1947

PRIX : 3 francs – 10 SEPTEMBRE 1947
L'EMANCIPATION DES TRAVAILLEURS SERA L'ŒUVRE DES TRAVAILLEURS EUX-MÊMES
La Voix des Travailleurs Renault


La Voix des Travailleurs Renault nº 18

Barta

10 septembre 1947


Format MS Word/RTF Format Acrobat/PDF Téléchargement fichier zip (compressé)
Cliquer sur le format de contenu désiré

DIRIGISME «D'EN HAUT» ET DIRIGISME «D'EN BAS»

Les grèves ne font pas pousser le blé. Sur ce thème, c'est un cri unanime qui s'élève parmi les représentants de ceux qui mangent, parce qu'ils ne travaillent pas, des brioches, faute de pain blanc !

Ne faites pas de grèves pour les salaires, nous disaient-ils, cela fait monter les prix... Ne faites pas de grèves pour le pain, cela ne peut qu'aggraver la situation alimentaire au lieu de l'améliorer, répètent-ils.

Que faire ? Ne faites rien ! Continuez à travailler de plus en plus vite (au rendement), avec un salaire de plus en plus bas (grâce à la planche à billets gouvernementale) et vers 1955, avec l'aide de l'Amérique, cela ira peut-être mieux ! "Peut-être", car entre-temps une nouvelle guerre atomique pourrait bien nous délivrer de tous les soucis dont nous sommes accablés dans cette vallée de larmes capitaliste !

Cependant, depuis trois années que cela dure, les travailleurs ne sont plus du tout disposés à faire confiance aux dirigeants capitalistes et à leur Etat.

Leur expérience les a convaincus que malgré les changements de gouvernement et les promesses, le régime économique sous lequel nous vivons n'est pas autre que celui de Daladier et de Pétain. Les nationalisations signées De Gaulle n'ont pas apporté aux masses plus que les "Comités économiques" de Vichy. C'est toujours le même dirigisme, le dirigisme étatique d'en haut qui aide la bourgeoisie à exploiter et à piller les masses d'une façon totale.

C'est pourquoi les travailleurs ne se bornent plus à réclamer contre la vie chère et à faire grève pour l'augmentation des salaires ; ils interviennent de plus en plus directement pour orienter les produits du travail vers les consommateurs, dont les détournent les capitalistes avec l'aide de l'Etat. Quelle est la signification de l'intervention des grévistes de Clermont-Ferrand, de Saint-Quentin, de Montbéliard dans l'établissement des prix et la répartition du ravitaillement, la signification de la saisie par les ouvriers dans l'Oise des pommes de terre des spéculateurs ?

Au "dirigisme" d'en haut, les travailleurs opposent le "dirigisme" d'en bas pour la répartition démocratique des produits !

Voilà pourquoi les Tartuffes des journaux bourgeois poussent des hauts cris contre les ouvriers de l'Oise et d'ailleurs.

Si la grève ne peut pas "faire pousser le blé", elle est le seul moyen de pression des travailleurs pour s'opposer au dirigisme antidémocratique "d'en haut" en faveur des riches.

Maintenant il s'agit de mener la lutte pour le dirigisme "d'en bas", jusqu'au bout.

Car il ne suffit pas de contrôler les prix dans les boutiques, d'arrêter quelques camions de pommes de terre, de s'opposer à l'exportation pour l'étranger de quelques péniches de produits d'alimentation. Cela ne suffira pas à écarter la perspective de la famine.

Il faut imposer le contrôle permanent du ravitaillement par des comités d'ouvriers et de ménagères, il faut imposer, avec la taxation des riches, la fin de la guerre d'Indochine et la réduction immédiate du budget de guerre d'au moins de moitié, un plan de production et de distribution qui tienne compte des besoins des masses travailleuses et non pas des besoins d'exportation des capitalistes !

Si les grèves ne font pas pousser le blé, le plan de production imposé par les travailleurs, en fournissant suffisamment de tracteurs, d'engrais, etc. aux paysans, serait, lui, capable de le faire.

Bien sûr que pour les riches ceci est de la démagogie, une chose irréalisable. Le réalisme, pour eux, c'est celui dont font preuve les dirigeants capitalistes qui ont mené le monde à la famine, en attendant la guerre atomique. Représentants d'un monde qui s'écroule, il est naturel qu'ils ne veuillent pas accepter un programme démocratique  dont la réalisation mettrait fin à leur domination incontrôlée. Mais pour les travailleurs, ce programme est non seulement réalisable, mais le seul qui puisse être réalisé, car leur sort en dépend entièrement.

C'est pourquoi ils prépareront la grève générale, seule capable de faire plier la volonté de la poignée de riches à la volonté des masses travailleuses.

