1944

Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! LA LUTTE de CLASSES Organe de l'Union Communiste (IVème Internationale) n°40 - 3ème année


LA LUTTE DE CLASSES nº 40

Barta

12 décembre 1944


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"Une classe exploitée sans armes mérite d'être traitée en esclave" (Lénine)

 

VIVENT LES TRAVAILLEURS GRECS DEFENSEURS DE LA CAUSE PROLETARIENNE !

Après les fusillades de Belgique, le sang coule à flots à Athènes. Qui donc verse ainsi le sang des travailleurs grecs ? Serait-ce les troupes allemandes en retraite, ou la "toute-puissante" 5ème colonne ? Non ! Voilà deux mois que la Grèce a été libérée, et pour autant qu'il a été fait allusion à la 5ème colonne dans les événements de Grèce, c'est seulement pour accuser les travailleurs grecs d'agir précisément sous son commandement !

Ce sont les troupes du général anglais Scobie et les troupes sélectionnées du gouvernement "démocratique" Papandréou qui mitraillent, bombardent, exécutent les travailleurs hellènes.

Devant ces faits d'une brutalité sans fard, les chefs ouvriers (les bureaucrates qui font carrière au nom des ouvriers) nous disent à peu près ceci : "Nos amis" (Huma du 7/12) les Anglais et le gouvernement émigré de Papandréou les mitraillent et ne veulent pas s'appuyer sur le peuple ; cependant l'action de l'ELAS et de l'EAM n'a pas d'autre but que de former un gouvernement "démocratique" (c'est-à-dire en union avec le même Papandréou et pro-allié) !

L'attitude odieuse de ces prétendus "chefs" sera accueillie avec mépris par les travailleurs qui ont appris quelque chose de l'expérience d'avant-guerre et notamment de la défaite de l'Espagne rouge, vendue par les "démocrates" du camp républicain et assassinée avec la complicité de Paris et de Londres.

De même que les événements d'Espagne décidaient de notre propre sort en France, les événements de Belgique et de Grèce nous donnent l'avertissement : "c'est de toi qu'il s'agit dans cette histoire". Car tandis que Churchill, ce pionnier de l'anti-communisme dès 1919, déclare cyniquement aux Communes : "Je persisterai" (dans l'écrasement des travailleurs grecs), les chefs social-patriotes staliniens et "socialistes" nous disent : ce qui se passe en Belgique et en Grèce doit être évité en France. Notre union nous sauvera. En France plus que jamais union !

Mais la crise politique profonde qui ronge les pays d'Europe épuisés par cinq années de guerre et qui a mené aux événements de Grèce et de Belgique, a précisément sa base dans cette "union" prêchée par les chefs social-patriotes : union avec les Daladier de la "démocratie", union avec le camp impérialiste allié. C'est cette union des chefs ouvriers avec De Gaulle et l'intégration de la France dans le camp impérialiste allié qui nous prépare précisément en France des événements semblables à ceux de Grèce et de Belgique.


Pourquoi, ayant à peine succédé à l'Etat-major allemand et aux gouvernements "collaborateurs" belge et grec, les alliés et les gouvernements "démocratiques" se sont-ils mis à tirer sur le peuple ? L'Humanité du 28/11 affecte une grande surprise : "c'est là une chose vraiment incroyable..." Ces "grands camarades" et "guides géniaux" sont-ils donc plus naïfs qu'un journaliste de province ? Bien entendu ils ne sont pas aussi bêtes. S'ils affectent la surprise, c'est uniquement pour faire oublier que ce sont eux qui ont prêché aux peuples la cause alliée et celle des gouvernements "démocratiques" réfugiés à Londres ou au Caire.

Mais nous, qui ne sommes pas de "grands camarades", nous avons clairement averti les travailleurs dans "Les Leçons d'Italie", le 10 octobre 1943 : "Ce qui se passe dans le Sud de l'Europe depuis le 25 juillet, c'est l'image des événements qui demain déferleront sur tout le continent... Il doit être maintenant clair pour tous les ouvriers que la lutte des masses, à la première occasion favorable, pour la conquête de la paix, du pain et de la liberté, se heurtera non seulement à la résistance de l'impérialisme allemand, mais également à l'impérialisme allié et à la bourgeoisie des différents pays en dépendant".

