1972

"Il n'est pas difficile de faire des oraisons funèbres ou d'écrire avec éloquence sur l'esprit de sacrifice, l'héroïsme et le dévouement à la cause du socialisme qui motivaient les jeunes hommes et femmes qui sont morts (...) à la fleur de l'âge dans un raid futile. (...) Il est moins populaire de se différencier politiquement des martyrs et d'essayer de tirer pour nous-mêmes les leçons que nous enseignent leurs erreurs. Nous choisissons de suivre ce cours même au risque d'être incompris pendant un temps."


H. Blanco, P. Camejo, J. Hansen, A. Lorenzo, N. Moreno

Argentine et Bolivie : le bilan

IV : La crise dans la IV° Internationale


    Au lieu de revenir en arrière, les leaders de la majorité ont continué à s'enfoncer dans leur cours erroné. Ils ont érigé l'orientation de guérilla adoptée au neuvième Congrès Mondial en principe virtuel.

    Comme nous l'avons vu, les leaders de la majorité ont fermé les yeux sur les orientations aventuristes prises en Amérique Latine au nom de ce « tournant » et les ont même saluées. Ils ont gardé le silence sur les plus graves ruptures par rapport au programme, tradition et pratiques du trotskysme tandis qu'ils affirmaient publiquement leur solidarité avec ceux qui étaient impliqués dans cette voie, de telle sorte qu'ils encourageaient de semblables violations ailleurs dans le mouvement trotskyste mondial.

    Il est vrai qu'ils ont fait quelques mises au point. Comme nous l'avons déjà indiqué, ils ont déplacé l'accent de la guerre de guérilla rurale vers la guerre de guérilla urbaine. Ils ont davantage reconnu la possibilité de « variantes exceptionnelles », à savoir les soulèvements de masse dans les villes, l'arrivée au pouvoir de régimes réformistes, et l'apparition d'ouvertures légales ou semi‑légales pouvant être utilisées par le mouvement révolutionnaire.

    Ces concessions n'ont rien changé en profondeur. Leur ligne reste la même. Ce qui s'est produit, en fait, est que l'orientation de guérilla est devenue plus concrète. Comparée à l'état actuel des choses, cette ligne était seulement esquissée au 9° Congrès mondial. Il était alors difficile pour beaucoup de camarades de comprendre que quelque chose de plus important qu'une tactique était en fait impliqué.

     Combien de délégués au 9° Congrès mondial auraient voté pour cette ligne si elle avait été présentée de façon franche et ouverte, telle qu'elle s'est révélée en pratique ? Qui, par exemple, aurait voté pour un « tournant » impliquant des distributions aux pauvres, à la Robin des Bois, de biens de consommation chipés aux riches ? Ou pour des commandos armés entrant dans les usines pour tenir des « meetings avec les ouvriers » et distribuer des tracts à la pointe du fusil ? Ou de minuscules groupes armés défiant les forces armées de I’État sans avoir construit de parti révolutionnaire, sans le moindre travail préliminaire au sein des forces armées, et dans un complet isolement des masses? Ou de kidnapper des membres individuels de la bourgeoisie, les retenant pour rançon et les exécutant ? Ou de risquer la vie des meilleures cadres contre plus forts qu'eux dans des paris désespérés ? Ou des actions ultra‑gauches conduisant au désastre les sections y étant engagées ?

    Si tout cela avait été précisé de telle sorte qu'il ressortait que tous ces points étaient nécessairement et inéluctablement inclus dans la ligne de guérilla, nous pensons que peu auraient voté pour elle. Ce qui a confondu le plus les délégués, était l'assurance que ce procédé amènerait rapidement une « percée » en l'appliquant à un pays judicieusement choisi, tel la Bolivie.

    On ne peut que s'étonner. Est‑ce que les leaders de la majorité avaient une conception claire de ce que leur orientation donnerait en pratique ? Et ont‑ils gardé la description pour eux afin de ne pas faire une impression défavorable aux délégués ? Ou ont‑ils simplement procédé empiriquement, se fiant à la chance ? C'est difficile à déterminer. Peut‑être, le camarade Maitan, le principal artisan de cette orientation, n'était pas aussi naïf. Comme nous l'avons noté plus haut, il spécifiait un an plus tard « la perspective stratégique suivie par les camarades argentins est celle développée par le 9° Congrès Mondial de la IV° Internationale, la perspective creusée et rendue plus précise par les 2 derniers Congrès nationaux du PRT (...) ». Et il cita, avec approbation, les hold‑ups aventureux de banques et les distributions romantiques de biens de consommation qui firent « une grosse impression sur la presse bourgeoise quotidienne et hebdomadaire ».

    La persistance de la majorité à suivre une ligne erronée s'est avérée coûteuse pour la IV° Internationale. La pire conséquence en est peut‑être, la détérioration politique qui s'est développée.

  1. La politique fait place au fusil

  2. Il n'y a rien de très complexe dans la théorie de la guerre de guérilla. Si nous laissons de côté les spécifications qui font la plus grosse partie des manuels de guérilla, il reste la prééminence donnée aux armes. Ce qui compte est le fusil, dès qu'un groupe minimum (très petit) a été constitué. La politique compte fort peu ‑ et la théorie, évidemment, encore moins. Le dédain où les cubains tenaient, et tiennent encore, la théorie et les grandes leçons de la Révolution Russe est bien connu.

    La raison pour laquelle on place ainsi le fusil au dessus de la raison humaine est fort simple : ça a marché ! Chacun peut vous parler des cas de la Chine et de Cuba. La théoriede la guerre de guérilla a élevé ces exceptions en norme et fait de l'ancienne ­norme élaborée et suivie par Marx, Engels, Lénine et Trotsky, l'exception. Les révolutionnaires russes de 1905, et 1917, dans cette perspective, doivent être regardés comme des exceptions.

    Ce qui est arrivé au 9° Congrès mondial, c'est l'infiltration de cette théorie pernicieuse dans la pensée de la direction de la majorité. Sa source première a été le mouvement castriste, spécifiquement Guevara. Cette acceptation faisait, partie d'une adaptation à l'ultragauchisme due à des causes variées analysées dans d'autres documents soumis précédemment à la discussion.

    Nous avons vu ce que l'orientation de la guérilla a donné, en pratique, en Bolivie et en Argentine. Ici, nous avons besoin seulement de souligner comment la connaissance de la théorie de la guérilla aide à éclairer des mystères comme ceux du POR (Gonzalez) rejoignant les judas réformistes et bourgeois dans le FRA. Les camarades boliviens ont placé le problème des fusils au dessus des problèmes politiques.

    Le cas du PRT (Combatiente) nous fournit un exemple saisissant, montrant comment cette théorie primitive conduit à s'écarter du trotskysme. Notez la suite logique.

