1972

"Il n'est pas difficile de faire des oraisons funèbres ou d'écrire avec éloquence sur l'esprit de sacrifice, l'héroïsme et le dévouement à la cause du socialisme qui motivaient les jeunes hommes et femmes qui sont morts (...) à la fleur de l'âge dans un raid futile. (...) Il est moins populaire de se différencier politiquement des martyrs et d'essayer de tirer pour nous-mêmes les leçons que nous enseignent leurs erreurs. Nous choisissons de suivre ce cours même au risque d'être incompris pendant un temps."


H. Blanco, P. Camejo, J. Hansen, A. Lorenzo, N. Moreno

Argentine et Bolivie : le bilan

I : Deux orientations


    Les divergences d'orientation qui amenèrent une minorité de délégués à voter contre la « Résolution sur l'Amérique Latine » au dernier congrès mondial [1], il y a 3 ans, n'ont pas diminué depuis. Bien au contraire, le débat s'est étendu au-delà du cadre de ce continent. En outre, des divergences sont apparues sur d'autres questions diverses, quoique liées. Ces divergences portent essentiellement sur la manière de construire des partis révolutionnaires de masse dans la situation actuelle où se trouve la Quatrième Internationale.

    Il est aujourd'hui évident que deux tendances se sont formées sur des problèmes vitaux pour l'avenir du mouvement trotskyste mondial. La première de ces tendances, suivant la ligne exprimée dans la « Résolution sur l'Amérique Latine », c'est-à-dire le « tournant » adopté par la majorité au neuvième congres mondial, 3° congrès depuis la réunification, a comme stratégie d'engager la guérilla, ou de se préparer à ce type de lutte, sans prendre beaucoup en considération l'importance de nos forces ou la situation réelle où elles se trouvent. L'autre tendance s'en tient à la ligne qu'elle a défendue au dernier Congrès Mondial, c’est-à-dire celle de la Quatrième Internationale depuis sa fondation: essayer de se lier aux masses par une application cohérente de la méthode exposée dans le Programme de Transition.

    Dans cette contribution au débat, nous nous proposons d'examiner comment les deux lignes ont subi l'épreuve de la réalité en Bolivie et en Argentine, et ce que l'extension de la ligne majoritaire sur la guérilla aux autres continents signifie pour la Quatrième Internationale.

    Mais avant d'en arriver à ces problèmes, nous voulons pour la commodité de l'exposé résumer les deux positions.

  1. L'axe de travail principal.

  2. Selon la majorité, la perspective en Amérique Latine était fondamentalement la guérilla rurale pour une période prolongée. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le déclarait très clairement : « Même dans les pays où peuvent se produire préalablement de larges mobilisations et luttes de classes dans les villes, la guerre civile prendra des formes de lutte armée multiples, dont l'axe principalpour toute une période sera la guérilla rurale, le terme ayant principalement un sens géographico‑militaire et n'impliquant pas nécessairement une composition uniquement paysanne des détachements de combat (ni même nécessairement une composition majoritairement paysanne). En ce sens, la lutte armée en Amérique Latine signifie fondamentalement la guérilla ». (Documentation Internationale, compilation sur l'Amérique Latine, Cahier 1, fascicule a, p. 11)

    Le camarade Livio Maitan considérait cela comme si fondamental qu'il le cita dans un article public un an plus tard, déclarant qu'il partageait la « conclusion de l'immense majorité des révolutionnaires latino‑américains ‑ à savoir que pour une phase de la révolution, dont la durée ne peut être prédite à priori, mais qui en général sera probablement longue, la lutte armée sera fondamentalement une lutte de guérilla ». Il ajoutait : « Si l'on tient compte des facteurs géographiques, des structures démographiques de la majorité de la population, et des considérations techniques et militaires mises en évidence par le Che lui‑même, il s'en suit que la variante de la guérilla rurale continentale sera la plus probable » ( « Cuba, réformisme militaire et lutte armée en Amérique Latine », Intercontinental Press, 20 avril 1970,p. 360).

    Contre cette position, la minorité prédisait que la lutte révolutionnaire tendrait à revenir dans les centres urbains. Elle insistait sur deux indications significatives en ce sens : le soulèvement de Saint-Domingue en 1965, et les manifestations étudiantes massives à Mexico en 1968, l'année précédant le Congrès Mondial. La minorité affirmait que ces évènements en plus de ceux de mai-juin 68 en France, témoignaient de la justesse du pronostic selon lequel les soulèvements à venir dans le monde se rapprocheraient davantage du schéma léniniste de révolution prolétarienne que ceux qui s'étaient produits de la fin de la seconde guerre mondiale à la victoire de la révolution cubaine.

    La majorité a quelque peu évolué par rapport à la position qu'elle avait au dernier congrès mondial. Mais l'évolution a consisté à rabaisser la guérilla rurale et à mettre au premier plan la guérilla urbaine.

  3. « Préparatifs techniques » ou mise en application du programme de transition.

  4. La tâche fondamentale de notre mouvement en Amérique Latine, selon la majorité, était de préparer techniquement le lancement de la guérilla. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le déclare comme suit:

    La perspective fondamentale, la seule perspective réaliste pour l'Amérique Latine, est celle d'une lutte armée susceptible de durer de longues années. C'est pourquoi la préparation technique ne saurait être conçue simplement comme l'un des aspects du travail révolutionnaire, mais comme l'aspect fondamental à l'échelle continentale, et l'un des aspects fondamentaux dans les pays où les conditions minimales ne sont pas encore réunies »
    (Documentation Internationale, Amérique Latine, fascicule a, p. 10‑11)

    S'engager dans les préparatifs techniques n'est bien sûr qu'une phase nécessaire dans l'application pratique de la théorie de la guerre de guérilla. Si l'on est d'accord avec la théorie, on est bien obligé de la mettre en pratique.

