1927

La plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) pour le XV° Congrès du PC de l'URSS. Un domument élaboré par Trotsky et Zinoviev, repris par 13 membres du CC et de la CCC, puis par près de 10 000 communistes.

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Plate-forme pour le XV° congrès du PCUS

Opposition bolchévique unifiée


I. Introduction

Lénine, au dernier Congrès du Parti auquel il assistait, disait dans son discours : « Voilà encore une année de vécue ! L'État est entre nos mains, mais dans le domaine de l'économie politique, tout, durant cette année, n'a pas marché selon notre volonté. Nous ne voulons pas le reconnaître. Non ! Or, comment la machine a-t-elle fonctionné ? La machine roule, non pas dans la direction dans laquelle nous la dirigeons, mais dans la direction où la dirige quelqu'un. Ce quelqu'un, c'est peut-être les illégaux, les irresponsables, les gens venus Dieu sait d'où : les spéculateurs, les capitalistes petits propriétaires. Peut-être les uns et les autres. La machine roule tout à fait autrement, surtout autrement que celui qui est au volant se le représente.»

Ces paroles indiquent comment il faut examiner les questions fondamentales de notre politique. Où va la machine, où va l'État, où va le pouvoir ? Vont-ils là où, nous autres communistes, qui exprimons les intérêts et la volonté de la classe ouvrière et de l'immense majorité de la paysannerie, le voudrions, ou non, ou peut-être pas tout à fait par là ?

Durant les années qui se sont écoulées depuis la mort de Lénine, nous avons essayé plus d'une fois d'attirer l'attention des institutions centrales du Parti et par la suite du parti tout entier, sur le fait qu'en raison d'une fausse politique, les dangers signalés par Lénine se sont multipliés ; la machine ne va pas dans la direction où les intérêts des ouvriers et des paysans exigent qu'elle aille. A la veille du nouveau congrès du Parti nous pensons de notre devoir, malgré toutes les poursuites auxquelles nous sommes exposés, d'indiquer ceci au Parti, avec une force redoublée, car nous sommes convaincus que cet état de choses peut-être corrigé et qu'il peut-être redressé par le parti lui-même.

Quand Lénine disait que la machine allait souvent là où elle était dirigée par des forces hostiles, il voulait en même temps attirer l'attention de nous tous sur deux circonstances les plus importantes. Premièrement, que dans notre structure sociale existent des forces hostiles à notre cause : le koulak, le nepman, le bureaucrate qui utilisent, contre nous et notre État arriéré, les fautes de notre politique et qui s'appuient effectivement sur tout le capitalisme mondial. Deuxièmement : que ces forces hostiles ont une telle importance qu'elles peuvent pousser notre machine d'État et notre machine économique là où il ne faut pas qu'elles aillent et, dans l'avenir, même essayer, sous une forme d'abord déguisée, de s'emparer du volant de cette machine.

Les paroles de Lénine nous obligeaient tous :

  1. Á suivre attentivement la croissance des forces ennemies : le koulak, le nepman, le bureaucrate ;
  2. Á nous rendre compte que, dans la mesure du relèvement général du pays, ces forces vont chercher à s'assembler, à apporter leurs « modifications » à nos plans, à renforcer leur pression sur notre politique, à défendre à travers nos différents appareils leurs propres intérêts ;
  3. Á prendre les mesures nécessaires pour, de toute manière, affaiblir la croissance, le rassemblement et la pression de ces forces ennemies en empêchant qu'elles puissent créer une situation qui, tout en étant cachée, constitue néanmoins en fait une dualité de pouvoir vers laquelle elles aspirent ;
  4. Á faire part de ces processus de classes à la classe ouvrière et à dire l'entière vérité à tous les travailleurs. C'est en cela que consiste actuellement l'axe de la question en ce qui concerne le danger « thermidorien » et la lutte contre lui.

