1961

" A ceux qui crient à « l'Espagne éternelle » devant les milices de la République avec leurs chefs ouvriers élus et leurs titres ronflants, il faut rappeler la Commune de Paris et ses Fédérés, ses officiers-militants élus, ses « Turcos de la Commune », ses « Vengeurs de Flourens », ses « Lascars ». "

P. Broué, E. Témime

La Révolution et la Guerre d’Espagne

I.4 : Pronunciamento et révolution

En ce mois de juillet où doit précisément éclater l'insurrection militaire, la violence semble triompher dans les deux camps de l'impuissance gouvernementale. Pas un jour où ne soit signalé quelque rixe, quelque échange de coups de feu, quelque assassinat, quelque manifestation aux allures d'émeute... Aux Cortes, les députés sont fouillés : on veille à ne pas laisser entrer d'armes à feu dans l'hémicycle... A la campagne, aux dires mêmes du ministre, la violence règne. Dans les villes, terrorisme et représailles maintiennent sous pression les troupes des deux camps. Le 11 juillet, à Valence, les phalangistes exécutent un coup de main sur l'émetteur radio et annoncent : « Ici Radio-Valence ! La Phalange espagnole s'est emparée de cet émetteur par les armes. Demain il en sera de même pour tous les émetteurs d'Espagne. » Une immense contre-manifestation des syndicats et des partis du Front populaire se termine en violents assauts contre la permanence de la C.E.D.A. et l'attaque du journal Diario de Valencia. C'est pourtant, sans contestation possible, à Madrid que les troubles quotidiens annoncent le plus clairement la guerre civile qui vient.

La grève du bâtiment

Depuis février, Madrid a été secouée par de nombreuses grèves gagnant les secteurs les plus conservateurs, liftiers et même garçons de café. Pourtant les mois qui passent modifient le caractère de ces luttes. Il semble que de nombreux travailleurs se soucient moins de la satisfaction donnée à telle ou telle revendication que de la possession même de leurs entreprises. Les ouvriers des tramways de Madrid décident de s'emparer de la Compagnie pour l'exploiter à leur propre compte : ils sont immédiatement soutenus par des souscriptions énormes. Dans la capitale, fief de l'U.G.T., la C.N.T. s'est considérablement développée dans les derniers mois. Elle est désormais, sinon l'organisation la plus forte numériquement, du moins la plus combative. Ce sont de jeunes anarcho-syndicalistes qui font désormais figure de dirigeants de l'avant-garde ouvrière madrilène, les David Antona, Cipriano Mera, Teodoro Mora, animateurs du syndicat C.N.T. du bâtiment.