    1. Trotsky était un révolutionnaire, mais seulement un parmi d'autres, comme Mao, le général Giap, Kim Il Sung, Ho Chi Minh. Au dessus d'eux tous, le commandant Guevara, de qui les leaders du PRT (Combatiente) tiennent leurs idées.
    2. La IV° Internationale doit être reconnue comme ayant des buts révolutionnaires, mais elle comporte des « aventuriers contre-­révolutionnaires ». En d'autres termes, elle est assez gangrenée.
    3. Il est douteux que la IV° Internationale puisse être sauvée pour la révolution bien que cela mérite un effort.
    4. D'autres partis comme les PC albanais, chinois et nord‑coréen sont aussi révolutionnaires (s'ils portent la gangrène des aventuriers contre-révolutionnaires, cela n'est pas mentionné).
    5. Une nouvelle internationale doit être construite incluant tous ces partis (l'axe se déplace dans leur direction. Après tout, ils détiennent le pouvoir d'État).
    6. Le PC cubain est salué. Le PRT (Combatiente) souscrit déjà à sa direction, tout en gardant des liens nominaux avec la IV° Internationale.
    7. Il peut être possible d'établir des liens fraternels avec d'autres États ouvriers, en dehors de Cuba (ceci sans révolutions politiques dans ces pays ; en conséquence ces liens seraient avec le stalinisme).
    8. L'invasion de la Tchécoslovaquie par le Kremlin était, après tout, du plus grand intérêt pour le socialisme.

    Toute cette suite n'est pas le signe d'une confusion absolue, bien qu'elle n'en manque pas. C'est l'indication claire de la direction du mouvement, s'écartant du trotskysme pour se tourner vers la théorie de la révolution en 2 étapes et vers le stalinisme, avec pour résultat final très probable une désintégration politique. Le seul point stable dans cette érosion de principes est la conviction que les fusils prendront le pas sur la politique ; cela, bien sûr, est la principale source d'érosion quant à la théorie elle‑même. En passant, nous pouvons noter que cela est la clé permettant de comprendre pourquoi le PRT (Combatiente) n'a pas eu de difficulté à établir et maintenir des relations fraternelles avec les formations politiques les plus disparates, à la fois en Argentine et à l'extérieur, allant de la IV° Internationale jusqu'au PC cubain, faisant des avances à Kim Il Sung et Enver Hoxha. Les dirigeants du PRT (Combatiente) se font presque un principe de ne pas laisser les principes politiques interférer avec le développement de la guerre de guérilla.

    Quant aux différenciations politiques à l'intérieur de la direction de l'ERP‑PRT (Combatiente), nous n'en connaissons que peu de choses. La majorité du Secrétariat, Unifié n'a pas donné au mouvement trotskyste mondial d'information sur ce qui arrivait aux deux tiers du Comité Central qui ont été exclus ou l'ont quitté depuis le 9° Congrès mondial. Ce que nous en savons indique qu'un changement plus ou moins important s'est produit. De plus en plus, ils insistent sur l'organisation et l'application des actions de guérilla, de moins en moins sur l'impulsion et la poursuite d’initiatives politiques. Les dirigeants aux meilleures capacités politiques sont remplacés par d'autres, plus experts au maniement du fusil.

  3. L'engagement sur cette voie s'approfondit

  4. Il serait insuffisant de dire que les leaders de la majorité n'ont pas résisté à cette tendance. En réalité, ils s'y sont soumis, aidant ainsi à la répandre dans la IV° Internationale. En bref, en applaudissant les guérillas trotskystes en Bolivie et en Argentine, ils sont eux‑mêmes coupables de diminuer l'importance et le maintien de la tradition trotskyste qui place en tout premier plan les principes politiques.

    Un bon exemple a été la défense éloquente de l'ERP‑PRT, dans le numéro du 21 avril 1972, de « La Gauche », quant aux exécutions d'Oberdan Salustro et du général Sanchez. Cet article de 2 pages, « Lutte des classes et lutte armée en Argentine », se terminait en affirmant que la ligne suivie par l'ERP‑PRT était correcte, quelles qu'aient pu être les erreurs de parcours. Il affirmait, que la IV° Internationale était confrontée à deux tâches. L'une était l'affirmation d'une complète solidarité avec les camarades mis en cause. L'autre était

    « l'affirmation de notre accord avec l'orientation générale du PRT de développement de la lutte armée, tout en exprimant l'espoir que nos camarades trouveront le moyen d'articuler cette lutte de la manière la plus intime avec le développement de la lutte des masses, avec l'élargissement d'une assise organisée au sein des masses, et avec une orientation politique claire vers la révolution socialiste et prolétarienne contre tout concept de révolution par étapes ».

    L'article, dont l'auteur restait anonyme mais qui certainement trouva l'appui de l'éditeur de « La Gauche », le camarade Mandel, se poursuivait par des conclusions catégoriques sur l'efficacité et les possibilités d'application de la stratégie de la guerre de guérillas :

    « La leçon à tirer des événements d'Argentine est d'ailleurs, à ce propos, d'importance universelle. Les tentations d'en revenir à des régimes fascistes ou de dictature militaire effleure constamment la bourgeoisie dès que les luttes de classes s'exacerbent, où que ce soit dans le monde  ».
    « Les classes possédantes doivent maintenant savoir qu'après l'expérience de l'atroce barbarie nazie, l'avant garde jeune de par le monde, ne tolérera plus jamais la forme la plus abjecte des guerres civiles : celle où un camp est armé jusqu'aux dents et assassine, torture et opprime sans merci, alors que l'autre camp est physiquement, psychologiquement et politiquement désarmé et se résigne passivement au rôle de victime. L'exemple de l'Argentine démontre que cette avant‑garde ‑est déjà suffisamment forte et résolue pour qu'une telle infamie ne se répète plus ».

    Nous nous arrêtons, étonnés des perspectives que ceci suggère la guerre de guérilla peut‑elle arrêter le fascisme ? Que dire alors de la ligne préconisée par Trotsky dans la lutte contre la montée d'Hitler ? Pourquoi ne préconisait‑t‑il pas la guerre de guérilla dans le style du PRT (Combatiente) ou des Tupamaros ? En fin de compte, est‑ce qu'il passa à côté de la situation allemande du début des années 30 ?

    Et sur le fascisme en Italie ? Lénine, que les camarades de la majorité ont cité et recité comme l'un des authentiques protagonistes de la guerre de guérilla, était encore vivant. Pourquoi Lénine ne préconisa‑t‑il pas la guerre de guérilla comme un moyen sûr d'arrêter Mussolini ? Peut­-être Lénine était‑il devenu sénile ou réformiste ?

    Si intéressantes ces questions soient‑elles, reportons leur discussion. Nous voulons maintenant insister sur un point d'intérêt plus immédiat. Qu'est‑ce que cette prétendue leçon « d'importance universelle », suggérée aux jeunes camarades de notre mouvement, non seulement en Argentine, mais partout dans le monde, y compris en Europe ?

