1918

« Le programme du parti communiste n'est pas seulement le programme de la libération du prolétariat d'un pays. C'est le programme de la libération du prolétariat du monde entier. Car c'est le programme de la révolution internationale. »

N.I. Boukharine

Le programme des Communistes (Bolcheviks)

XVIII.  Le peuple armé veille sur ses conquêtes (L'armée dans la République des soviets)

« Le fusil dans les mains de l'ouvrier est la meilleure garantie et la meilleure assurance de la liberté », disait un des fondateurs du communisme scientifique, Friedrich Engels.

Maintenant la réalité a démontré combien cette affirmation était juste. Elle est complètement confirmée par l'expérience de la grande révolution de 1917.

Il y a peu de temps encore que quelques camarades de gauche réclamaient le désarmement. Ils disaient : La bourgeoisie construit partout une flotte colossale, une flotte sous-marine, une flotte maritime et aérienne. Les grandes armées grandissent d'une façon insensée, des forteresses surnaturelles sont construites, des canons géants, des moyens de destruction, tels que les automobiles blindées et les tanks. Il faut détruire tout ce système de violence. Nous devons réclamer le désarmement général.

Nous, bolchéviki, ne posions pas la question ainsi. Nous disions, notre mot d'ordre est : Désarmement de la bourgeoisie, armement — armement général et obligatoire — de la classe ouvrière. Il est vraiment ridicule de persuader la bourgeoisie de briser la puissance armée qu'elle a en mains (formée des ouvriers et des pauvres paysans rendus fous par elle). Cette machine mortelle de la violence ne peut être détruite que par la violence. Elle ne mettra bas les armes que lorsque d'autres armes l'y obligeront. Tel est le sens de l'insurrection armée contre la bourgeoisie. Pour la bourgeoisie, l'armée est d’une part un moyen de lutte pour le partage du monde, d’autre part, un moyen de lutte contre la classe ouvrière. Le tsar et Kerensky rêvaient de conquérir, à l'aide de l'armée, Constantinople, le détroit des Dardanelles, la Galicie et beaucoup d'autres friandises. En même temps, le tsar et Kerensky (c'est-a-dire les propriétaires fonciers et la bourgeoisie) étranglaient 1a. classe ouvrière et les petits paysans. Dans les mains des gros propriétaires, l’armée était un moyen de partager le monde et d'opprimer les pauvres. C’était la vieille armée.

Comment la bourgeoisie a-t-elle pu faire des ouvriers et des paysans (la majorité de l'armée, des soldats, est constituée par eux) un instrument contre les ouvriers et les paysans ? Comment le tsar et Kerensky ont-ils pu le faire ? Comment Guillaume, Hindenburg et la bourgeoisie allemande, qui font de leurs ouvriers les bourreaux de la révolution russe, finlandaise, ukrainienne et allemande ont-ils pu faire cela jusqu'à ce jour ? Pourquoi les matelots allemands qui finalement se soulevèrent contre ces actes de violence ont-ils été fusillés de la main de semblables matelots allemands ? Pourquoi la bourgeoisie anglaise étouffe-t-elle la révolution irlandaise de la main des soldats anglais (qui sont aussi des ouvriers) dans un pays que les puissants banquiers anglais oppriment et foulent aux pieds.

On doit répondre à cette question comme à celle par laquelle nous demandions comment messieurs les bourgeois pouvaient maintenir leur puissance. Nous avons vu que cela est possible par la merveilleuse organisation de la classe bourgeoise. Le pouvoir de la bourgeoisie, dans l'armée, repose sur deux principes : 1° sur le corps des officiers formé de nobles et de bourgeois ; 2° sur le drill et sur le crime spirituel, c’est-à-dire sur le maniement de l'âme du soldat par les bourgeois. Le corps des officiers porte en général le signe d'un caractère de classe bien défini. Il est merveilleusement dressé, comprend l’art de la guerre et l'art de distribuer les soufflets et d'infliger des peines brutales. Examinez n’importe quel brave officier de garde ou un fat prussien à la physionomie d'un dogue irascible. On remarque que, semblable à un dompteur de cirque, il n'épargne pas les soufflets qu’il distribue aux soldats de droite et de gauche, et qu'il a appris (il a du étudier beaucoup, longtemps et avec persévérance) comment ont tient ce troupeau d'hommes dans la crainte et l'obéissance.

