1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

VII   Les libertés de la classe ouvrière et des paysans pauvres (Liberté de la parole et de la presse, d’association et de réunion, etc., dans la République des soviets.)

Maintenant que nous avons une dictature des ouvriers et paysans, dont le but est d’étrangler complètement la bourgeoisie, de lui enlever toute envie de tenter la restauration du pouvoir bourgeois, il est clair qu'il ne peut être question d’aucune grande liberté pour la bourgeoisie comme il ne peut être question de lui accorder le droit de vote ou de transformer le pouvoir des soviets en un parlement républicain bourgeois.

Le parti des communistes (bolchéviki) est accablé de tous côtés de cris furieux, quelquefois même de menaces : « Vous suspendez la presse, vous emprisonnez, vous interdisez des assemblées, vous foulez aux pieds la liberté de la parole et de la presse, vous restaurez l’autocratie, vous êtes des despotes et des assassins » et bien mieux encore. Cette question des libertés dans la République des soviets doit être plus minutieusement étudiée.

Prenons d'abord un exemple : Lorsqu’en mars de l'année dernière (1917) la révolution éclata, les ministres impériaux (Stürmer, Protopopof, etc.) furent emprisonnés. Quelqu’un y fit-il opposition ? Personne. Et pourtant ces emprisonnements comme tous les emprisonnements, étaient une atteinte à la liberté individuelle. Pourquoi cette atteinte fut-elle admise de chacun ? et pourquoi dit-on maintenant : « Oui. on devait faire ainsi ! » Simplement parce que c'était l'emprisonnement de contre-révolutionnaires dangereux. Pendant la révolution on doit plus que jamais penser au onzième commandement « Prend garde ! » si l’on ne tient pas les yeux ouverts, si on laisse aller librement tous les ennemis du peuple, et qu’on ne prévienne pas le mal, il ne reste plus rien de la révolution.

Encore un exemple : Au moment où les Stürmer et les Goremikin étaient emprisonnés, on suspendit la presse ultra-réactionnaire. C'était une atteinte ouverte à la liberté de la presse. Une telle atteinte à la liberté de la presse était-elle juste ? Naturellement, elle était juste. Et aucun homme raisonnable ne niera qu’on devait agir ainsi. Pourquoi ? De nouveau parce qu’on est en période révolutionnaire, une lutte à mort est engagée et l’on est obligé de désarmer l’ennemi. La presse est une arme.

Déjà avant la révolution d'octobre les sociétés ultra-réactionnaires de Kiev — le « double aigle » et quelques autres — ont été dissoutes. C'était une atteinte à la liberté d'association... C'était agir avec justice parce que la Révolution ne peut pas supporter la liberté des associations contre-révolutionnaires. Lorsque Korniloff marcha contre Petrograd, une bande de généraux commença de faire grève, refusant de donner suite aux ordres du gouvernement provisoire. Ils déclarèrent qu'ils soutenaient complètement Korniloff. Pouvait-on admettre un tel droit de grève des généraux ? Il est clair qu'on devait soumettre ces généraux ultra-réactionnaires aux peines les plus sévères.

De quoi est-il donc question ? Nous voyons qu’une atteinte à la liberté est nécessaire à l'égard des adversaires de la Révolution. Dans la Révolution, il ne peut y avoir aucune liberté pour les ennemis du peuple et de la Révolution. C’est la conclusion claire et irréfutable.

De mars à octobre, les mencheviki, les socialistes révolutionnaires de droite et la bourgeoisie ne se sont pas lamentés du fait qu’en mars il y ait eu une « usurpation violente », du fait que la liberté de la presse (ultra-réactionnaire) et la liberté de parole (ultra-réactionnaire), etc., aient été foulées aux pieds. Ils ne s'en sont pas lamentés parce que cela fut fait par Gutchkoff, Milioukoff, Rodsjanko, Tereschtschenko et leurs fidèles serviteurs, Kerenski et Tseretelli, qui en mars prirent le pouvoir.

En octobre, la situation changea. En octobre, les ouvriers s’élevèrent contre la bourgeoisie, qui s’était assise sur leur nuque en mars. En octobre, les paysans soutinrent les ouvriers. On comprend que la bourgeoisie devint l’ennemie furieuse de la révolution ouvrière et dans sa haine elle ne fut pas inférieure aux propriétaires fonciers. Tous les gros capitalistes s'unirent contre la classe ouvrière et les paysans pauvres. Tous se groupèrent autour du soi-disant « parti de la liberté populaire » (en réalité : « parti de la trahison populaire »), contre le peuple. Il est compréhensible aussi que les ennemis du peuple hurlèrent de toute leur rage, « brigands », « tyrans », etc., quand le peuple commença d’étouffer ses ennemis.