C'est le 1° juin que les 70 000 ouvriers du bâtiment de Madrid ont commencé leur grève illimitée après une assemblée générale organisée en commun par les deux centrales qui se sont engagées à ne reprendre le travail que par une décision commune prise dans une nouvelle assemblée. Mais le patronat résiste. La grève se durcit. On a faim dans les quartiers ouvriers. Les grévistes, arme au poing, contraignent les commerçants à les servir, occupent les restaurants, mangent sans payer. Les commerçants, les petits bourgeois prennent peur. La police est impuissante en face du nombre, malgré des rixes quotidiennes avec les piquets de grève. L'occasion semble favorable aux phalangistes pour appliquer aux maçons leur méthode de violence contre-révolutionnaire. Ils attaquent des ouvriers isolés, puis des groupes devant les chantiers occupés. Le comité de défense de la C.N.T. du Centre prend alors en mains la direction de la grève et l'organisation de la défense armée des ouvriers. Le gouvernement s'emploie de son mieux à régler le conflit. Le 4 juillet, le ministre du Travail rend un arbitrage qui, pour l'essentiel, donne satisfaction aux grévistes [1]. L'U.G.T., après consultation de ses adhérents, lance l'ordre de reprise du travail : il faut en finir avec la grève puisque l'objectif essentiel est atteint, les revendications annexes pouvant aboutir par des négociations : comme le souligne dans Claridad le secrétaire du bâtiment de l'U.G.T. madrilène, Dominguez, le conflit peut « dégénérer en péril grave pour le régime » … Mais c'est peut-être justement cette considération qui pousse la C.N.T. à continuer. La grève du bâtiment dépasse désormais le cadre d'une simple lutte pour l'augmentation des salaires et la diminution de la journée de travail : le patronat a cédé autant qu'il pouvait céder, mais la C.N.T. madrilène, sous l'influence des ouvriers les plus combatifs, veut continuer ce qui est en réalité une épreuve de force avec la bourgeoisie et l'État, une véritable grève insurrectionnelle. Elle dénonce aussitôt la direction de l'U.G.T., les socialistes et les communistes qui la soutiennent, comme des briseurs de grève, des « jaunes » : n'ont-ils pas décidé seuls la reprise du travail, en violation de la décision prise dans l'assemblée commune ? Le 9 juillet, le journal monarchiste ABC annonce que les ouvriers syndiqués à l'U.G.T. n'ont pas repris le travail, par peur des violences de ceux de la C.N.T. Des bagarres éclatent entre grévistes et non-grévistes, cénétistes et ugétistes, tous plus ou moins armés. Le même jour, on compte cinq morts à la porte des chantiers, trois de l'U.G.T., deux de la C.N.T. Il semble que l'on va voir se renouveler à Madrid les batailles qui ont opposé à Malaga, entre le 11 et le 15 juin, les anarcho-syndicalistes aux socialistes et aux communistes [2]. Les phalangistes, qu'un de leurs chefs les plus capables, Fernandez Cuesta, libéré de prison le 4 juillet, vient de reprendre en mains, multiplient leurs assauts dans l'espoir d'écraser la grève. La C.N.T. riposte en mitraillant un café qui sert de permanence à la Phalange : trois phalangistes de l'escorte de José Antonio sont tués... Le gouvernement profite du conflit entre l'U.G.T. et la C.N.T. pour essayer de décapiter celle qui s'est isolée et qui lui parait aussi la plus dangereuse. La police ferme les locaux de la C.N.T., arrête les dirigeants des maçons, Antona et Mera en tête. Les grévistes, dirigés par Eduardo Val, du comité de défense de la C.N.T. du Centre, continuent à disputer la rue et l'accès des chantiers aux ouvriers de l'U.G.T., à la police, aux phalangistes... On comprend que, dans ces conditions particulières, même face au danger grandissant de soulèvement militaire, le gouvernement se soit refusé à distribuer les armes, comme le lui demande pourtant Largo Caballero. « Armer le peuple », aux yeux des dirigeants, ce serait d'abord armer les maçons de la C.N.T. madrilène, armer l'avant-garde révolutionnaire, la force qu'il redoute plus encore que celle des généraux réactionnaires.

L'assasinat de Calvo Sotelo

L'assassinat, le 12 juillet, du lieutenant des gardes d'assaut José del Castillo, marque, nous l'avons dit, une étape importante dans le chemin qui mène à la guerre civile. C'est, après le capitaine Faraudo, le deuxième officier de ce corps abattu dans les mêmes conditions, vraisemblablement à l'instigation des mêmes hommes. Ses camarades réagissent vivement : les asaltos deviennent en effet la cible des pistoleros phalangistes alors que les assassins, dans une telle ambiance, sont pratiquement assurés de l'impunité. Aussi les asaltos de la compagnie de Castillo décident-ils de faire ce qu'ils n'ont pas fait après l'assassinat de Faraudo : ils décident de se venger eux-mêmes puisque l'État qui les emploie à maintenir l'ordre est incapable de les protéger et de frapper ceux qui les abattent en pleine rue. Pour tirer de la mort de Castillo une vengeance éclatante, ils décident de frapper, à la tête, l'homme qu'ils considèrent comme l'âme du complot et le chef des assassins, Calvo Sotelo qui, quelques jours auparavant avait, aux Cortes, dénoncé del Castillo comme l'organisateur d'un attentat contre les phalangistes.

