1927

La plate-forme des bolcheviks-léninistes (Opposition) pour le XV° Congrès du PC de l'URSS. Un domument élaboré par Trotsky et Zinoviev, repris par 13 membres du CC et de la CCC, puis par près de 10 000 communistes.

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Plate-forme pour le XV° congrès du PCUS

Opposition bolchévique unifiée


III. La paysannerie, la question agraire et la construction socialiste

« La petite production engendre toujours, quotidiennement, à tout moment, en masse le capitalisme et la bourgeoisie. » (Lénine, 1920, t. XVII, page 118). Ou bien l'État prolétarien s'appuyant sur une industrie hautement développée et électrifiée saura vaincre le retard technique des millions de petites et de toutes petites économies rurales, les organisant sur des bases collectivistes de grosse production, ou bien le capitalisme, retranché à la campagne, rongera les fondements socialistes dans les villes.

Du point de vue du léninisme, la paysannerie, dont la masse essentielle n'exploite pas le travail d'autrui, est cet allié d'où dépendent, en fonction des rapports avec celui-ci, la solidité de la dictature du prolétariat et les destinées de la révolution socialiste. Dans les quelques mots suivants, Lénine formulait d'une façon précise les tâches vis-à-vis de la paysannerie, pour l'étape que nous traversons actuellement : « Savoir aboutir à un accord avec le paysan moyen - sans renoncer une minute à la lutte contre le koulak et ne s'appuyer solidement que sur le paysan pauvre. » (T. XV, p. 564).

La révision du léninisme par le groupe Staline-Boukharine, dans la question paysanne, se caractérise par les traits essentiels suivants :

  1. La négation d'un des principes fondamentaux du marxisme qui dit que seule une forte industrie socialiste peut aider la paysannerie à transformer l'économie rurale sur des bases collectivistes ;
  2. La sous-estimation des ouvriers agricoles et des paysans pauvres, comme base sociale de la dictature prolétarienne à la campagne ;
  3. La tendance à s'orienter dans l'économie rurale sur le soi-disant paysan « économiquement fort », en réalité sur le koulak ;
  4. La volonté d'ignorer ou de nier le caractère petit-bourgeois de la propriété paysanne et des économies paysannes. Cela signifie une négation du marxisme, et un rapprochement vers les théories des socialistes-révolutionnaires ;
  5. La sous-estimation du développement des éléments capitalistes à la campagne dans la période actuelle et l'atténuation de la différenciation de la paysannerie ;
  6. La création d'une théorie à dormir debout selon laquelle « le koulak et les organisations des koulaks ne pourront aller là où ils veulent, car les cadres de tout développement dans notre pays sont par avance délimités par le système social de la dictature prolétarienne » (Boukharine, le Chemin vers le socialisme et le bloc ouvrier et paysan, page 491) ;
  7. Des théories sur la possibilité de greffer « les nids coopératifs des koulaks dans notre système social » (Boukharine). « Le problème se pose de cette façon, il faut développer les moyens économiques des koulaks » (Pravda, 24 avril 1925) ;
  8. Des tentatives d'opposer le « plan coopératif » de Lénine au plan d'électrification de Lénine. Selon Lénine, on garantit le passage au socialisme à la seule condition d'unir ces deux plans.

S'appuyant sur ces tendances révisionnistes du cours officiel, les représentants de la nouvelle bourgeoisie, qui se sont entremêlés à certains chaînons de notre appareil d'État, cherchent ouvertement à influencer notre politique à l'égard de la campagne, pour l'amener sur une voie capitaliste. Les koulaks et leurs idéologues cachent leurs prétentions derrière la préoccupation de développer les forces productives et d'accroître la quantité des marchandises « en général », etc. En fait, le développement dans la direction des koulaks, des forces productives et de la quantité des marchandises amènerait le ralentissement du développement des forces productives du reste des larges masses paysannes.

Malgré un processus assez rapide de reconstruction à la campagne, la quantité de produits agricoles dont les paysans disposent, pour le marché, est très petite. En 1925-1926, l'arrivage sur le marché ne forme que 64 % de celui d'avant-guerre ; l'exportation forme seulement 24 % par rapport à 1913. La raison de cet état de choses provient, en dehors de l'augmentation de la consommation de la population rurale (augmentation de la population, non seulement des économies rurales, sans oublier que 38 % de celles-ci, dans les zones productrices, achètent du blé pour leur propre consommation), des écarts dans les prix entre les produits agricoles, et les produits industriels et de l'accumulation, en nature, par les koulaks. Même dans les prévisions du plan quinquennal d'État, on est obligé de reconnaître que, « en général, la disette de marchandises industrielles entrave dans une large mesure un échange équivalent entre la ville et la campagne, abaissant ainsi l'afflux sur le marché des produits agricoles » (p. 177). De cette façon, le retard dans le développement de l'industrie a ralenti le développement de l'agriculture, diminué, les possibilités de vente des produits agricoles, entravé l'union entre la ville et la campagne, et amené une différenciation rapide de la paysannerie.