Depuis que Lénine a donné cet avertissement, beaucoup de choses se sont améliorées chez nous, mais beaucoup ont empiré. L'influence de l'appareil d'État grandit et avec lui grandissent les altérations bureaucratiques de l'État ouvrier. La croissance absolue et relative du capitalisme à la campagne et sa croissance absolue à la ville commencent à entraîner l'accroissement chez les éléments bourgeois de notre pays de la conscience de leur force politique. Ces éléments cherchent à démoraliser, souvent non sans succès, même une partie des communistes avec lesquels ils sont continuellement en contact, soit dans le travail, soit au cours de la vie quotidienne. Le mot d'ordre lancé par Staline, lors du XIV° Congrès du Parti : Feu à gauche ! n'a pu que faciliter le rassemblement des éléments de droite dans le Parti et des éléments bourgeois-oustrialovistes dans le pays. La question de savoir qui des deux aura le dessus se résout par une lutte de classe continuelle sur tous les secteurs des fronts économique, politique et culturel - pour un développement socialiste ou pour un développement capitaliste, pour la répartition du revenu national selon l'une ou l'autre voie empruntée, pour la plénitude du pouvoir prolétarien ou pour le partage de ce pouvoir avec la nouvelle bourgeoisie. Dans le pays, où l'écrasante majorité de la population est constituée par la petite et la toute petite paysannerie, et en général, la toute petite propriété, les processus principaux de cette lutte s'accomplissent souterrainement ça et là, de jour en jour, jusqu'à ce que d'une manière soudaine et inattendue, ils fassent irruption à l'extérieur. L'élément capitaliste trouve avant tout son expression dans la différenciation de la campagne et dans la croissance de, la propriété privée. Les gros bonnets de la campagne, comme les éléments bourgeois des villes, s'entrelient plus étroitement avec les différents chaînons de l'appareil économique d'État. Il arrive assez souvent que cet appareil permet à la nouvelle bourgeoisie d'enve­lopper dans des statistiques nébuleuses sa lutte efficace en faveur de l'augmentation de sa part du revenu national.

L'appareil commercial de l'État, de la coopération et des particuliers absorbe une immense partie du revenu national : plus d'un dixième de la production brute. D'autre part, le capital privé, dans le roulement du capital de circulation industrielle, occupe ces dernières années sensiblement plus d'un cinquième du roulement dont le chiffre total atteint plus de 5 milliards de recettes par an. Jusqu'à maintenant, la masse des consommateurs reçoit plus de 50 %. des produits de première nécessité des mains du commerce privé. C'est ici que le commerce privé trouve sa source de profits et d'accumulation. La différence (ciseaux) entre les prix de la production agricole et ceux de la production industrielle, la différence entre les prix de gros et de détail, ce que l'on appelle la « rupture » des prix, selon les diverses branches de l'économie rurale, selon les secteurs, selon les saisons, selon la différence entre les prix intérieurs et les prix mondiaux (contrebande), tout cela représente pour le capital privé une source continuelle d'enrichissements.

Le capital privé recueille un intérêt usuraire sur les hypothèques et s'enrichit sur les emprunts d'État. Le rôle de la propriété privée est aussi très important dans l'industrie. Si, ces derniers temps, il a une tendance à diminuer d'une façon relative, dans sa totalité il grandit. L'industrie capitaliste privée, soumise au contrôle de l'État, a une production brute de 400 millions par an. La petite industrie à domicile et l'artisanat ont une production annuelle de 1 800 millions. La production non étatique, prise dans son ensemble, représente plus de 20 % de toute la production industrielle marchande et près de 40 % des marchandises vendues sur l'ensemble du marché. La grande masse de cette industrie est liée d'une façon ou d'une autre au capital privé. Les formes multiples, aussi bien apparentes que cachées, de l'exploitation des masses artisanales par le capital commercial et par le capital de l'industrie à domicile, sont la source, extrêmement importante et toujours grandissante, de l'accumulation de la nouvelle bourgeoisie.

Les impôts, les salaires, les prix, le crédit sont, dans notre régime, les leviers essentiels pour la répartition du revenu national, le renforcement de certaines classes et l'affaiblissement des autres.