    La réponse est qu'ils commencent à penser, très logiquement, que ces actions armées de type autonome et clandestin, telles que celles effectuées en Argentine, sont applicables ailleurs dans le monde. En Europe, par exemple, il est parfaitement clair que la Grèce, le Portugal et l'Espagne ont des régimes dictatoriaux qui sont pires que celui d'Argentine. Qui plus est, la bourgeoisie est tout à fait capable de mettre en place des régimes semblables dans des pays assez avancés ‑ comme l'indique la tendance actuelle favorable à l'établissement d'États « forts ».

    Il serait à peine nécessaire, arrivés à ce point, de montrer que cette ligne logique de pensée, issue du « tournant » adopté au 9° Congrès mondial, s'est développée dans des secteurs de la IV° internationale. Elle a influencé l'orientation sur bien de questions que nous ne discuterons pas ici.

    Notons, cependant, le critère exposé publiquement par les camarades éditant « « Rood », selon lequel le terrorisme individuel est une tactique valable sous un régime dictatorial si c'est populaire et si ceux qui y sont engagés ont l'appui des masses.

    Notons l'admiration et l'approbation des actions terroristes au Québec exprimées par quelques leaders européens de la IV° Internationale. « Je crois, dit le camarade Tariq Ali [1] à la télévision quant on lui a demandé son opinion sur le kidnapping terroriste au Québec, que la terreur individuelle se justifie lorsqu'un mouvement de masses existe;quand vous avez l'appui des masses à l'intérieur d'une société particulière, alors c'est justifié ». (« Pour la défense de la stratégie léniniste de Construction du Parti», Documentation internationale A.L., fasciculé b, p. 86).

    Le même type de raisonnement apparaît dans l'observation non critique, de l'usage des méthodes terroristes en Irlande, particulièrement celui des Provisoires, l'aile la plus extrémiste et la moins politique de l'Armée Républicaine Irlandaise. Cette observation non critique reflète la non compréhension de concept marxiste de lutte armée, elle conduit directement au « tournant » adopté au 9° Congrès mondial et au transfert de l'orientation de guérilla de l'Amérique Latine sur la scène européenne.

  5. De mal en pis.

  6. Dans l'esprit de quelques camarades d'Europe, l'article de « La Gauche » soutint cette tendance, bien que cela ait pu ne pas être l'intention de l'éditeur. Le camarade Mandel peut avoir seulement voulu ouvrir les pages de La Gauche à la défense la plus éloquente possible des camarades de l'ERP‑PRT (Combatiente) car ceux‑ci subissaient une très lourde attaque pour une très grave faute commise (bien que leur action n'était pas plus erronée que l'ensemble de leur ligne politique).

    En même temps, l'article servait à défendre la ligne de la majorité telle qu'elle s'est développée en pratique. Au lieu d'aider à corriger une erreur faite par les camarades argentins, l'éditeur de « La Gauche » s'en est fait lui‑même 1’apologiste. Au lieu d'aider à rectifier la ligne erronée adoptée au 9° Congrès Mondial, il aidait à la renforcer en la justifiant à un niveau universel. Finalement, au lieu de commencer à se corriger lui‑même, il s'est enfoncé dans l'erreur, en entraînant d'autres avec lui.

    Le camarade Maitan était le principal théoricien du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. Ce qu'il a tenté, a été d'ouvrir le trotskysme à la théorie et à la pratique de la guerre de guérillas. Ceci a requis de trouver des précédents historiques et des soutiens péremptoires dans les œuvres d'Engels, Lénine et Trotsky, entreprise où il a été habilement assisté par les camarades Germain et Knoeller. Pendant un moment, il apparût que le camarade Maitan pourrait reconsidérer sa position au vu des conséquences de ce « tournant » en Bolivie et en Argentine. Une évolution du camarade Maitan aurait été un développement très favorable car cela aurait grandement aidé à réparer les dommages. Il apparaît maintenant, que sa, position est tout autre bien qu'il semble hésiter à appliquer le « tournant » du 9° congrès mondial à l'Italie, malgré les recommandations de l'éditeur de « La Gauche » sur l'utilité de la guerre de guérillas dans la lutte contre la renaissance du fascisme.

    La création d'une atmosphère favorisant l'extension de l'orientation de guérilla en des zones très éloignées de l'Amérique Latine a été également favorisée peut‑être à son insu par le camarade Pierre Frank. Il est bien sûr, un chaud partisan du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. Il est aussi un chaud partisan du PRT (Combatiente). Dans sa lettre du 26 juillet 1971 au congrès du Socialist Workers Party, il réaffirme sa position en ce qui concerne les activités de nos camarades de la section argentine, le PRT et son organisation armée l’ERP :

    « Nous ne les considérons pas comme ultra‑gauche. Elles correspondent dans le présent à des nécessités de la lutte des classes en Argentine ».
    (Lettre au congrès de Pierre Frank. Documentation Internationale, « Amérique Latine ». Fascicule b page 136).

    Le camarade Frank a été spécialement préoccupé par le fait qu'une distanciation publique à l'égard des erreurs de l'ERP‑PRT puisse ouvrir la porte au « fédéralisme » et par conséquent saper le principe du centralisme démocratique, Mais en attaquant les déclarations faites par divers secteurs du mouvement trotskyste mondial se dissociant des méthodes terroristes, tout en se solidarisant avec les camarades de l'ERP‑PRT (Combatiente) contre les attaques de l'ennemi bourgeois, le camarade Frank s'est placé lui‑même en position telle qu'il cautionne ces méthodes et aide leur propagation dans l'Internationale.

  7. « Le centralisme démocratique » devient factice

  8. Les camarades Alain Krivine et Pierre Frank ont soulevé une autre question, la violation possible des règles du centralisme démocratique par la minorité. Dans leur article « Encore et toujours la question de l'Internationale », ils demandent une révision des statuts de la IV° Internationale au prochain congrès mondial. Pour justifier leur proposition, les camarades Krivine et Frank ont cité des exemples tendant à montrer que les statuts présents sont trop vagues. Nous ne trouvons pas les statuts parfaits. Cependant, nous ajournons pour l'instant la réponse soit à cette question, soit à la pertinences des exemples cités.