Entre la démocratie réelle, c'est-à-dire les travailleurs en armes (Lénine disait : une classe exploitée sans armes mérite d'être traitée en esclave) et la domination de la bourgeoisie, de quelque étiquette qu'elle se couvre, il n'y a pas de cohabitation possible. Churchill est certainement un "démocrate", bien plus il est un des chefs de la "démocratie en lutte contre le fascisme". Cependant sur la véritable démocratie, c'est-à-dire les travailleurs armés pour la défense de leurs droits, il s'exprime ainsi : "la dernière chose au monde qui ait le droit de représenter la démocratie, c'est une foule désordonnée, ce sont des bandes armées d'engins meurtriers, qui prétendent faire la loi..." Papandréou lui est non seulement un "démocrate", mais aussi un "socialiste". Cependant, devant les "foules armées", "démocrates" et "socialistes" agissent de la même façon que les SS. La "démocratie" de Churchill et le "socialisme" de Papandréou ne sont que des phrases creuses qui ne peuvent pas nourrir le ventre affamé des exploités ; c'est pourquoi la possession des armes devient une question de vie et de mort pour ces derniers. C'est pourquoi aussi devant les travailleurs "ne voulant plus être traités en esclaves", c'est-à-dire en armes, TOUT "DEMOCRATE" SE SENT UN MUSSOLINI OU UN HITLER. Les gouvernements soi-disant démocratiques au service de la bourgeoisie ne reculent devant rien pour briser l'élan des ouvriers, pour leur enlever les armes seule garantie de leurs droits, pour les soumettre à la discipline aveugle de l'exploitation capitaliste et à la discipline meurtrière de la guerre impérialiste.

Ce sont ces vérités fondamentales que les chefs staliniens s'évertuent à cacher, car elles démasquent leur politique de trahison à l'égard des exploités.

En effet, qu'ont fait les alliés "démocratiques" des staliniens, en Belgique et en Grèce ? En Belgique, Pierlot dont les staliniens se sont fait les garants devant les masses en participant à son premier Ministère, a mené l'attaque appuyé sur la "démocratie" et au nom de la "démocratie". Les sommets démocratiques de ce qu'on appelle la Résistance ont soutenu Pierlot et son action anti-démocratique. La Résistance a ainsi prouvé sa nature contradictoire : en bas, les masses luttant contre l'exploitation, en haut les partisans de l'impérialisme allié faisant dévier la lutte anti-impérialiste des masses en une lutte impérialiste pro-alliée. Le regroupement politique de la "démocratie" officielle contre les masses travailleuses s'est fait avec le même ensemble que celui de la "démocratie" du Front Populaire, de Daladier à Blum, se tournant contre la classe ouvrière (1939-1940) sous prétexte de lutter contre le PC. En Grèce même regroupement des forces : tandis que toute la politique des staliniens consiste à vouloir contraindre Papandréou à maintenir "l'unité démocratique", TOUTE LA "DEMOCRATIE" OFFICIELLE EST DU COTE DE LA REPRESSION, du côté gouvernemental, qui utilise les bandes fascistes armées sous l'occupation allemande, et le général Zervas, général de la Résistance, commande ses troupes contre les ELAS.


Les staliniens ont prêché aux ouvriers la renonciation à leurs revendications qui provoquent – répètent-ils après les capitalistes – le fascisme, pour sauver au moins la démocratie. Les travailleurs ont attendu patiemment les "libérateurs" pour lesquels ils ont versé leur sang, ils ont renoncé à lutter pour leur propre cause, pour se contenter de la démocratie, c'est-à-dire d'un minimum de bien-être et de liberté. Quelle a été l'œuvre des "libérateurs" alliés et des "démocrates" au pouvoir ? Comme le disait le chef stalinien Marty lui-même, dans les territoires "libérés" "nulle part, rien n'a été changé dans aucun domaine". Les instruments de répression créés par les gouvernements soutenus par les Allemands, sont utilisés tels quels par les gouvernements "démocratiques" ; si en Grèce il s'agissait d'une nécessité pressante, en France c'est par mesure de prévoyance que De Gaulle "transforme les G.M.R. (troupes de répression de Vichy) en G.R.S. – groupes républicains de sécurité (sic).