L'impôt agricole à la campagne, en règle générale, se répartit progressivement à rebours : lourdement sur les pauvres, légèrement sur les paysans riches et les paysans économiquement forts. D'après des calculs approximatifs, 34 % de l'économie rurale pauvre de l'URSS (même en dehors des régions où la différenciation est déjà très accentuée, comme en Ukraine, dans le Caucase du Nord, en Sibérie) possèdent 18 % du revenu net conventionnel ; cette même proportion de 18 % de revenus est possédée par le groupe des paysans riches qui embrasse 7,5 % de l'économie rurale, alors que chacun de ces groupes paie à peu près la même quantité, soit environ 20 % du total des impôts. Il est clair que l'impôt pèse beaucoup plus lourdement sur chaque économie rurale pauvre que sur chaque économie koulak, ou que sur chaque économie de paysans aisés. Contrairement aux craintes des dirigeants du XlV° Congrès, notre politique en matière d'impôts est loin de « déshabiller » le koulak et elle ne met nulle entrave à la concentration entre ses mains de réserves en argent et en nature de plus en plus fortes.

Le rôle des impôts indirects, dans notre budget, grandit de façon menaçante aux dépens des impôts directs. De ce fait même, le poids des impôts se déplace automatiquement des couches supérieures sur les couches inférieures. Les impôts sur les ouvriers ont été, en 1925-1926, deux fois plus élevés que dans l'année précédente, alors que les impôts sur le reste de là population des villes ont diminué de 6 % ( Courrier financier, 1927, n° 2, page 52) : l'impôt sur l'alcool est un fardeau de plus en plus insupportable, surtout dans les régions industrielles.

L'augmentation du revenu par tête en 1926, par rapport à 1925 est, d'après certains calculs approximatifs, pour les paysans de 19 % pour les ouvriers de 26 % pour les commerçants et industriels de 46 %. Si on divisait les « paysans » en trois groupes principaux, on découvrirait de façon indiscutable que chez le koulak le revenu s'est beaucoup plus accru que chez l'ouvrier Les revenus des commerçants et des industriels, qui sont calculés d'après les données des impôts sont, sans aucun doute, sous-estimés (en dessous de la réalité). Cependant, ces chiffres embellis témoignent clairement de l'accroissement des antagonismes de classes.

L'écart des prix entre les produits agricoles et industriels est devenu encore plus grand depuis un an et demi. Pour ses produits, le paysan ne recevait pas plus de 125 % des prix d'avant-guerre ; et pour les produits manufacturés, il ne payait pas moins de 220 % des prix d'avant-guerre. Le surplus que paye la paysannerie se répartit principalement sur les couches inférieures et il s'est élevé, pour l'année écoulée, à plus d'un milliard de roubles. Ceci entraîne non seulement l'aggravation des contradictions entre l'économie rurale et l'industrie, mais accentue fortement la différenciation de la campagne.

L'écart entre les prix de gros et de détail occasionne des pertes à l’État et aux consommateurs ; il y a un tiers qui gagne, c'est le particulier, c'est-à-dire le capitaliste.

Le salaire réel, en 1927, est dans le meilleur cas, au même niveau que dans l'automne 1925. Mais ce qui est indiscutable c'est que, pendant ces deux années, notre pays s'est enrichi, le revenu général s'est accru, les gros bonnets de la campagne, les koulaks, ont augmenté leurs réserves avec une rapidité énorme. L'accumulation du capitalisme privé, du commerçant, du spéculateur grandit extraordinairement. Il est clair que la part de la classe ouvrière dans le revenu général du pays diminue en même temps que la part des autres classes grandit. C'est le fait le plus important pour l'appréciation de la situation.

On peut affirmer que fournir des indications publiques sur les contradictions du développement et de l'accroissement des forces hostiles, c'est de la panique et du pessimisme ; le font ceux qui, au fond d'eux-mêmes, trouvent que notre classe ouvrière et notre parti ne pourront pas surmonter les difficultés et les dangers. Nous ne partageons pas ce point de vue. Il faut voir clairement les dangers. Nous les indiquons avec précision pour lutter plus sûrement contre eux et pour les vaincre.