LA VOIX DES TRAVAILLEURS


LA PRESSE QUI MENT...
LA PRESSE QUI TUE...

Au moment même où, suivant la méthode nazie, les militaristes anglais étouffent les cris des Juifs débarqués à coups de matraque de l'"Exodus" en déversant à l'aide de puissants haut-parleurs des flots de musique de jazz, on vient de découvrir à Paris un "complot" terroriste juif, que les journaux, avec de grands titres, présentent comme ayant visé à bombarder Londres.

Voilà ce qui vient juste à point et le rabbin Korf a fait exactement ce dont le gouvernement de Londres avait le plus besoin : il a organisé une puissante diversion pour détourner l'indignation de l'opinion publique contre les bourreaux et la transformer en indignation contre des "terroristes".

Est-il un agent de l'Intelligence Service, une dupe imbécile du fameux organisme policier anglais ? Quoi qu'il en soit, la provocation est claire : des conjurés voulaient soi-disant transporter des tracts en avion pour les jeter sur Londres, comme si ce n'était pas mille fois plus facile de les fabriquer en Angleterre même et les diffuser sur place ; les journaux parlent de projets de fabrication de bombes à la sciure de bois destinées à bombarder Londres, et dont on n'a pas trouvé un seul exemplaire ! Et c'est contre cela qu'on a soi-disant mobilisé la D.C.A. et l'aviation de Londres !

Chaque incident entre exploiteurs et exploités découvre toute l'étendue de la vilenie de la presse capitaliste, qui se moque de son public, et lui sert en première page, avec des titres sur toute la largeur, des histoires à dormir debout, au lieu de traiter des véritables questions qui préoccupent tout le monde : pourquoi n'a-t-on pas tenu les promesses de la guerre soi-disant démocratique ? Pourquoi la situation empire-t-elle de plus en plus malgré l'effort des ouvriers ? Pourquoi a-t-on versé tant de sang contre le nazisme, si ses procédés sont toujours en vigueur ?...

Aucune diversion ne détournera les travailleurs de la lutte contre les bourreaux : droit d'asile en France, en tant que travailleurs libres, pour les victimes de l'"Exodus".


LA PAROLE EST AUX TRAVAILLEURS

Lundi 8 septembre, une délégation du "Syndicat démocratique Renault" est allée proposer au "Comité d'entreprise" L'UNITE D'ACTION pour arracher à M. Lefaucheux les 11% SUR LE SALAIRE REEL PAYE A L'HEURE ACTUELLE aux ouvriers de la Régie, AVEC RAPPEL DU MOIS DE JUILLET (date de la conclusion des accords C.G.T. et C.F.T.C. avec le patronat) et imposer L'OUVERTURE DES LIVRES DE COMPTES DE LA REGIE POUR FAIRE BAISSER LES PRIX DES VOITURES.

En effet, de l'aveu même de L'Humanité, les 28% d'augmentation que le gouvernement vient d'accorder aux fabricants d'automobiles sont INJUSTIFIES. Si la "baisse des prix" n'est pas une phrase vide pour les représentants de la C.G.T. et de la C.F.T.C., C'EST LE MOMENT OU JAMAIS D'INTERVENIR !

Les travailleurs liront en deuxième page, le compte rendu de l'entrevue et jugeront comme il convient, l'attitude de ces bureaucrates envers une délégation ouvrière de l'usine.

Mais quelles que soient leur attitude de parvenus et leur volonté de rester au service du patronat, pour les travailleurs le problème reste entier et, par conséquent, il doit être résolu, avec eux ou sans eux !

La délégation du S.D.R. avait proposé la forme de procédure suivante pour réaliser l'unité de TOUS les travailleurs de l'usine et LEUR CONTROLE sur TOUTES les organisations syndicales :  chaque organisation, C.G.T., C.F.T.C., S.D.R., etc., doit soumettre, dans des ASSEMBLEES GENERALES DE TOUS LES OUVRIERS, dans chaque département, aux travailleurs de l'usine, un PLAN D'ACTION. Et ce sont les ouvriers qui choisissent, à la MAJORITE, en même temps que le plan à suivre, les camarades chargés de diriger l'affaire avec l'obligation de faire des comptes rendus aux assemblées générales. Dans ces conditions, le S.D.R. s'engage à SE SOUMETTRE A LA DISCIPLINE DE L'ACTION VOULUE PAR LA MAJORITE DES OUVRIERS, à condition que les autres organisations prennent LE MEME ENGAGEMENT.

La parole est maintenant aux travailleurs de l'usine. Si les travailleurs de la Régie le veulent vraiment, L'UNITE SE FERA !