    La minorité défendait une autre théorie et insistait par conséquent sur les tâches pratiques correspondant à cette théorie :

    La tâche fondamentale à laquelle est confrontée l'avant-garde latino‑américaine comme ailleurs, demeure la construction d’un parti marxiste‑révolutionnaire. Elle a la priorité sur tous les problèmes de tactique et de stratégie, en ce sens qu'ils doivent viser ce but comme chaînon décisif dans le processus révolutionnaire. Il ne suffit pas de dire comme le fait la résolution au point 19, que « l'existence et l'activité d'un parti révolutionnaire, loin d'être un schéma usé de marxistes démodés, correspondent aux nécessités concrètes et inéluctables du développement de la lutte armée elle‑même... »
    Le parti n'est pas un moyen pour la lutte armée, comme semble le dire, cette phrase ; c'est la lutte armée qui est un moyen pour le prolétariat d'accéder au pouvoir sous la direction du parti. La construction du parti doit être considérée et présentée comme la tâche centrale, l'orientation principale, la préoccupation quasi­-exclusive de l'avant‑garde et le caractère explosif de la situation latino‑américaine loin d'en diminuer la nécessité, l'intensifie. »
    (compilation Amérique Latine. P. 24. Hansen.« Amendements au projet de résolution »)

    La minorité critiquait la résolution sur l'Amérique Latine pour le peu d'attention qu'elle portait à la radicalisation de la jeunesse comme terrain de recrutement, et proposait cette rectification :

    Dans la mesure où la stratégie de notre mouvement est concernée, les principales caractéristiques de cette poussée de la jeunesse dans un sens révolutionnaire sont 1) le fait qu'elle se produit dans les centres urbains, 2) le fait qu'elle entraîne des masses considérables, 3) sa tendance à essayer de se lier aux ouvriers ou autres secteurs des masses et de les entraîner dans l'action.
    Il s'en suit que le problème d’élaborer des mots d'ordre et des mesures transitoires susceptibles d'attirer ces forces vers la Quatrième Internationale, est d'une acuité particulière. En quoi le projet de résolution sur l'Amérique Latine contribue‑t‑il à résoudre le problème dans cette partie du monde ? En rien. »
    (Ibid. p. 26)

    La minorité insistait particulièrement sur le peu de place accordée par la résolution, au programme de transition, sa méthode et les tâches pratiques qu'il implique.

  5. Réaction brutale ou concessions possibles.

  6. Selon les visions de la majorité en 1969, la guerre civile faisait rage dans toute l'Amérique Latine :

    Ainsi, non seulement historiquement, mais aussi en un sens plus direct et plus immédiat, l'Amérique Latine est entrée dans une phase d'explosions et d'affrontements révolutionnaires de lutte armée à différents niveaux contre les classes dirigeantes autochtones et l'impérialisme, et de guerres civile prolongée à l'échelle continentale. »
    Résolution sur l'Amérique Latine », Op. Cit., p. 8‑9)

    La majorité tempérait cette affirmation en disant que l'existence d'une guerre civile à l'échelle continentale ne signifiait pas « l'interprétation simpliste d'un effondrement inévitable du système. ». Si les révolutionnaires n'agissent pas à temps, « l'impérialisme et le capitalisme indigène se réorganiseront, même si c'est de façon précaire en oscillant entre des solutions « nouvelles » et « traditionnelles ». ( Ibid. p. 9).

    En dépit de cette précaution,, les auteurs de la résolution considéraient en réalité que la marge de manœuvre était faible, aussi bien pour l'impérialisme que, pour la bourgeoisie indigène, « ...confrontée à l'État ouvrier cubain, la bourgeoisie ne peut faire autrement que s'aligner sur l'impérialisme (mis à part des manœuvres diplomatiques temporaires possibles) et se révèle absolument incapable de réaliser même les plus modestes réformes démocratiques » Encore plus précisément : « Les couches bourgeoises nationales liées à l'industrie moderne apparaissent ou se développent en s'imbriquant totalement dans les structures impérialistes et sous leur complète dépendance. Elles sont intrinsèquement incapables de la moindre action indépendante, que ce soit dans le domaine économique ou politique. » (Ibid. p. 9)

    En affirmant que des réformes démocratiques substantielles sont « absolument » exclues, que la bourgeoisie nationale est intrinsèquement incapable de la moindre action indépendante, la majorité ne voyait non seulement pas d'autres alternatives que la guérilla, mais soutenait qu'elle aurait un brillant avenir. Elle pourrait très bien être le détonateur d'un processus révolutionnaire, comme le croyait Che Guevara.

    Dans une situation de crise pré‑révolutionnaires comme en connaît actuellement l'Amérique Latine à l'échelle continentale, la guérilla peut en fait stimuler une dynamique révolutionnaire, même si au départ la tentative peut sembler venir de l'étranger et être unilatérale (ce qui était le cas pour la guérilla du Che en Bolivie) »
    (Ibid, p. 12)

    La minorité était d'accord pour dire que la soi‑disante bourgeoisie nationale, en Amérique Latine comme partout ailleurs dans le monde colonial ou semi‑colonial, est incapable de faire aux masses des concessions susceptibles d'ouvrir une période prolongée de démocratie bourgeoise. Mais, disait la minorité, il serait dangereux d'avoir une vision si rigide des limites de la bourgeoisie nationale et de ses soutiens impérialistes qu'on exclut à l'échelle continentale toute capacité de leur part à faire quelque concession significative que ce soit.