N'avions-nous pas raison d'écrire (au moment du débarquement) : "...les masses ont subi dans cette guerre tous les plans des impérialistes. Toutes les cliques politiques à leur service nous ont bercés tour à tour de promesses. Mais les travailleurs savent ce que deviennent ces promesses chaque fois qu'ils aident un clan bourgeois contre l'autre : DE LA MITRAILLE POUR LES OPPRIMES QUI RECLAMENT LEUR DROIT A LA VIE".

A propos de l'attitude des staliniens en Belgique, Le Populaire du 6/12 écrit : "Les communistes posent comme condition de leur appui au cabinet Pierlot qu'il n'y aura pas de bloc de puissances occidentales en Europe". Nous avons ici l'explication pourquoi les staliniens, contrairement à ce qu'ils ont fait en Belgique et en Grèce, continuent à participer en France à un gouvernement qui ne se distingue en rien de celui d'un Pierlot ou d'un Papandréou.

Supposons cependant que De Gaulle ne complote pas contre les masses populaires : qu'il ne se fasse pas le paravent derrière lequel se préparent les forces de répression capitalistes, fascistes et autres ; supposons que par l'armée et la police, il veuille seulement maintenir "l'ordre". Cependant comme les 200 familles (grâce à la politique "démocrate" des staliniens) n'ont pas été expropriées, la source du fascisme reste vivante ; tous les jours nous avons la preuve, entre autres par les attentats qui se multiplient, que les bandes anti-ouvrières sont à l'œuvre. Et le gouvernement, même s'il n'est pas complice de cette activité, ne peut en tout cas pas la réprimer car elle est dirigée par les capitalistes, maîtres de l'administration et de tous les leviers de commande économiques. La classe ouvrière exaspérée peut d'un jour à l'autre riposter à ces attaques et descendre dans la rue – comme cela a été fait par l'unanimité du prolétariat le 12 février 1934, à la suite du 6 février. Mais dans un conflit ouvert, où les masses entreraient en lutte directement par leurs propres moyens, celles-ci seraient aux yeux du général De Gaulle, défenseur de "l'ordre", une "foule désordonnée" (voir Churchill) contre laquelle devraient se liguer tous les représentants de la bourgeoisie (en premier lieu le gouvernement et l'Etat-major allié).


Le capitalisme britannique, appuyé sur les gouvernements collaborateurs Pierlot et Papandréou, mène l'attaque en Belgique et en Grèce dans le but de s'assurer, en matant toute opposition politique dans ces pays, des positions stratégiques sur le Continent ("bloc occidental" contre l'URSS). La "neutralité" américaine n'est que la volonté de Roosevelt d'intervenir comme arbitre dans le conflit.

Personne ne s'est élevé effectivement contre l'action de l'impérialisme anglais en Grèce. Cette action il la mène avec l'appui des chefs travaillistes, misérables social-patriotes qui protestent platoniquement, mais assurent Churchill de leur appui inconditionné jusqu'à la victoire, c'est-à-dire jusqu'au triomphe de l'impérialisme.Cependant il n'y a aucune différence entre l'impérialisme anglais et l'impérialisme allemand ; car il n'y a pas d'impérialisme "démocratique" et d'impérialisme fasciste, il n'y a que l'impérialisme, c'est-à-dire la nécessité pour les quelques vieux pays capitalistes à se disputer périodiquement leurs brigandages sur le dos des peuples. La démocratie, en Angleterre, signifie pour les travailleurs anglais le droit de décider toutes les quelques années quels représentants bourgeois les représenteront et opprimeront au Parlement (Marx). Mais les soldats britanniques, malgré l'étiquette démocratique, on le voit en Grèce, accomplissent la tâche commandée par l'Etat-major de la même façon que les soldats allemands. Est-ce qu'ils ont eu la possibilité de protester contre la tâche que leur a commandée Scobie ? Non. Ils sont enchaînés aussi solidement que les soldats allemands au corps des officiers et à l'Etat-major impérialiste, par la discipline militaire, c'est-à-dire les Cours martiales, et l'abrutissement des casernes. Ici comme partout il faut briser les chaînes idéologiques et matérielles qui font du soldat l'esclave du corps des officiers.

Et nous arrivons ainsi à la différence essentielle qui nous sépare nous, les internationalistes, des social-patriotes. Le 19 septembre Duclos dénonçait les Trotskystes comme les agents de l'impérialisme allemand, parce qu'ils mettaient "les Anglais et les Américains sur le même plan que les Boches" et qu'ils blâmaient "les patriotes s'appliquant à descendre les Allemands".

