1939

Le bilan du "Frente Popular" espagnol selon les trotskystes : "Battre le fascisme, seule la révolution prolétarienne le pouvait. Or, toute la politique des dirigeants républicains, socialistes, communistes et anarchistes, tendait à détruire l'énergie révolutionnaire du prolétariat."

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L'Espagne livrée

M. Casanova

Comment le Front Populaire a ouvert les portes à Franco


XV. Le retrait des volontaires

Toute l'orientation du Front populaire apparaît claire­ment aussi dans le problème des « volontaires » c'est-à­-dire des forces « étrangères » combattantes dans les deux camps adverses : celui des « gouvernementaux » et celui des « rebelles ».

En juillet 1936, environ trois mois avant la formation des Brigades Internationales, ont commencé à venir à peu près de tous les coins du monde des militants révolu­tionnaires et aussi des ouvriers du rang, pour combattre en Espagne. Ils se mettaient à la disposition de tous les partis, des syndicats, de toutes les organisations prolétariennes et s'engageaient dans les colonnes et les fa­meuses « tribus » de la première heure.

C'était un mouvement fort, spontané et irrésistible. « Aller combattre en Espagne » fut le désir ardent de nombreux militants des pays démocratiques, comme la France, la Belgique, la Suisse, la Hollande, mais surtout des antifascistes de l'Europe Centrale traqués par toutes les polices et qui depuis des années attendaient une occa­sion de rentrer dans la lutte.

Les volontaires sont venus littéralement de tous les coins de la terre. J'ai vu des volontaires de l'Indochine, de l'Australie, et aussi de l'Afrique du Sud. C'était un mouvement spontané et parfois irréfléchi.

Les plus lents ont mis parfois quelques mois à se dé­cider, mais j'ai rencontré en Espagne des volontaires venus d'assez loin déjà les 21 et 22 juillet, deux, trois jours après le soulèvement militaire. Il y eut certes pas mal d'aventuriers, d'aigris et de déroutés, qui cherchaient dans ce grand drame un dérivatif contre leurs misères personnelles, mais il y eut aussi des hommes rangés, ordonnés et réglés comme une pendule, qui laissaient leurs femmes, leurs enfants, leurs obligations et tout ce­la pour lutter contre le fascisme et pour un monde nou­veau !

Ils franchissaient tous les obstacles, passaient les fron­tières avec ou sans passeport, arrivaient enfin à cette Espagne splendide, ensoleillée, fiévreuse et réveillée par la révolution, pénétré d'un esprit de fraternité, de bon­té [1], d'internationalisme et des plus grandes valeurs humaines qu'ont connues seulement ceux qui ont eu la joie d'y aller.

Ils arrivaient enfin à Barcelone ou à Madrid et bientôt leur sang se mélangeait au front à celui des ouvriers espagnols !

Ces chevaliers de la plus grande des croisades par­taient parce qu'il existe heureusement le prolétariat, c'est-à-dire une classe qui ne se contente pas de digérer et travailler pour le capital, mais qui prépare pour l'huma­nité le grand avenir.

Pendant les premiers deux mois et demi, Staline pratiquait la non-intervention. Pour des raisons dont l'examen nous amènerait loin, le Comintern commença ensuite à organiser les Brigades Internationales sous la direction de Marty.

Ces Brigades Internationales furent composées d'élé­ments divers, à commencer par les militants qui avalent passé par les prisons bourgeoises, fascistes et démocratiques, pour leur dévouement au prolétariat, jusqu'à certains éléments déclassés (clochards, anciens légionnaires), etc...

Les Brigades Internationales ont combattu et ont perdu cinq mille des leurs [2]. Ils furent mieux nourris, mieux armés, placés dans les meilleures conditions que beaucoup d'autres colonnes et divisions, surtout anarchis­tes et poumistes, où il y a avait aussi pas mal de volontaires étrangers, pour les raisons politiques du favoritisme stalinien. Je ne veux pas pourtant entrer ici dans des discussions un peu stériles et comparer leur courage et leur participation à ceux d'autres forces antifascis­tes [3]. Les Brigades Internationales ont mis du leur et ont jeté dans quelques moments critiques leur poids dans la balance.