Les opinions émises par l'Opposition sur toutes les questions litigieuses de la politique paysanne ont été en entier confirmées par les faits.

Les retouches partielles, apportées à la ligne générale, sous la pression et la critique violente de l'Opposition, n'empêchent nullement la politique officielle de s'éloigner continuellement vers la défense des intérêts des paysans « économiquement forts ». Il suffit de se rappeler que le IV° Congrès des Soviets, sur le rapport du camarade Kalinine, n'a pas fait une seule allusion à la différenciation de la campagne et à la croissance du koulak.

Le résultat d'une telle politique ne peut être que de perdre le paysan pauvre et de ne pas gagner le paysan moyen.

Pendant ces dernières années, la différenciation capitaliste à la campagne a parcouru un grand chemin.

La différenciation de la paysannerie.

Pendant ces quatre ans, les groupes de paysans qui n’ensemençaient pas du tout on très peu ont diminué dans la proportion de 30 à 45 % ; les groupes qui ensemençaient de 6 à 10 déciatines, pendant le même laps de temps, ont augmenté dans la proportion de 100 à 120 % ; les groupes qui ensemençaient 10 déciatines et plus ont augmenté dans la proportion de 150 à 300 %. La disparition de groupes de paysans qui ensemençaient très peu ou pas du tout provient généralement de la ruine de ces économies rurales ou de leur disparition. Ainsi, en Sibérie, pendant une année, ont disparu 15,8 % d'économies rurales n'ensemençant pas, et 3,8 % parmi celles qui ensemençaient jusqu'à deux déciatines ; dans le Nord du Caucase, 14,1 % de la première catégorie et 3,8 % de la deuxième.

Les économies paysannes démunies d'outillage et de chevaux, s'élèvent très lentement au niveau inférieur des couches des paysans moyens. Il existe encore actuellement, dans toute l'Union soviétique, 30 à 40 % d'économies rurales démunies d'outillage et de chevaux. La majeure partie de ces économies rurales se trouve parmi les groupes de paysans ensemençant très peu.

Dans le Nord du Caucase, la répartition de l'outillage agricole indispensable est la suivante : 50 % des économies rurales les plus faibles détiennent 15 % de l'outillage agricole indispensable : 35 % des économies rurales moyennes détiennent % de l'outillage agricole, et 15 % de l'économie rurale riche détiennent 50 % de l'outillage agricole indispensable. Le même tableau de la répartition de l'outillage agricole indispensable est constaté, dans d'autres régions (Sibérie, Ukraine. etc.).

De même que la répartition des terrains ense­mencés et de l'outillage agricole n'est pas équitable, de même la répartition des réserves de blé entre les divers groupes d'économies paysannes n'est pas équitable. Au l° avril 1926, on constate que 53 % de toutes les réserves de blé, sont concentrées entre les mains de 6 % des économies paysannes (la Revue de statistiques, n° 4, 1927).

Le fermage des terres prend chaque année des proportions plus importantes. Le fermage des terres est surtout fait par les économies paysannes fortes, qui ensemencent beaucoup, qui possèdent l'outillage agricole. Pour échapper aux impôts, on cache continuellement le fermage des terres. Les paysans, qui n'ensemencent pas, qui sont dénués d'outillage agricole et de bétail, sont obligés pour cultiver leurs terres, de louer le bétail et l'outillage indispensables. C'est le règne des conditions esclavagistes pour la location de l'outillage, de même que pour le fermage des terres. En même temps que grandit la location d'outillage et de bétail, contre une rémunération en nature, grandit la rémunération en argent qui prend des proportions usurières.

Le processus de morcellement des économies paysannes n'affaiblit pas mais renforce le processus de différenciation.

Les machines et le crédit, au lieu de servir de levier à la collectivisation de la campagne, presque continuellement tombent entre les mains des koulaks et des paysans aisés et aident ainsi ces derniers à renforcer leur exploitation des ouvriers agricoles, des paysans pauvres et des paysans moyens économiquement faibles.