Elle se fera avec plus de peine et plus lentement que si les responsables de la C.G.T. et de la C.F.T.C. avaient accepté nos propositions DEMOCRATIQUES ; mais débarrassée d'eux, l'unité des travailleurs de l'usine pour un salaire décent ne sera que plus forte et définitive !

Pour attaquer la vie chère DES DEUX COTES A LA FOIS, en luttant pour le rajustement des salaires au niveau du prix de la vie et pour le contrôle des livres de comptes de la Régie (il faut, en effet, obtenir dans CHAQUE entreprise une baisse effective qui se répercutera sur l'ensemble des prix), le Syndicat démocratique Renault travaillera de toutes ses forces avec l'ensemble des travailleurs de l'usine.

"De toutes ses forces", ce ne sont pas, de la part du S.D.R., de vaines paroles. Que les travailleurs veuillent se souvenir qu'entrés les premiers en grève, les ouvriers du secteur Collas tinrent une semaine de plus pour arracher à la direction 1.600 francs de paiement des heures de grève pour tous les ouvriers de la Régie.

Mais la situation actuelle exige une volonté de lutte effective de TOUTE L'USINE. La lutte est dure, mais ce qui nous attend, si nous renonçons à la lutte, est bien pire. ASSEMBLEES GENERALES DANS TOUTE L'USINE pour décider D'UN PLAN D'ACTION et ELIRE UN COMITE D'USINE chargé de l'accomplir et de veiller à l'ensemble des intérêts des ouvriers.


L'OUVRIER DOIT AVOIR AUSSI LA POSSIBILITE D'EXERCER SES DROITS DE CITOYEN

par Pierre BOIS

Une question de la plus grande importance a été soulevée dans la dernière assemblée générale du S.D.R. Secteur Collas : celle de l'exercice du droit syndical.

La reconnaissance juridique du droit de se syndiquer, c'est-à-dire de se coaliser, de se réunir et de se concerter pour la défense de ses intérêts, est une des conquêtes les plus importantes imposées par la classe ouvrière à la législation bourgeoise.

Mais si ce droit est reconnu sur le papier dans le régime actuel, les conditions matérielles faites aux travailleurs les mettent presque dans l'impossibilité de l'exercer.

En principe, la semaine légale de travail est de 40 heures. Si cet horaire était respecté, il resterait à l'ouvrier plusieurs heures de loisir qu'il pourrait employer librement.

Or, les conditions de travail et les bas salaires imposent aux ouvriers actuellement des semaines de 60 heures et des journées de 10 heures de travail. Même si après 10 heures de travail, et avec la nourriture insuffisante qu'il reçoit, l'ouvrier trouve encore la force d'aller assister à sa réunion syndicale, peut-il encore trouver l'énergie nécessaire à l'effort d'attention, de réflexion et de discussion que demande la solution des problèmes qui se posent à lui ?

C'est grâce à ce régime que l'on a vu jusqu'à présent dans les réunions cégétistes les bureaucrates, ayant leur compte d'heures de sommeil et de loisirs, venir imposer des discours tranquillement préparés dans leurs bureaux, à des ouvriers sortant à peine du bruit assourdissant des machines et épuisés par le travail.

Les travailleurs se posent en ce moment des questions d'un intérêt vital immédiat : celle des salaires, celle du ravitaillement, des prix, de la production, etc. ; faut-il encore avoir le temps de s'en occuper pour pouvoir leur donner une réponse. Avec 12 heures de travail par jour, il est impossible à l'ouvrier d'exercer ses droits syndicaux.

Le patronat impose le régime des longues journées de travail, en grande partie justement pour enlever aux ouvriers la possibilité de mener une activité indépendante, d'élever leur niveau d'instruction et de réfléchir aux problèmes de leurs intérêts de classe.

Sur le papier, le bourgeois et l'ouvrier ont les mêmes droits démocratiques ; dans la réalité, le premier dispose d'argent, de locaux, de l'appui des forces publiques, de tout le temps nécessaire, alors que l'ouvrier doit user toute son énergie au profit d'autrui et n'est traité dans les faits qu'en citoyen diminué.

La Constitution reconnaît, avec d'autres droits démocratiques (droit de presse, de vote, de réunion, d'association), le droit syndical. Mais la reconnaissance d'un droit juridique pour les ouvriers n'est rien si les possibilités matérielles d'exercer ce droit ne leur sont pas données.

C'est en considération de ces faits que les ouvriers ont exigé dans la plupart des entreprises le droit de se réunir sur le lieu du travail, dans les locaux de l'usine ; dans certaines usines comme chez Panhard, Gnome, les ouvriers ont obtenu, pour les réunions syndicales, une heure par mois sur le temps de travail, payée par la direction. Le S.D.R. revendique, pour les ouvriers de notre usine également la possibilité de se réunir en assemblées générales de leurs syndicats, une heure par mois sur le temps de travail, cette heure étant payée au taux de la quinzaine par la direction. Bien que ce ne soit là qu'une compensation très insuffisante au manque de loisirs et au manque de moyens techniques mis à la disposition des travailleurs pour exercer leurs droits, le S.D.R. considère cette revendication comme une première démarche indispensable pour la défense du droit syndical.


