1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


I. Le tragique exode

- Comment as-tu pu passer demandons-nous.

- Ah ! Oui ! Ce n'était pas tout à fait facile et cela ne ressemblait pas du tout à un voyage de luxe, répond notre ami, à qui, malgré la fatigue, la bonne humeur ne fait pas défaut.

Il nous raconte ses aventures pittoresques et ajoute :

« La frontière française est gardée militairement par les gendarmes et les Sénégalais qui ignorent le français. On ne laissait même pas passer des Français s'ils n'étaient pas munis d'un passeport régulier. Quant aux Espagnols, on laissait, pendant quelques heures de la journée, passer des femmes, des enfants et des blessée. Les autres étaient refoulés sans pitié. »

Notre camarade qui a fait la centaine de kilomètres qui le séparait de la frontière en partie en auto-stop, en partie à pied, ajoute :  « Le spectacle que j'ai vu sur les routes qui menaient jusqu'à la frontière était horrible. Cet exode précipité des femmes, parfois enceintes, des en­fants, des blessés, parfois amputés d'une jambe qui, en vain, essayaient d'arrêter une voiture, des blessés qu'on évacuait en vitesse des hôpitaux dans les endroits mena­cés par l'avance fasciste, cet exode à pied des hommes, femmes et enfants épuisés fut un spectacle qui nous fai­sait frémir ! Pourtant, on ne s'émotionne pas facilement après tout ce qu'on a vu en Espagne. Evidemment, le départ fut effectué dans d'autres conditions par MM. les ministres, députés, bureaucrates, hauts fonctionnaires, etc... qui roulaient déjà depuis lundi 23 janvier (trois jours avant la rentrée de Franco à Barcelone) dans les voitures luxueuses en direction de Cerbère et du Perthus. On avait ainsi, en contemplant sur la route ces deux moyens de locomotion, une démonstration tangible de la division des classes à l'intérieur du Front populaire : les bourgeois de gauche et les bureaucrates embourgeoisés d'un côté, roulent dans les belles limousines ou, dans le pire des cas, dans les petites Citroën, de l'autre côté des ouvriers, les paysans et avec eux des militants du rang qui mar­chaient à pied. On assistait à des scènes tragiques d'adieu entre ceux qui partent et ceux qui, par suite de liens de famille, sont obligés de rester, des moments d'hésitation, des décisions rapides et précipitées et tout cela sous la menace continue de l'aviation fasciste qui bombardait constamment la route et parfois même la mitraillait. Il fallait parfois s'arrêter au cours du chemin, se cacher derrière un fossé, se coucher sur la route, ou chercher un refuge dans le champ voisin, passer des nuits blan­ches, n'ayant aucune information sur l'état du front et sur la rapidité de l'avance fasciste, tout cela au milieu d'une panique générale, d'un désarroi et d'une désorgani­sation sans précédent. Il n'y avait plus de presse depuis mardi [1], la radio ne fonctionnait pas et nous avons vécu jusqu'au dernier moment dans l'espoir d'une résistance ferme aux fascistes. Notre désorientation du dernier moment, tu la comprendras ».

Le récit de notre camarade, dont nous ne donnons que des extraits, nous émeut, nous plonge dans la tristesse, en pensant à cette tragédie du prolétariat espagnol, et nous fait nous attendrir sur le sort de toutes ces victimes de la « non-intervention ». Cet attendrissement s'étend parfois même sur notre interlocuteur qui a vécu la tra­gédie de nos frères d'Espagne. Notre camarade est visiblement gêné par cet attendrissement et, avec force, ajoute :

- Oh ! Je ne rentre pas « désenchanté » de l'Espagne ! En reviennent désemparés et « désenchantés » les vo­lontaires staliniens par exemple, qui sont partis avec des idées fausses, qui ne comprenaient pas le sens des évé­nements et que la direction communiste a maintenus dans l'ignorance. Quant à notre organisation internationale et à notre section espagnole, elles ont bien prévu les conséquences logiques de la criminelle politique du Front populaire qui ouvrait les portes à Franco.

La tragédie espagnole, c'est un crime de plus sur le compte de la bureaucratie stalinienne qui a écrasé le mouvement révolutionnaire, assassiné ses meilleurs com­battants, démoralisé, par sa basse politique de platitude envers le capitalisme international dit démocratique, l'héroique prolétariat de ce pays. Mais ce crime est un enseignement, payé cher, c'est vrai, dont profiteront les ouvriers des autres pays, en premier lieu le prolétariat français.


Notes

[1] Mardi 24 janvier, deux jours avant la prise de Barcelone.


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