1948

Manifeste du II° congrès de la IV° Internationale aux exploités du monde entier
Source : brochure IV° Internationale, 1948.

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Contre Wall Street et le Kremlin.

IV° Internationale

Pour le programme du « manifeste communiste ». Pour la révolution socialiste mondiale.


L’U.R.S.S. et la dégénérescence de la révolution d’Octobre

Face à l'impérialisme américain ne se dresse aujourd'hui qu'un seul Etat : l'Union Soviétique, dont les richesses sont soustraites à son contrôle et les citoyens à son exploita­tion. A la place du vieil empire vermoulu des tsars, s'élève aujourd'hui la deuxième puissance du monde. Qu'on compare le sort de la Russie à celui de la Chine si on désire encore aujourd'hui une justification historique de la Révolution d'Octobre ! L'histoire de ces trente années a démontré l'extraordinaire solidité des nouveaux rapports sociaux issus de cette révolution, par comparaison aux forces centrifuges incontrôlables accumulées dans tous les pays capitalistes. La supériorité de l'économie planifiée ne s'exprime plus seulement en termes d'acier de charbon, de béton, comme le disait Trotsky, elle s'est également affirmée sur les champs de bataille, face à toute la puissance capitaliste concentrée de l'Europe.

Mais l'histoire a montré en même temps que, dans le cadre de ces rapports sociaux supérieurs à ceux du capitalisme, la dégénérescence et la réaction ont atteint un niveau monstrueux que personne ne pouvait prévoir. Toutes les sphères de la vie soviétique sont aujourd'hui gangrenées par la bureaucratie. Sa gabegie, son parasitisme, ses détournements accablent la production collectivisée d'un fardeau de plus en plus insupportable, réduisant sans cesse le taux d'accumulation. Sa convoitise et ses appétits de parvenu accentuent chaque jour davantage les inégalités sociales et l'accumulation des privilèges par une petite minorité. A la tension sociale croissante, la dictature bonapartiste répond par la terreur policière la plus barbare, enchaînant les travailleurs à l'usine, réprimant dans le sang la résistance des paysans, liquidant dans des épurations massives d'importantes couches de la bureaucratie elle-même, Face à la misère et à l'abrutissement des masses, la bureaucratie a fait revivre toutes les moeurs bannies par la révolution. Là où Octobre introduisit l'égalité spartiate, le dévouement révolutionnaire et l'abnégation au service de la communauté, la bureaucratie a fait triompher les titres, les uniformes, les galons et un sordide esprit de lucre. A l'internationalisme prolétarien elle a substitué une infâme mixture de chauvinisme grand russien et de panslavisme mystique. Ainsi se sont affirmés en Russie également les résultats terribles des défaites du prolétariat mondial. La totalitarisation du capitalisme et la dictature totalitaire du stalinisme ne sont pas deux phénomènes identiques, leur base matérielle et leur nature de classe sont différentes. Mais toutes deux expriment symétriquement le prix que l'humanité doit payer pour le retard de la révolution communiste internationale.

La théorie du "socialisme dans un seul pays" s'est cruellement vengée de Staline. Le conservatisme petit bourgeois de la bureaucratie soviétique a conduit celle‑ci tout d'abord à étrangler de ses propres mains la révolution en Europe au prix d'un éphémère modus vivendi avec la bourgeoisie mondiale. Il l'a conduite ensuite, avec une logique implacable, à étendre sa domination hors des frontières de la Russie pour trouver une solution temporaire à ses difficultés économiques et une protection non moins éphémère contre l'encerclement impérialiste.

Par sa politique dans les pays qu'elle a soumis à son influen­ce, la bureaucratie manifeste sa nature contradictoire. Ne pouvant partager ses privilèges avec la bourgeoisie, elle l'élimine du contrô­le de l'État et de l'économie. Les mesures entreprises dans ces pays, les nationalisations et les réformes agraires, ne sont pas du tout dictées par l'amour du socialisme mais par la volonté de la bureaucratie de consolider son contrôle exclusif sur la vie économique et politique des pays du glacis pour s'assurer ses propres privilèges. Mais une fois ses buts atteints, elle se retourne inva­riablement contre les masses en vue de ligoter leurs mouvements et leurs organisations et d'avoir également sur celles‑ci un con­trôle absolu.

Ayant saisi, dans les pays du glacis, une partie des industries clefs et favorisé la nationalisation de la grande industrie, le Kremlin s'efforce d'en retirer le maximum de ressources pour ses propres besoins, sans égard pour les intérêts des masses. Face à un raidissement des bourgeoisies nationales, il recourt à une mobilisation limitée des masses, combinée à une action policière conséquente pour en venir à bout. Le régime politique de ces pays prend ainsi une forme bonapartiste, alternant entre des coups à droite contre la résistance faiblissante de la bourgeoisie, et des coups à gauche contre les efforts hésitants du prolétariat pour défendre son niveau de vie et ses libertés élémentaires.

Devant les effets, de l'expansion de la bureaucratie, des " théoriciens" petits bourgeois myopes, ayant perdu depuis longtemps toute foi dans la révolution prolétarienne, s'émerveillent des " succès du " réalisme stalinien". Les nationalisations ne se sont‑elles pas étendues à toute l'Europe orientale ? D'autres, mortellement effrayés par le "renforcement" du stalinisme, voient en lui le représentant d'une nouvelle société exploiteuse monstrueuse lancée sur la voie de la domination mondiale. L'hystérie des uns et des autres s'harmonise étrangement avec la propagande stalinienne, tous jugeant avec un impressionnisme des plus vulgaires.

Les "conquêtes socialistes" de Staline en Europe orientale, lui ont été, en réalité, concédées par l'impérialisme mondial à Téhéran, Yalta et Potsdam. En échange de ces conquêtes, Staline trahit le mouvement insurrectionnel d'août 1942 aux Indes, ordonna le désarmement des partisans grecs, livra le mouvement des masses de France à de Gaulle, remit au pouvoir dans tous les pays d'Europe occidentale la bourgeoisie chancelante et aida à écraser le prolétariat allemand. Par ses infâmes pratiques de démontage, de pillage, de terreur et de déportation, il a réussi à provoquer, au sein même du mouvement ouvrier mondial, de profonds sentiments d'hostilité envers l'Union Soviétique, ce qu'Hitler n'avait jamais pu réaliser. Tel est l'impressionnant bilan des "victoires" staliniennes.

Ainsi, à une échelle infiniment élargie, la politique stalinienne conduit l'U.R.S.S. dans la même impasse qu'en 1939. Incapable de miser sur la combativité révolutionnaire des masses, la bureaucratie a recours à une politique d'expansion et de puissance qui aggrave les conditions générales de la nouvelle épreuve de force inévitable avec l'impérialisme et favorise l'unification des forces impérialistes sous l'égide de Washington. Le sursis qu'il vient de gagner, Staline l'a utilisé pour se couvrir des crimes les plus abominables. Quels que soient ses succès ultérieurs, il court aveuglément vers sa perte.

Aussi longtemps qu'il restera enfermé dans le dilemme du choix entre la bureaucratie stalinienne et l'impérialisme américain, aussi longtemps qu'il ne se placera pas sur le plan de la lutte pour la révolution socialiste, le monde entier aura non une perspective de redressement et de développement, mais au contraire la perspective d'une décomposition et d'une décadence accélérée.


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