On comprend que de tels messieurs qui sortent du milieu des bourgeois, de la noblesse, des rejetons des propriétaires fonciers et des capitalistes mènent l'armée dans un sens bien déterminé.

Examinons maintenant les soldats. Ce sont des gens sans éducation, qui ne sont pas unis mais dispersés, qui ne peuvent donc opposer aucune résistance et dont l'âme est déjà empoisonnée par les prêtres et l'école. On 1es répartit immédiatement dans les casernes et le dressage commence. Intimidation, insufflation des idées hostiles au peuple, le continuel système de la crainte et des punitions, séduction à l'aide de distinctions pour les crimes (par exemple pour avoir massacré des grévistes), tout cela fait de l'homme un demi idiot, une poupée qui obéit aveuglément à ses ennemis mortels.

On comprend que l'armée qui était fondée sur les principes impérialistes, l'armée que Kerensky poussa à la bataille pour la conquête de Constantinople devait complètement se décomposer dans la révolution. Pourquoi ? Parce que les soldats ont vu qu'on les avait organisés, drillés et jetés dans le combat, pour servir la soif de gain criminelle de la bourgeoisie. Ils virent que pendant trois ans ils avaient vécu dans les tranchées, dans une lutte à mort, qu’ils étaient affamés, morts, assassinés dans l’intérêt des coffres-forts. Il est naturel que la désorganisation ait conduit la vieille armée à sa dislocation et à sa ruine après que la révolution eut brisé l'ancienne discipline, sans avoir encore la force d'en rétablir une nouvelle.

Cette maladie était inévitable. Les imbéciles menchéviks et socialistes-révolutionnaires en rendirent responsables les bolchéviki : « Ah ! voyez ce que vous avez fait ! Vous avez désorganisé l'armée du tsar ! » Les imbéciles menchéviki et socialistes-révolutionnaires ne voyaient pas que la révolution n'aurait pas pu vaincre si l’armée était restée fidèle au tsar et a ses généraux en février, ou à la bourgeoisie en octobre. La révolte des soldats contre le tsar était déjà la désorganisation de l'armée impériale. Toute révolution détruit ce qui est vieux et pourri ; il faut quelque temps (un temps très dur) jusqu'à ce que sur les ruines de l'ancienne porcherie on commence à construire une belle maison.

Prenons un petit exemple dans un autre domaine. Les vieux ouvriers savent que les paysans, lorsqu'ils devinrent autrefois des ouvriers de fabrique et arrivèrent en ville, se transformèrent d’abord en audacieuses ganaches, en va-nu-pieds, en plèbe d'usine. En un mot, « ouvrier d'usine ou de fabrique » était alors presque une injure. Ces ouvriers étaient réellement maîtres en scandales, en obscénité, en injures et en débauche. Tous les réactionnaires qui craignent tout ce qui est nouveau prêchaient le retour au servage.

Ils disaient : Si la ville se démoralise, si l'on y « devient corrompu », elle a besoin du village et surtout du gourdin paternel du propriétaire foncier. Ainsi la vertu prospérera. Et ils se moquaient méchamment de ceux qui semaient dans la classe ouvrière le sel de la terre. Ils nous disaient, à nous marxistes, disciples du grand communiste Karl Marx : « Regardez quels gens sont vos ouvriers ! Ce sont des porcs et non des hommes ! et vous dites : c’est le sel de la terre ! Un knout, un fouet d’écurie ! ils sauront alors ce que signifie être turbulent et impertinent. »

Beaucoup se laissaient « convaincre » par tout cela. En réalité, les choses étaient telles : lorsque les paysans arrivaient en ville et brisaient avec le village, les vieux fondements campagnards éclataient. A la campagne, on vit d'après d'anciennes mœurs : « Regarde la bouche du vieillard et obéis-lui, même s’il est retombé en enfance depuis longtemps. Assieds- toi tranquillement dans ton potager et ne mets ton nez nulle part ailleurs. Garde-toi plus que du feu de ce qui est nouveau. C’est la sagesse villageoise ». C'était une mauvaise sagesse, mais c’était une bride qui maintenait l’ordre campagnard. Cette sagesse disparut rapidement dans les villes. Tout y était nouveau : hommes nouveaux, rapports nouveaux, une foule de choses nouvelles, de séductions inexplorées. Il n’y a rien d'étonnant que la vieille morale villageoise ait disparu, mais il fallait quelque temps pour en créer une nouvelle. Cette période intermédiaire est la période de décomposition.

