1944

PROLÉTAIRES DE TOUS LES PAYS UNISSEZ-VOUS  !
ORGANE DU GROUPE COMMUNISTE (IVème INTERNATIONALE)
nº 35
 


LA LUTTE DE CLASSES nº 35

Barta

2 septembre 1944


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A L'ACTION !

Les Partis de la "résistance" ont inauguré leur arrivée au pouvoir par une série de promesses à la classe ouvrière : les 40 heures, augmentation de 40% sur les salaires, stabilisation des prix. A les entendre, on pouvait être persuadé que les ouvriers n'avaient qu'à s'en remettre aux nouveaux gouvernants pour l'inauguration d'une politique économique et sociale nouvelle : un nouveau juin 1936, réalisé non par la grève générale contre le patronat, mais issu du patriotisme national des partis groupés dans la "résistance" !

Il est vrai que les déclarations officielles témoignaient aussi du désir de ne léser en rien le patronat : on parlait des 40 heures, mais aussi de larges dérogations, de l'augmentation des salaires, mais sans toucher au profit.

Accorder soi-disant des satisfactions à la classe ouvrière sans les prendre sur le compte du patronat – c'était la politique impraticable de la conciliation de la chèvre et du chou.

Et il s'avère aujourd'hui, en absence d'une pression des masses ouvrières, et l'ordre de la reprise du travail ayant été donné, que toutes ces promesses n'étaient que des projets pour tromper l'attente des ouvriers, que les décisions ministérielles ne sont pas encore connues, que rien n'est sûr. La direction de la CGT, à plat ventre devant la bourgeoisie, demande timidement une majoration "substantielle" des salaires, sans en préciser le taux. Encore une fois, ce sont les patrons qui imposent leur volonté. Ainsi se trouve à nouveau démontré ce que les militants honnêtes ont répété tant de fois aux ouvriers : les travailleurs n'obtiennent des patrons et de leur gouvernement que ce qu'ils peuvent leur imposer par une attitude résolue et au besoin par la lutte. Si nous voulons arracher aux patrons nos légitimes revendications, la grève avec occupation doit être menée jusqu'à leur satisfaction.

Pendant ces cinq années de guerre, tous les capitalistes, avant ou sous l'occupation, ont fait des profits gigantesques. Le nouveau régime leur en promet d'autres, grâce à l'organisation de l'industrie de guerre, l'équipement de la nouvelle armée, etc... Pour les patrons les profits, pour la classe ouvrière la fatigue, la misère, les longues journées de travail, les salaires de famine. Il est temps que la classe ouvrière impose au patronat des revendications qui mettent un frein à cette exploitation éhontée :

1)  RELEVEMENT IMMEDIAT DES SALAIRES, avec une augmentation minima de 50% pour les catégories d'ouvriers et d'employés les plus mal payés.

2)  ECHELLE MOBILE DES SALAIRES, les contrats collectifs devant assurer l'augmentation automatique des salaires en liaison avec la montée des prix.

3)  LES 40 HEURES

4)  ECHELLE MOBILE DES HEURES DE TRAVAIL. Pendant que le patronat entend faire travailler une partie des ouvriers pendant 60 heures, d'autres continueront à végéter dans le chômage. La longueur de la semaine de travail doit être déterminée par la répartition du travail existant entre toutes les mains ouvrières disponibles, le salaire de chaque ouvrier restant le même qu'avec l'ancienne semaine de travail.

5)  A l'époque actuelle de crise du capitalisme, aucune mesure ne pourra être imposée d'une façon durable au patronat sans le CONTROLE OUVRIER sur la production et la comptabilité des entreprises, exercé par des comités d'usine élus et révocables par les ouvriers. Tout en menant la lutte dans les syndicats, les ouvriers doivent élire de pareils comités et lutter pour leur droit au contrôle.

6)  En dépit des phrases et des promesses, c'est chose connue que le patronat organise et a déjà organisé des bandes armées du type fasciste en vue de la répression contre les ouvriers, au sein même des groupements de la "résistance". Pour défendre son droit à la vie, la classe ouvrière doit organiser non pas des milices patriotiques, mais des DETACHEMENTS OUVRIERS D'AUTO-DEFENSE !


LIBERTE, POUR QUI ? [*]

L'équipe de journalistes patriotes qui peut aujourd'hui faire sa besogne rémunératrice sans crainte d'aucune police et avec le soutien du nouveau gouvernement, profite de son illégalité d'hier pour essayer de faire passer sa liberté à ELLE, pour le retour définitif à la démocratie et à la liberté...