    Les camarades Krivine et Frank ont avancé la conception d'une Internationale hautement centralisée, à même d'intervenir dans la vie des sections d'une façon énergique et puissante. Encore une fois, nous remettons la discussion sur l'opportunité ou la possibilité d'une telle Internationale hautement centralisée dans l'état actuel de développement de notre mouvement. Ce que nous voulons maintenant, c'est principalement souligner le point important de l'article, suggérant que la minorité avait violé les règles du centralisme démocratique. Voici ce que les deux auteurs disent :

    « Nous en sommes jusqu'à présent restés aux arguments qui nous paraissent dangereux. Malheureusement, nous avons à ajouter en outre que depuis le dernier congrès mondial, dans la pratique, les choses ont été dans une direction opposée au renforcement de l'Internationale, en particulier en ce qui concerne l'Amérique Latine. Sur ce sujet, il y avait une majorité et une minorité au congrès mondial ; il avait été décidé que, tout en agissant selon l'orientation votée, la discussion serait réouverte à une date à choisir en plenum du CEI ; ceci fût fait à la fin de 1970. Les camarades du SWP des États­-Unis soutenaient le point de vue minoritaire. Nous devons regretter qu'ils ne se soient pas bornés à défendre leur opinion dans la discussion ce qui était évidemment leur droit le plus incontestable ‑ mais aussi à travers de multiples interventions, qu'ils aient encouragé ceux qui partageaient leur point de vue à ne pas tenir compte du vote du congrès mondial et ce même contre ceux qui appliquaient l'orientation prise par la majorité. C'est en Argentine que l'affaire a pris le plus d'acuité. Personne n'a jamais songé à demander aux membres de « groupes sympathisants » d'appliquer la ligne votée, car ils n'auraient pu le faire. Du moins devaient‑ils avoir une véritable attitude de « sympathisants » envers ceux qui l'appliquaient et qui couraient quotidiennement des risques pour leur vie. L'appui du SWP en Argentine et dans plusieurs pays d'Amérique Latine, est allé, tant par la presse éditée sous son contrôle que par les interventions des membres de sa direction, à des groupes ou des camarades qui combattaient ouvertement l'orientation décidée par le congrès mondial. Nous ne nous attarderons pas plus longtemps sur ce sujet puisque c'est un fait notoire que personne ne peut contester.
    Nous ne pouvons évidemment accepter « l'argument » selon lequel le 'groupe sympathisant' « La Verdad », avait une politique correcte, une conception léniniste de la construction du parti, tandis que la section argentine de la IV° Internationale ne serait qu'une formation ultra‑gauche. D'abord parce que nous ne partageons pas du tout ce point de vue (mais ce serait là l'objet d'une autre discussion). Ensuite parce qu'il n'est pas possible qu'une organisation nationale, quelle qu'elle soit, prenne sur elle de décider au niveau international qui est et qui n'est pas trotskyste. Finalement parce que dans le cas en question, il est indéniable qu'en intervenant contre la section argentine, on intervenait de fait contre la décision prise par le congrès mondial. Il sera possible au prochain congrès mondial de confirmer ou d'infirmer la décision du précédent congrès, mais quiconque le fait, maintenant, de sa propre autorité, nie simplement le centralisme démocratique au niveau international et met en cause plus que les « droits » de tel ou tel organisme international élu ‑ le vote du congrès mondial et par suite les obligations que ce vote impose ; en d'autres termes, c'est l'existence même de l'internationale qui est remise en cause. »
    « Encore et toujours la question de l'Internationale », Op..Cité­. Fascicule b ‑ page 132‑133, souligné dans l'original.

    Nous n'acceptons pas l'accusation selon laquelle la minorité s'est engagée dans quelques violations que ce soit du centralisme démocratique en développant ses opinions à l'intérieur du mouvement trotskyste mondial pendant la période de discussion sur l'Amérique Latine. Et nous nions qu'une violation quelconque du centralisme démocratique soit en cause dans le cas de certains secteurs du mouvement trotskyste mondial qui se sont dissociés des méthodes terroristes employées en Argentine ou qui désapprouvèrent l'appui publique de telles méthodes faites par les membres de la majorité, laissant de côté la discussion de ces accusations et de ces dénégations, nous voulons surtout attirer l'attention sur un autre point : quel rôle, le lancement de telles accusations a‑t‑il dans la discussion sur l'Amérique Latine ? La réponse est que cela a aidé à écarter l'attention de très réelles violations du centralisme démocratique commises par le PRT (Combatiente) en Argentine.

    Ces violations incluaient la mise en doute publique du caractère révolutionnaire de la IV° Internationale et l'appel à la formation d'une « nouvelle Internationale révolutionnaire ». Elles incluaient la caractérisation public des partis Albanais, Chinois, Cubain, Nord‑Coréen et Nord‑Vietnamien en tant qu'organisations révolutionnaires et bases potentielles de la nouvelle Internationale proposée. Elles incluaient le soutien public à des organisations hostiles à la IV° Internationale, contre les sections officielles ou les groupes sympathisants de certains pays. Elles incluaient de s'opposer publiquement à la progression de la révolution politique en Chine et dans d'autres États ouvriers staliniens. Elles incluaient la déclaration publique que la section officielle de la IV° Internationale en Argentine acceptait les conseils du Parti Communiste Cubain. Elles incluaient de mettre publiquement Trotsky au même niveau que Mao‑Tsé‑Toung, Kim Il Sum, Ho Chi Minh, le général Giap et Che Guevara. Elles incluaient la discussion publique sur le trotskysme et le maoïsme présentés tous les deux comme continuation du léninisme, qui trouvaient une meilleure synthèse dans le castrisme.

    Elles incluaient la négation publique de leur appartenance au trotskysme.

    Qu'ont eu à dire les camarades Krivine et Frank sur ces violations du centralisme démocratique ? Pas un mot. Pas un seul mot, publiquement ou de façon interne. Ils n'ont même pas informé les membres de la IV° Internationale que ces violations avaient eu lieu.

    Pourquoi les camarades Krivine et Frank sont‑ils restés silencieux ? Etant les deux leaders de la majorité les plus motivés pour le maintien du centralisme démocratique et pour la mise en évidence de toute déviation possible, il est difficile d'en venir à tout autre conclusion : ils considèrent que les violations faites par le PRT (Combatiente) en Argentine ne sont rien d'autre que le développement de la position réelle de la majorité et qu'elles sont par conséquent, non seulement légitimes, mais entièrement dans le cadre du centralisme démocratique.

    Ou c'est cela, ou ils pratiquent leur propre version du « fédéralisme ».

  9. Aveugles à la logique du tournant

  10. Il est difficile de croire que les camarades Krivine et Frank pouvaient être conscients de la direction politique dans laquelle le PRT (Combatiente) s'orientait politiquement. Peut‑être eux aussi ont‑ils été laissés dans l'ignorance par les camarades de la majorité qui devaient suivre les développements en Argentine. Dans ce cas, ils peuvent être accusés de montrer une confiance aveugle, ce qui n'est pas une qualité chez des leaders politiques de premier plan.