Malheureusement, malgré leur sacrifice, leur courage et leur discipline, leur sang était versé au service d'une politique de suicide qui s'appelle le Front populaire.

Maintenus dans l'ignorance [4], en possession seule­ment de la presse stalinienne, la direction communiste les enfermait en vase clos. Elle s'est parfois servi d'eux pour les besognes les plus sales et les plus répugnantes. Les assassinats de plusieurs militants révolutionnaires, les provocations ignobles furent l'œuvre de plusieurs commissaires politiques des Brigades Internationales. Au mois de mai 1937, à Barcelone, ils ont servi comme une force de choc, une force sûre, parce qu'elle exécutait aveuglément tout ce qu'on lui demandait. Plusieurs gardes d'assaut venus de Valence à Barcelone le 7 mai 37 pour y faire régner « l'ordre » contre les ouvriers cénétistes et poumistes, et plusieurs tankistes, parlaient bulgare, allemand, polonais ou serbe. J'ai rencontré dans ces détachements qui servaient la bourgeoisie et la réac­tion quelques bons militants qui m'étaient déjà connus à l'étranger.

« Et nous pardonnons leurs péchés comme Dieu nous pardonnera les nôtres. » Ils ne savaient pas ce qu'ils faisaient.

Cette intervention réactionnaire des Brigades Inter­nationales mériterait d'être analysée en détail, mais ce qui nous intéresse maintenant, c'est le problème des vo­lontaires dans son ensemble, en liaison avec l'orientation générale du Front populaire. Nous avons en quelques lignes, illustré quel était le caractère du volontariat dans l'armée républicaine.

Passons de l'autre côté de la barricade, ou plutôt de l'autre côté des tranchées. Chez Franco sont allés aussi des volontaires authentiques, des fascistes enragés qui cher­chaient en Espagne l'occasion de lutter contre la peste rouge, et le « marxisme », mais ils étaient une infime minorité. C'est dans l'ordre des choses : le capitalisme peut-il trouver beaucoup de défenseurs volontaires ? Il ne se maintient que par la terreur et la tromperie.

Le gros des troupes étrangères dont s'est servi Franco c'étaient soit des mercenaires, soit des « volontaires » amenés contre leur volonté.

A l'étranger, on connaît suffisamment l'importance de l'aide effective en hommes, en matériel et en argent re­çue par Franco des dictateurs fascistes et aussi des puis­santes oligarchies financières des pays démocratiques de France et de l'Angleterre. Les chiffres manquent, et il est impossible de dire combien de « volontaires » il y a eu chez Franco.

Je serai néanmoins près de la vérité, quand je dirai que pour un combattant étranger dans le camp antifas­ciste, il y en avait cinq, peut-être huit ou davantage chez Franco.

La disproportion était beaucoup plus grande en ce qui concerne l'aide en argent, vivres, l'envoi du matériel de guerre, etc. Si Franco recevait des centaines d'avions, des tanks et tout le matériel de guerre, en grande quantité, et de première qualité, les « gouvernementaux » le plus souvent n'obtenaient avec de mauvaises conditions de paiement, que des vieilleries. Même le Mexique s'est ser­vi des envois en Espagne pour renouveler le matériel de son armée.

Cette disproportion se comprend facilement. Si Franco était aidé selon un plan bien arrêté et concerté par trois états fascistes : Allemagne, Italie, Portugal, et par les puissants groupement capitalistes, les républicains ne fu­rent soutenus, et médiocrement, que par la Russie, le Mexique et par un tas de spéculateurs étrangers qui, au prix fort, livraient des saloperies.

Mais revenons à la disproportion en ce qui concerne la quantité des combattants étrangers dans les deux camps.