A l'époque de la Nep, un certain accroissement des forces qui nous sont hostiles - koulaks, nepmans, bureaucrates - est inévitable. Ces forces ne peuvent être supprimées par des mesures administratives ou par une simple pression économique. En instaurant la Nep et en la réalisant, nous avons nous-mêmes fait une certaine place aux rapports capitalistes dans notre pays. Et, pendant un laps de temps encore assez long, nous devrons reconnaître que leur existence est inévitable. Lénine n'a fait que rappeler une vérité banale et nécessaire aux ouvriers quand il a dit : « Tant que nous vivrons dans un pays à majorité petite paysanne, il existera toujours en Russie, pour le capitalisme, une base beaucoup plus solide que pour le communisme ; il est nécessaire de s'en souvenir... nous n'avons pas extirpé les racines du capitalisme et le fondement et la base de l'ennemi intérieur ne sont pas ébranlés. » (T. XVII, page 427). Ce fait social le plus important, indiqué par Lénine, ne peut pas, comme il le dit, être simplement rayé d'un trait de plume, mais on peut surmonter les difficultés et les vaincre par une politique juste, systématique et méthodique de la part de la classe ouvrière, s'appuyant sur la paysannerie pauvre et en s'alliant avec la paysannerie moyenne. Cette politique consiste principalement dans le renforcement de toutes les positions sociales du prolétariat, dans le relèvement aussi rapide que possible des positions de commandement du socialisme, en liaison la plus étroite avec la préparation et le développement de la révolution prolétarienne mondiale.

Une politique léniniste juste comprend aussi l'utilisation de la manœuvre dans la lutte contre les forces du capitalisme. Lénine a usé maintes fois du moyen des concessions particulières afin de contourner l'ennemi, des reculs temporaires dans le but d'avancer avec plus de sûreté par la suite. La stratégie de la manœuvre est encore actuellement nécessaire. Il ne faut pas louvoyer, mais manœuvrer l'ennemi quand on ne peut pas le renverser par une attaque directe. Lénine est resté invariablement dans la ligne de la révolution prolétarienne. De son temps, le parti connaissait toujours les causes de la manœuvre, le sens de celle-ci, les limites au-delà desquelles on ne pouvait plus reculer et les positions d'où on recommencera l'offensive prolétarienne. La retraite du temps de Lénine s'appelait la retraite, une concession une concession. Grâce à cela, l'armée prolétarienne conservait toujours dans la manœuvre sa formation compacte, son esprit combatif, et la compréhension du but à atteindre.

Pendant cette dernière période, la direction du parti s'est écartée de la ligne tracée par Lénine. Le groupe Staline mène le parti à l'aveuglette, cachant les forces de l'ennemi, donnant à tout une apparence toute superficielle de succès. Il ne donne aucune perspective au prolétariat, ou, ce qui est pire, il lui donne une perspective fausse. Il avance en zigzags, s'adaptant aux éléments hostiles, affaiblissant et embrouillant les forces de l'armée prolétarienne. Il favorise la croissance et la passivité, la méfiance à l'égard de la direction, la défiance dans les forces de la révolution. Se référant à la stratégie manoeuvrière de Lénine, il cache ses oscillations sans principes et inattendues pour le Parti, oscillations qui décomposent ce dernier et n'ont d'autre résultat que de faire gagner du temps à l'ennemi et de lui permettre de prendre de l'avance.

Les échantillons les plus « classiques » des manœuvres de Staline, Boukharine et Rykov, sur l'arène internationale, sont la politique chinoise et la politique envers le Comité anglo-russe, et, à l'intérieur du pays, leur politique envers le koulak. Dans toutes ces questions le parti et la classe ouvrière n'ont su la vérité ou une partie de celle-ci que lorsque se sont abattues sur leurs têtes les lourdes conséquences d'une ligne fausse à sa base.