Liberté ? Certes, ils sont libres d'acclamer les maîtres du jour, de crier "Vive le général !", comme les autres criaient "Vive le maréchal !" ; mais qui est De Gaulle, dont l'Humanité parlait en 1940 comme d'un général "colonialiste et réactionnaire", sinon l'homme de la bourgeoisie française, de la reconquête des colonies et de la revanche contre l'impérialisme allemand ?

Ils sont libres, ou plutôt ils sont obligés de crier "Mort aux Boches !", "Vive la guerre !", "A Berlin !", d'habituer progressivement l'opinion à l'idée d'une guerre contre le Japon et d'une longue occupation en Allemagne, et pour cela ils sont "libres" d'entretenir le chauvinisme, de réveiller les instincts les plus bas et les plus sanguinaires ; mais tout cela, loin d'exprimer les intérêts des masses laborieuses du pays, témoigne de la ferme volonté de la bourgeoisie de maintenir et de renforcer son exploitation du peuple en France et aux colonies.

Ils sont libres d'expliquer aux ouvriers qu'ils manquent de métro, de gaz, d'électricité, et qu'ils crèvent de faim par suite des difficultés de transport ou autres inconvénients de la guerre : mais cela, leurs prédécesseurs le disaient aussi bien qu'eux.

Ils sont libres d'endormir l'impatience des exploités en agitant constamment la question des élections législatives, du suffrage universel et de l'assemblée constituante, comme si ce n'était pas la Chambre issue des élections de 1936 qui a voté sa confiance à Pétain et à Laval !

Tout comme celle de leurs prédécesseurs, leur liberté consiste à exécuter servilement les consignes de la bourgeoisie au pouvoir : le régime actuel de la presse est toujours régi par le décret des 24-27 août 1939, c'est le régime de la censure militaire et politique et des conférences de presse ; de plus, le gouvernement provisoire envisage déjà d'autres mesures.

La liberté de la presse que nous vantent ces larbins c'est la main-mise exclusive des trusts et du gouvernement sur l'opinion, avec impossibilité totale à toute pensée ouvrière de s'exprimer.

Et si l'Humanité paraît aujourd'hui légalement, c'est seulement parce que les chefs staliniens ont renié tout ce qui dans le passé leur a valu la confiance des masses, la lutte contre le militarisme, contre l'occupation française en Allemagne après 1918, et contre l'entreprise coloniale au Maroc ; ils cachent aux ouvriers ce que Lénine disait sur la liberté de la presse :

"LA LIBERTE DE LA PRESSE EST UN MENSONGE TANT QUE LES MEILLEURES IMPRIMERIES ET LES PLUS GROS STOCKS DE PAPIER SONT ACCAPARES PAR LES CAPITALISTES, TANT QUE SUBSISTE LE POUVOIR DU CAPITAL DANS LE MONDE ENTIER... POUR CONQUERIR LA VERITABLE EGALITE ET LA VRAIE DEMOCRATIE DANS L'INTERET DES TRAVAILLEURS, DES OUVRIERS ET DES PAYSANS, IL FAUT COMMENCER PAR ENLEVER AU CAPITAL LA FACULTE DE LOUER DES ECRIVAINS, D'ACHETER ET DE CORROMPRE DES JOURNAUX ET DES MAISONS D'EDITION, ET POUR CELA IL FAUT RENVERSER LE JOUG DU CAPITAL, RENVERSER LES EXPLOITEURS, BRISER LEUR RESISTANCE..."

Pour nous il n'y aura donc un COMMENCEMENT de liberté que lorsque la classe ouvrière arborera son drapeau rouge CONTRE le drapeau tricolore de la bourgeoisie.


Aussi longtemps que subsiste la domination de la bourgeoisie c'est trahir la classe ouvrière que de l'appeler à "l'unité de la France", à la "défense de la patrie". Tant qu'ils n'ont pas conquis le pouvoir, "LES OUVRIERS N'ONT PAS DE PATRIE". Leur lutte doit être une lutte de classe opiniâtre contre tout le régime capitaliste d'oppression, de misère et de guerre. La deuxième guerre impérialiste mondiale va maintenant entrer dans sa sixième année. Aujourd'hui, comme hier et comme il y a cinq ans, la Quatrième Internationale appelle les prolétaires de tous les pays à suivre la voie indiquée dès 1914 par Lénine : "Transformer la guerre impérialiste en guerre civile".

A BAS LA GUERRE IMPERIALISTE, A BAS LE CHAUVINISME !

En avant, l'avenir appartient à ceux qui seront fidèles jusqu'au bout à la classe ouvrière et à la révolution communiste internationale.