Il est maintenant clair aux ouvriers et paysans que le parti des communistes ne réclame aucune liberté (de la presse, de parole, de réunion ou d’association, etc.) pour les ennemis du peuple, pour les bourgeois. Au contraire. Il demande qu’on soit toujours prêt à suspendre la presse bourgeoise, à dissoudre leurs associations, à leur interdire de mentir, de calomnier et de semer la panique, à opprimer sans la moindre pitié toute tentative de retour au pouvoir. En cela consiste précisément la dictature du prolétariat.

Quand il est question de la presse, nous demandons d’abord de quelle presse on parle — de la presse bourgeoise ou de la presse ouvrière ; quand il est question d’assemblées, nous demandons de quelles assemblées — ouvrières ou contre-révolutionnaires ; quand on touche à la question des grèves, ce qui est le plus important pour nous, c'est de savoir s il s agit d’une grève ouvrière contre les capitalistes ou d’un sabotage de la bourgeoisie ou de l'Intelligence bourgeoise contre le prolétariat. Celui qui ne fait pas de différence entre ces choses n’y comprend rien. La presse, les assemblées, les associations, etc., sont des moyens de la lutte de classe ; pendant l'époque révolutionnaire, ce sont des armes de la guerre civile aussi bien que les dépôts d’armes, les mitrailleuses, la poudre et les bombes. Toute la question est : par quelle classe et contre quelle autre classe seront-elles dirigées ?

La révolution ouvrière ne peut accorder aucune liberté à Korniloff, Dutoff, Milioukoff, pour organiser une révolte contre les masses ouvrières. De même, elle ne peut remettre une entière liberté de presse, de parole, de réunion ou d'association aux bandes contre-révolutionnaires qui poursuivent leur politique avec la plus grande opiniâtreté et n'attendent qu’une occasion pour se ruer sur les ouvriers et les paysans.

Nous avons vu plus haut que les socialistes révolutionnaires de droite et les mencheviki ne sont soucieux que des votes de la bourgeoisie quand ils lancent le mot d’ordre de la Constituante. Quand ils tempêtent comme des sauvages contre l’abolition de toutes les libertés, il ne s’agit aussi que des libertés de la bourgeoisie. On ne doit pas toucher la presse bourgeoise, les meneurs bourgeois, les organisations bourgeoises contre-révolutionnaires ! Telle est en réalité la position de ces messieurs.

Mais on nous dit : Vous avez aussi suspendu les journaux des mencheviki et des socialistes-révolutionnaires ; le parti des communistes a aussi parfois frappé la personnalité d'hommes honorables qui furent emprisonnés sous le gouvernement du tsar. Qu'en, est-il de cette affaire ? Nous pouvons répondre à cette question par une autre question : Lorsque le socialiste- révolutionnaire de droite Goltz organisa un soulèvement des nobles et des officiers contre les soldats et les ouvriers, devait- on le caresser pour cela ? Quand le socialiste-révolutionnaire de droite Rudneff et son coreligionnaire politique, le colonel Riabzer, en octobre, armèrent la garde blanche de Moscou, les rejetons de la bourgeoisie, les propriétaires d’immeubles et autres petits junkers et la jeunesse légère du beau monde, quand ils tentèrent avec les officiers et les junkers d’écraser à l'aide de mitrailleuses et de noyer dans le sang la révolte des ouvriers et soldats, devait-on pour cela leur suspendre une décoration au cou ? Lorsque le journal menchevik « En Avant » (en réalité « En Arrière ! ») et le journal socialiste-révolutionnaire «Trud » firent croire aux ouvriers de Moscou au moment le plus chaud et le plus critique de la lutte, que Kerensky avait repris Pétrograde (ils le faisaient pour égarer la volonté des ouvriers), devait-on les louer pour de telles intrigues provocatrices ?

Que conclure ? Lorsque les social-traîtres et leurs organes commencent à servir la bourgeoisie avec empressement, au delà de toute mesure, lorsqu’ils cessent de se distinguer par leur conduite réelle, des excitateurs cadets ultra-réactionnaires, on peut et on doit les frapper des mêmes mesures que leurs chers bienfaiteurs. Il y a beaucoup de ces individus qui luttaient contre les tsars et les propriétaires fonciers, mais qui gémissent d’une voix lamentable, quand les ouvriers frappent les richesses de la bourgeoisie. Nous les remercions pour le passé, mais si, dans le présent, ils ne se distinguent en rien des ultra-réactionnaires, ils ne doivent pas gémir d'être traites comme eux.