AILLEURS LES OUVRIERS REAGISSENT COMME NOUS

Si notre attention est maintenant retenue par les manifestations qui se développent en province, mettant à l'ordre du jour la grève générale, il ne faut pas non plus perdre de vue ce que font les ouvriers dans les autres pays.

En Angleterre, depuis huit jours, 70.000 travailleurs du bassin houiller de Yorkshire sont en grève, compromettant l'application du "plan de détresse" du gouvernement et tenant en échec les bureaucrates des trade-unions.

Quelle est l'origine de ce mouvement ? Il y a trois semaines, 2.682 mineurs de la mine de Grimethorpe se mettaient en grève, refusant, comme on voulait le leur imposer, l'augmentation du rendement déjà suffisamment élevé.

En effet, il est officiellement reconnu que les conditions de travail dans les mines vétustes anglaises sont des plus pénibles ; chaque année le bilan se solde par 1.000 tués et 160.000 accidentés, et le temps perdu à cause des accidents équivaut au temps de travail intégral de 7.000 mineurs !

Le gouvernement, si soucieux, paraît-il, de la production, n'entama cependant pas de négociations pour aplanir le conflit de Grimethorpe. Ayant obtenu des bureaucrates syndicaux la déclaration qu'ils ne défendraient pas ces ouvriers – alors qu'ils sont payés par eux pour le faire ! – le gouvernement licencia en bloc les 2.682 grévistes. Cette mesure brutale n'était pas seulement une atteinte au droit de grève. Un haut-fonctionnaire du ministère de la Production houillère déclarait en même temps que ces mineurs n'auraient plus le droit de se faire embaucher dans d'autres branches d'industrie sans la permission du ministre du Travail et, s'ils pouvaient encore trouver du travail, ce ne serait que dans d'autres mines à des conditions inférieures ! Le ministre de la Production, Shinwell, parla de faire fermer plusieurs puits – ce qui équivaut à un véritable sabotage de la production – rien que pour "donner une leçon" aux ouvriers !

Le gouvernement capitaliste cherche à maintenir le bagne militaire qu'il avait instauré à la faveur de la guerre. Pour faire travailler les ouvriers dans ces conditions, les arguments de "persuasion" des bureaucrates syndicaux traîtres ne suffisent plus. Les mauvaises conditions de travail jointes au manque de main-d'oeuvre dans les principaux secteurs, font du militarisme le seul système applicable pour assurer les profits du capital financier dusse la production finalement en périr. Le "plan de détresse" anglais, comme le "plan de relèvement" français, veut que la classe ouvrière accepte de se plier, d'une manière ou d'une autre, aux longues heures de travail et aux bas salaires.

Mais le gouvernement anglais n'avait pas compté avec la réponse de la classe ouvrière : la "leçon" qu'il voulait lui donner par le licenciement des grévistes de Grimethorpe a entraîné le mouvement de protestation de 70.000 grévistes. Leur attitude énergique n'a flanché ni devant le déchaînement de la propagande bourgeoise dans toute la presse, à la radio, etc., ni devant l'opposition des leaders des syndicats. Les mineurs ont tenu bon parce qu'ils savent leur attitude pleinement justifiée ; depuis trois ans, ils se sont convaincus de ce que valent les slogans de la "production", les "nationalisations", la politique des "socialistes" du gouvernement bourgeois et celle des bureaucrates ouvriers "pourris" : stagnation au lieu de relèvement, armements au lieu de reconstruction, misère accrue au lieu d'un peu plus de bien-être. Les solutions sont à chercher maintenant dans l'action ouvrière elle-même.

En Belgique, 10.000 sidérurgistes viennent de se mettre en grève pour une augmentation de salaires.


REFLEXIONS D'UN OUVRIER SUR LE CONTROLE OUVRIER

La vie augmente chaque jour et nous constatons que de plus en plus nous ne pouvons pas y arriver. Et pourtant depuis trois ans on produit, on crée des richesses.

Bien souvent des ouvriers ont pu constater qu'à la campagne les paysans pauvres, même s'ils ont de nombreuses difficultés, se débrouillent mieux que nous.

C'est qu'en fait le paysan, même s'il dépend dans une très large mesure des trusts, des cartels et de la politique financière du gouvernement, a un certain contrôle sur ce qu'il produit. Ses légumes, ses cochons il les vend à un prix qu'il établit à peu près en fonction du coût de la vie. En quelque sorte, il applique l'échelle mobile.