En même temps que s'opère la concentration des terres et des moyens de production entre les mains des gros bonnets de la campagne, ces derniers utilisent de plus en plus la main-d'œuvre salariée.

Des économies rurales pauvres, ainsi que certaines économies rurales moyennes disparaissent soit à cause de la ruine de leurs propriétaires, soit liquidées par ces derniers. En même temps, il se produit parmi ces groupes une croissance de main-d'œuvre qui ne trouve pas à s'employer à la campagne, et cette main-d'œuvre, asservie par les koulaks et par les paysans économiquement forts, s'en va dans les villes où, dans une grande proportion, elle ne trouve pas de travail.

Malgré tous les processus signalés, les paysans moyens restent toujours le groupe le plus nombreux et le plus important de la campagne. Une des tâches les plus importantes de la dictature du prolétariat est d'amener le paysan moyen à la politique socialiste dans les questions de l'agriculture. Miser sur le paysan « économiquement fort » signifie en fait continuer une politique qui aboutit à la disparition des couches moyennes et pauvres de la campagne.

Ce n'est qu'en s'intéressant, comme il le faut, à la situation des ouvriers agricoles, en s'orientant vers le paysan pauvre et vers son alliance avec le paysan moyen, ce n’est qu'en menant une lutte décisive contre le koulak, en orientant l'industrialisation du pays dans une voie socialiste, en mettant sur une ligne de classe la coopération et les crédits destinés à l'agriculture, que s'ouvriront de larges possibilités pour attirer le paysan moyen dans le travail de transformation de l'agriculture actuelle sur des bases socialistes.

Les propositions pratiques

Dans la lutte de classes qui se déroule à la campagne, le Parti doit, non seulement en paroles, mais par ses actes, se mettre à la tête des ouvriers agricoles, (les paysans pauvres, des masses fondamentales des paysans moyens et les organiser pour la lutte contre les tendances capitalistes des koulaks.

Pour renforcer les positions de classe du prolétariat agricole, partie intégrante de la classe ouvrière, il est nécessaire de prendre vis-à-vis de ce prolétariat les mêmes mesures que celles qui régissent la situation des ouvriers industriels.

Le crédit agricole ne doit pas être utilisé pour le plus grand bien des couches aisées de la campagne. Il faut mettre un terme à la situation actuelle, où les fonds destinés aux paysans pauvres, très minimes en eux-mêmes, sont dilapidés assez souvent, non là où ils étaient destinés primitivement, mais au profit des couches aisées de la campagne.

Il faut opposer au fermage la croissance plus rapide des communautés agricoles. Il est indispensable d'allouer, systématiquement d'année en année, de plus grosses sommes aux paysans pauvres faisant partie de communautés agricoles.

Parallèlement à cela, il est nécessaire d'apporter une aide plus systématique aux économies rurales pauvres qui ne font pas partie des communautés agricoles, en les exonérant complètement de l'impôt, en faisant une politique de réorganisation agricole correspondant à leurs intérêts, en les faisant participer aux crédits, en leur donnant ainsi la possibilité de se procurer l'outillage indispensable, en les attirant dans la coopération agricole, etc. Au mot d'ordre, dénué de contenu de classe de Staline-Molotov : « Création de cadres actifs de paysans sans-parti en vivifiant la vie des soviets », qui, en fait, se traduit par le renforcement du rôle dirigeant des gros bonnets de la campagne, il faut opposer le mot d'ordre de la création de cadres actifs sans-parti d'ouvriers agricoles, des paysans pauvres et des couches inférieures des paysans moyens.

Il est nécessaire d'avoir une réelle organisation de paysans pauvres qui s'occuperait des questions politiques et économiques vitales, des machines agricoles, de la réorganisation de l'agriculture, de son utilisation, de la coopération, etc.

Le Parti doit prendre toute mesure utile pour aider au relèvement économique des paysans moyens par une politique juste dans la fixation des prix, en mettant des crédits à leur portée, par la coopération, en amenant petit à petit cette partie, la plus nombreuse de la paysannerie, au passage à une production collective, au moyen de machines.

