1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

X.  La culture collective de la terre

La révolution d'octobre réalisa ce que les paysans russes avaient désiré pendant des siècles ; elle enleva le sol aux propriétaires fonciers et le remit aux mains des paysans La question se pose : Comment doit-on diriger le travail de la terre ? Les communistes doivent prendre ici la même position que dans la question du partage des entreprises industrielles. On peut naturellement partager le sol plus facilement qu'une fabrique. Mais que sortirait-il de ce partage du sol entre les paysans ? Celui qui a économisé quelque argent, celui qui est plus fort et plus riche deviendrait rapidement un privilégié, se transformerait facilement en une sangsue parasite et en un spéculateur.

Plus tard, il monterait encore plus haut, et commencerait d'acheter le sol de ceux qui s’appauvrissent. On voit qu'après quelque temps, le village serait de nouveau partagé en gros propriétaires fonciers, propriétaires, et pauvres, auxquels il ne resterait plus que d'émigrer en ville ou de se louer chez les riches du village. Ces nouveaux propriétaires fonciers ne seraient, il est vrai, pas des nobles, ce seraient de riches paysans, mais cette différence est mince. Le propriétaire foncier sangsue est une véritable araignée, « un escroc » qui s'asseye encore plus solidement sur la nuque du pauvre que le noble dégénéré, qui a sombré et qui n'est plus bon à rien.

Sur la voie du partage, il n'y a donc aucune issue. L'issue ne se trouve que dans le droit de propriété sociale, dans le droit de propriété du peuple sur la terre et le sol, si la terre est ' proclamée propriété des travailleurs. Le pouvoir des soviets promulgua la loi de la socialisation du sol. Les propriétaires fonciers sont en réalité expulsés de la terre qui devient propriété collective du peuple travailleur.

Mais cela ne suffit pas. Après une telle réforme, la terre ne doit pas seulement être propriété commune, on doit chercher à la travailler en commun. S’il n'y a pas un travail commun et collectif, il est indifférent de promulguer une loi de socialisation, il n’en sortira rien. L'un remuera sa portion de travail, un autre remuera la sienne, et quant on vit ainsi séparé, sans entraide et sans travail commun, on s’habitue insensiblement à considérer la terre comme propriété privée. Et aucune loi d'en haut ne remédie au mal d'en bas. La culture en commun de la terre ! voilà ce qu'on doit poursuivre et atteindre.

Dans l’agriculture, comme dans l'industrie, c’est mieux de diriger la production sur une grande échelle, Dans les grandes entreprises on peut employer de bonnes machines agricoles, épargner le matériel, organiser le travail d’après un plan, placer chaque travailleur à son poste, tenir un compte exact de tout, afin de ne pas dépenser inutilement du matériel ou des forces. Le but n'est pas que chaque paysan se remue sur son lopin de terre comme un bousier sur son petit tas de fumier, mais que les paysans pauvres organisent le travail commun si possible sur la plus grande échelle.

Comment atteindre ce but ? On peut l’atteindre de deux manières : premièrement par la culture collective des anciens grands domaines seigneuriaux ; deuxièmement par l'organisation de communautés de travail agricole.

Dans les anciens domaines seigneuriaux où la terre n'était pas complètement remise en fermage aux paysans mais où elle était organisée en une seule entreprise, on menait cette entreprise dix fois mieux que les paysans séparés. Le mal dans l’affaire, c’est que les bénéfices tombaient dans les mains du propriétaire foncier qui s’asseyait sur la nuque des paysans. Pour les communistes, une chose est claire : Comme les ouvriers ne doivent pas piller l’inventaire de la fabrique, se le répartir, et ruiner la fabrique, les paysans doivent agir de même. Dans les domaines seigneuriaux, il y a quelquefois beaucoup de bon : il y a des chevaux et des bêtes à cornes, des semences, différentes machines pour faucher et moissonner, etc. Dans d’autres domaines on a construit des laiteries, des fromageries, de vraies fabriques. Ce serait bête de piller et de disperser tout cela dans les fermes isolées. Les sangsues y sont intéressées, elles savent que tôt ou tard tout leur retombera dans les mains lorsqu’elles rachèteront la part du pauvre paysan. La sangsue voit que sur ce chemin du partage un pays de Cocagne l’attend. Les intérêts des paysans pauvres, des demi-prolétaires, de ceux qui se tirent d'affaire avec peine et qui doivent parfois aussi se louer, sont totalement différents.

