1930

La lutte de l'Opposition communiste en U.R.S.S. : lettres diverses.


Lettre à Khristian Rakovsky

2 juin 1930


Cher Khristian Gueorgiévitch,

Nous vous avons télégraphié le 18 mai :

  1. que nous approuvons, le contenu de votre déclaration [1] d'avril,
  2. que nous approuvons votre initiative d'ouvrir la discussion d'avant le XVI° congrès par un document qui traite des questions urgentes du moment,
  3. que nous estimons nécessaire d'approfondir la discussion par un document à caractère programmatique unifiant la critique de la "troisième période" d'erreurs du parti russe et de l'I.C. et la critique des erreurs des périodes précédentes afin de dresser ainsi un tableau homogène de I'opportunisme centriste avec ses courts zigzags de gauche.

Après avoir étudié plus à fond la déclaration "des quatre" nous avons constaté que dans la question du main­tien du rythme de l'industrialisation, il existe chez certains de nos camarades, alors que d'autres l’estiment tout à fait juste.

Voici les arguments du premier groupe.

En ce qui concerne la première partie de votre thèse sur l’approvisionnement du pays en produits agricoles et matières premières agricoles, nous n’avons rien à objecter. C'est la seconde partie, celle du maintien du rythme de l’industrialisation qui nous paraît contestable.

Il s'agit sans aucun doute du maintien du rythme de l'in­dustrialisation par les centristes dont le "Plan quinquennal en quatre ans'' a été sévèrement condamné par l'Opposition dans une série de documents de Trotsky et de Rakovsky.

''Au lieu d'assister à la direction et à la manœuvre de l'économie, nous assistons à des bonds de l'industrialisation", écrivait dans un de ses documents le camarade Trotsky. "Nous a­vons toujours eu en vue une industrialisation réalisable, mais pas la superindustrialisation bureaucratique qui ne tient pas compte des possibilités réelles et qui conduit le pays à une crise formidable".

Nous estimons que les avertissements de Trotsky et de toute l'Opposition n’ont pas perdu aujourd'hui de leur importance. Justement en ce moment où la presse parle de la nécessi­té d'augmenter encore le plan des années qui suivent et de cor­riger ainsi les défauts de l'année en cours, ce qui signifie une triple pression sur les muscles des ouvriers par rapport à la situation actuelle, il est de notre devoir de soumettre à une critique des plus sévères les rythmes et pas de les soutenir. La période de l'aventurisme ultra-gauchiste de la politique d'industrialisation n'est pas encore terminée. Aucun des documents officiels ou semi-officiels ne témoignent de ce que les centristes abandonnent les rythmes prévus. Au contraire, toutes les informations de presse nous convainquent que la bureaucratie se met en quatre pour atteindre des objectifs irréalisables.

S’en tenir au maintien du rythme comme le fait la déclaration des quatre n'est rien d'autre que contribuer à l’aggravation de la crise. Cela ne s'harmonise pas avec l’exigence d'élever le niveau de viede la classe ouvrière, car la bureaucratie emploiera la seule possibilité qui existe de conserver te rythme, à savoir les muscles des ouvriers.

Nous sommes contre les rythmes des bonds dans l'industrialisation. Nous sommes contre Ies rythmes qui contribuent à ag­graver la crise économique et détruire physiquement la classe ouvrière.

Nous sommes pour l'industrialisation "réalisable".

Le groupe estime

Que la thèse mentionnée ci‑dessus de la déclaration n'a nullement besoin d'être corrigée et qu'elle ne contredit nullement les articles et les lettres de Trotsky et de Rakovsky.

Les camarades oublient que la période des articles et lettres en question de Trotsky et de Rakovsky est séparée de la période de la déclaration des quatre par la retraite catastrophique qui est le résultat des soubresauts aventuristes précédents du centrisme, que cette retraite signifie non seulement l'effondrement de la "collectivisation intégrale" et de la ten­tative superindustrialiste de réaliser le plan en, quatre ans; qu'à l’heure actuelle, après la faillite de la collectivisation "intégrale", la collectivisation toute simple, compromise par les les centristes aux yeux des larges masses paysannes se trouve sous la pire menace que non seulement le plan quinquennal ne soit pas réalisé en quatre ans, mais qu'il ne soit pas réalisé du tout; que, dans une telle situation, où le centrisme est en plein désarroi, il serait parfaitement erroné de la part de l’Opposition de lancer le mot d'ordre de réduction des rythmes lesquels reçoivent, sans cela, les coups les plus durs; que la tâche de l'Opposition consiste à préserver la politique même de l’industrialisation et de la collectivisation tout en déchirant le voile de la façade illusoire de la collectivisation "intégrale" et en démontrant le vide des bulles de savon en quatre ans.

Nous pensons qu’il est tout à fait juste, après l'effon­drement de la théorie et de la pratique du socialisme en un pays isolé, de lancer le mot d'ordre du maintien des rythmes qui peuvent être réalisés au cas où les bases politiques dont la déclaration se préoccupe avant tout seraient réalisées. Dans la période où Trotsky et Rakovsky mettaient en garde contre la folie de la collectivisation "intégrale", la situation était telle que le centrisme montait à bride abattue avec un chargement trop lourd. C'était à nous de le prévenir de la catastrophe imminente. Nous disions : le chargement est au‑dessus de nos forces, débarrassez‑vous du trop‑plein, autrement c'est la chute et vous vous cassez le cou. Maintenant que le cocher, qui n'a pas écouté nos conseils, se lance en arrière en perdant tous ses bagages, il serait imprudent de lui répéter notre conseil de se débarrasser d'une partie de son chargement. Ce qui est urgent, c'est d'arrêter la course du chariot qui se précipite n'importe où et de sauver ce qu’on peut sauver du char­gement.

Pour cela, nous appelons les ouvriers et les paysans travailleurs à soutenir ce chargement sur leurs épaules, alors que la bureaucratie l'a. laissé tomber, et à préserver ainsi ce chargement. Ce n'est pas du tout en contradiction avec nos documents. Cela correspond seulement à la différence entre deux périodes, celle de l'envolée aventuriste du centrisme et celle de la punition inéluctable pour cette aventure.

E.R.


[1] Allusion à la déclaration d’avril 1930 de Rakovsky, Kasparova, Kossior et Mouralov.


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