    La majorité, bien sûr, reconnaissait que des oscillations se produiraient, mais elle était persuadée qu'elles ne seraient pas très significatives. Sur ce point, la « Résolution sur L'Amérique Latine » déclare :

    Cela n'exclut pas des oscillations possibles dans les directions les, plus variées, y compris de nouvelles tentatives pseudo-­réformistes éphémères, des manœuvres politiques, et même des variantes dans le cadre des régimes militaires des groupes d'officiers jouent continuellement au « nassérisme » dans plusieurs pays et l’impact immédiat des coups militaires n'est pas toujours le même dans chaque situation donnée. »

    Cette prévision, si l'on peut l'appeler ainsi, était contredite par les phrases suivantes :

    Mais cela ne changera rien à la tendance générale profonde : dans une situation de crise chronique et de tensions pré‑révolutionnaires, les classes dirigeantes seront inévitablement amenées à prendre des mesures répressives brutales et d'utiliser des régimes despotiques et terroristes. Dans la mesure où ces classes ne sont souvent pas solides en tant que forces sociales et qu'elles peuvent considérer de façon réaliste qu'elles vont résoudre leurs problèmes par des régimes réactionnaires ayant une base populaire, de modèle fasciste, des régimes militaires restent le recours le plus probable »
    (Ibid. p. 8)

    La minorité disait que la lutte de classes passe par des hauts et des bas qui sont marqués par des avances et des reculs des classes exploitées, qui peuvent être d'une importance considérable sinon décisive pour les sections de la IV° Internationale dans l'état actuel de leur développement. C'est pourquoi il était faux et schématique de dépeindre la situation dans tous les pays d'Amérique Latine comme une situation politique pré­révolutionnaire, laissant de côté les différences existant entre les pays et les conjonctures différentes qui les affectent.

    Au moment du 9° Congrès Mondial, la lutte de classes dans certains pays se développait (Chili, Bolivie, Uruguay, Argentine) pendant qu'elle refluait dans d'autres. Le Brésil, le pays le plus important de tous, souffrait encore des effets du coup contre­-révolutionnaire de 1964. Quant aux mouvements de guérilla, ils avaient soufferts d'une série de défaites démoralisantes pays après pays.

    Le pire de tout fut l'erreur de la majorité qui consista à établir une orientation tactique (la guérilla) pour tout le continent. Cela fixait à l'avance « la tactique qui devait être suivie par toutes les sections nationales leur laissant simplement pour tâche, l'application de la formule tactique sur la scène locale » (Hansen. Amendement sur le projet de résolution. Compilation sur l'Amérique Latine. p. 25).

    L'orientation majoritaire impliquait une rigidité au niveau précis où les sections nationales auraient dû être poussées à laisser ouvertes diverses possibilités, afin d'être mieux capables, de tirer avantage immédiat de toute concession, si limitée soit‑elle, partielle ou temporaire, que la bourgeoisie serait contrainte de faire sous la pression de la lutte de classes.

  7. L'effet de la tendance vers les normes « classiques ».

  8. La majorité tout en n'excluant pas d'autres variantes telles que des phases de « réformisme militaire » insistait sur une perspective de « répression brutale et croissante de la part des classes dirigeantes autochtones et de l'impérialisme ». La Résolution sur l'Amérique Latine déclarait catégoriquement :

    L'expérience de la Bolivie, où toutes les formes d'activité organisationnelle normales sont continuellement réprimées, de même que l'expérience du Pérou où la répression n'a cessé depuis 1962, particulièrement dans la campagne, sont des expériences absolument claires. De même que le Mexique où la classe dirigeante, ayant recours à ses traditions les plus barbares, n'a pas hésité à organiser un vaste massacre des étudiants (la contre‑attaque officielle et semi‑officielle du régime brésilien relève de la même logique) ».
    (Compilation Amérique Latine, p. 11)

    La minorité ne fut pas surprise par les soulèvements urbains qui ont conduit la bourgeoisie au Pérou, en Bolivie et au Chili à mettre en place des régimes réformistes et qui conduisit dans le cas de la Bolivie à l'apparition de l'Assemblée Populaire :

    « Nous avons prédit dans notre argumentation, que la lutte révolutionnaire en Amérique Latine tendrait à se saisir des centres urbains, et nous citions comme un des premiers exemples de cette tendance, ce qui s'est passé à Saint-Domingue »
    Rapport sur le 9° Congrès Mondial » par Joseph Hansen, Op. Cit., p. 31)

    Les évènements de Bolivie confirmèrent la position de la minorité du neuvième congrès mondial, position déjà mentionnée, selon laquelle le schéma des luttes révolutionnaires à l'échelle mondiale se rapprochait des normes illustrées par la révolution russe de 1917.

  9. Castrisme ou léninisme.

  10. Pour défendre sa théorie de la guérilla, la majorité affirmait que la longue série de défaites subies par ceux qui avaient essayé de l'appliquer en Amérique Latine après la révolution cubaine, s'expliquait par des erreurs pratiques,et non par la théorie elle­-même.

    L'échec de certaines expériences de guérilla (au Pérou, par exemple) vint, dans une large mesure, plus d'erreurs dans l'appréciation de la situation, des tendances et du rapport de forces au sein des masses, que d'erreurs de conceptions »
    (Résolution sur L'Amérique Latine. Op. Cit., p 10)

    La minorité reprochait à cette position d'être une adaptation à celle de Fidel Castro et Che Guevara, selon laquelle il est possible de répéter le schéma spécifique de la révolution cubaine, partout ailleurs en Amérique Latine. La minorité soumit cette position, fausse, de même que les erreurs spécifiques faites par Che Guevara en Bolivie, à une analyse détaillée au neuvième Congrès Mondial :

    Si l'on résume toutes ces erreurs, on en arrive à la conclusion suivante, c'est que Che Guevara mit la technique de la guérilla ‑ la technique de la lutte armée ‑ au‑dessus de la politique. Il mit l'action militaire au‑dessus de la construction du parti (...)
    La conclusion à en tirer est que tout d'abord la guérilla ne peut tenir lieu de stratégie générale même si elle peut servir de tactique dans certaines situations lorsqu'elle est utilisée par un parti de combat bien construit.
    Une autre conclusion à tirer de cette expérience est qu'elle prouve à nouveau que la lutte en Amérique Latine est devenue plus difficile et exige un meilleur instrument qu'auparavant, elle exige la construction d'un parti de combat, davantage que disons, en 1958 ou 1959. »
    Rapport sur le 9° Congrès Mondial » Op. Cit., p. 33‑34)