Du fait de cette disproportion, nos malins démocrates tiraient la conclusion que l'intervention étrangère, et aussi la venue des volontaires, étaient une mauvaise af­faire pour la république.

Nos braves démocrates et leurs associés staliniens sa­vaient observer les phénomènes, mais ils ne comprenaient pas les raisons de ces phénomènes et par conséquent ne pouvaient pas trouver le remède.

Let droit international, les traités conclus avec d'autres Etats, la situation juridique du gouvernement républicain (gouvernement « légitime », constitué en accord avec la constitution et tous ses paragraphes), la Société des Na­tions avec son Covenant de Genève et le pacte Briand­-Kellog, qui proclamait la guerre hors la loi, toutes ces choses appréciables jouaient évidemment en défaveur des « rebelles » et en faveur des « gouvernementaux ».

Mais ne jouaient-elles pas aussi en faveur de l'Abyssinie et du Négus ? Et en Abyssinie, il n'y avait pas les communistes, le PSUC, le POUM, la CNT, la FAI, etc., en somme des plats qui n'étaient pas précisément ceux que préférait Chamberlain pour son breakfast.

Cependant nos « réalistes » démocrates ne se découra­geaient pas pour si peu. Ils espéraient, s'appuyant sur le droit, obtenir du capitalisme démocratique une interven­tion à la faveur de la « non-intervention », c'est-à-dire obtenir le retrait des forces étrangères d'Espagne.

Leur raisonnement était le suivant (et rappelons en passant qu'il fut aussi celui des anarchistes) : si on re­tire les forces italiennes et allemandes de l'Espagne, si on retire les techniciens étrangers, si on retire le matériel de guerre, si on empêche cette intervention qui est un défi au droit international, si tous ces italiens et Alle­mands reviennent à Rome ou à Berlin, nous rapatrions aussi nos volontaires. Si on empêche toute cette guerre totalitaire, si on fait enfin tout ce que commande l'équité et les pactes, nous, républicains espagnols, nous viendrons facilement à bout de Franco et nous ferons une affaire d'or.

On sait qu'il y a une logique aussi dans la stupidité. Il y avait une logique dans ce raisonnement, mais c'était de la stupidité quand même.

Evidemment, s'il était possible que le prolétariat, dans un pays capitaliste quelconque, écrase le fascisme sans que les capitalistes d'autres pays interviennent, s'il était possible que les capitalistes étrangers, dont les intérêts et les profits sont menacés en cas d'écrasement du fascisme, laissent faire et tracent de bon coeur une croix sur les millions de livres, dollars, francs ou marks investis, si le capitalisme était décidé à la suite des arguments du « droit », à se laisser enlever des positions qu'il tenait, si le grand capital dans la période actuelle n'était pas engagé par toute sa situation à soutenir le fascisme, non seulement contre la révolution prolétarienne, mais aussi contre la démocratie formelle c'est-à-dire bourgeoise, si en somme la bourgeoisie était décidée à céder gentiment la place au prolétariat, alors l'affaire d'or née dans les cerveaux des chefs du Front populaire pourrait être réa­lisée.

Pour résumer : pour que le retrait bilatéral des volontaires puisse se réaliser, il fallait qu'un petit détail qui gêne le raisonnement de nos malins démocrates n'existe pas. Ce petit détail s'appelle : le capitalisme. Les chefs du Front populaire dans ce cas comme du reste dans d'autres, à l'image du fameux « Curieux » de Krylov, n'apercevaient pas cet éléphant, mais par contre, ils voyaient des insectes c'est à-dire la lutte « idéologique » entre les démocrates et le fascisme.

L'intervention étrangère en Espagne résultait tout sim­plement du fait que la Péninsule Ibérique ne se trouve pas sur la lune, mais sur la planète qui a ce nom prosaïque : terre.