Un frein est nécessaire à la bourgeoisie et à tous les ennemis du prolétariat et des paysans pauvres, mais la complète liberté de parole, de presse, d’association, etc., est garantie au prolétariat et aux paysans, pas en paroles seulement, mais en fait. Jamais, dans aucun État, il n'y a eu autant d'organisations d’ouvriers et de paysans que maintenant, sous le pouvoir des soviets. Jamais un État n'a aidé les nombreuses organisations ouvrières et paysannes, comme de nos jours le pouvoir des soviets. Cela vient du simple fait que le pouvoir des soviets est le pouvoir des ouvriers et des paysans et il n'y a aucun miracle qu’un tel pouvoir soutienne les organisations de la classe ouvrière, autant que cela est possible et qu'il y a pour cela des forces et des moyens. Nous le répétons, les communistes appliquent réellement ces libertés et ne se contentent pas de les annoncer au monde. Un petit exemple : La liberté de la presse ouvrière : Sous la pression de la classe ouvrière, la bourgeoisie peut aussi accorder une plus ou moins grande liberté à la presse ouvrière. Mais les ouvriers n'ont aucun moyen ; toutes les imprimeries sont aux mains des capitalistes qui ont tout acheté. L’ouvrier se promène avec sa liberté de la presse, il ne peut réaliser cette liberté sans argent et sans papier ! Les communistes se rendent chez messieurs les propriétaires d’imprimeries et de papier et leurs disent : L’État prolétarien confisque votre imprimerie, la déclare propriété de l’État ouvrier et paysan et la met à la disposition des camarades ouvriers.

Ils peuvent ainsi réaliser leur liberté de la presse ! Il va de foi que messieurs les capitalistes hurlent- On ne peut obtenir qu'ainsi la vraie liberté de la presse ouvrière.

On peut encore nous poser une question : Pourquoi les bolchéviki ne parlaient-ils pas auparavant de la suppression des libertés de la bourgeoisie ? Pourquoi étaient-ils eux-mêmes auparavant peur une république démocratique bourgeoise ? Pourquoi étaient-ils autrefois pour la Constituante et ne parlaient-ils pas de la suppression du droit de vote pour la bourgeoisie ? En un mot, pourquoi ont-ils maintenant changé de programme sur ces points ?

La réponse est très simple. La classe ouvrière n’avait encore aucune force pour se lancer directement à l’assaut de la forteresse capitaliste, elle avait besoin de préparation, d'accumulation des forces, d'éducation des masses, d’organisation.

Elle avait, par exemple, besoin de la liberté de la presse ouvrière, de sa presse, non de la presse de ses maîtres. Mais elle ne pouvait aller auprès des capitalistes et de leur pouvoir d’État et leur dire : « Messieurs les capitalistes, fermez vos journaux et éditez mes journaux, les journaux ouvriers ! » On se serait seulement moqué d'elle, parce qu'il est. grotesque de poser une telle revendication aux capitalistes, c'est leur demander de se couper en morceaux de leurs propres mains. On ne pose de telles revendications que lorsqu’on s’élance à l’assaut. Auparavant, il n'y avait pas une telle époque, c’est pourquoi la classe ouvrière (notre parti aussi) disait : « Vive la liberté de la presse ! » (pour toute la presse, aussi la presse bourgeoise !).

Un autre exemple . Il est clair que les associations capitalistes, celles qui chassent les ouvriers sur la rue et qui préparent les listes noires, sont très nuisibles à la classe ouvrière. Mais elle ne pouvait pas se présenter et dire : Supprimez vos associations et développez les nôtres. Pour cela, il fallait briser le pouvoir capitaliste, et les forces manquaient pour le faire. C’est pourquoi notre parti disait : « Nous réclamons la liberté d’association (en général, non seulement celle des ouvriers).

Maintenant, ces temps ont changé. Il ne s’agit plus de la longue préparation à la lutte ; nous vivons dans l’époque qui suit le combat, après la première grande victoire sur la bourgeoisie. Maintenant, un autre devoir s’impose à la classe ouvrière : Briser définitivement la résistance de la bourgeoisie. C'est pourquoi la classe ouvrière qui agit pour libérer toute l'humanité de la barbarie et de la terreur du capitalisme, est maintenant obligée de remplir jusqu’au bout ce devoir avec une ferme décision : Aucune indulgence à l'égard de la bourgeoisie, complète liberté et possibilité de réaliser cette liberté pour la classe ouvrière et les paysans pauvres.

Archives Boukharine
Sommaire Sommaire Haut Sommaire Suite Fin
Archives Internet des marxistes