Finalement, de cette nouvelle situation naquit une sagesse nouvelle : La solidarité du prolétariat. La fabrique unit les ouvriers. 1 oppression du capital leur apprit la lutte commune. Une morale nouvelle, prolétarienne, infiniment plus haute remplaça la sagesse ancienne, patriarcale, complètement inadéquate. Elle transforma le prolétariat en « sel de la terre », en fit la classe la plus progressiste, la plus révolutionnaire et la plus capable de création. Les communistes avaient raison contre les défenseurs du servage et les propriétaires fonciers.

Les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires prennent, à égard de l'armée, le rôle de défenseurs du servage. Ils se lamentent de toute manière sur la désorganisation de l’armée et en rendent responsables les bolchéviki. Et comme les défenseurs du servage conseillaient le retour à la campagne, au perron seigneurial sous le knout, les menchéviki et les socialistes-révolutionnaires conseillent la vieille discipline, au service de la Constituante, sur la base du retour au capitalisme et à d’autres bonnes choses. Mais nous, communistes, regardons en avant. Nous savons que les choses anciennes sont tombées en pourriture, mais elles devaient nécessairement pourrir, sans cela les ouvriers et les petits paysans n’auraient pas pu prendre en mains le pouvoir de l’État. Quelque chose de neuf et de plus grand arrive. L'armée rouge du socialisme remplace la vieille armée.

Tant que le pouvoir est aux mains de la bourgeoisie, la « patrie » est la patrie des banquiers, des boutiquiers, des spéculateurs, des gendarmes, des rois, des présidents et la classe ouvrière n'est nullement intéressée à la sauvegarde de cette vulgaire machine à profits. Son devoir prolétarien est le devoir de la révolte contre elle. Seuls de pauvres laquais et des flatteurs soumis du coffre-fort affirment que pendant la guerre, on ne devait ni faire grève, ni se révolter contre l'État pillard et impérialiste. On comprend que cela soit gênant aux affaires de la guerre On comprend que l'insurrection au sein du pays et plus encore au sein de l'armée, entraîne sa désorganisation. Comment peut-on briser le règne de Guillaume sans désorganiser sa discipline ? C est impossible. Les matelots allemands, les martyrs qui ont été exécutés par les bourreaux de Guillaume entraînaient la désorganisation de l’armée organisée à la mode des bandits. Liebknecht aussi fut poursuivi par .Messieurs les Scheidemänner, les social-traîtres d’Allemagne comme désorganisateur de l'armée. — Tous les révolutionnaires allemands, les bolchéviki allemands, sont traqués par eux, comme des hommes qui « frappent un coup dans le dos de l'héroïque armée », c'est-à-dire de l'œuvre de bandits. Messieurs les menchéviki peuvent tendre la main aux Scheidemänner et aux autres canaille, nauséabondes et putrides ; ce sont gens de la même espèce.

En Russie, ce temps est déjà passé. La Révolution des ouvriers a vaincu. Le temps de la désorganisation est dans le passé. Devant nous est le temps de la création du nouveau. L’armée rouge est formée, non pour le pillage, mais pour la défense du socialisme, non pour la défense de la patrie des spéculateurs, où le capital et le propriétaire foncier avaient tout en mains, mais pour la défense de la patrie socialiste, où tout passe aux mains des travailleurs ; non pour le morcellement de pays étrangers, mais pour le secours à la Révolution communiste internationale.

On comprend que cette armée soit basée sur d’autres principes que l'ancienne. L’armée rouge doit être le peuple armé à côté de la bourgeoisie désarmée, elle doit être l’armée de classe des prolétaires et des pauvres paysans. Elle est dirigée contre la bourgeoisie du monde entier et spécialement contre notre propre bourgeoisie.

C'est pourquoi l'armée ne peut englober aucun élément bourgeois armé. Laisser la bourgeoisie dans l'armée, c'est l’armer, c'est former une garde blanche au sein de l'armée rouge. Elle corromprait facilement toute l’œuvre, deviendrait le point central des trahisons et des révoltes, pourrait passer du côté des troupes impérialistes ennemies, etc. Notre devoir n'est pas d'armer la bourgeoisie, mais de la désarmer, de lui enlever jusqu’à son dernier Browning.