D'autre part, il produit ce qui lui rapporte. Si un produit se vend trop bon marché, il n'en cultive pas. On l'a bien vu pour le blé. Ou bien il attend que les prix soient meilleurs pour vendre sa camelote. Donc, sans parler des gros propriétaires qui font la pluie et le beau temps du marché, le petit producteur, de même du reste que le petit artisan, bien que pressurés d'impôts et brimés par les grosses entreprises, du fait même qu'ils ont un certain contrôle sur le produit de leur travail, actuellement se débrouillent mieux que l'ouvrier.

C'est que ce dernier n'a aucun contrôle sur le produit de son travail. Dès qu'il a terminé un travail, on lui remet une certaine somme d'argent pour lui permettre de manger (très mal), qu'on appelle son salaire. Mais il n'a plus aucun droit sur ce qu'il a fabriqué. Le produit de son travail appartient à son patron, c'est-à-dire à celui qui est propriétaire de la machine et des ateliers que le travailleur a utilisés pour fabriquer son objet.

Or, si les ouvriers sont assez forts et assez intelligents pour fabriquer toutes les richesses d'une nation, pourquoi seraient-ils inaptes à répartir à leur gré le produit de leur travail ? Et pourquoi ne revendiqueraient-ils pas le droit de bénéficier du fruit de leurs efforts ?

C'est ce que les ouvriers les plus conscients réclament lorsqu'ils revendiquent le contrôle ouvrier.

Certains prétendent que les ouvriers sont incapables d'assurer le contrôle de leur production.

Comme si des gens qui sont capables de fabriquer des milliards de richesses étaient incapables de contrôler leur répartition !

C'est comme un boulanger qui aurait fait du pain et serait incapable de se tailler une tartine.


Le département pourri

Depuis quelques semaines, la situation s'aggrave de plus en plus pour les travailleurs. Au L.M.T., les ouvriers qui ne se nourrissent pas de promesses attendent avec impatience une action décisive de la C.G.T. La section syndicale, qui sent la température monter, s'inquiète et a fini par trouver une solution : reconnaissant s'être détachée de la base, elle va réorganiser la C.E. Cette décision est annoncée la veille du collectage.

Toute patience a ses limites. La réorganisation de la C.E. ne suffit pas. Vendredi dernier, la majorité du département 473 refuse de prendre le timbre.

Que les ouvriers critiquent ? On réorganise la C.E. Mais si, après cela, ils refusent, par-dessus le marché, de prendre leur timbre, alors c'est une provocation fomentée par des diviseurs ! Telle fut la déclaration d'un membre du P.C.F. qui accusait une ouvrière, ayant passé La Voix des Travailleurs à plusieurs de ses camarades, de pourrir complètement un département déjà à moitié pourri et d'empêcher les ouvriers de prendre leur timbre.

Pour ce monsieur, les ouvriers ne sont évidemment que des imbéciles que l'on persuade de prendre ou de ne pas prendre leur timbre suivant que l'on est plus ou moins habile.

Cependant, au 473, Le Métallo circule bien davantage que La Voix et les ouvriers sont constamment abreuvés de tracts du P.C.F. Comment peuvent-ils donc se pourrir sous l'influence d'éléments fâcheux ? Pourquoi les éléments "sains" qui abondent dans le secteur ne sont-ils pas capables de les en préserver ? Ce sont là des questions que nos démocrates à sens unique ne se posent jamais. Ils veulent se rapprocher de la base ? Mais que les ouvriers émettent des opinions qui ne sont pas les leurs, ils les traitent de pourris. Ce qu'ils veulent, en réalité, c'est faire accepter à la base toutes les décisions du sommet.

Des pourris, au 473 ? Il y en a, c'est certain. Mais les ouvriers commencent à se détacher d'eux : ils ne prennent plus leur timbre !

UNE OUVRIERE DU L.M.T.


Monsieur De Gaulle partisan, lui aussi, des "primes au rendement"

Dans son discours de Bayonne, le 7 septembre, De Gaulle a lâché, entre ses autres "idées sociales" : pour sauver la France, il faut intéresser les ouvriers au rendement ! Voilà ce qui va lui assurer l'appui du patronat ; car la prime au rendement, par le surtravail que s'impose le travailleur pour arrondir son salaire de quelques miettes, rapporte au patron des superbénéfices.

Au moment de la grève, on s'en souvient, les Frachon et Jouhaux, les Daniel Mayer et Thorez se sont opposés de toutes leurs forces à notre revendication d'augmentation de 10 francs sur le taux de base, en lui opposant la "prime au rendement"...