    De même que la majorité au neuvième Congrès Mondial ne put pas appliquer la méthode du programme de transition à la situation actuelle en Amérique Latine, de même elle ne réussit pas à soumettre la théorie guévariste de la guérilla à une analyse critique :

    La vérité est que la résolution est un reflet assez fidèle des positions publiques de la direction cubaine sur le sujet ( ...)
    La tactique proposée ne peut être appréciée correctement sans faire référence à ses liens avec la victoire de la révolution cubaine, et la façon dont, depuis lors, les dirigeants cubains en Amérique Latine et ailleurs ont fait sur elle des extrapolations. La résolution ne réussit pas à le faire, même de façon extrêmement sommaire »
    (Amendements au projet de résolution. Hansen Op. Cit., p. 23)

    Le camarade Hugo Gonzalez Moscoso [2], un des leaders de la majorité, a indiqué l'origine de ses positions sur la question, deux ans avant le neuvième Congrès Mondial :

    Dans les conditions existantes en Amérique Latine, les résultats obtenus par les guérillas à Cuba peuvent l'être dans n'importe quel pays. J'affirme par conséquent que la guérilla est sans contredit, la voie que doivent prendre les révolutionnaires pour libérer leurs peuples de l'exploitation capitaliste et impérialiste. »
    ( « La révolution cubaine et ses leçons », Fifty Years of World Révolution, Pathfinder Press, p. 193)

    Le camarade Peng Shu‑Tse [3] déclara à propos de cette affirmation: « Les idées du camarade Moscoso sont un reflet direct de celles contenues dans la déclaration générale de l'OLAS » (Retour au trotskysme, Discussion sur l'Amérique Latine, p. 29)

    Développant ses commentaires à ce propos, le camarade Peng disait :

    L'adoption de la stratégie de guérilla par des sections latino-­américaines et même par la direction de l'Internationale est un reflet direct de l'influence castriste sur l'Internationale. Cette situation soulève logiquement le problème des liens et des divergences entre castrisme et trotskysme. »
    Retour au trotskysme », Ibid., p. 31)

    La justesse avec laquelle le camarade Peng avait mis le doigt sur l'origine des conceptions qui expliquent le « tournant » du neuvième Congrès Mondial, fut démontrée quand on apprit plus tard ( cela ne fut pas rapporté au Congrès) que le PRT El Combatiente [4] avait publiquement adopté la stratégie et la tactique castristes dès 1968 : « Nous croyons que notre parti devrait clairement se prononcer en faveur de la stratégie révolutionnaire mondiale formulée par le castrisme » (« la seule voie au pouvoir des travailleurs et au socialisme », International Information Bulletin, n.4, Octobre 1972, p. 18). Le camarade Peng ajoutait encore :

    Bien sûr nous soutenons l'État ouvrier cubain contre l'impérialisme comme les autres États ouvriers, et nous pouvons même sur certains points spécifiques, donner notre soutien critique à la direction cubaine contre telle ou telle tendance, donner par exemple notre soutien critique à ses attaques contre la ligne soviétique de coexistence pacifique et de voie pacifique au socialisme. D'un autre coté, nous devons critiquer des choses telles que son soutien à la stratégie guérillériste, et faire remarquer que ce n'est pas une stratégie alternative à celle du passage pacifique au socialisme prônée par les staliniens et qu'objectivement à long terme, la stratégie guérillériste ne peut qu'aider l'opportunisme stalinien aussi bien que l'impérialisme américain » (« Retour au trotskysme » Discussion sur l'Amérique Latine. p. 32)
  11. Deux positions sur la place de la guérilla.

  12. La minorité insistait sur le fait qu'elle ne s'opposait pas à la guérilla en soi. La guérilla, affirmait‑elle, pouvait se révéler utile dans certaines situations comme complément aux luttes de masse. L'utilisation de la guérilla était un problème tactique à décider par les diverses sections. Ce à quoi s'opposait la minorité, c'était la transformation de la guérilla de tactique en orientation stratégique qui entravait et supplantait inévitablement l'orientation stratégique de construction d'un parti révolutionnaire de masse.

    La minorité faisait remarquer que le mouvement trotskyste ne manquait pas d'expériences en ce qui concerne la guérilla, l'ayant expérimentée depuis la victoire de la révolution cubaine et ayant appris quelques leçons importantes à son sujet, parfois durement.

    En particulier, la minorité soulignait l'importance de l'expérience tirée du Pérou, pendant le grand mouvement de paysans dirigé par Hugo Blanco [5] au début des années 60. Jusqu'au « tournant » du 9° Congrès Mondial ceci fut considéré comme un acquis du mouvement trotskyste mondial dans son ensemble. On devrait se rappeler comment le camarade Maitan parlait autrefois de ceci. Dans une polémique contre Régis Debray en 1967, le camarade Maitan soulignait :

    L'expérience péruvienne a été sans aucun doute une des plus importantes des 5 dernières années, une expérience riche et variée, issue d'une multiplicité de mouvements, l'application de lignes palpables différentes, de succès temporaires qui furent suivis par des répressions dévastatrices et par des reflux tragiques. On ne peut entreprendre sérieusement de faire des généralisations valables pour toute l'Amérique Latine, sans une analyse détaillée et profonde sur ce qui s'est passé au Pérou.
    Problèmes majeurs de la Révolution en Amérique Latine ‑ une réponse à Régis Debray », InternationaI Socialist Review, Sept. Oct. 1967, p. 7.)

