1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

VIII. Les banques, propriété collective des travailleurs (La nationalisation des banques)

Nous avons vu que la cause de tout le mal de la société capitaliste provient de ce que tous les moyens de production appartiennent à la classe des propriétaires fonciers et des capitalistes.

Nous avons aussi vu que l'émancipation ne pouvait se faire, qu'en arrachant ces moyens de production des mains de la classe capitaliste (que ce soit des capitalistes isolés, des associations de capitalistes ou de l'État bourgeois) et en les remettant aux mains des classes travailleuses.

On ne peut le faire, et cela ne sera fait, que lorsque les ouvriers et paysans auront en mains cette arme puissante qu'est le pouvoir des travailleurs, le pouvoir des soviets.

On comprend qu'on ne peut avancer ici qu’en prenant d'abord au capital ses domaines les plus importants et les plus essentiels, ses meilleures forteresses économiques. Deuxièmement, il est nécessaire de commencer par ce qui est le plus facile, non seulement à prendre, mais aussi a organiser et a mettre sous contrôle ; on doit procéder de façon que la chose se réalise le plus facilement possible. Nous savons déjà que le devoir des ouvriers et des paysans pauvres n’est pas de tout prendre aux riches, de fourrer dans sa poche ce qui a été pris, de piller et de se répartir le butin, mais de créer une coopérative de production qui travaille d'après un plan et qui organise la production des produits et leur répartition.

Il s'ensuit que la classe ouvrière doit d'abord s'en tenir aux organismes qui existaient auparavant à l'usage des capitalistes, qu'elle doit les transformer à sa manière, les organiser de façon qu’ils ne servent plus les capitalistes, les propriétaires fonciers et les roués spéculateurs, mais le peuple travailleur.

C'est pourquoi notre parti pose celte revendication (qui est déjà réalisée) : La nationalisation des banques, c'est-à-dire la remise des banques aux mains de l’État des prolétaires et paysans.

On pense ordinairement que les banques n’ont de signification que par les monceaux d’or et les quantités de billets de banque et de valeurs qui reposent dans leurs caveaux et que c’est la raison pour laquelle les communistes étaient avides de s’emparer des banques. La réalité est tout autre.

Les banques actuelles ne sont pas seulement des sacs d'or. Elles sont beaucoup plus importantes : en particulier, les banques sont la tète, le sommet de l'organisation capitaliste qui règne sur l'industrie. Comment ? Voici : Les industriels-capitalistes gagnent des profits continuels et les capitaux leur coulent dans les mains comme un fleuve ininterrompu. Où le capitaliste met-il le profit obtenu ? Il en dévore une partie, la dissipe en bon vin et en bonne chère. L’autre partie, la plus grosse, il l’épargne pour agrandir son « affaire ». Mais il ne peut agrandir son affaire à tout instant, il ne le peut que lorsqu’il a épargné une somme suffisamment rondelette, quand il lui arrive une somme suffisante pour édifier par exemple une nouvelle aile de fabrique ou pour acheter de nouvelles machines. Aussi longtemps qu'il n'a pas cette somme, il met son capital en banque pour qu'il ne demeure pas inactif et que la banque lui bonifie un certain intérêt.

Ce capital reste-t-il en banque et y grandit-il de lui-même ? Naturellement pas !

La banque met ce capital en circulation. Elle fonde des entreprises propres et en reçoit de solides profits ou bien elle achète une partie des actions d’entreprises déjà existantes, ou d’entreprises qu'on est en train de créer. Ses actions lui rapportent des dividendes beaucoup plus élevés que ceux qu'elle paye à ses déposants.

Le surplus reste à la banque. Cet excédent s'accumule, est de nouveau mis en circulation et de cette manière le capital particulier de la banque grossit. Les banques, plus ce système dure, deviennent les véritables propriétaires des entreprises industrielles : elles possèdent complètement certaines entreprises, d’autres en partie seulement. L’expérience prouve qu'il suffit de posséder de 30 à 40 % de toutes les actions, pour dominer en fait toute l'entreprise. La réalité est telle. En Amérique, par exemple, deux banques dirigent et dominent toute l'industrie.

En Allemagne quatre banques tiennent en mains toute la vie économique du pays. Le même phénomène existe en partie en Russie. L'immense majorité des grosses entreprises russes sont des sociétés anonymes.