"La lutte contre la réaction", on le voit, c'est très bien quand il s'agit de sauver leurs places, menacées par le nouveau Pétain. Mais quand il s'agit de la peine de l'ouvrier, ils sont tous d'accord : rendement ! Rendement ! Autrement dit : Suez ! Suez !

"Associer" les ouvriers au rendement de l'usine, c'est "associer" le cheval au cavalier. Les travailleurs imposeront un salaire décent pour un travail décent !


SURTRAVAIL ET SURPROFIT

La S.N.C.F. vient de publier son bilan d'activité pour 1946. Il s'avère qu'elle a transporté un nombre de voyageurs supérieur de 53% à celui de 1938 et un tonnage de marchandises supérieur de 29%.

Ce travail accru a été effectué par un personnel réduit : les effectifs sont passés de 515.000 agents fournissant, en 1938, une moyenne de 1.928 heures de travail annuel à 480.000 agents assurant au 1er juillet 1947, une moyenne de 2.330 heures de travail annuel.

De semblables bilans se retrouvent dans toutes les branches de l'économie. Alors que la reprise d'activité devrait permettre une amélioration de la situation des travailleurs, ils subissent au contraire la surexploitation qui permet aux capitalistes d'accroître leurs profits en obtenant toujours plus de travail de l'ouvrier pour un même salaire (par le système des heures supplémentaires, de l'augmentation du rendement, etc.) Voilà la bonne manière de s'enrichir doublement en minant la santé de l'ouvrier.

Si les travailleurs imposaient le retour aux 40 heures sur la base d'un salaire décent, l'économie du pays ne s'en porterait que mieux.


DANS L'USINE


LE COMITE D'ENTREPRISE RIVALISE DE MORGUE AVEC M. DUTEN

"Il vaut mieux avoir à faire au maître qu'au valet", enseigne un dicton populaire. C'est ce que vient, une fois de plus, confirmer la démarche faite par la délégation du S.D.R. auprès du Comité d'Entreprise pour les 11% et la baisse des prix (voir article en première page). Si, pour le fond, la direction ne cède rien aux ouvriers à moins d'avoir le couteau sur la gorge, dans la forme, au moins, elle se départit rarement d'un minimum de politesse. Mais le citoyen Cazenave, du Comité d'Entreprise, mesure probablement son élévation sociale à la grossièreté qu'il est capable de montrer vis-à-vis de ceux qu'il considère comme ses inférieurs : les ouvriers.

D'abord, la délégation du S.D.R. dut faire une heure d'antichambre, bien qu'on ne puisse pas dire que ces messieurs soient débordés de travail. Après l'attente, l'interrogatoire : "Avez-vous un bon pour circuler dans l'usine ?... NOUS ne recevons pas de délégations, NOUS ne recevons que des ouvriers individuellement..." Quant au motif de la visite : les 11%, la baisse des prix ? la délégation obtient une réponse que M. Lefaucheux lui-même n'a pas encore osé faire : "Retournez aux machines, au lieu de venir en délégation, voilà ce qui fera baisser les prix."

Cet accueil et cette réponse se passent de commentaires. Ajoutons seulement qu'à la question : Pourquoi la commission des cantines refuse-t-elle de montrer les factures ? il n'y eut pas de réponse. A la question : Pourquoi est-ce toujours M. Blanchard qui est gérant des cantines, puisqu'il n'a pas été réélu ux dernières élections ? encore une fois mutisme absolu.

Que le citoyen Cazenave traite la délégation du S.D.R. du haut de son mépris, il n'y a à cela rien d'étonnant : c'est le traitement que ces messieurs appliquent à tous les ouvriers qui ne sont pas "dans la ligne".


CHRONOMETRAGES

A l'assemblée générale du Syndicat Démocratique Renault, les ouvriers présents décidèrent de ne plus accepter les chronométrages au secteur Collas. Depuis que la C.G.T. a demandé la révision des chronométrages, en effet, la révision des temps se traduit dans presque chaque cas par une diminution des temps. Bien sûr, les chronométreurs "allongent" les anciens temps, temps que d'ailleurs la direction reconnaît comme ayant été établis "en dépit du bon sens". Mais si ces temps établis "en dépit du bon sens" son rallongés, les temps véritables, c'est-à-dire augmentés des suppléments accordés par les contremaîtres en accord avec les services de chronométrage, eux, sont diminués.

>C'est pourquoi les ouvriers de Collas ont pris la décision de refuser les chronos. Car les nouveaux temps sont faits sur une base de 100 et il est certain qu'en livrant à 100%, un ouvrier ne peut pas vivre puisque cela représente 37 francs de l'heure.