La seconde tâche, qui n’est pas moindre, est la préparation d'un corps d'officiers prolétarien. La classe ouvrière doit se garder de tous côtés des ennemis qui l'attaquent avec impétuosité. La guerre lui est imposée par les impérialistes délirant de rage. Mais on emploie des spécialistes expérimentés dans la guerre actuelle. Le tsar et Kerensky en avaient. La classe ouvrière et les paysans pauvres n'en ont pas. On doit créer ces spécialistes. Dans ce but, on doit utiliser les anciens spécialistes ; ils doivent instruire les prolétaires. Alors la patrie socialiste des soviets aura ses propres officiers, son corps d’officiers. Et, comme pendant la Révolution la classe ouvrière plus expérimentée et plus active entraîna les petits paysans, pendant la guerre contre les despotes impérialistes. les officiers-ouvriers entraînent la masse de l'armée rouge formée de paysans.

L’armée rouge doit être créée sur la base de la préparation militaire générale des ouvriers et des paysans pauvres.

C'est très urgent et impossible à renvoyer. On ne doit perdre aucune minute, aucun instant.

Chaque ouvrier et chaque paysan doit être exercé et son devoir est d'apprendre à manier les armes. Seuls les imbéciles disent : Il y a encore loin jusqu'à nous, jusqu'à ce qu'on nous atteigne, nous avons encore - assez de temps Les fainéants russes jugent souvent ainsi. Le monde entier sait que le proverbe préféré des Russes est : « Ça ira déjà ! » Peut-être avons-nous assez de temps . Mais vois, l'ennemi de classe que les anciens propriétaires fonciers et les capitalistes ont appelé est soudain déjà en place et saisit nos chers au collet. Et quand un brave sous-officier prussien (ou anglais qui sait ?) colle au mur notre compatriote débonnaire pour le fusiller, celui-ci se gratte derrière l’oreille et se dit : « Quel imbécile j'ai été ! »

On doit donc se hâter. Que personne ne pousse son voisin en avant Personne ne doit attendre, mais tous ensemble doivent se mettre à l'œuvre. Le devoir le plus impérieux et le plus important est l'exercice général.

La vieille armée est basée sut l'abrutissement des soldats, parce que des capitalistes et des propriétaires fonciers devaient y dominer des millions de soldats-paysans et ouvriers, dont les intérêts étaient opposés aux intérêts des capitalistes. Le gouvernement capitaliste devait donc faire du soldat un instrument abruti, travaillant contre ses propres intérêts. L'armée rouge des ouvriers et des paysans défend au contraire leurs propres intérêts. Elle ne peut être basée que sur l'intelligence et la conscience de classe des camarades qui entrent dans ses rangs. C'est pourquoi il est nécessaire d'y créer des cours spéciaux, des bibliothèques, des conférences, des meetings et des assemblées. Pendant les heures libres, les soldats de l'armée rouge doivent prendre part à la vie politique avec les ouvriers, aller aux assemblées, vivre avec la classe ouvrière.

Cette condition est une des plus importantes pour créer une inébranlable discipline révolutionnaire ; non une discipline de gourdin, mais la discipline de la conscience de classe d'un révolutionnaire. Si le lien entre l'armée et la classe ouvrière se relâche, l’armée dégénère rapidement et peut facilement se transformer en une bande qui sert celui qui paye le plus. Elle commence alors de se dissoudre et rien ne peut la sauver de cette désorganisation. Au contraire, si les soldats de l'armée rouge restent en rapports vivants avec les ouvriers, s'ils vivent avec eux, ils sont alors ce qu’ils doivent être : l'organe armé des niasses révolutionnaires.

Un des meilleurs moyens, en dehors de ceux déjà mentionnés (conférences, réunions politiques, etc.) pour maintenir les relations avec les masses, est l’emploi des soldats de l’armée rouge pour instruire les ouvriers dans l'usage des fusils, des mitrailleuses, etc. Au lieu de rester couchés, de jouer aux cartes et de « s'entretenir » autrement, au lieu de rester assis stupidement dans les casernes, c’est un travail utile qui les unit tous dans une grande famille révolutionnaire. Ainsi sera créé le peuple en armes, le prolétariat et les paysans pauvres armés qui gardent la grande révolution ouvrière.

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