Les fascistes étrangers, italiens, allemands, portugais, et aussi les capitalistes anglais et français intervenaient en faveur de Franco non parce qu'ils étaient des mé­chants, mais parce qu'ils étaient des bourgeois. A cette intervention inéluctable qui se reproduira dans chaque révolution et chaque guerre civile antifasciste dans n'importe quel pays, le prolétariat mondial devait opposer une intervention plus active encore, afin de sauver la révolution espagnole, une intervention qui devait para­lyser les états capitalistes fascistes et démocratiques, une intervention qui devait prendre, surtout, en France, la forme de la lutte pour le pouvoir.

Malgré toutes les explications de droit, et malgré tou­tes les résolutions du Comité de non-intervention, Fran­co continuait et continue à recevoir l'aide en argent, en matériel et en hommes, des pays fascistes. Mussolini a du reste déclaré : « Nous retirerons nos légionnaires d'Espagne après la victoire de Franco. » C'était une déclaration nette et édifiante. Certes, on ne pouvait pas, après avoir lu cette déclaration, faire confiance au dic­tateur fasciste, et croire qu'il retirerait ses troupes après la victoire de Franco. Il tâchera de les garder le plus longtemps possible, dans la péninsule, dans son Intérêt impérialiste, même après la victoire de Franco. Mais on pouvait croire Mussolini sincère dans ce sens qu'il n'était pas en tout cas disposé à les retirer avant la vic­toire de Franco.

Mais nos « réalistes » dirigeants du Front populaire espéraient toujours que Chamberlain et Daladier obligeraient Franco à retirer ses légionnaires. Ne s'agissait-il pas d'un attentat contre la démocratie et le droit Inter­national ? Il fallait donc en attendant ne pas donner un « prétexte » (comme si le capitalisme avait besoin d'un prétexte pour tromper et opprimer les ouvriers ?) aux fascistes et aux démocrates.

« Nous allons retirer les Brigades Internationales et tous les étrangers qui sont dans notre armée. Nous de­manderons à la Société des Nations qu'elle contrôle ce retrait. Nous donnerons à la Commission Internationale de Contrôle de la Société des Nations toutes les facilités et les garanties afin de prouver à l'opinion Internationale que notre retrait des volontaires est complet, total et sincère. Nous retirerons même la nationalité espagnole aux combattants étrangers qui l'ont acquise après le 19 juillet [5]. En donnant tant de preuves de bonne volon­té, nous aurons dans notre jeu diplomatique un atout et nous mettrons Franco dans une situation difficile. »

Voilà le calcul d'Alvarez del Vayo, de Negrin, de José Diaz, et aussi de plusieurs chefs « anarchistes », qui était à la base du retrait unilatéral opéré par le gouver­nement républicain. Il témoignait en effet de la bonne volonté du gouvernement de Negrin et de ses bonnes intentions à l'égard du capitalisme international, mais comme moyen d'obtenir le retrait des forces étrangères au service de Franco (qui aurait dû suivre ce bon exem­ple !) était piteux... Les chefs du Front populaire vou­laient réaliser un bon marché : le retrait des volontaires de deux côtés. Mais pour un marché, il faut être deux. Or, si nos démocrates avaient de la bonne volonté à l'égard de Chamberlain, c'est-à-dire à l'égard de la City, cette dernière ne pouvait avoir des tendresses que pour Franco.

Les républicains ont opéré le retrait des volontaires étrangers de tous les fronts. Ils ont perdu ainsi quelques bonnes et sûres brigades.

Au dernier moment encore, quand les fascistes s'appro­chaient de Barcelone, les volontaires pouvaient rendre service dans la défense de la capitale catalane. Plus de huit mille ex-volontaires attendaient leur rapatriement dans plusieurs camps de concentration. C'étaient surtout des originaires des pays au régime fasciste et réaction­naire : des Italiens, des Allemands, des Polonais des Hongrois, etc... S'ils n'étaient pas encore rapatriés, ce n'était pas la faute du gouvernement républicain, dont la bonne volonté dans ce cas est hors de discussion, mais résultait du fait qu'aucun pays du monde, y compris l'Union Soviétique, n'était pressé de des recevoir.