    Citant contre Debray ce qui fut obtenu sous ta direction d'Hugo Blanco, le camarade Maitan disait que :

    Afin d'avoir la compréhension la plus minime du travail d'Hugo, Blanco, on doit partir du contexte dans lequel il fut accompli et saisir ses implications subjectives dans les conditions données. Quand il commença son travail parmi les paysans, Blanco réagit d'un côté contre les tendances aventuristes et putschistes qui s'étaient développées dans leur propre organisation, et de l'autre côté, il rompait avec la tradition d'une certaine partie de la gauche urbaine qui était, bien sûr, rattachée en partie à des schémas désuets, et en partie toujours prête à discuter de nouvelles voies bien qu'incapables de franchir les pas pratiques visant à établir des liens avec les masses paysannes. L'expérience de Blanco ne s'est en aucun cas développée en fonction de modèles abstraits mais en liaison sans cesse plus étroite avec le réel mouvement des masses. A présent, après ces faits, seul un aveugle pourrait ne pas réaliser toute l'importance historique qu'un tel travail a eu dans l'éducation des secteurs paysans ; en dehors même du fait qu'il est encore trop tôt pour apprécier l'impact du procès de Tacna et des évènements qui suivirent ‑ dans lesquels Hugo Blanco émergea comme un héros du peuple péruvien et latino‑américain ‑ sur l'avenir du mouvement révolutionnaire. »
    (Ibid., p. 7‑8)

    La position prise en commun par la direction de la IV° Internationale à cette époque peut être jugée par la façon favorable dont le camarade Maitan citait les opinions d'Hugo Blanco, telles qu'elles sont exprimées dans certaines lettres écrites peu après son emprisonnement :

    En premier lieu, pour ceux qui ont imputé des tendances réformistes à Blanco (peut‑être parce qu'il autilisé l'organisation de syndicats comme un moyen et parce qu'il s'est préoccupé aussi des besoins les plus modestes des paysans dans cette région, sans sous-estimer le fait que des gains partiels pouvaient s'avérer valables en renforçant la confiance en eux‑mêmes des paysans), il faudrait souligner le passage suivant : « Nous avons découvert une voie large et sûre, et nous avançons. Pourquoi devrions‑nous perdre la tête à présent ? Les camarades qui sont en prison doivent comprendre que le parti ne peut se mobiliser en fonction de leur épuisement dans l'isolement mais seulement conformément aux besoins du peuple péruvien et aux possibilités ouvertes par eux. Si quelques uns sont libres et pressés et pensent qu'ils sont capables de devenir guérilleros, c'est magnifique ! Qu'ils le prouvent en se dévouant à un syndicat paysan, à celui de Chumbivilcas par exemple se déplaçant à pied. Après cela ils pourront nous parler de guerre de guérillas s'il leur reste assez de forces. L'organisation de syndicats paysans n'éduque‑t‑elle pas des militants à la vie nomade ? Elle donne les plus importants résultats, l'incorporation consciente de grandes masses dans la lutte. Nous devons gagner autant de terrain que possible avant que survienne le conflit armé pour être sûrs de la victoire »
    ( Ibid. p. 9)

    Le camarade Maitan citait un autre passage, disant qu'il était « très important » :

    En ce qui concerne la tactique de guérilla, je suis tout à fait d'accord qu'il faut l'enseigner aux Comités de Défense. Ceux‑ci ne doivent pas agir empiriquement, et à ce sujet le parti d'avant‑garde a un rôle à jouer. Il faut tirer avantage de toute connaissance sur la tactique de guérilla quipuisse être adaptée à notre stratégie de milices.
    Par exemple, Manco II, qui investit Cuzco et était prêt à l'écraser, fut abandonné par ses troupes parce‑qu'était venu le temps pour planter ou ramasser ‑ je ne me souviens plus ‑ les pommes de terre.
    Rien de tout cela n'interfère avec l'organisation de la guérilla. Quelques unités peuvent être organisées pour aider les milices. Mais l'organisme fondamental pour la lutte ouverte au Pérou sera la milice des syndicats dirigée par le parti. Tirons tous les profits des particularités de notre situation.
    Ayant avancé jusque‑là, nous n'abandonnerons rien : vous dîtes que c'est à cheval sur le mouvement paysan que le FIR (Frente de la Izquierda Revolucionaria, section péruvienne de la IV° Internationale) devrait affronter la lutte ouverte pour le pouvoir. Je suis d'accord. Il en fut ainsi à Cuba. La différence réside dans ce qu’ils ont d'abord saisi les armes et puis ont enfourché le cheval. Nous sommes sur le cheval mais nous manquons d'armes. Pourquoi quitterions‑nous le cheval ? »
    (Ibid, p. 9‑10, souligné dans l'original)

    Hugo Blanco n'a pas changé d'opinion les années suivantes qu'il passa en prison, comme on peut le voir dans le matériel inclus dans son livre La terre ou la mort ‑ La lutte paysanne au Pérou. Dans ses critiques sur ce qui fut fait ou pas fait par les trotskystes péruviens, il indiqua seulement deux faiblesses : on n'a pas assez insisté sur la construction du parti, et à son procès à Tacna, on a trop insisté sur les aspects de lutte de guérilla dans l'intervention trotskyste. Toutefois dans une lettre à Joseph Hansen écrite en Janvier 1970 alors qu'il était encore en prison, il disait :

    Un autre problème où Moreno avait raison contre nous : ma défense et celle des évènements de Chanpimayo n'aurait pas dû être celle d'une « guérilla trotskyste » comme cela s'est fait en général, mais comme un exemple d'application du programme de transition par opposition au guérillérisme. Par contraste, c'était un exemple de lutte armée résultant d'un travail de masse ».
    (Discussion sur l'Amérique Latine, p. 55. Souligné dans l'original)

    Au neuvième Congrès Mondial, les délégués et observateurs de la minorité appelèrent l'assemblée à peser l'expérience de la Quatrième Internationale en matière de guérilla, citant en particulier les leçons tirées lors de la direction des luttes paysannes du Pérou par Hugo Blanco, où notre mouvement eut l'honneur de mobiliser le plus important et le plus dynamique mouvement paysan de l'histoire récente de l'Amérique Latine. Ils insistèrent en particulier sur la façon concrète dont on avait gagné la direction des paysans.