Avec les chronométrages anciens "pris en dépit du bon sens", si de nombreux ouvriers avaient des temps trop courts qui nécessitaient des suppléments, accordés par bons chamois, certains autres pouvaient arriver à crever le plafond, car la méthode du chronométrage étant assez simple, le temps alloué était surtout fonction de ce que l'ouvrier à qui l'on avait pris le temps avait su se débrouiller. Avec la nouvelle méthode de chronométrage, beaucoup plus rationnelle (l'organisation scientifique du travail, dont le créateur est l'Américain Taylor, a fait des progrès et trouve toujours de nouveaux systèmes pour extorquer aux travailleurs le maximum de labeur), il y a beaucoup moins de chance pour l'ouvrier de "rouler le chrono". Ce qui fait que lorsqu'un temps est établi à 100% il est très difficile de réaliser plus de 115%.

Comme disait le chef du département 6 : "Que les prix soient insuffisants, je l'admets, mais les temps sont bons, mais un temps est établi à 100% et celui qui réalise 120% je lui tire mon chapeau."

Dès le lendemain de l'assemblée générale du S.D.R., les ouvriers ont fait opposition aux services de chronométrages en priant les chronométreurs de se retirer. Après plusieurs incidents, le chef du département 6 invite les ouvriers à laisser les chronométreurs faire le travail, le justifiant ainsi : "Les temps qui existent ne valent rien. Il y a 45.000 gammes à réviser selon la nouvelle méthode. Cela nous donnera une base solide pour définir les temps : mais ce travail est très long. Les temps chronométrés ne seront pas appliqués immédiatement car la direction sait fort bien qu'en réalisant 100% un ouvrier ne peut pas vivre. Mais un coefficient sera appliqué à ces temps et en attendant que ce coefficient soit déterminé les contremaîtres sont autorisés à délivrer des suppléments par bons chamois."

En fait, avant l'action des ouvriers contre les chronos, on donnait les nouveaux temps sans rien dire. Si les ouvriers lésés forçaient la cadence pour réaliser malgré tout leur paye, c'était autant de gagné pour la direction. A ceux qui protestaient, on délivrait des bons chamois. Or, depuis l'action de jeudi, la direction a pris officiellement position en déclarant qu'un coefficient serait appliqué aux temps chronométrés (cette décision était prise, nous a-t-on dit, depuis 48 heures, ce qui prouve qu'auparavant rien de précis n'était établi et que si les ouvriers n'avaient rien dit, on aurait continué à leur faire admettre les nouveaux chronométrages).

Mais comme le coefficient promis n'était pas fixé, prévenant les heurts qui pourraient se produire si le coefficient annoncé se révélait insuffisant (ce qui sera certainement le cas), la direction a fait savoir qu'au cas où les nouveaux temps augmentés du coefficient seraient trop courts, les bons chamois continueraient à fonctionner.

Cela prouve que sans action ouvrière, les nouveaux temps nous auraient été imposés. La direction a donc fait un recul en accordant un coefficient et les bons chamois. Mais tant que les ouvriers ne seront pas assez conscients ni assez forts pour imposer la suppression du travail au rendement, ils seront toujours à la merci d'une offensive patronale sur le chronométrage.

Ce n'est donc qu'en maintenant en permanence leur vigilance qu'ils pourront se défendre contre la réduction des temps.


CONSEILS PRATIQUES AUX OUVRIERS (S.D.R.)

Les temps établis actuellement sont établis sur la base de 100%. Les ouvriers ne doivent donc pas essayer de les réaliser "à tout prix" pour maintenir leur salaire.

Nous recommandons aux camarades de continuer à travailler comme par le passé.

Si on veut leur imposer un surcroît de travail sous prétexte que les nouveaux temps sont plus courts, ils doivent s'y refuser.

Les temps fixés actuellement d'après une méthode très rationnelle ne sont qu'une base de chronométrage et non des temps définitifs.

Chaque ouvrier à qui l'on fournit le nouveau temps doit exiger l'application du coefficient et en attendant que soit fixé ce coefficient exiger un bon de supplément (bon chamois).

Si en appliquant le coefficient au nouveau temps l'ouvrier se trouvé lésé, il doit faire analyser son temps par son chef en se faisant appuyer par son délégué. Les militants du Syndicat Démocratique Renault sont à la disposition de tous les ouvriers qui désireraient des renseignements ou une aide pratique pour faire valoir leurs droits.

Nous recommandons également à tous les ouvriers de faire valoir leurs droits aux bons jaunes. Le nettoyage de la machine en fin de semaine, la vidange des bacs, les courroies qui sautent, les arrêts de courant, le temps perdu pour toute avarie de machine ne doivent pas se traduire par une perte de temps. Tous ces arrêts ne sont pas compris dans la gamme de chronométrage. Les ouvriers doivent demander à leur régleur qu'il leur fasse délivrer un bon jaune pour le temps ainsi perdu. Le temps est payé au taux réalisé dans la quinzaine. Nous savons que les contremaîtres se font tirer l'oreille pour délivrer les bons jaunes. Mais les ouvriers doivent les exiger en allant les réclamer eux-mêmes au contremaître et si c'est nécessaire au chef d'atelier ou même de département et, si besoin, en se faisant appuyer par leur délégué.