Les bourgeois du monde entier ne peuvent pas pardon­ner à ces combattants le fait qu'ils ont osé lutter les armes à la main contre le fascisme. On trouve étrange que les spécimens de cette espèce n'aient pas tous trouvé une mort à laquelle on est même prêt à donner le qualificatif d'héroïque en Espagne. Pour eux aussi la terre est une planète sans visa. Quant à la démocratie fran­çaise, elle n'a même pas autorisé leur passage par son territoire pour se rendre au Mexique [6], car le passage même dans le wagon plombé de ces monstres pouvait déranger la tranquille digestion de bourgeois de ce pays. Quand les fascistes s'approchaient de Barcelone l'idée s'est emparée de ces ex-volontaires ou plutôt d'un certain nombre d'entre eux : aller au secours, reformer quelques brigades, et refaire encore une fois la glorieuse épopée de Madrid. Quelques milliers de combattants décidés à lutter, animés d'une flamme révolutionnaire, peuvent dans certaines situations en provoquant le choc psychologique, renverser la situation, redonner confiance à une ville, faire un miracle.

Voilà les discussions qui se tenaient dans ces camps de volontaires. Je n'invente pas, je rapporte :

« La situation est perdue. Que peuvent quelques mil­liers de combattants quand la situation est désespérée. Contre l'armée bien équipée comme celle de Franco, que pouvons-nous faire ? » - disaient certains tout haut, et ils ajoutaient dans leur fort intérieur : « L'essentiel c'est de sauver notre peau ».

- « Il ne s'agit pas de quelques milliers de combattants - répondait un commandant d'un bataillon autrichien, stalinien, mais animé d'une foi révolutionnaire - il s'agit de l'effet moral que cela aura sur le proléta­riat de Barcelone. Il se dira : "Le prolétariat internatio­nal vient à notre aide ! " et il se lèvera comme à Madrid ! "No Pasaran !" »

Cette controverse fut tranchée par un colonel Alvarez, d'origine mexicaine, stalinien cent pour cent, qui dans un discours adressé aux ex-volontaires, a dit textuelle­ment : « Attention ! Nous avons des ennemis dans notre camp. Ils veulent nous diviser et briser notre unité. Vous savez quels moyens ils emploient pour nous briser : ils font de la propagande pour revenir au front, pour reformer les bataillons sans qu'un ordre soit venu du gouver­nement légal et légitime d'Espagne. C'est clair. Ce sont toujours des mêmes agents de la cinquième colonne, les provocateurs, les trotskistes ! Quand vous trouverez un spécimen de ce genre, un de ces provocateurs qui fait cette campagne pour aller au front, démasquez-le, ame­nez-le chez moi, et moi, personnellement, je lui mettrai douze balles dans la peau ! » - et Alvarez montrait son revolver.

Le colonel reçut de maigres applaudissements.

Mais deux bataillons des Brigades Internationales, al­lemand et autrichien, plus d'un millier d'ex-volontaires, sont partis dans la nuit du 24 au 25 janvier, un jour avant la prise de la capitale catalane, à Barcelone et ont offert leurs poitrines au gouvernement Negrin. On leur a fait faire demi-tour. On n'avait pas besoin d'eux. Les ramener au front cela n'était-il pas contraire aux pro­messes solennelles données par le gouvernement républi­cain à Genève ?

« Il vaut mieux mourir selon les règles que de vivre contre les règles », disait le docteur dans « Le Malade Imaginaire » de Molière, et cela signifiait : il vaut mieux mourir selon les prescriptions médicales que de vivre contre l'opinion de la Faculté. Pour le gouvernement de Negrin, cela voulait dire : il vaut mieux mourir en respectant les engagements contractés envers Chamberlain, que vivre contre les prescriptions des docteurs du Front populaire. C'est un point de vue.