    En plus d'une confiance aveugle, on peut les accuser d'être imperméables à la logique du « tournant » adopté au 9° congrès mondial. L'extrait suivant de la lettre de Pierre Frank à la convention de 1971 du SWP nous le montre :

    « Ce deuxième argument (du camarade Hansen), à savoir que la logique de ceux, qui préconisent la lutte armée doit les amener à l'étendre à d'autres pays que l'Amérique Latine, nous a encore plus surpris que le premier. Non pas que nous ne pensions pas que le problème ne se pose pas dans d'autres continents. Je pense par exemple que les Bengalis, les Ceylanais doivent eux aussi avoir quelques idées sur la lutte armée dans leur pays. Ce qui nous a énormément surpris, c'est d'abord que le camarade Hansen a réitéré la forme de sa « démonstration » invoquant contre nous des propos d'ultra‑gauches ».
    (Lettre de Pierre Frank au SWP. Op.Cité. « Amérique Latine ». Fascicule b, page 135).

    La vérité est que le problème de l'ultragauchisme s'était déjà posé à la IV° Internationale, avant le 9° Congrès Mondial. Il s'est présenté avec le gros influx de jeunesse radicalisée en France en 1968, beaucoup d'entre eux étant ultragauches, le problème devenait donc inévitable.

    Une vision romantique de Che Guevara et de son aventure bolivienne était un des aspects de cet ultragauchisme. C'était un test pour les capacités de direction de la IV° Internationale que de surmonter cet ultragauchisme et, en particulier, l'acceptation non critique du guévarisme. Quand les leaders de la majorité s'adaptèrent à 1'ultragauchisme d'une partie de cette jeunesse radicalisée, et décidèrent de l'orientation de guérilla en Amérique Latine, il devint clair ‑ au moins pour quelques leaders du mouvement trotskyste mondial ‑ que la maladie était contagieuse et pouvait se propager, bien au‑delà de l'Amérique Latine, en particulier depuis que le recrutement dans le mouvement étudiant radicalisé venait renforcer cette tendance dans l'Internationale, consacrant l'échec de la direction majoritaire à donner une éducation correcte à ses nouveaux membres.

    L'évidence de tout ce qui arrivait, était très grande.

    C'était visible non seulement dans les positions ultragauches prises par quelques groupes trotskystes, sur diverses questions : on pouvait le voir dans les acclamations non critiques données aux actions de guérilleros qui étaient en opposition politique avec le trotskysme. Leur politique était négligée ; leurs exploits de guérillas étaient cités en actions exemplaires. Des fautes graves par de tels guérilleros étaient même décrites de façon à en faire des modèles. Ce développement a été facile à suivre dans les reportages parus dans Red Mole, Rouge et d'autres journaux de notre mouvement, sur les guérillas au Québec, en Irlande et bien d'autres endroits de l'Amérique Latine.

  11. La France, mûre pour la guerre de guérilla ?

  12. Confirmant les craintes de ceux qui s'opposèrent au « tournant » du 9° Congrès Mondial, des membres importants de la majorité, dans la Ligue Communiste, l'organisation même du camarade P. Frank, ont maintenant soulevé la question de l'orientation de guérilla en France. Ils sont extrêmement sérieux. La Ligue Communiste, affirment‑ils, n'a pas d'autre solution pour sortir de la crise en vue.

    La nouvelle ligne proposée par la section française de la IV° Internationale a été proposée par Anthony, Arthur, Jebrac [2] et Stephan dans un long article publié dans le bulletin intérieur de La Ligue Communiste.

    L'article est du plus grand intérêt, non seulement parce qu'il montre, avec l'évidence la plus irréfutable, le processus mis en marche par le « tournant » adopté au neuvième Congrès Mondial, mais aussi parce que pendant une bonne partie, il esquisse, les sous-bassements théoriques de ce tournant de ce point de vue, de même que la franchise des camarades du PRT (Combatiente), l'article permet une avance bienvenue dans la discussion internationale. Par conséquent, il demande la plus grande attention, et étude. Bien que cela allonge un document déjà long, nous pensons qu'il s'avérera utile de résumer le raisonnement des 4 auteurs, d'autant que l'article, en tant que tel, n'est disponible qu'en français seulement.

    Telles qu'ils la voient, la Ligue Communiste fait pas mal de progrès en recrutement mais pas suffisamment pour qu'il soit possible d'envisager de façon réaliste la lutte pour le pouvoir dans un avenir immédiat. En fait, le travail d'extension de l'organisation sur le plan géographique est à débattre.

    « Mais nous allons vite parvenir à un seuil où cette croissance spontanée n'est plus rentabilisée et peut même se traduire par une consommation à perte d'énergies militantes ».
    La question du pouvoir est posée. Posons‑là ». Bulletin d'Histoire et de Sociologie du XX° siècle N° 30. Juin 72. p. 8 ).

    Dans quelles tâches autres que celles d'accroître la taille de l'organisation, l'énergie des militants pourrait‑elle être employée de façon plus profitable ? Nous y viendrons.

    Le gros obstacle à une percée conduisant à poser la question du pouvoir en France, est le Parti Communiste parfaitement stalinisé, dans les rangs duquel, soutiennent les auteurs, il est virtuellement impossible, d'avoir, un impact. Dans les syndicats, aussi, le travail se défriche seulement bien qu'un progrès y soit enregistré. Les travailleurs, tout bonnement, n'acceptent pas la prétention à la direction de nos camarades et les projets d'une formation rapide d'une aile gauche restent lointains.

    Il faut noter aussi le contraste avec l'Argentine où le PRT (Combatiente), à en croire les camarades Maitan, Mandel et d'autres est extrêmement populaire. Les deux situations sont pourtant comparables dans le fait que le PRT (Combatiente) n'a pas encore résolu le problème de la « liaison » avec les masses.

    Que penser de la possibilité d'un nouveau grand soulèvement en France suivant les schémas « classiques » de la révolution prolétarienne ? Les auteurs en accord avec la position générale de la majorité, en ont une vue pessimiste. Il est exclu, disent‑ils, que la France soit le témoin une autre fois, d'une situation comme celle de 1936 où la gauche gagne une bataille électorale accompagnée par une résistible montée des masses « que nous pourrions en poussant un peu, amener à la victoire finale » (Ibid. p. 4)

    Cela requerrait pour la Ligue d'être intimement liée aux masses, perspective bouchée par l'obstacle du stalinisme et de la vigilance de la bourgeoisie.

    Pendant que la Ligue Communiste se construit selon des schémas léninistes, il est exclu, soutiennent‑ils, que la bourgeoisie lui permette de devenir « robuste et profondément implantée dans les masses » :

    « Or il serait naïf de croire, que la bourgeoisie sur ses gardes, ayant perfectionné son dispositif répressif, va laisser croître, en son sein, au‑delà d'un certain seuil, une réelle organisation révolutionnaire »
    (Ibid. p. 4. )

    La situation en France, telle qu'elle est peinte par ces camarades, est grossièrement parallèle à celle de quelques pays d'Amérique Latine, après tout ! Que penser alors de la répétition d'une autre situation comme Mai 68, mais avec la Ligue Communiste capable d'en tirer l'avantage maximum ? « parce que la bourgeoisie et les staliniens ont tiré leurs leçons de Mai » (Ibid.p. 4).