Le lendemain à l'aube, un camion amène devant le domicile de Calvo Sotelo un groupe d'asaltos en tête desquels marche le lieutenant Moreno accompagné d'un commandant de la garde civile, Fernando Condés. Ils déclarent au leader monarchiste qu'ils sont venus l'arrêter. Calvo Sotelo, inquiet, demande à téléphoner à la police, pour obtenir confirmation du mandat. Mais les asa1tos ont coupé les lignes téléphoniques ; il se décide à les suivre. Quelques heures plus tard on retrouvera son cadavre, criblé de balles, au cimetière del Este et on l'identifiera à la morgue...

L'enterrement de José del Castillo et celui de Calvo Sotelo constituent l'ultime parade avant le combat. Les adversaires se défient au grand jour. Antonio Goicoechea déclare sur la tombe de Sotelo : « Nous jurons de venger ta mort. » Gil Robles, dans un discours aux Cortes d'une extraordinaire violence, affirme : « Le sang de Sotelo noiera le gouvernement. » Et, au nom des carlistes et de la Rénovation espagnole, Suarez de Tangis lit un document qui constitue la déclaration de la guerre civile : « Depuis le 16 février, nous vivons en pleine anarchie, sous l'empire d'une subversion monstrueuse de toutes les valeurs morales qui a abouti à mettre l'autorité et la justice au service de la violence... Ceux qui veulent sauver l'Espagne et son patrimoine moral comme peuple civilisé nous trouveront les premiers sur le chemin du devoir et du sacrifice. »

Dans l'atmosphère des mois qui précèdent, un tel flot d'injures et de menaces ont été proférées qu'il n'est pas difficile aux amis du leader assassiné de relever dans les discours de ses adversaires des dénonciations et des attaques qui peuvent être considérées comme des provocations au meurtre. Ils ne s'en privent pas. Les assassins de Sotelo, les vengeurs de Castillo sont connus : ce sont les quinze gardes de la patrouille du lieutenant. Il est évident qu'ils ont agi de leur propre initiative, sans ordre officiel. Mais la propagande de la droite se déchaîne pour faire retomber la responsabilité directe de l'assassinat sur le gouvernement républicain contre lequel elle se prépare à se soulever. La mort de Sotelo fournit un prétexte sacré à un soulèvement dès longtemps préparé. D'ailleurs, la menace se précisant, la riposte se dessine aussi. Un peu partout en Espagne, les ouvriers déterrent les armes cachées depuis 1934, cherchent à s'en procurer de nouvelles. Le gouvernement déplace quelques généraux, fait accélérer la démobilisation des recrues, arrête des phalangistes, y compris ceux qu'il venait de libérer. Prieto, dans El Liberal, tient un langage ferme : « Si la réaction rêve d'un coup d'État non sanglant, elle se trompe. »

Dans cette atmosphère d'alarmes et d'inquiétudes, le président du Conseil reste imperturbable. Le 14 juillet, un groupe de députés basques, parmi lesquels le futur président Aguirre qui a rapporté l'incident, lui demandent s'il est exact qu'il a fait arrêter Mala, chef des conspirateurs, connu comme tel. Il s'emporte contre ces rumeurs et affirme : « Mala est un général loyal à la République » [3]. Il répond de même par un refus brutal au gouverneur de Huelva qui, ayant les preuves de l'activité subversive de Queipo de Llano, demande l'autorisation de l'arrêter. Plusieurs témoins, et parmi eux Prieto, rapportent enfin qu'informé du soulèvement des militaires au Maroc, il se contente de répondre : « Ils se soulèvent ? Très bien, alors moi je vais me coucher.»