    La majorité n'y accorda aucune attention. Elle dédaigna les leçons tirées par le mouvement trotskyste de sa propre participation au mouvement paysan latino‑américain.

  13. Le danger d'une résurgence du stalinisme.

  14. La majorité, affirmait que la conscience politique des masses Iatino-­américaines, y compris de la paysannerie, était si élevée que cela avait mis fin au débat sur la possibilité de passer au socialisme par des voies pacifiques : « En Amérique Latine, la polémique entre les partisans de la voie « démocratique » et « pacifique » et ceux de la voie révolutionnaire, est complètement dépassée (...) » (« Résolution sur l'Amérique ». Compilation sur l'Amérique Latine p. 10).

    La délégation mexicaine influencée par les arguments de la majorité sur ce point, déclarait : « comme le projet de résolution le reconnaît clairement, le débat sur les voies pacifiques et violentes de la révolution latino‑américaine est clos » (« La position de la délégation mexicaine au neuvième Congrès Mondial de la Quatrième Internationale sur la résolution du Secrétariat Unifié sur l'Amérique Latine », Discussion sur l'Amérique Latine, p. 35).

    Ces déclarations furent faites évidemment, avant les expériences péruviennes et boliviennes, et surtout avant que le succès de l'Unité Populaire au Chili, n'ait redonné vie au nationalisme bourgeois et, par la même occasion, au frontisme des staliniens et des sociaux‑démocrates à une grande échelle en Amérique Latine, déracinant un bon nombre de guérilleros.

    Le rôle du castrisme qui barra le chemin pour un tel développement fut expliqué en détail par la minorité au neuvième Congrès Mondial :

    Mais en limitant ledébat, avec les staliniens presque exclusivement au problème de la lutte armée, et même plus au problème de la guérilla rurale, les Cubains ont abandonné un précieux terrain politique à leurs adversaires. C'est ainsi que les traîtres staliniens dela lutte révolutionnaire au Venezuela purent avancer des arguments convaincants sur la nécessité pour les ouvriers d'avoir un parti révolutionnaire. Pour les staliniens vénézuéliens, qui citaient Lénine tout à fait abstraitement, ce n'était là qu’un voile de fumée; mais les Cubains furent incapables de leur répondre effectivement, et cela ne pouvait manquer d'influencer au moins quelques militants sincèrement révolutionnaires. De la même façon, les Cubains ne surent pas s'opposer efficacement aux staliniens dans les centres urbains, ce qui permit à ces derniers de conserver une assez large audience qu'ils tentent évidemment maintenant d'utiliser dans leurs manœuvres sur le terrain électoral bourgeois.
    De même les Cubains ont abandonné le terrain théorique aux staliniens (…) Les staliniens profitèrent de l'incapacité des Cubains ou de leurs hésitations à s'exprimer ouvertement en raison d’unepression économique possible de la part de Moscou, pour obscurcir et embrouiller encore le problème.
    Le résultat de ces erreurs fut que même dans une situation aussi favorable que celle du Venezuela, avec derrière eux le prestige de la, révolution cubaine et les avantages non abstraits du pouvoir étatique, les Cubains se retrouvèrent une petite minorité au terme de leur lutte de fraction contre les staliniens »
    (Hansen, Amendements au projet de Résolution, p. 24 Op. Cit.)

    Les évènements ont confirmé de la façon la plus frappante la justesse de l'analyse faite par là minorité au neuvième Congrès Mondial sur cette question.

  15. Le champ d'action correct.

  16. La majorité ne considérait pas le prolétariat comme un secteur d'intervention immédiat :

    En fait, dans la plupart des pays, la variante la plus probable est que pour une période assez longue, les paysans devront porter le poids principal de la lutte et la petite‑bourgeoisie radicalisée fournira en grande partie les cadres du mouvement. »
    Résolution sur l'Amérique Latine », Op. Cit., p. 9)

    Il est vrai que cette déclaration était intercalée entre une réaffirmation du rôle dirigeant de la classe ouvrière à long terme et une phrase sur la possibilité pour le rôle dirigeant du prolétariat, de s'exercer de diverses façons. Il faut ajouter que nulle part la majorité au neuvième Congrès Mondial n’a nié le rôle révolutionnaire du prolétariat ‑ elle l'a au contraire soigneusement affirmé.

    Néanmoins, pourle futur immédiat, la résolution indique très clairement comme champ d'action, la paysannerie pour « force principale de la lutte » et la petite‑bourgeoisie radicalisée pour les « cadres du mouvement ». Evidemment cette conclusion découle logiquement de la théorie de la majorité sur la guérilla et peut‑être de son analyse des différentes expériences de guérilla en Amérique Latine.

    La minorité luttait pour l'orientation prolétarienne mise en avant dans le programme de transition et l'enseignement des bolcheviks en ce qui concerne l'émergence de cadres ‑ à savoir que même sous la plus brutale répression, les révolutionnaires n'ont « pas d'autre choix que de poursuivre leur patient travail politique et organisationnel ‑ dans la clandestinité ou en exil » (Hansen, Amendements au projet de résolution. Op. Cit., p. 19)

    Le camarade Peng disait :

    Remplacer le programme de transition par la stratégie de guérilla, négliger le travail le plus sérieux dans la classe ouvrière et ses organisations de classe traditionnelles, à savoir les syndicats, et continuer à nous adapter aux différents courants et directions petits‑bourgeois, non seulement ne peut construire une Internationale, mais mènera notre mouvement dans une impasse »
    Retour au trotskysme. », Op. Cit., p. 34.)

    Comme il est dit plus haut, la minorité insista sur l'importance de se tourner vers la jeunesse radicalisée, mettant l'accent sur le poids de la jeunesse dans les centres urbains, sa capacité à faire des manifestations imposantes, et sa tendance à essayer de se lier aux ouvriers et autres secteurs de masses, et à les entraîner dans l’action.