Les banques russes étaient propriétaires d’un très grand nombre d’actions de ces entreprises, les sociétés anonymes étaient donc en rapport étroit avec les banques et dépendaient complètement d’elles, elles étaient à leurs « ordres ». Puisque une banque dispose du sort de beaucoup d’entreprises industrielles, il est clair qu'une série de grandes banques est en réalité la plus haute administration de l'industrie, le point central ou se rencontrent tous les fils des différentes entreprises. C'est pourquoi la prise en possession des banques, leur expropriation des mains privées et leur remise à l’État ouvrier et paysan, ou, comme on dit : leur nationalisation, devient, pour la classe ouvrière, la nécessité primordiale. La bourgeoisie, sa presse et ses acolytes lancent à cette occasion un sauvage hurlement : « Les bolchéviki sont des brigands ! Les bolchéviki sont des voleurs ! Ne laissez pas piller la richesse populaire et les économies du peuple ! » Ces hurlements sont compréhensibles : la bourgeoisie sentait que la nationalisation des banques était la prise de la forteresse principale de la société capitaliste par la classe ouvrière et par conséquent le premier pas décisif vers la destruction du monde du profit et de l'exploitation. Si le prolétariat met la main sur les banques actuelles, il tient déjà dans une grande mesure les rênes de l'industrie.

D’un autre côté, il n’est pas difficile de comprendre qu'il serait impossible de débusquer les capitalistes des fabriques et des usines sans la nationalisation des banques. La fabrique actuelle dépend de la banque : ou bien la banque en est simplement propriétaire ou possède une partie des actions, ou bien elle lui accorde le crédit de toute autre façon et sous une autre forme.

Supposons maintenant que dans une fabrique les ouvriers aient tout mis sous leur contrôle. Si la banque est en mains privées, aux mains de la bourgeoisie, une telle entreprise est ruinée : La banque déclare qu'elle lui retire son crédit. C’est aussi important que de couper le ravitaillement d’un fort assiégé. Inévitablement les ouvriers doivent se rendre et tomber aux pieds des capitalistes. La nationalisation des banques par le gouvernement des soviets permet au pouvoir ouvrier et paysan? de disposer et de gouverner les moyens financiers et toutes les espèces de papiers qui les remplacent, de façon non seulement à ne pas entraver la reprise de l’industrie par la masse travailleuse, mais à la nécessiter au contraire. Le pouvoir qui, aux mains des banquiers était dirigé contre les ouvriers, se transforme ainsi en un pouvoir qui aide la classe ouvrière et qui est dirigé contre les capitalistes.

Le devoir suivant consiste à grouper en une banque populaire unique différentes banques privées ; réunir l’activité des banques, ou comme on dit, centraliser les affaires bancaires. Dans le passage de l'industrie aux mains de la classe ouvrière, la banque populaire se transforme en un comptoir central, en une institution qui règle les « payements » entre entreprises particulières et entre branches diverses de la production. En fait, nous admettons que les industries du charbon, de l'acier et du fer dépendent de la banque centrale. Chacune d’elles doit consommer les produits des autres: Les aciéries doivent recevoir du charbon des mines, les usines qui travaillent l’acier doivent se procurer l’acier des fonderies, etc. Il va de soi que ces entreprises dépendant complètement de la banque, tout « payement » peut se faire par une simple opération de comptabilité. La banque devient le comptoir des comptes, la comptabilité centrale où l’on peut voir toutes les relations entre les différentes entreprises et les diverses productions. Suivant le jugement de la situation, la banque soutient l'industrie par des moyens financiers.

Si on arrive à organiser tout le travail sur ce type (notre parti et le pouvoir des soviets, à la tête duquel il se trouve, poursuivent ce but), nous aurons finalement l'image suivante : Toutes les branches de la production appartiennent à l’État ouvrier ; elles sont unies par la banque populaire centrale ; ici se réunissent tous les fils des différentes entreprises ; la banque tient un compte exact de ces entreprises et des affaires qu’elles font entre elles, qu'elles amortissent mutuellement à mesure qu'une branche d'industrie livre ses produits à une autre. Dans la banque, dans cette comptabilité de toute la production sociale, se reflète de cette manière la situation générale de la production et des rapports entre les différentes parties de cette production. La banque centralisée et nationalisée (c'est-à-dire unie dans les mains de l'État ouvrier et paysan) se transforme en une comptabilité sociale de la production coopérative socialiste.

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