    On peut encore tracer un autre parallèle grossier entre la situation que la L.C. affrontera dans la période à venir, et celle couramment affrontée par nos camarades en Amérique Latine ; c’est-à-dire la répression sélective.

    En continuant à se présenter au public, et « tenter de maintenir cette position le plus longtemps possible afin d'en tirer le maximum de profits », le parti devient plus vulnérable à la répression des escouades aux gros bras d'extrême droite qui cherchent à coincer des militants individuels et à saccager les locaux.

    Il n'y a pas d'autres choix, selon ces camarades, que d'envisager d'être clandestins. Ils pensent que

    « pour nous, il n'y a pas de distinction absolue entre une période de légalité et une période de clandestinité. Nous sommes en sursis. »
    (Ibid p. 4).

    Une autre question grave doit être discutée. Sauf s'il devient clandestin, comment le parti peut‑il espérer maintenir son intégrité, comment peut‑il éviter de glisser dans le réformisme ? :

    « Il arrive un moment où les avantages de la légalité ne l'emportent plus sur ses dangers. Ce moment, ce sera en partie à nous, de le déterminer. A condition d'avoir construit une organisation capable de franchir le pas. Sans quoi l'existence déterminant la conscience, une existence intégralement légale ne manquerait pas de produire une conscience légaliste »
    (Ibid p. 4. souligné dans l'original).

    Le modèle que ces camarades ont en tête apparemment, c'est l'intégrité du PRT (Combatiente), qui place l'action de guérilla au-­dessus de toutes considérations, y compris les principes politiques et les fondements du trotskysme lui‑même.

    En passant, ils expédient assez bien les positions théoriques de base. Par exemple, le « schéma classique de la révolution russe » qui existe réellement selon Maitan, Germain, Knoeller et Hansen, comme le montrent leurs écrits, « nous apparaît être tout à fait mythique » (Ibid p. 4 ). Dans toutes les révolutions y compris celles du passé, en Russie, ce qui est concerné à chaque fois, est un

    « contexte militaire spécifique dans lequel le prolétariat est soit déjà armé, soit aidé militairement par d'autres forces sociales »
    (Ibid, p.4 ).

    En bref, comme le PRT (Combatiente), les 4 réduisent le processus très complexe de la révolution à un aspect ‑ l'emploi des armes ‑ rejetant le reste comme hors de propos.

    En plaçant la question militaire au dessus de toute considération ‑ ce qui est en accord strict avec le « tournant » adopté au 9° Congrès Mondial, ces camarades continuent :

    « La forme d'organisation militaire du prolétariat, celle qui naît de ses luttes, c'est le piquet ou la milice de défense mutuelle. Ce sont des formes défensives, relativement dispersées, peu aptes aux épreuves offensives avec le pouvoir »
    (Ibid. p. 5).

    L'arme 1 du prolétariat, la grève, est laissée complètement de côté, omission vraiment étonnante pour des camarades ayant vécu Mai-­Juin 68, alors que la France était témoin de la grève la plus grande et la plus paralysante de son histoire de récuser l'une des parties les plus fondamentales du Programme de Transition sur l'armement du prolétariat.

    Ce n'est pourtant qu'une bagatelle comparée aux implications programmatiques de cette opinion. Ce que ces camarades ont fait, est de récuser l'une des parties les plus fondamentales du Programme de Transition sur l'armement du prolétariat.

    Ils ont soulevé la question, c'est clair. Ils en sont venus à cette orientation, qui tandis qu'elle est en désaccord avec le Programme de Transition et avec tout ce que Trotsky a enseigné, est solidement lié au « tournant » adopté au 9° Congrès Mondial et à la façon dont ce « tournant » fut mis en pratique par la majorité, à la fois, en Bolivie et en Argentine.

    Les forces sociales rurales sont bien plus sûres que le prolétariat, même en France :

    « La paysannerie est plus souple, a davantage de capacité d'esquive ; contre le féodalisme, elle est capable de s'organiser en colonnes armées ; la 8° Armée de marche en Chine est l'exemple le plus célèbre ; mais l'expérience remonte loin, entre autres à la célèbre guerre des paysans en Allemagne. »
    (Ibid. p.5).

    Même dans les villes ce dicton s'applique. On ne peut compter sur le prolétariat ; la petite‑bourgeoisie offre de meilleurs espoirs :

    « Les couches moyennes urbaines, par leur mobilité sociale, leurs ressources financières, matérielles, et techniques, fournissent la base sociale essentielle des guérillas urbaines ; c'est du moins ce qui apparaît dans les récits des Tupamaros sur eux‑mêmes ou dans la base sociale de l'ERP.
    Si donc, on conçoit la crise révolutionnaire, non comme le moment béni où les masses se mettent en branle et s'arment spontanément, mais comme un moment où les masses permet de conclure victorieusement un processus de lutte prolongée, la phase préparatoire prendra pour nous, une importance d'autant plus grande que nous avons à réintroduire la dimension de la violence révolutionnaire à l'encontre de pesantes traditions du mouvement ouvrier. »
    (Ibid. p. 5. Souligné dans l'original)

    Nous devons alors nous demander si nous ne sommes pas arrivés là au cœur de ce qu'est véritablement la position majoritaire ? C'est à dire l'abandon du programme de transition, d'une orientation prolétarienne, et la conversion de notre mouvement en un parti de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine avec une orientation correspondante en ce qui concerne la lutte armée ?

    Les camarades Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane se font l'avocat pour la France de ce que pour l'essentiel la « résolution sur l'Amérique Latine » proposait pour ce continent.

    Nous l'avons déjà cité une fois, peut être est‑il bon de la citer deux fois :

    « En fait, dans la plupart des pays, la variante la plus probable est que pour une longue période, les paysans devront supporter le poids principal de la lutte révolutionnaire, tandis que dans une proportion considérable la petite‑bourgeoisie fournira les cadres du mouvement. »
    (Documentation Internationale. Cahier N° 1. Fascicule a. p. 9 )
  13. Une guerre révolutionnaire continentale

  14. Avec une logique admirable, les 4 camarades continuent, posant le problème de la violence et de la construction du parti dans des termes qui ne signifient ni plus ni moins que l'extension du « tournant » du 9° Congrès Mondial, de l'Amérique Latine à l'Europe.

    A partir de l'analyse tout à fait correcte, selon laquelle la dynamique révolutionnaire dans les pays européens dépasse les frontières nationales, ils affirment :

    « La dynamique compte‑tenu des inégalités du développement est celle d'une guerre révolutionnaire continentale.»
    ( « La question du pouvoir est‑elle posée ? Posons là ! » Bulletin d'Histoire et de Sociologie du XX° Siècle. No 30. Juin 1972. p. 4 ).
     « En imaginant, » écrivent les 4 camarades de la L.C., « qu'une poussée révolutionnaire de masse puisse suffire dans l'un des pays pour démanteler le pouvoir bourgeois, après se posera le problème plus durable du rapport de force militaire avec la réaction à l'échelle continentale ou sub‑continentale » (Ibid,. p. 4)

    Cela place la Ligue Communiste face à un réel test :

     « Il ne suffit pas de marmonner face au P.C.F. que les voies pacifiques sont en fait, un coupe‑gorge sanglant ; il faut que nous soyons capables de définir les conséquences pratiques de notre critique »
    ( Ibid. p. 4 )

    Cela nous mène au point principal, à ce qui est la raison d'être du document.