    La minorité insistait sur cela non seulement à cause des possibilités évidentes démontrées par les expériences françaises, américaine et de beaucoup d'autres pays, mais aussi parce que le mouvement trotskyste mondial a toujours prêté attention depuis sa création, selon l'orientation exprimée dans le programme de transition.

  17. La lutte pour les revendications démocratiques.

  18. La « Résolution sur l'Amérique Latine » ne s'occupe pas correctement de la lutte pour les revendications démocratiques, dont la principale est la réforme agraire.

    La réforme agraire est un problème important dans tout le continent et joue un rôle‑clé dans la politique de pays comme le Brésil, le Pérou, la Colombie, et en Amérique centrale.

    La « Résolution sur l'Amérique Latine » contient un paragraphe sur la paysannerie qui mentionne sa « faim de terre » et d'autres causes amenant sa radicalisation. Au lieu d'insister sur l'importance centrale des revendications démocratiques autour du problème de la terre pour mobiliser la paysannerie, la résolution arrive à une appréciation exagérée du niveau politique de la paysannerie à l'échelle continentale. Selon la résolution, la paysannerie a « assimilé la leçon de la révolution cubaine, au sort de laquelle elle ne cesse de s'intéresser ;elle a beaucoup appris des expériences de guérilla et n'est pas isolée des mouvements révolutionnaires étudiants, dont l'influence l'atteint par milles canaux différents » (Op. Cit., p. 5)

    Le mouvement paysan est étroitement lié aux luttes des nationalités opprimées. La « Résolution sur l'Amérique Latine » le mentionne correctement (p. 5), mais seulement en passant. Elle ne tire aucune leçon de leur importance pour les sections latino-américaines de la Quatrième Internationale. Rien n'est dit sur la façon concrète d'assumer cette tâche.

    Le camarade Peng se fondant sur les leçons de Lénine et Trotsky et sur l'expérience des mouvements révolutionnaires dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux, en particulier en Chine, insista sur la nécessité de clarifier l'aspect démocratique de la révolution latino­-américaine. Il mit au défi la majorité d'expliquer pourquoi elle avait écarté la lutte pour les revendications démocratiques de sa « stratégie continentale ». Son défi n'a pas été relevé.

    Le fait est que la majorité ne tenait pas compte de l'aspect démocratique de la révolution latino‑américaine. Tout en admettant la possibilité que la révolution débute « comme une révolution démocratique anti‑impérialiste en ce qui concerne ses objectifs et la conscience des masses », elle considérait que cette possibilité « n'affecte pas la logique du processus avec toutes ses implications nécessaires sur la place et le rôle des classes sociales » . (p. 9)

    Le processus en question était celui de la révolution permanente. Abstraitement ce que dit la résolution à ce sujet est correct. Mais en l'absence de toute proposition concrète, la théorie de la révolution permanente n'est pas utilisée comme un guide pour l'action.

    Cela vient de l'erreur d'appréciation de la majorité sur le niveau de conscience de la paysannerie. Un programme concret de revendications démocratiques n'est en effet guère nécessaire si dans leur esprit, la paysannerie a déjà dépassé ce stade de la révolution. En ne prêtant pas attention à ce problème, nos camarades peuvent se retrouver sur le bas‑côté, lorsque éclatera le début démocratique de la révolution.

  19. Élargissement et approfondissement d'une ligne erronée.

  20. La minorité avertit le neuvième Congrès Mondial que l'orientation guérillériste adoptée par la majorité ne pourrait être limitée à l'Amérique Latine :

     Si le projet de résolution sur l'Amérique Latine devait passer au prochain Congrès Mondial sous sa forme actuelle, notre mouvement aurait du mal à expliquer pourquoi l'orientation jugée bonne pour l'Amérique Latine serait mauvaise pour le reste du monde colonial et semi‑colonial. On ferait sûrement remarquer qu'une telle position est incohérente et qu'on ne peut raisonnablement faire une coupure géographique aussi brutale »
    (Hansen, Amendements au projet de résolution sur l'Amérique Latine, Op. Cit. p. 26)

    Les dirigeants de la majorité ne prirent pas une position commune sur cette très importante question. Certains restèrent dans le vague, déclarant que la résolution ne s'occupait que de l'Amérique Latine et qu'il était inopportun de soulever une telle question dans ce contexte. Le camarade Germain déclara avec insistance que l'orientation ne s'appliquait qu'à l'Amérique Latine. Plus tard, les camarades Germain et Knoeller, prêchant la nécessité d'actions armées par de « petits détachements de l'avant‑garde des partis ouvriers et des syndicats », dans certaines conditions, écrivirent :

    Répétons à nouveau, pour éviter tout malentendu, que ces considérations ne s'appliquent qu'à des conditions prérévolutionnaires et dans un contexte politique précis (absence de libertés démocratiques, impossibilité d'une montée graduelle du mouvement de masse, etc ...). Il n'est pas question d'étendre mécaniquement ce raisonnement à tous les pays du monde, et surtout pas aux États-Unis, au Japon, à la Grande Bretagne, à l'Allemagne, etc... »
    L'orientation stratégique des révolutionnaires en Amérique Latine » Compilation sur l'Amérique Latine, fascicule b. p. 64 ‑ italiques dans l'original)

    Le raisonnement de la majorité sur cette question fut naturellement étendu par divers camarades à d'autres pays, y compris la France, qui n'appartient guère au monde colonial et semi‑colonial. Nous y reviendrons plus loin.

  21. Une moisson de désastres.

  22. Au neuvième Congrès Mondial, la majorité ne précisa pas en termes concrets ce qu'elle envisageait de faire. Contre l'euphorie montrée par les leaders de là majorité sur la possibilité d’une rapide « percée » obtenue en recourant à la guérilla dans des parties précises du monde, la minorité exprima les plus grands doutes sur les résultats finaux du projet de ligne d'action.