L'insurrection au Maroc

L'armée, au Maroc, est chez elle, comme elle y a toujours été. En février déjà, les troupes ici étaient sûres, alors qu'elles hésitaient dans la péninsule. Les troupes marocaines, les Maures, sont recrutées parmi les montagnards du Rif. Ce sont des guerriers redoutables, des sauvages qu'aucune propagande n'a atteint, qui n'aspirent qu'à la lutte et au pillage et l'ont montré lors de la répression de l'insurrection des Asturies. La Légion est un corps de mercenaires d'élite, volontaires de tous pays, desperados et souvent repris de justice, tout prêts aussi à se battre puisque c'est pour cela qu'on les paie et que c'est cela qu'ils ont choisi. Le mouvement ouvrier existe certes, et il y a dans les villes de fortes organisations syndicales. Elles sont sans prise cependant sur une population indigène solidement encadrée, sans contact surtout avec les soldats de métier Marocains ou étrangers des troupes d'élite de l'armée du Maroc.

Presque tous les cadres sont dans la conspiration. Les officiers, dans la rue, se saluent joyeusement au cri de « Café », abréviation de leur mot d'ordre : Camaradas, arriba Falange española ! On se prépare au grand jour – ou presque – à la conquête de la métropole pourrie que l'on va régénérer par les vertus militaires qui sont l'apanage de toute armée coloniale. Lors des manœuvres du Llano Amarillo, nous l'avons vu, les chefs ont fait le point. Tout est prêt pour que l'armée que l'État a eu l'imprudence d'envoyer lui garder le Maroc, se jette sur la République. Ici, les autorités civiles sont si faibles devant les chefs militaires que la conspiration ne se couvre que pour ne pas donner d'indications trop précises à la métropole. Début juillet, la police a trouvé des stocks d'armes des uniformes et des proclamations au Casino de Tétouan. L'affaire n'a aucune suite, alors que les noms des chefs conspirateurs sont sur toutes les lèvres.

Le mouvement part de Melilla, le 17 juillet. A la tête de ses officiers, le chef désigné, le lieutenant-colonel Segui, obtient le ralliement des gardes d'assaut, destitue le chef de la garnison. La légion étrangère donne l'assaut à la Maison du Peuple ou s'étaient réunis les maçons. Ici et là, des militaires, des ouvriers, tentent de résister. Ils sont abattus. Maître de la ville en quelques heures, Segui télégraphie l'ordre de se soulever aux autres garnisons. Les communications sont interrompues avec la métropole. Les chefs de la Légion, les lieutenants-colonels Yagüe et Tella, les chefs des troupes maures, les colonels Bautista Sanchez dans le Rif, Saenz de Burruaga à Tetouan, Mugica à Larache, passent à l'action vers 11 heures du soir, occupent les points stratégiques, contrôlent la circulation, commencent la chasse à l'homme dans les quartiers ouvriers. Les aviateurs de Tétouan résistent : vaincus par l'artillerie, ils seront fusillés « conformément à la loi martiale ». Le Khalife et le Grand Vizir ont été priés d'approuver l'action des rebelles, qui occupent le haut-commissariat. Ils l'ont fait. La grève déclenchée par les syndicats est générale le 18, mais l'armée fournit des « volontaires » indigènes pour la briser et elle sera de courte durée, après quelques arrestations et exécutions... A Ceuta où l'insurrection est annoncée par le tocsin, Yagüe est maître de la ville en deux heures. La résistance héroïque des ouvriers de Larrache ne dépassera pas vingt-quatre heures. Le 18, l'armée a écrasé toute résistance. Son chef théorique, le général Morato, a appris la nouvelle de l'insurrection par un coup de téléphone de Madrid... Maintenant, elle attend son vrai chef : Franco.

Le gouvernement républicain devant le soulèvement

Franco a quitté Las Palmas dans un avion que pilote un Anglais [4]. Prudent, il n'arrivera à Tétouan que le 19, après un atterrissage au Maroc français pour s'informer du déroulement des opérations. Mais en son nom, de Tétouan, est lancée une proclamation : « L'armée a décidé de rétablir l'ordre en Espagne... Le général Franco a été placé à la tête du mouvement et il en appelle au sentiment républicain de tous les Espagnols. » Un avion gouvernemental a lancé, dans la nuit du 17 au 18, six bombes sur le Q.G. de Tétouan. La réponse vient, menaçante : « Les représailles que nous exercerons seront en proportion de la résistance qu'on nous opposera. »

