvriers désirent en toute sincérité combattre dans les rangs de la 3e Internationale, contre la bourgeoisie et les socialistes-traîtres. Nous envoyons un chaleureux salut à ces ouvriers et nous leur disons que nous serons toujours heureux de les voir dans nos rangs. Mais nous sommes profondément convaincus que les ouvriers entrant dans ces partis se débarrasseront d'autant plus vite de l'influence nuisible des mauvais bergers décidant de la politique de leur parti que nous saurons mettre crûment à nu tous ces MM. Kautsky, Hilferding, Hillquitt et Cie. Soyez avec nous — disons-nous aux ouvriers de ces partis. Mais libérez-nous d'abord de votre poids mort, chassez tous ceux de vos « chefs » qui, en fait, sont les agents de la bourgeoisie opérant dans votre milieu.

Que doit représenter le prochain congrès de l'Internationale Communiste ? Une assemblée de partisans, un congrès d'hommes entièrement pénétrés d'une unique et même idée, essayant de réaliser un programme et une théorie clairs ou bien un congrès mondial qui jouerait le rôle d'une grande démonstration politique et essayerait de réunir le plus possible de masses travailleuses ? Nous supposons l'un et l'autre. Mais d'abord et surtout un congrès de partisans. La situation du mouvement ouvrier dans toutes les grandes nations, la croissance de l'esprit révolutionnaire de par le monde entier sont telles que, si les circonstances extérieures ne l'empêchent pas, le prochain congrès de l'Internationale Communiste sera, sans contredit, la démonstration des forces politiques du prolétariat mondial marchant à sa victoire.

Cependant, la tâche principale du prochain congrès consistera : à déterminer d'une façon claire et précise la politique pratique de l'Internationale Communiste ; à consolider la 3e Internationale comme une véritable organisation de partisans ayant un programme et une tactique et allant par le même chemin.

Le premier congrès en 1919 eut comme but principal de faire lever sur le monde entier le drapeau du communisme, de propager le programme communiste. Cette tâche est remplie. Le succès a dépassé toutes les espérances. Mais à présent il s'agit de faire le deuxième pas. Le deuxième congrès de 1920 doit préciser le programme communiste et donner la lactique du mouvement communiste.

Cela ne veut pas dire que nous devrons appliquer la même tactique à tous les partis communistes. L'Internationale Communiste sait parfaitement que les ouvriers des différents pays ont à compter avec des conditions différentes et que ceux-ci doivent soumettre leur tactique à ces conditions. En passant en revue les nations de premier ordre où le communisme a déjà des racines profondes, nous pouvons diviser ces pays en 4 groupes.

  1. La Russie où la révolution prolétarienne est déjà accomplie, où la classe ouvrière est au pouvoir depuis trois ans et où la tâche principale consiste, d'une part, à repousser les attaques des ennemis, de l'autre à établir une économie communiste.

  2. L'Allemagne, l'Autriche, une partie des Etats des Balkans où la révolution a commencé, mais où elle mûrit dans des conditions particulièrement pénibles.

  3. L'Angleterre, la France, l'Italie, pays où la bourgeoisie est victorieuse, avec les plus vieilles traditions parlementaires, où s'accomplissent justement de profondes perturbations dans la classe ouvrière et une nouvelle appréciation des valeurs.

  4. Les nationalités opprimées et les pays coloniaux comme l'Irlande, les Indes, maintenant une partie de la Turquie, etc. où le mouvement libérateur ne peut se passer autrement que sous une feinte de nationalisme et où, grâce à cela, des problèmes d'un ordre tout spécial se posent devant les communistes.

Le Deuxième congrès tiendra compte de toute cette multitude de conditions. Il aura constamment devant ses yeux cette variété, et la tache compliquée qu'est la reconstruction du monde capitaliste bâti sur les fondements pourris de la bourgeoisie.

Le congrès concentrera nécessairement toute son attention sur les questions de tactique qui se posent devant les principales nations de l'avant-garde du mouvement ouvrier européen. Mais il n'oubliera ni l'Amérique, ni les Indes, ni la Perse, ni le Japon et les autres pays.