[*] Cet article a été écrit par M.Bucholz, cf. LDC n° 67 du 18.09.46


DE LA "REVOLUTION NATIONALE" A  L'"INSURRECTION NATIONALE"

Sous l'enseigne de l'"insurrection nationale", nous avons assisté depuis le 15 août (jour où la police est passée des ordres de Laval et de la Gestapo aux ordres de De Gaulle, des G-Men et de l'Intelligence Service) à la même escroquerie politique que nous avions subie en juillet 1940 sous le couvert de la "révolution nationale" de Pétain.

Voyons donc le véritable sens de ces deux opérations. Une révolution (ou insurrection) signifie avant tout un déplacement du pouvoir des mains de la classe exploiteuse aux mains de la classe exploitée. Or en juin-juillet 1940 l'escroquerie politique consista en ceci qu'on appela "révolution" une opération qui loin d'être dirigée contre l'Etat bourgeois, aboutit au contraire à la domination directe de toute la vie du pays par les organes de l'Etat, c'est-à-dire la police, la bureaucratie et le corps des officiers (devenu maître direct du pays). De septembre 1939 à juin 1940 les masses avaient découvert entièrement que l'Etat n'est pas le défenseur de la nation, mais un ensemble d'organismes destinés uniquement à sauver, par la force et le mensonge, la domination de la bourgeoisie. Le dégoût et la haine des masses pour ce régime mettaient la bourgeoisie en danger. Mais la présence sur le sol français d'une armée capitaliste qui voulait avant tout l'ordre nécessaire à la continuation de ses propres pillages permit aux militaires, à la haute bureaucratie, à la police, etc, agents des 200 familles, de se maintenir au pouvoir, et ils essayèrent de camoufler leur propre responsabilité devant les masses par l'annonce de la "révolution nationale", d'un "ordre nouveau" et de la "punition des coupables".

Mais derrière la démagogie sociale, économique et politique de "l'ordre nouveau" ("communauté nationale", lutte contre les trusts "juifs" – pour mieux sauver les trusts en général –, un régime "fort et rajeuni", etc...) se poursuivit le travail commencé et même accompli quant à l'essentiel par Daladier et Reynaud : la transformation de la IIIème République en un régime bonapartiste, c'est-à-dire la domination directe de la vie de la nation par l'Etat, la police, le corps des officiers et la haute bureaucratie. Ce n'est pas depuis l'occupation et Pétain que la France a été livrée aux tribunaux militaires et à une censure dictatoriale et s'est couverte de camps de concentration ; que des dizaines de milliers de travailleurs ont été emprisonnés et torturés, que la peine de mort a été décrétée contre la propagande communiste ; que la chasse aux "Métèques" a préludé la chasse aux Juifs : c'est depuis le début de la guerre "républicaine", de la "démocratie contre le fascisme" ! Ce régime est né de la guerre et du militarisme. Les déplacements des fronts et les changements diplomatiques et politiques n'ont pas un instant touché à sa fonction fondamentale : opprimer les masses par l'Etat pour la guerre, écraser la grande majorité des travailleurs au bénéfice d'une petite minorité de parasites impérialistes.

Et maintenant, "l'insurrection nationale" a-t-elle touché à l'Etat tel qu'il a évolué (jusqu'à devenir monstrueux) pendant cinq années de guerre ? Il y a-t-il eu un déplacement du pouvoir des mains de la classe exploiteuse aux mains de la classe exploitée ? Le combat sur les barricades contre les "Boches" par les pseudo-milices a bien suscité au début quelque illusion dans ce sens. Mais depuis, les travailleurs ont été ou désarmés ou incorporés dans l'armée permanente, c'est-à-dire qu'ils sont retombés sous le joug du corps des officiers.

Ainsi l'effort des ouvriers pour s'arracher au bâillon de l'Etat bourgeois n'a abouti une fois de plus qu'à tirer les marrons du feu pour leur ennemi, la bourgeoisie. La police, qui pendant cinq ans avait martyrisé la classe ouvrière, redore son blason à l'avant-garde de "l'insurrection nationale". L'armée permanente impérialiste de la bourgeoisie française qui s'était brisée dans les événements se reconstitue par un nouvel afflux de chair à canon : les travailleurs dupés. Les "compétences", c'est-à-dire la haute bureaucratie qui a organisé savamment la famine pour les masses et le marché noir pour la bourgeoisie, restent en place sous prétexte d'organiser le ravitaillement.