    Ces résultats finaux incluaient un désastre, catastrophique, en Bolivie, et la dégénérescence politique du groupe de guérilla en Argentine. Nous étudierons ces sujets en détail plus tard.

  23. Adaptation à l'ultra‑gauchisme.

  24. La majorité au neuvième Congrès Mondial n'accorda que peu d'attention aux arguments de ceux qui s'opposaient à ce qu'on adopte la guérilla comme stratégie principale. Au contraire elle persista dans son erreur et l'approfondit. En conséquence, la minorité commença à analyser la signification de cette évolution, arrivant à la conclusion qu'on pouvait la caractériser politiquement comme une adaptation à l'ultra‑gauchisme.

    Ainsi deux conceptions concernant la voie principale à la révolution ont été esquissés au Congrès.
    L'origine de la pression pour transformer la « guérilla rurale » en principe, est évidente. Ce sont les guérilleros en particulier en Amérique Latine (...) et de larges sections de la jeunesse radicalisée, c’est-à-dire ceux qui n'ont pas encore d'expérience politique et qui ont construit toute une mystique autour du sort de Che Guevara et ne connaissent pas grand chose de l'exemple d'Hugo Blanco.
    Le cours proposé par Livio Maitan et officialisé par la résolution sur l'Amérique Latine, représente une concession à l'ultra-gauchisme. C'est ainsi qu on doit le caractériser objectivement (...)
    Une application sérieuse du cours systématisé par le camarade Maitan se révélerait désastreuse pour la Quatrième Internationale. La ligne ne pouvait guère être limitée à l'Amérique Latine ou même au monde colonial en général, car les mêmes tendances ultra-gauchistes auxquelles on s'est adapté, sont présentes dans les centres impérialistes. Suivre un cours ultra‑gauche en Amérique Latine ne pourrait que s'accompagner d'un opportunisme par rapport à l'ultra‑gauchisme, sinon pire, dans les métropoles impérialistes. En fait, il est évident que cela s'est déjà produit dans le contexte de conditions aussi différent que celui de la Grande Bretagne.
    Adopter en Congrès Mondial une résolution qui fait de la «guérilla rurale » une stratégie principale, devrait par conséquent être considéré comme une évolution grave. Après de larges débats de ces problèmes dans toutes les sections de la Quatrième Internationale, il faut s'efforcer que le prochain Congrès Mondial rectifie cette erreur »
    ( « Contribution au débat sur la stratégie révolutionnaire en Amérique Latine », par Joseph Hansen, Compilation sur l'Amérique Latine. p. 45‑46).

    Dans la discussion qui a suivi la majorité a essayé de montrer que le « tournant » vers la guérilla adopté au neuvième Congrès Mondial est dans la tradition de Marx, Engels, Lénine et Trotsky. Les seules citations valables qu'elle a pu produire qui semblent soutenir sa position sont quelques phrases de Lénine écrites dans une phase de la révolution russe de 1905. Malgré une recherche assidue, elle a été incapable de trouver quoique ce soit en faveur de sa position dans les volumes qu'écrivit Lénine après cette expérience épisodique. Les camarades de la majorité négligèrent le fait que Lénine ne revint jamais sur le sujet. Cela ne signifiait rien pour eux.

    De même pour Trotsky, le plus grand théoricien militaire et praticien de la lutte armée que le mouvement marxiste ait jamais produit, la majorité, après quelques essais pour l'utiliser, essais contrés par la minorité, semble avoir abandonné. Après tout la position de Trostky sur la guérilla ‑ sur laquelle il écrivit dans les dernières années de sa vie ‑ est trop connue pour que l'on en abuse facilement.

    Une autre tentative de la majorité a été d’utiliser comme des synonymes les termes « guérilla » et « lutte armée ». L'intérêt étant que les guérilleros, en de nombreuses parties du monde, utilisent les termes de la même façon ; c'est pourquoi lorsque la majorité écrit ou parle de « lutte armée », cela signifie « guérilla » pour les partisans de cette stratégie, alors que pour les marxistes, y compris notre propre mouvement ‑ au moins dans le passé ‑ cela signifiait la lutte armée des masses prolétariennes et paysannes dans un véritable soulèvement ou guerre civile.

    Par ce tour de passe‑passe sémantique, la majorité cherche à présenter le « tournant » vers la guérilla comme étant dans la tradition de la lutte armée enseignée et pratiquée par Lénine et Trotsky.

    On peut suggérer que cela clarifierait les divergences si la majorité abandonnait cette argumentation faible et admettait franchement que son orientation n'est pas une simple continuation du trotskysme mais une tentative pour introduire dans le trotskysme une stratégie née ailleurs.

    Il est temps de faire avancer le débat. Cela ne peut se faire qu'en se tournant vers la réalité concrète et en la jugeant à la lumière de l'analyse marxiste.

    Au cours des trois années qui ont suivi le débat au neuvième Congrès Mondial, les deux lignes ont été soumises à l'épreuve de l'expérience. Il est maintenant possible de tirer un bilan des résultats en Bolivie et en Argentine, c’est-à-dire les deux pays où la décision de faire de la guérilla une orientation stratégique a été mise en pratique. C'est ce que nous proposons maintenant de faire.


Notes

[1] Référence au IX° congrès mondial du Secrétariat Unifié de la IV° Internationale (SUQI) tenu en avril 1969 à Rimini (Italie)

[2] Dirigeant du POR Combatiente, la section bolivienne du Secrétariat Unifié de la IV°.

[3] Peng Shu Tse : Peng Shuzi, 1895-1983, militant trotskyste chinois de 1929 (exclusion du PCC) à sa mort.

[4] PRT : Partido Revolucionario de los Trabajadores (Combatiente), fondé en 1965, alors section argentine du S.U.

[5] Hugo Blanco : dirigeant trotskyste péruvien du FIR, Front de la Gauche Révolutionnaire, membre du SUQI.


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