Le parlementarisme

Une des questions principales de tactique dont s'occupera notre congrès sera sans doute la question du parlementarisme. De vifs débats se font en Allemagne, en Angleterre, en Italie et dans une série d'autres pays sur cette question. Il faut avant tout se rendre compte du sujet de la discussion. Nous ne discutons pas si le prolétariat vainqueur de la bourgeoisie doit conserver le système parlementaire. Nous savons trop bien que le parlementarisme est le régime des Etats bourgeois. Ce sont les Soviets et non pas les parlements démocratiques qui sont la forme de la dictature du prolétariat. La démocratie parlementaire du monde entier a toujours été et reste la forme de la dictature bourgeoise. Pour les communistes, la controverse se rattache seulement et exclusivement à la question si l'on peut, si l'on doit utiliser le parlement bourgeois dans des circonstances convenables et, tant que celui-ci existe, dans l'intérêt de la lutte pour les Soviets et la dictature prolétarienne ? C'est ainsi et seulement ainsi que la question se pose.

Et nous sommes convaincus que le congrès répondra : Non seulement on peut, mais encore on doit utiliser le parlementarisme bourgeois de la manière dont nous utilisons par exempte la possibilité d'éditer des journaux légaux pendant la dictature de la bourgeoisie, même nous devons utiliser toute autre possibilité légale pendant la dictature du capital. Dans le monde entier, sauf en Russie Soviétiste, c'est-à-dire dans le pays où le prolétariat a déjà le pouvoir, la presse est l'organe de l'oppression des masses tout comme le parlementarisme bourgeois. Pourtant, personne parmi les plus « gauches » des communistes n'a pensé encore qu'il ne fallait pas, pendant la dictature de la bourgeoisie, utiliser la presse ouvrière, quoique cette dernière dût parfois se soumettre aux conditions de la censure et aux lois bourgeoises. C'est à peu près de la même façon que se pose pour nous la question des parlements bourgeois. Six députés ouvriers sur 500 députés bourgeois et grands propriétaires à la Douma des cent noirs en Russie ont rendu un service inappréciable à la révolution ouvrière. Au début de la guerre, ils ont été envoyés aux travaux forcés, mais grâce à leur travail, ils ont été suivis par les sympathies de centaines de mille d'ouvriers et de paysans russes. Et que l'on ne vienne pas nous dire que ce n'était possible qu'en Russie ! Liebknecht, tout seul parmi 500 députés bourgeois, junkers et affairistes avérés des social-démocrates, a rendu à la révolution prolétarienne en Allemagne d'inoubliables services, lorsque, seul, il vota contre tous, contre les crédits militaires, lorsque, par de brèves répliques, il démasqua l'État bourgeoise.

Höglund, seul parmi quelques centaines de propriétaires et de bourgeois, a rendu de grands services à la classe ouvrière suédoise lorsqu'il a dévoilé les vilenies du militarisme et appelé la classe ouvrière au combat. Même chose en Serbie, en Bulgarie. Nous verrons bientôt la même chose dans tous les pays où existe un parti communiste tant soit peu sérieux, tant soit peu digne d'attention. Aller à l'assaut de la forteresse du capitalisme, prétendre avoir derrière soi des millions d'hommes et en même temps ne pas trouver en soi suffisamment de forces pour réunir dans un parlement bourgeois au moins un petit groupe combattant pour le communisme, craindre de se laisser aller à l'influence pernicieuse du parlementarisme bourgeois, être incapable d'avancer sur le parquet glissant du parlement « démocra-tique », tout cela signifie et impose cette pensée : ces gens savent prononcer de belles phrases mais ils ne savent pas faire sérieusement l'œuvre de la révolution.

Et que l'on ne nous dise pas encore que nous pouvons parler au peuple sans cela, que la tribune parlementaire ne nous est pas nécessaire, C'est le point de vue d'une minorité. C'est un genre d'aristocratie. C'est le point de vue de ceux qui ont mordu à l'arbre de science et qui ont compris le mécanisme essentiel du régime bourgeois. Ce qui nous importe surtout, ce sont les grandes masses. Nous, communistes, nous devons à présent apprendre à nous servir de la réalité des chiffres. A chaque nouveau pas, nous devons tenir compte de l'influence que celui-ci aura, non pas sur des milliers ou des dizaines de milliers d'hommes, mais bien sur des millions et des dizaines de millions. A part l'avant-garde des ouvriers des villes qui connaissent déjà le prix de la démocratie bourgeoise, il existe encore dans les villes des millions de personnes aveuglées par la bourgeoisie. Et dans les petites localités, dans les villages, vivent des millions et des dizaines de millions de paysans et de petits travailleurs qui courbaient humblement le cou, avant la guerre, sous le joug des monarques bourgeois ; ces gens commencent seulement à s'éveiller à la vie nouvelle. Un mot hardi lancé du haut d'une tribune de parlement, un mot hardi que ne pourra taire ni le journal bourgeois, ni le curé, a une grande importance.