    « Les perspectives que nous pourrons dégager impliquent également un certain type d'organisation du point de vue de l'utilisation de la violence »
    (Ibid. p. 8 ).

    Le raisonnement devient à partir de là, très concis, traitant très consciemment des questions aussi sensibles que les problèmes de construction du parti, des actions de guérilla, de la contradiction entre les deux, de la manière de résoudre cette contradiction, et si cela se révèle impossible, comment la contourner. Et ils le font à la lumière de l'expérience Iatino‑américaine et de la discussion sur ce sujet au sein de la IV° Internationale.

    Contre les lambertistes, qui en principe, excluent l'usage de la violence par une minorité, au dire des camarades, la Ligue Communiste a une position différente.

    « Ainsi », écrivent-ils, « en même temps, que nous faisons une propagande systématique sur l'auto‑défense comme forme d'organisation des masses en lutte, nous n'hésitons pas à recourir à des initiatives violentes quand leur relation à un travail de masse peut être clairement établie, que ce soit sur Burgos ou sur l'Indochine »
    (Ibid. p. 8)

    Il est intéressant de remarquer en passant, qu'un seul critère - pour ce type d'action ‑ est avancé : l'existence claire d'une relation au travail de masse. A la différence des positions prises par Rood dans le cas de l'enlèvement et de l'assassinat de Sallustro en Argentine, les critères d'existence d'un régime de dictature et la popularité de l'action ne sont pas spécifiés.

    Mais continuons :

    « C'est dans ce cadre global qu'il faut comprendre et systématiser la dialectique violence de masse‑violence minoritaire »
    (Ibid. p. 8).

    Mais concevoir de telles activités, non comme des à côtés spectaculaires,

    « mais comme un axe permanent et essentiel de notre activité, doit entraîner une série de conséquences organisationnelles.»
    (Ibid. p. 8).

    Cela implique la mise en place d'un cadre organisationnel spécifique pour de telles actions. Au delà, cela signifie concevoir la construction du parti de manière différente de jusqu'alors.

    Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane sont en désaccord avec le camarade Maïtan dans sa polémique avec Hansen sur la question de la contradiction entre une orientation de guérilla et la stratégie léniniste de construction du parti. Ils pensent que le camarade Maitan a contourné le problème en demandant de façon rhétorique si Hansen n'avait jamais envisagé qu'il y ait contradiction entre la « construction du parti » et la « participation à une grève générale ». ( Ibid p. 7).

    Les 4 camarades français pensent qu'il est évident que si un groupe a

    « une orientation de lutte armée, et plus précisément de guérilla dans le cas considéré de l'Amérique Latine, alors c'est une donnée qui affecte l'ensemble du processus de construction du parti, lutte armée et travail de masse se posent de façon particulière et complexe. En gros, quel type de travail de masse, légal ou semi-­légaI, dans le mouvement ouvrier et chez les intellectuels, peut faire un parti clandestin engagé dans la lutte armée ? Quelle articulation entre revendications démocratiques et lutte armée ? Quelles structures organisationnelles capables de lier les deux fronts ? »
    ( Ibid, p. 7.)

    Les 4 camarades résolvent cette difficile contradiction par un unique coup de maître. Ils redéfinissent ce qu'est un parti léniniste :

    « Contrairement à ce que suggère la conclusion du texte de Hansen, le parti léniniste n'est pas le parti révolutionnaire adéquat au « schéma classique », mais le parti de la révolution prolétarienne en général. Et lorsque Lénine parle de militants qui soient des tribuns populaires et non des secrétaires de trade-­union, il affirme la fonction unifiante du parti. Autour et sous la direction du prolétariat, il s'agit de sceller l'alliance des différentes couches et classes sociales qui ne peuvent réaliser qu'à travers lui leurs intérêts. Cela permet notamment à la classe ouvrière de bénéficier des capacités militaires de la paysannerie et des couches moyennes urbaines ».
    ( Ibid. p. 5 ).

    La confusion dans ce paragraphe entre le rôle du parti léniniste et le rôle des soviets est totale ; mais nous laissons la discussion de cette question pour plus tard.

    La remarque finale d'Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane qui est peut‑être la plus lourde d'implications et qui montre à quel degré l'orientation du PRT (Combatiente) a eu un impact sur eux est celle selon laquelle la Ligue Communiste doit d'une manière ou d'une autre dépasser le « niveau propagandiste ». La IV° Internationale pourrait se « trouver elle‑même rapidement désarmée » si cela n'était pas fait. ( Ibid p. 9)

    Il est particulièrement difficile disent‑ils, de répondre,

    « aux questions que se posent certaines sections latino­-américaines ou les camarades espagnols, si nous fermons les yeux sur notre propre avenir tout en dissertant sur l'ensemble des problèmes internationaux. Il serait particulièrement dangereux de poser pour d'autres sections des problèmes que nous ne formulons même pas pour nous‑mêmes... » .
    (Ibid p. 9 ).
  15. Pourquoi ont‑ils été attirés par la ligne de l'ERP ?

  16. Comme le montre ce document, il est clair que certains membres de la Ligue Communiste ‑ et non le secteur le moins important sont devenus impatients face à la lente et difficile tâche qu'est la construction d'un parti à la manière léniniste. Ils sont à la recherche de raccourcis. Ce raccourci semble aller dans la direction de la paysannerie et de la petite bourgeoisie urbaine.

    Il est clair, de plus, que le rôle de la technique militaire a pris le pas sur le rôle de la politique dans leur manière de penser. Leurs convictions, tant en ce qui concerne l'impénétrabilité du Parti Communiste, la lenteur et la difficulté du travail au sein des syndicats, le caractère inadéquat des méthodes prolétariennes de lutte, le messianisme qu'ils sentent en relation à la violence, la justification qu'ils avancent pour la « violence minoritaire », une certaine forme de mépris pour la légalité, les vertus imaginées du travail clandestin et leurs propositions organisationnelles, en témoignent de façon éloquente.

    Un autre signe de glissement de leurs idées est le concept selon lequel la bourgeoisie et les staliniens, ayant appris les leçons de Mai 1968 ne vont « permettre » aucune répétition (comme s'ils exerçaient réellement un tel contrôle sur la lutte de classe !).