Les tâches du Parti doivent être, par rapport à la croissance des couches koulaks de la campagne, de limiter les aspirations capitalistes de celles-ci. Il est inadmissible de réviser la Constitution qui enlève tout droit électoral aux éléments des campagnes qui exploitent le travail d'autrui. Il est nécessaire de créer une imposition très progressive, prendre, par le moyen des lois, la défense des salariés, fixer un taux minimum du salaire des ouvriers agricoles. En ce qui concerne la terre, par une juste politique de classe, mettre fin aux appétits grandissants du koulak, et éviter, dans le domaine de l'approvisionnement de la campagne en tracteurs, que ces derniers ne tombent pas en majorité entre les mains des koulaks.

Le fermage des terres de plus en plus développé l'ordre existant de la jouissance des terres, quand, en dehors de tout contrôle et direction soviétiques, les sociétés agricoles, soumises de plus en plus à l'influence des koulaks, disposent, selon leurs vues, des terres; les décisions du IV° Congrès des Soviets « d'indemniser » les intéressés quand il y a des nouvelles répartitions des terres (Porodiel), tout ceci contribue à miner, à la base même, la nationalisation des terres.

Une des mesures les plus efficaces, pour renforcer la nationalisation des terres, doit être la subordination des sociétés agricoles aux pouvoirs locaux, l'institution d'un contrôle sérieux, de la part des soviets locaux, débarrassés des koulaks, sur la façon dont sont résolues les questions concernant la jouissance des terres, l'organisation de l'agriculture afin de pouvoir, efficacement, défendre, les intérêts des paysans pauvres et des paysans moyens économiquement faibles, contre l'usurpation des koulaks. Il est nécessaire, en particulier, d'arriver à ce que le koulak, en tant que fermier, soit soumis à une surveillance complète, à un contrôle étroit, de la part des organes du pouvoir soviétique à la campagne.

Le Parti doit repousser victorieusement toutes les tendances visant, soit à supprimer, soit à miner la nationalisation de la terre - une des bases principales de la dictature du prolétariat.

Le système existant de l'unique impôt agricole doit être modifié, dans le sens d'exonérer de l'impôt 40 à 50 % des économies paysannes pauvres ou faibles, sans pour cela augmenter les impôts de la masse essentielle des paysans moyens. Les dates de rentrée des impôts doivent être coordonnées aux intérêts des groupes inférieurs des contribuables.

Il faut accorder des ressources plus importantes pour le développement des sovkhoz et des kolkhoz. Il faut accorder de plus larges exemptions aux kolkhoz, nouvellement créés et aux autres formes du collectivisme agricole. Ne doivent pouvoir faire partie des kolkhoz les éléments privés du droit de vote. La tâche de transformer la petite production en grosse production collective doit influencer tout le travail de la coopération.

Il faut entreprendre, exclusivement au compte de l'État, des travaux pour l'organisation de l'agriculture ; en premier lieu doivent être organisées les terres des kolkhoz et celles des paysans pauvres et sauvegarder ait maximum leurs intérêts.

Les prix du pain et d'autres produits agricoles doivent garantir, aux paysans pauvres et à la masse principale des paysans moyens, la possibilité tout au moins de maintenir leurs économies au même niveau et de les améliorer petit à petit. On doit prendre les mesures qui s'imposent pour éviter « la rupture » des prix du printemps et de l'automne, car cette « rupture des prix » pèse lourdement sur les couches pauvres de la campagne en donnant la possibilité aux gros bonnets d'en être les seuls bénéficiaires.

Il est urgent, non seulement d'augmenter sensiblement les fonds destinés aux paysans pauvres, mais de changer radicalement l'orientation du crédit agricole. Celui-ci doit être soutenu, à bon marché, pour une longue période, et être ainsi accessible aux paysans pauvres et aux paysans moyens économiquement faibles. Il faut de même changer le système existant concernant les garanties et les cautions exigées.

Sur la coopération

La tâche de la construction socialiste à la campagne est la réorganisation de l'agriculture sur la base des grosses économies collectivisées. Pour la masse essentielle de la paysannerie, le chemin le plus simple pour y arriver est la coopération - comme l'a écrit Lénine dans son œuvre sur la « Coopération ». C'est un grand privilège qui est accordé à la paysannerie par la dictature du prolétariat et par le régime soviétique.

Seul le processus d'augmentation progressive de l'industrialisation de l'agriculture peut créer une base toujours plus large pour la coopération socialiste de production, pour le collectivisme. Sans la révolution technique, même dans le domaine des moyens de production, sans machine agricole, sans le changement dans le système de la culture de la terre, sans les engrais chimiques, etc., tout travail profond ayant des chances de réussite pour la collectivisation de l'agriculture est impossible.


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