ET L'HYGIENE ?

A l'atelier 5, depuis de longs mois, les ouvriers avaient déposé, par l'intermédiaire de leurs délégués, une revendication portant sur l'ouverture d'une fenêtre.

Cet été, l'on a construit des bureaux dans ce coin de l'atelier et on a ouvert de larges fenêtres à gauche du bureau et dans le bureau lui-même. Mais là où sont les fours, on a tout simplement oublié de percer les fenêtres.

Dernièrement, les ouvriers de ce secteur ont dû travailler avec 67° de chaleur dans la poussière sans un brin d'air. Certains se sont plaint et ont protesté.

Après avoir voulu faire intervenir le service d'hygiène et de sécurité, il leur fut répondu qu'on leur ferait passer une visite et que, s'ils étaient malades, on ferait une fenêtre, sinon...

Ainsi, il faut que des ouvriers payent de leur santé pour que l'on consente à respecter les plus élémentaires mesures d'hygiène.

L'ouvrier qui nous relatait le fait disait : "Je n'étais pas là quand ils ont répondu aux copains, sinon je leur aurais demandé si tous ceux qui sont dans le bureau sont des poitrinaires."

En attendant, un ouvrier, incommodé soit par des émanations de gaz, soit par le manque d'air, a dû se faire porter malade.


LES ACOMPTES

Par de nombreux camarades nous avons été avisés que la direction refusait les acomptes.

Plus la vie devient difficile et moins les ouvriers peuvent joindre les deux bouts, c'est-à-dire attendre la paie de la quinzaine.

Devant les demandes de plus en plus nombreuses d'acomptes, la direction a donné des ordres pour y mettre un frein, les acomptes entraînant un supplément de travail pour les services de comptabilité.

Nous rappelons aux camarades que légalement la direction doit donner des acomptes.

S'ils ont besoin d'argent, ils ne doivent donc pas hésiter à faire valoir leurs droits.

La direction n'a qu'à payer un peu mieux son personnel, elle aura moins d'ennuis avec les acomptes.


4 DOUCHES POUR 1200 OUVRIERS

Après 10 heures données au patron, les ouvriers, pleins d'huile, de poussière, n'ont même pas la possibilité de prendre une douche.

Au secteur Collas, 4 douches pour 1.200 ouvriers et encore celles-ci sont réservées aux ouvriers de l'atelier 5 qui travaillent dans une atmosphère étouffante de chaleur, de gaz et de cyanure, et en principe les autres doivent rentrer chez eux avec la saleté de l'usine.

Un ouvrier de l'A.O.C. disait qu'il travaillait une heure de plus, car ainsi, à 7 heures, il pouvait prendre sa douche.

Aux fonderies, dont les conditions terribles de travail sont "célèbres", pour près de 2.000 ouvriers, il y a une cinquantaine de douches (1 douche pour 40 ouvriers) et là, à plus forte raison, recommence la queue aux douches, ce qui fait parti l'ouvrier de l'usine à 7 heures au lieu de 6 heures.

On peut voir quatre hommes sous une même douche dans une hygiène et une promiscuité déplorables. Pour partir à l'heure, certains ouvriers quittaient 5 à 10 minutes avant pour se précipiter aux douches. Mais la chiourme patronale est là pour veiller à ce que les ouvriers qui ont fait leur production n'escamotent pas 5 minutes de présence et soient obligés de rester une heure de plus. Les chefs se postent en sentinelle à la porte pour prendre en "flagrant délit" les ouvriers qui quittent avant l'heure et mettent 1 heure en bas pour 5 minutes perdues.

Il est évident que ce n'est pas la perte de 5 minutes de temps qu'ils cherchent à rattraper, car pour faire cette police eux-mêmes ils font ralentir l'ensemble du travail.

Ce petit fait entre mille montre bien que ce qui importe par-dessus tout aux capitalistes, c'est de maintenir la classe ouvrière dans un état de fatigue et d'abrutissement qui la livre sans défense à toutes leurs entreprises.


Adresser toute correspondance, abonnements et mandats par poste à JEAN BOIS, 65, rue Carnot, Suresnes (Seine)
Rendez-vous de 18h à 20h : café-tabac «Le Terminus» 
angle r. Collas av. Edouard Vaillant. M° Pont-de Sèvres


Archives Trotsky Archives IV° Internationale
Précédent Haut de la page Suite Sommaire