    Les 4 camarades en ont tiré la conclusion qu'il est possible de contourner la bourgeoisie et le stalinisme en abandonnant le combat pour la légalité, devenant clandestin et lançant quelque chose comme une guerre de guérilla urbaine ou rurale (ou une combinaison) en France. Il est curieux que ces camarades croient que la bourgeoisie et les staliniens, ayant appris les leçons de Mai 68, n'en permettront pas la répétition, mais permettront à un groupe de partisans de mener des actions posant sérieusement le problème du pouvoir. Les défaites d'une série de fronts de guérillas en Amérique Latine, le front de Che Guevara entre autres, ne montrent‑elles pas que la bourgeoisie a appris certaines leçons ?

    Le désir des auteurs de copier les Tupamaros et l'ERP, c’est-à-dire d'appliquer en France, la stratégie adoptée par la majorité pour l'Amérique Latine, est l'aspect le plus sérieux du document. Commencer à envisager la projection d'une telle orientation, et de façon théorique, pour la France est un signe inquiétant de la manière dont le « tournant » du 9° Congrès Mondial a méséduqué toute une série de cadres importants dans la Ligue Communiste.

    En l'absence d'une forte résistance de la direction, le danger de voir une orientation de guérilla mise en pratique en France, prend corps.

    Les dirigeants majoritaires n'ont pas résisté ; ils ne se sont pas opposés à l’ultragauchisme ; ils s'y sont adaptés, l'ont encouragé.

    Un seul détail peut illustrer la réalité du danger. A la suite du massacre de Trelew en Argentine, un groupe a lancé un cocktail Molotov à l'entrée de l'ambassade d'Argentine à Paris, de bonne heure le matin du 25 Août, et a lancé des tracts. L'action a été applaudie dans le numéro de Rouge en date du 2 Septembre. D'après l'article, l'action était le fait de « militants marxistes révolutionnaires ». Des commentaires laudateurs signés « Cuarta Internacional », probablement la publication en langue espagnole du Secrétariat Unifié, étaient reproduits. L'utilisation du nom « Cuarta Internacional » donna l'impression que la Quatrième Internationale endossait publiquement le lancement d'une bombe incendiaire.

    L'approbation d'un tel substitut à des protestations de masse ne fait que souligner la faiblesse de la Ligue Communiste, c’est-à-dire la faiblesse de ses liens avec les masses et son incapacité à mobiliser pour une action significative.

    La Ligue Communiste ne peut pas être blâmée pour ce qu'elle est incapable de faire. Cela ne serait pas raisonnable. Mais on peut la critiquer pour s'engager dans une action qui désoriente. Bien au-­delà du simple incident, toutefois, l'important réside dans le précédent ainsi établi et l'approbation d'une action ultra‑gauche de cette nature.

    Un tel développement correspond à la logique de la position avancée par Anthony, Arthur, Jebrac et Stéphane ; et, naturellement à la logique de l'orientation de guérilla adoptée par la majorité lors du 9° Congrès Mondial.

    Chaque camarade qui a suivi le développement de la discussion dans le mouvement trotskyste mondial depuis le 9° Congrès Mondial doit être conscient maintenant des dangers impliqués par ce « tournant ». Un groupe significatif dans la direction de la Ligue est allé, ni plus ni moins, jusqu'à proposer l'application de l'orientation de guérilla à la France avec les modifications qu'ils ont soulignés eux‑mêmes.

    Cela justifie pleinement les analyses de la minorité quant à la signification du « tournant » du 9° Congrès Mondial et les prévisions de cette même minorité quant à l'extension inévitable d'une telle ligne tant géographiquement que programmatiquement.

  17. La guerre de guérilla pour les États Ouvriers ?

  18. Posons encore une fois, des questions à la majorité, questions auxquelles elle a jusqu'alors refusé de répondre, soit parce qu'elle en était incapable, soit, plus probablement, parce qu'elle a pu, en son sein, réaliser un accord sur la réponse à donner,

    Qu'en est‑il de l'Europe de l'Est et de l'Union Soviétique, de tous les états ouvriers déformés ou dégénérés ?

    Dans le cadre de la lutte pour la révolution politique, l'orientation de guérilla s'applique‑elle ou non ? Si la réponse est non, pourquoi la guerre de guérilla est‑elle exclue ? Si la réponse est oui, alors qu'a‑t‑on à dire de la ligne suivie par Trotsky et l'opposition de gauche ? Ne devrait‑on pas tirer la conclusion logique selon laquelle ils ont fait une erreur historique en ne lançant pas la guerre de guérilla contre le stalinisme en Union Soviétique ? Pire, Trotsky n'a t‑il pas fait une erreur colossale en n'ayant pas mobilisé l'armée rouge contre la clique de Staline en pleine ascension, lorsqu'il en avait encore la possibilité ?

    Nous prédisons que des questions de ce type seront inévitablement posées par des secteurs de la majorité dans la période à venir, de la même façon que le problème de l'application d'une orientation de guérilla pour l'Europe, et spécifiquement pour la France, a été posée par des secteurs de la direction de la Ligue Communiste. Ne serait‑il pas préférable de tenter de répondre maintenant à ces questions plutôt que de rester silencieux jusqu'à ce que vous soyez confrontés à une tendance constituée dans vos rangs, qui veut appliquer une orientation de guérilla aux États Ouvriers et qui déjà attend impatiemment de passer à l'action ?

  19. C'est le moment.

  20. Nous pensons que la persistance des dirigeants de la majorité dans leur orientation de guérillas face aux désastres enregistrés en Bolivie et en Argentine promet un désastre encore plus grand pour la IV° Internationale dans sa totalité.

    Jusqu'alors nous avions espéré qu'une rectification aurait pu être obtenue dans l'organisation d'une tendance. Mais cet espoir a été vain. En conséquence, nous proposons l'organisation d'une tendance à l'échelle internationale pour lutter contre l'orientation de guérilla. D'après nous, la plateforme de cette tendance devrait tourner autour des 3 points suivants :

    1. Révision du « tournant » fait au 9° Congrès Mondial sur la guerre de guérilla et de son extension depuis lors à la fois géographiquement et programmatiquement.
    2. Réaffirmation de l'utilisation de la méthode indiquée dans le programme de transition pour résoudre les problèmes concrets auxquels est confrontée la IV° Internationale dans sa lutte pour la direction du prolétariat dans la lutte des classes.
    3. Réaffirmation du programme de base, de la tradition et des pratiques de la IV° Internationale telles qu'elles existaient jusqu'au moment du 9° Congrès Mondial, c’est-à-dire, spécifiquement, l'attachement à la stratégie léniniste de construction d'un parti de combat pour assurer les succès des prochains soulèvements révolutionnaires du prolétariat et de ses alliés.

Notes

[1] Tariq Ali : dirigeant d’alors de l’International Marxist Group, la section britannique du SUQI.

[2] Jebrac : pseudonyme de Daniel Bensaïd, dirigeant de la LC/LCR française et du SUQI, chargé du suivi de l’Argentine durant les années 70.


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