Nous étions contre l'assassinat des soldats allemands enchaînés à leur Etat-major. Nous étions pour une action qui devait unir les travailleurs français aux travailleurs-soldats allemands, pour briser précisément les chaînes matérielles et morales qui attachaient ces derniers à leur Etat-major. Les staliniens étaient pour la lutte sans distinction contre l'occupant, c'est-à-dire pour enchaîner tous ceux qui portaient l'uniforme allemand à la même nécessité de combattre en bloc le peuple français Les staliniens préconiseraient-ils aujourd'hui en Grèce qu'on descende tout Anglais qui combat le peuple grec ? Quant à nous, nous avons exposé plus haut notre conception : elle est de lutter pour l'union et la fraternisation de tous les travailleurs, quel que soit leur uniforme.

Aujourd'hui il est prouvé par les faits que les Trotskystes avaient raison d'identifier les Etats-majors de tous les pays ; l'Etat-major anglais ne diffère en rien de l'Etat-major allemand dans son attitude vis-à-vis des masses travailleuses. Les Trotskystes avaient raison et les chefs staliniens sont de vulgaires calomniateurs. "Les trotskystes", disaient-ils, "sont des agents de la Gestapo parce qu'ils sont contre les alliés". Voilà qu'aujourd'hui, le chef des alliés, Churchill, fort de l'investiture "démocratique" des staliniens, proclame : "Les éléments de l'ELAS (dirigés par les staliniens) qui nous combattent en Grèce sont dirigés par des Allemands".

Les staliniens sont des calomniateurs sans vergogne, mais les Trotskystes ont cent fois raison quand ils accusaient et accusent les staliniens d'être, malgré tous les coups de pied qu'ils en reçoivent, les agents vulgaires et méprisables de l'impérialisme "démocratique" allié.


Le conflit entre la "démocratie" impérialiste et les masses travailleuses en Belgique et surtout en Grèce, quelles qu'en soient les péripéties immédiates, a déjà une signification révolutionnaire décisive dans la marche de la guerre civile qui, comme la guerre, est engendrée constamment par l'impérialisme : ce conflit déchire le voile idéologique ("démocratie contre fascisme") dont se couvrent les brigands capitalistes pour entraîner les masses sur les champs de bataille.

L'influence de ce conflit ne se limite pas au camp "démocratique" : les travailleurs allemands verront aussi que les peuples d'Europe ne sont pas "anti-boches", mais anti-impérialistes. "L'anti-bochisme n'est qu'une marchandise impérialiste alliée" : les peuples d'Europe qui ont combattu ou qui combattent l'occupation impérialiste allemande, quelles que soient les formules imposées par leurs dirigeants, ne veulent en réalité que se débarrasser de toute exploitation, de toute oppression. "L'Allemagne seule", argument suprême des dirigeants allemands pour la poursuite de la guerre, apparaîtra dès lors aux travailleurs allemands comme une conséquence des relations impérialistes entre les peuples.

Mais si les peuples montrent qu'ils veulent lutter contre le monde impérialiste lui-même, c'est-à-dire gagner la liberté, le pain et la paix contre tous les exploiteurs, dès lors leur union devient, d'une possibilité, un fait déjà existant.

C'est à l'activité révolutionnaire consciente, à la IVème Internationale, d'utiliser ce fait pour mener à la victoire socialiste. Quelle que soit notre faiblesse, les événements travaillent pour nous. Dans la lutte décisive contre l'exploitation barbare et la guerre impérialiste, nous nous renforcerons (et nous nous renforçons déjà), si nous savons exprimer dans notre politique, non pas l'hésitation devant la politique des Partis officiels, mais l'intransigeance et le radicalisme des masses les plus profondes.

Les masses sont cent fois plus à gauche que leurs dirigeants, disait Lénine. Et les travailleurs de Grèce le prouvent effectivement, car ils n'ont pas un instant hésité à combattre les alliés "démocratiques", quand ceux-ci ont montré leur véritable visage.

Dévoiler aux masses, envers et contre tous, le véritable visage de l'impérialisme et de ses serviteurs social-patriotes, être avec elles jusqu'au bout dans la lutte, voilà la tâche des véritables révolutionnaires.

A eux appartient l'avenir, dussent-ils le "payer" des plus grands sacrifices.

En avant avec la IVème Internationale !


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