Pour les paysans pauvres, il est mille fois plus profitable de faire avec les gros domaines ce que les ouvriers font avec les usines, les mettre sous leur contrôle et leur administration, cultiver en commun l'ancien domaine seigneurial, ne pas dévaliser les fermes, mais utiliser en commun toutes les machines et l'inventaire qui appartenaient autrefois au propriétaire foncier et qui passent aux mains des paysans ; engager à frais collectifs des agronomes et des gens expérimentés et cultiver la terre, non à la manière des fous, afin que la terre ne rapporte pas moins qu’au temps des propriétaires fonciers, mais davantage. Prendre le sol n’est pas difficile, prendre les richesses n’est pas difficile non plus. On devait le faire. Malgré toutes les prédictions des socialistes-révolutionnaires et des menchéviki (que ce serait une violation des lois, qu’il n’en sortirait rien, que ça provoquerait un bain de sang dans les villages, et patati et patata), les paysans ont pris la terre et le pouvoir des soviets les y a aidés. Il est beaucoup plus difficile de conserver ce sol aux mains des travailleurs et de le préserver des sangsues qui en ont une furieuse envie. Les petits paysans doivent comprendre qu’il leur faut veiller sévèrement sur l’intégrité de la propriété collective. Les anciens domaines seigneuriaux sont maintenant domaines collectifs. On doit les garder comme la prunelle de ses yeux. On doit les agrandir pour le bien des travailleurs. On doit organiser les choses de façon que les élus des paysans pauvres et des travailleurs, les conseils communaux et leur division agricole veillent sur tout, ne laissent rien perdre et soutiennent la culture collective des anciens domaines seigneuriaux. Ce sera d’autant meilleur que la production collective sera mieux organisée sur de tels domaines. Ainsi le blé prospérera mieux, les sangsues n’obtiendront rien et les paysans apprendront toujours mieux le travail collectif, ce qui est le plus important pour le communisme.

On ne doit pas seulement sauvegarder les anciens domaines seigneuriaux pour les cultiver selon de nouveaux principes. On doit s'efforcer d’organiser de grandes communautés de travail agricole collectif avec les petites parcelles. Le pouvoir est maintenant dans les mains des ouvriers et paysans, c'est-à-dire qu'il doit aider autant qu'il est possible toutes les initiatives utiles. Il est seulement nécessaire que les paysans les plus pauvres, les demi-prolétaires et les anciens domestiques montrent plus d'indépendance et une initiative propre. Les paysans pauvres et faibles ne peuvent rien par eux-mêmes. Ils sont à peine en état de se maintenir. Mais ils peuvent beaucoup s'ils commencent par unir leurs parcelles, s'ils s'occupent collectivement de leur exploitation avec l'aide des ouvriers des villes et cultivent ainsi la campagne ensemble selon les principes coopératifs. Les soviets des villes et les organisations économiques des ouvriers aident de telles communautés agricoles, leur livrent des produits manufacturés et de fer. Ils les aident en leur procurant des agronomes et des gens capables. Ainsi, petit à petit, l’ancien petit paysan écrasé, qui n’avait rien à voir en dehors de son jardin potager, se transforme en un camarade qui, avec d'autres camarades, pas à pas, la main dans la main, avance sur la voie du travail en commun sur une grande échelle.

On comprend qu’une bonne organisation des petits paysans est nécessaire pour un tel régime de travail. Cette organisation doit se proposer deux tâches essentielles : premièrement la lutte contre les sangsues de la campagne, contre les spéculateurs, les anciens cafetiers, en un mot contre la bourgeoisie rurale ; deuxièmement : organisation de la production et contrôle sur la répartition du sol. Organisation de communautés agricoles, efforts pour l'exploitation régulière des anciens domaines seigneuriaux, en d'autres termes, un travail colossal pour un nouveau régime agraire. Les paysans pauvres doivent former ces organisations sur le type des soviets communaux et instituer des sections spéciales dans ces conseils, par exemple, section alimentaire, section agraire, etc. Les sections agraires des soviets de paysans doivent soutenir les paysans pauvres dans la question agraire. Peur que la chose soit plus sure il serait mieux d'organiser ces conseils en y adjoignant des représentants des ouvriers de fabrique de l'endroit ou habitant dans le voisinage. Les ouvriers sont plus expérimentés que les paysans, plus familiarisés qu'eux avec l'organisation coopérative des affaires, plus expérimentés aussi dans la lutte contre la bourgeoisie. Les ouvriers soutiennent toujours les paysans pauvres contre les riches, c’est pourquoi les petits paysans trouveront en eux leurs meilleurs aides.

Les pauvres ne doivent pas se laisser duper. Ils ont longuement combattu pour avoir la terre, ils sont enfin parvenus à l’obtenir des propriétaires fonciers. Ils ne doivent pas la laisser reprendre de nouveau, pas même la laisser sortir de leurs mains. Ce danger existe quand on prend la voie de la division du sol et de sa répartition en propriété privée. Ce danger disparait quand les petits paysans, ensemble, avec la classe ouvrière, prennent le chemin de la plus grande production collective possible, Ainsi nous voguons à toute vapeur vers le communisme.

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