Comment cela fut-il possible ? Cette tromperie nouvelle fut possible parce qu'à la rescousse de la bourgeoisie volèrent les social-patriotes, notamment les "Communistes". Ces plats valets de l'impérialisme ont suscité le mirage des alliés et du régime gaulliste ; ils ont poussé les travailleurs à renoncer à leur propre lutte, pour réaliser le front national (l'union avec la bourgeoisie) ; ils ont poussé à la haine entre les exploités de France et d'Allemagne, faisant ainsi non seulement le jeu de la bourgeoisie française, mais aussi celui de Hitler. Mais deux semaines sont à peine passées depuis l'installation du "nouveau" régime, que l'Humanité se plaint déjà que dans tous les domaines tout se passe comme sous Vichy...

L'Humanité demande "l'épuration" de l'Etat. Mais n'avait-elle pas déjà exigé et entrepris ce travail d'épuration sous le Front Populaire ? Y-a-t-il eu un résultat ? Aucun ! Et il n'y a rien d'étonnant à cela : depuis la Commune de Paris il avait été démontré que les travailleurs ne peuvent pas se saisir de l'Etat bourgeois et le faire fonctionner pour leurs propres fins. Et Marx en tira cet enseignement fondamental pour les ouvriers : pour abolir l'oppression de la grande majorité des travailleurs par une minorité de bourgeois, il faut DETRUIRE les organes de l'Etat bourgeois, police, bureaucratie, armée, et les remplacer par les travailleurs en armes (milices ouvrières) et la participation de tout le peuple aux fonctions administratives, en un mot instaurer la DICTATURE DU PROLETARIAT. Mais les plats valets de l'Humanité ont depuis longtemps abandonné le marxisme et avec lui la classe ouvrière. Ils ne peuvent que prier leurs maîtres bourgeois d'être "compréhensifs". Mais cette prière les social-démocrates allemands l'avaient adressée jadis à leur bourgeoisie pour les sauver de Hitler, sans que celle-ci en tienne le moindre compte. A la première occasion favorable pour la bourgeoisie, les staliniens verront en quoi consiste la "reconnaissance" des exploiteurs.

L'opération de "l'insurrection nationale" de De Gaulle est en tous points semblable à la "révolution nationale" de Pétain. Elle n'a abouti qu'à un changement de cliques au pouvoir et au remplacement de l'occupant allemand par l'occupant anglo-américain. La remise du contrôle de Paris aux autorités françaises est en tous points semblable au contrôle de Vichy sur l'ancienne zone libre : "les forces américaines resteront dans la ville et aux environs et seront à même de venir en aide (lisez intervenir) au général Koenig s'il en était besoin" (Le Populaire, 30/8). Les 200 familles (en attendant que l'Etat français se fortifie suffisamment) tirent autant de sécurité des armées impérialistes anglo-américaines qu'auparavant de la présence des armées impérialistes allemandes. Le même problème surgit devant les travailleurs : pour lutter avec succès contre leur propre bourgeoisie il faut se lier aux soldats anglo-américains, il faut fraterniser avec eux contre la guerre, contre l'impérialisme. Et ce travail, comme nous en avions averti les travailleurs, est beaucoup plus difficile dans une armée impérialiste triomphante, qu'il ne l'était dans l'armée impérialiste allemande, à la cohésion morale fortement entamée, depuis novembre 1942, par les défaites militaires. Mais ce qu'on n'a pas voulu accomplir hier, il faudra l'accomplir aujourd'hui ou demain. Car pour en finir avec la guerre et l'exploitation, il n'y a pas d'autre issue pour les travailleurs que l'union internationale des travailleurs en toutes circonstances et en tout lieu. C'est pour avoir méconnu cette vérité hier, qu'aujourd'hui tout est à recommencer. Mais les travailleurs trouveront finalement la véritable voie pour ne pas être écrasés une fois de plus sous le talon de fer des capitalistes, c'est-à-dire l'Etat bourgeois !


APRES LA "LIBERATION" ...

"Pour le prolétariat la "libération" signifie le retour à un niveau de vie supérieur et aux libertés politiques. Pour la bourgeoisie, la "libération de la France" signifie le retour à une position privilégiée dans l'exploitation des masses travailleuses françaises et la RECONQUETE DE SES BASES POLITIQUES NECESSAIRES A LA POURSUITE DE BRIGANDAGES INTERNATIONAUX" (Lutte de Classes, 1/1/43).


Nos allocations d'électricité et de gaz resteront malgré tout longtemps soumises à des restrictions. Car l'ambition du gouvernement est d'organiser aussi vite que possible une INDUSTRIE DE GUERRE. Nous avons nos armées nouvelles à équiper et TOUT DOIT ETRE SUBORDONNE A CET EFFORT DE GUERRE" (Combat, 1/9/1944).

A bas l'union avec la bourgeoisie pour la guerre !
Vive la lutte de classes pour la paix, le pain et le liberté !


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