Deux ans après que le groupe Staline ait effectivement déterminé la politique des institutions centrales du Parti, on petit considérer comme complètement prouvé que la politique de ce groupe a été impuissante à éviter : la croissance démesurée des forces qui veulent orienter le développement de notre pays dans la voie capitaliste ; l'affaiblissement de la situation de la classe ouvrière et de la paysannerie pauvre en face de la force grandissante du koulak, du nepman et du bureaucrate ; l'affaiblissement de la situation générale de l’État ouvrier dans sa lutte contre le capitalisme mondial, l'aggravation de la situation internationale de l'URSS

La faute directe du groupe de Staline, c'est qu'au lieu de dire au Parti, à la classe ouvrière et à la paysannerie, toute la vérité sur la situation, il a caché cette vérité en présentant, sous une forme étriquée, la croissance des forces ennemies en fermant la bouche à ceux qui réclamaient et découvraient la vérité.

La concentration du feu à gauche alors que toute la situation est caractérisée par des dangers de droite, l'étouffement grossièrement mécanique de toute critique exprimant les craintes légitimes du prolétariat quant à la destinée de la révolution prolétarienne, l'acquiescement à toute déviation de droite, l'affaiblissement de l'influence prolétarienne et du vieux noyau bolchevik dans le parti : tout ceci affaiblit et désarme la classe ouvrière ait moment où l'activité du prolétariat, la vigilance et la cohésion du Parti, ainsi que la fidélité aux véritables commandements de Lénine, sont les plus nécessaires.

On déforme Lénine, on le corrige, on l'interprète, on le complète selon les besoins de la cause pour couvrir les fautes successives. Depuis la mort de Lénine, on a créé toute une série de nouvelles théories, simplement pour justifier, théoriquement, l'éloigne­ment du groupe Staline de la voie de la révolution prolétarienne. Les mencheviks et la presse capitaliste voient et acclament, dans la politique et les nouvelles théories de Staline-Boukharine-Martinov, une marche en avant selon la théorie d'Oustrialov « plus en avant que Lénine », la sagesse d'hommes d'État, le « réalisme », le renoncement aux « utopies » du bolchevisme révolutionnaire. Dans l'éloignement de la direction du parti de toute une série de disciples de Lénine, ils voient les premiers pas vers le passage à une nouvelle voie et s'en félicitent ouvertement.

Pendant ce temps, le processus élémentaire de la Nep, non freinée et non dirigée par une ferme politique de classe, prépare de nouveaux glissements dangereux.

25 millions de petites économies rurales sont la source principale des tendances capitalistes. La couche supérieure des koulaks qui naît de cette masse, réalise le processus de l'accumulation primitive du capitalisme qui mine profondément les positions du socialisme. Le sort ultérieur de ce processus dépend en dernier lieu des rapports entre la croissance des économies étatiques et des économies privées. Le retard de l'industrie augmente le rythme clé la différenciation de la paysannerie et multiplie les dangers politiques qui en découlent. « Les koulaks, écrivait Lénine, ont plus d'une fois, dans l'histoire des autres pays, restauré le pouvoir des féodaux, des tzars, des curés et des capitalistes. Il en fut ainsi dans toutes les révolutions européennes passées, lorsque les koulaks, en raison de la faiblesse des ouvriers, réussissaient à faire régresser la république vers la monarchie, le pouvoir des travailleurs vers la domination des exploiteurs, des riches, des parasites ! On peut très facilement réconcilier le koulak avec les féodaux, les tzars et les curés, même s'ils s'étaient querellés antérieurement, mais avec la classe ouvrière, jamais. » (Lénine, Camarades ouvriers, marchons à la lutte finale, édition de l'Institut Lénine, pages 1 et 2). Celui qui n'a pas compris cela, celui qui pense que l'on peut « intégrer » le koulak dans notre socialisme n'est capable que d'une seule chose : « c'est de faire échouer la Révolution ».

