1919

Un ouvrage qui servira de manuel de base aux militants communistes durant les années de formation des sections de l'Internationale Communiste.


L'ABC du communisme

N.I. Boukharine


3
Le communisme et la dictature du prolétariat


21 : L’administration en régime communiste

Dans la société communiste, il n’y aura pas de classes. Mais, s’il n’y a pas de classes, il n’y aura pas non plus d’Etat. Nous avons déjà dit que l’Etat est l’organisation de classe du pouvoir; l’Etat a toujours été employé par une classe contre une autre; si l’Etat est bourgeois, il est dirigé contre le prolétariat; s’il est prolétarien, il est dirigé contre la bourgeoisie. Mais dans le régime communiste, il n’y a ni prolétaires, ni capitalistes, ni ouvriers salariés : il n’y a que de simples humains, des camarades. Il n’y a pas de classes, pas non plus de lutte de classes, pas d’organisation de classe. Par conséquent, il n’y apas d’Etat non plus; l’Etat n’est d’aucune utilité puisqu’il n’y a pas de lutte de classes, là il n’y a personne à tenir en bride, ni personne pour le faire.

- Mais comment, demandera-t-on, pourra fonctionner, sans direction aucune, une organisation si formidable ? Qui élaborera le plan de la production sociale ? Qui répartira les forces ouvrières ? Qui calculera les recettes et les dépenses communes ? Bref, qui veillera au maintien de l’ordre ?

La réponse n’est pas difficile. La direction centrale incombera à divers bureaux de comptabilité et offices de statistique. C’est là que, jour par jour, seront tenus les comptes de toute la production et de tous ses besoins; c’est là qu’on indiquera où il y a lieu d’augmenter ou de diminuer le nombre d’ouvriers et combien il faudra travailler. Et comme chacun, dès son enfance, étant habitué au travail en commun, comprendra que ce travail est nécessaire et que la vie est bien plus facile lorsque tout marche d’après un plan, on travaillera tous d’après les instructions de ces bureaux et offices. Plus besoin de ministres spéciaux, ni de police, ni de prisons, ni de lois, ni de décrets, ni de rien. De même que les musiciens dans un orchestre suivent le bâton du chef et se règlent sur lui, de même les hommes suivront les tableaux de statistique et y conformeront leur travail.

Il n’y aura donc plus d’Etat. Plus de groupe ou de classe qui soit au-dessus des autres. De plus, dans ces bureaux de comptabilité, aujourd’hui travailleront ceux-ci, demain ceux-là. La bureaucratie, le fonctionnarisme permanent disparaîtront. L’Etat sera mort.

Evidemment, ceci n’aura lieu que dans un régime communiste développé et affermi, après la victoire complète et définitive du prolétariat, et même pas immédiatement après cette victoire. Car la classe ouvrière sera obligée de lutter longtemps encore contre ses ennemis et surtout contre les vestiges du passé : fainéantise, négligence, criminalité, présomption. Il faudra bien deux ou trois générations de gens élevés dans ces nouvelles conditions pour que soient supprimées, par l’Etat ouvrier, les lois, les peines, la répression et pour que disparaissent toutes les survivances de l’ancien régime capitaliste. Si jusque-là un Etat ouvrier reste indispensable, dans ce régime développé où auront déjà disparu les dernières traces du capitalisme, le pouvoir politique du prolétariat mourra également. Le prolétariat lui-même se fondra avec toutes les autres couches sociales, car toutes auront pris, petit à petit, l’habitude du travail en commun, et dans 20 ou 30 ans, il y aura un autre monde, d’autres hommes et d’autres mœurs.


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