Mais vous, les ouvriers du monde entier, qui voulez vivre, et vivre humainement, et ne le pourrez qu'en ren­versant le régime capitaliste, ne suivez pas « les règles » des docteurs du Front populaire.

Si la politique de « l'ordre républicain » et le fameux mot d'ordre : « D'abord gagner la guerre, après faire la révolution », démoralisait le prolétariat espagnol, l'orientation nationaliste et bornée du Front populaire, entre autres en ce qui concerne les volontaires et l'intervention étrangère, démoralisaient et le prolétariat espa­gnol et les ouvriers d'autres pays. Ce nationalisme petit-­bourgeois détruisait les liens entre les exploités d'Espagne et ceux d'autres pays, il annihilait l'internationalisme actif du prolétariat mondial.

La presse du Front populaire disait toujours : « Ah ! Oui ! Si on laissait les Espagnols tout seuls, il y a longtemps que cela serait fini ! » Et l'ouvrier français qui lisait cela se disait : « Puisqu'il faut laisser les Espagnols seuls, je peux me contenter de donner quelques francs pour envoyer du lait aux enfants d'Espagne. Moi, je suis Français et je dois m'occuper surtout de mon beau pays. Chacun pour soi ! » Voilà l'idée qu'infiltre dans le prolétariat le réformisme depuis des décades, et le stali­nisme depuis qu'il a lancé sa théorie du « socialisme dans un seul pays ».

Tout se tient. La politique pourrie du Front populaire est un enfant légitime des conceptions fondamentales national-réformistes et conservatrices de la bureaucratie soviétique et du stalinisme, comme l'était aussi il y a dix ans la théorie du « social-fascisme ».

Tout se tient. La politique du Front populaire en Es­pagne est une chaîne ininterrompue de crimes contre le prolétariat. Un des maillons dans cette chaîne de crime c'est la politique de tromperies et de suicide dans la question des volontaires.


Notes

[1] L'atmosphère du 19 juillet ! Un petit fait qui l'il­lustre. Chez un de mes camarades à Barcelone, les Pa­trouilles de Contrôle, à la suite d'une perquisition à son domicile, dont elles voulaient s'emparer, ouvrirent une cage d'oiseau et libérèrent un petit canari... C'est le jour de la liberté ! On n'a plus le droit d'enfermer les oiseaux !

[2] C'est le chiffre officiel de tous les internationaux et pas seulement des Brigades Internationales, tombés en Espagne. Mais les commissions gouvernementales et In­ternationales ont-elles eu le loisir de visiter tous les ci­metières et compter les fosses communes ? Ce chiffre est inférieur à la réalité.

[3] Quand vous rencontriez un milicien d'une forma­tion quelconque, il expliquait toujours que « les coups durs » étaient réservés à son unité, c'est-à-dire à son parti. En réalité « les coups durs » ont, été pour tous.

[4] J'ai rencontré un volontaire étranger qui était sincèrement convaincu qu'il y avait eu une révolte fasciste au mois de mai 37 à Barcelone. Quant à sa connaissance de la vie politique d'Espagne, il ne connaissait même pas le nom de Durruti. Dans ce domaine, de déformation et d'abrutissement des cerveaux, les staliniens sont des maîtres autant que Goebbels.

[5] Je connais des cas où on a considéré comme étran­gers des Espagnols nés en Amérique du Sud et qui ont passé toute leur vie en Espagne et se sont rappelé de leur qualité d'Argentin ou de Cubain quand cela leur permettait de quitter le front en octobre 1938. On a aussi considéré comme étrangers des Marocains du Protectorat espagnol. Ici nos démocrates oubliaient même leurs obli­gations internationales, mais ils voulaient ainsi prouver que l'armée républicaine est composée d'Espagnols purs, et ils espéraient de cette manière obtenir le retrait des Marocains au service de Franco. C'était de vrais « réa­listes ».

[6] Le gouvernement mexicain a promis de recevoir tous les ex-volontaires de l'armée républicaine espagnole. Nous ne savons pas s'il tiendra la promesse.


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