Dans le pays existent deux positions essentielles, s'excluant réciproquement : l'une - position prolétarienne construisant le socialisme, l'autre - position de la bourgeoisie qui tend à entraîner le développement vers une voie capitaliste.

Le camp de la bourgeoisie, et des couches de la petite bourgeoisie qui sont à sa remorque, met tous ses espoirs dans l'initiative privée et l'intérêt individuel. Ce camp mise sur le pays « économiquement fort » afin que la coopération, l'industrie et le commerce extérieur servent ses propres intérêts. Ce camp considère que l'industrie socialiste ne doit pas compter sur le budget d'État. Le rythme du développement de l'industrie ne doit pas contrecarrer les intérêts de l'accumulation capitaliste agraire. La lutte pour l'augmentation du rendement de la production signifie, pour la petite bourgeoisie qui se renforce quotidiennement, une pression sur les muscles et les nerfs des ouvriers. La lutte pour la baisse des prix signifie, pour elle, la diminution de l'accumulation de l'industrie socialiste dans l'intérêt du capital commercial ; la lutte avec le bureaucratisme signifie, pour le petit-bourgeois, la dispersion de l'industrie, l'affaiblissement des débuts collectifs de l'industrie, la mise au dernier plan de l'industrie lourde, c'est-à-dire l'adaptation aux paysans économiquement forts, avec la perspective prochaine de la liquidation du monopole du commerce extérieur. C'est le chemin des oustrialovistes. Cela s'appelle : le capitalisme à échéances. Cette tendance dans le pays influence même certains cercles du parti.

La voie prolétarienne est exprimée dans les paroles suivantes de Lénine : « La victoire du socialisme sur le capitalisme, l'affermissement du socialisme, peut être seulement considérée comme assurée quand le pouvoir gouvernemental prolétarien, ayant définitivement réprimé toute résistance des exploiteurs, et assuré son plein équilibre et son autorité, aura réorganisé toute l'industrie sur la base d'une grosse production collective et sur un nouveau fondement technique (électrification dans toutes les branches principales de l'économie). Cette réorganisation peut seule donner la possibilité de fournir aux campagnes arriérées et dispersées, une aide radicale technique et sociale créant ainsi une base matérielle pour un accroissement considérable de la productivité du travail agricole et du travail général à la campagne, contraignant ainsi les petits cultivateurs, par la force de l'exemple et leur propre intérêt, à passer de la petite production à la grande culture collective mécanique. » (Résolution du II° Congrès de l'IC). C'est sous cet angle que doit être édifiée toute la politique du Parti (impôts, industries, économies rurales, commerce extérieur et intérieur, etc.). Telle est la position essentielle de l'Opposition. C'est le chemin vers le socialisme.

Entre ces deux positions, se trouve, toujours plus près de la première, la ligne de Staline, composée de courts zigzags à gauche et de larges zigzags à droite. Le chemin de Lénine signifie le développement socialiste des forces productives dans la lutte continuelle contre les éléments capitalistes. La voie d'Oustrialov signifie le développement sur des bases capitalistes, par le moyen de l'annulation progressive des conquêtes d'Octobre. Le chemin de Staline conduit en réalité à freiner le développement des forces productives, à diminuer le poids spécifique des éléments du socialisme et par là même à préparer la victoire de la voie d'Oustrialov. Le cours de Staline est d'autant plus dangereux et d'autant plus néfaste qu'il cache les déviations réelles sous des mots simples et des expressions courantes. L'accomplissement du processus de reconstruction a posé d'une façon aiguë les tâches essentielles du développement économique et, par là même, sapé la position de Staline, qui ne convient pas aux grandes questions ; que ce soit la question chinoise ou la reconstruction du capital de base de l'URSS.

Malgré la tension de la situation, qui est rendue extrêmement aiguë par les fautes grossières de la direction actuelle, cet état de choses est tout à fait réparable. Mais il faut, pour cela, changer radicalement la ligne de la direction du parti, dans le sens de la ligne tracée par Lénine.


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