Mais dans la question de l'utilisation du parlementarisme, ce n'est pas seulement l'agitation, mais encore l'organisation qui est importante pour nous.

Lorsque, en mars 1917, nous reçûmes, en Suisse, le premier télégramme de la révolution survenue en Russie, le camarade Lénine insistait surtout dans ses télégrammes à nos amis à Petrograd sur la nécessité d'arriver avant tout à organiser les élections municipales de la Douma de Pétrograd.

Par quoi ce conseil était-il inspiré ? Lénine se rappelait la Commune de Paris née, comme l'on sait, des élections municipales. Lénine savait bien que notre parti était peu préparé au point de vue de l'organisation, quoiqu'il existât depuis près de 20 ans, et qu'il eût une influence notable en Russie. Nous cherchions les voies qui donneraient au parti la possibilité de former dans les villes des embryons d'organisation, et nous arrivâmes à cette conclusion que les élections municipales nous donnent en temps de révolution cette possibilité sans contredit. Puis, trois semaines à peine avant la grande révolution d'octobre, eurent lieu dans le même Petrograd les nouvelles élections à la Douma. Les ouvriers étaient déjà en majorité de notre côté. Tous les tramways portèrent des énormes écriteaux appelant à voter pour la liste des communistes. Tous les partis se réunirent contre nous ; nous remportions une grande victoire électorale. Et l'on se demande : est-ce qu'une pareille utilisation du parlementarisme nous a gêné ou bien aidé, dans notre révolution d'octobre ? Jusqu'à présent, nous sommes convaincus qu'elle ne nous a pas gênés mais bien au contraire aidés. Au cours des dix-huit mois qui s'écoulèrent depuis la révolution bourgeoise de février jusqu'à la révolution prolétarienne d'octobre, notre parti employa chaque jour, chaque heure, à créer dans tout le pays tout un réseau d'organisations devant servir plus tard de fondement à la dictature du prolétariat, si nous n'avions pas su créer durant ces 18 mois et à travers tout le pays d'importantes fractions communistes dans les Soviets des députés ouvriers et soldats, dans les syndicats professionnels, dans les organes municipaux, nous n'aurions pas pu prendre le pouvoir en octobre. Plus encore — nous n'aurions pas pu conserver ce pouvoir. Nous devions avoir des groupes dans chaque ville qui, par la pratique, apprenaient à réaliser les questions d'habitation, d'approvisionnement, comme toutes les questions vitales. Sans cela, nous serions restés simplement un parti de propagande et d'agitation. Sans cela, nous n'aurions pas pu prendre en mains le gouvernail de la direction.

Et cela n'a nullement empêché, quelques mois après, notre révolution prolétarienne victorieuse de dissoudre, voire de chasser par endroits les doumas des villes élues au suffrage universel que nous avons remplacées par des soviets des députés ouvriers et soldats élus par le peuple. Mais c'est précisément pendant le moment transitoire — jusqu'à la prise du pouvoir — que nous ne laissâmes pas échapper une seule occasion ; nous nous accrochions à chaque fil de manœuvre « légale ». Nous nous rappelions que le parti communiste doit essayer de s'installer dans chaque grande ville, dans chaque syndicat professionnel quelque peu important, dans chaque fabrique, dans chaque comité de logement, dans chaque organisation municipale.

Il est bien connu que le Parti Communiste en Russie, lorsqu'il tenait déjà le pouvoir dans ses mains, décida et assura les élections à l'Assemblée Constituante, participa à ces élections, eut sa fraction à l'Assemblée. Et il n'y a pas de doute que l'effectif sérieux de la fraction communiste aida au moment voulu à faire disparaître l'Assemblée de la route de la révolution prolétarienne.

L'Internationale Communiste se tient à cette, idée que pour la seule question du parlementarisme, il n'est aucunement possible d'admettre une scission des communistes. Nous sommes certains que le congrès partagera le même point de vue, mais qu'il se prononcera en même temps d'une façon claire et précise sur l'utilisation du parlementarisme dans toutes les démocraties bourgeoises par les communistes ; il aura alors en vue que c'est là un des meilleurs moyens d'ouvrir les yeux aux masses sur le caractère véritable de ces démocraties capitalistes.

G. ZINOVIEV.

Notes

1 Depuis que Zinoviev a écrit cet article, d'autres partis ont quitté la 2e Internationale : le parti social-démocrate d'Autriche, celui de Lettonie, le parti socialiste « large » de Bulgarie. (Note du Bulletin communiste)

2 Le texte de cette réponse se trouve dans le Bulletin Communiste n° 10. (Note du Bulletin communiste)


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