Dans la matinée du 18 juillet, le gouvernement doit admettre dans une note qu' « une partie de l'armée s'est soulevée au Maroc ». Il précise : « Le gouvernement déclare que le mouvement est limité à certaines zones du Protectorat et que personne, absolument personne, dans la péninsule, n'a adhéré à une entreprise aussi absurde. » Le même jour l'« entreprise absurde » s'étend pourtant dans tout le pays : les militaires se soulèvent à Malaga et à Séville. Mais le gouvernement dément l'information, et, en réponse aux partis et syndicats, diffuse, à 15 heures, un deuxième communiqué:

« Le gouvernement prend note des offres d'aide qu'il a reçues, et, tout en s'en montrant reconnaissant, déclare que le meilleur moyen de l'aider est de garantir le caractère normal de la vie quotidienne pour donner un haut exemple de sérénité et de confiance dans les moyens de la force militaire de l'État... Grâce aux mesures préventives prises par le gouvernement, on peut dire qu'un vaste mouvement anti-républicain a été étouffé. Il n'a trouvé aucune assistance dans la péninsule et a seulement réussi à recruter quelques partisans dans une fraction de l'armée. » Après avoir salué « les forces qui, au Maroc, travaillent à maîtriser le soulèvement », la note conclut : « L'action du gouvernement sera suffisante pour rétablir l'ordre ». La radio gouvernementale ira même jusqu'à préciser que l'insurrection a été écrasée à Séville.

Le soir même, le conseil des ministres, auquel participe Prieto, oppose un nouveau refus à la demande présentée par Largo Caballero au nom de l'U.G.T., de distribuer des armes aux organisations ouvrières. Un communiqué commun des partis socialiste et communiste déclare : « Le moment est difficile, non désespéré. Le gouvernement est sûr de posséder les moyens suffisants pour écraser cette tentative criminelle. Au cas où ses moyens seraient insuffisants, la République a la promesse solennelle du Front populaire. Il est prêt à intervenir dans la lutte à partir du moment où on réclamera son aide. Le gouvernement commande et le Front populaire obéit. »

Dans la soirée, C.N.T. et U.G.T. lancent l'ordre de grève générale. A 4 heures du matin, le 19 juillet, au moment où toute l'Espagne se prépare à combattre, Casares Quiroga remet au président Azaña la démission de son gouvernement...

Le gouvernement Martinez Barrio

Azaña fait immédiatement appel à Martinez Barrio, président des Cortes, qui constitue sur-le-champ un gouvernement composé exclusivement de républicains, mais élargi sur sa droite aux groupes des Républicains nationaux de Sanchez Roman, restés en dehors du Front populaire. Au ministère de la Guerre, il appelle un militaire, le général Miaja.

Historiens et commentateurs sont généralement d'accord pour reconnaître dans ce ministère une dernière tentative pour éviter la guerre civile en arrivant à un accord au moins avec une partie des généraux rebelles. Ils le sont moins sur le déroulement des événements et le contenu même des tentatives de compromis. Salvador de Madariaga dit que Martinez Barrio avait réservé des portefeuilles aux généraux rebelles. Caballero affirme que Martinez Barrio lui rapporta une conversation téléphonique avec Mola en personne, dont d'autres témoins cités par Clara Campoamor ont entendu également parier par Martinez Barrio. L'historien franquiste Bertran Güell affirme que Mola refusa péremptoirement de devenir ministre de la Guerre : « Si vous et moi arrivions à un accord, nous aurions l'un et l'autre trahi notre idéal et nos hommes » [5]. Martinez Barrio – aujourd'hui président de la République en exil – proteste contre ces versions et affirme, dans une lettre à Madariaga : « A aucun moment nous n'avons recherché le concours des rebelles. Nous croyions qu'eux, face à ce changement de politique, changeraient, à leur tour, d'attitude » [6].

Que les généraux rebelles aient ou non été pressentis – et il parait bien qu'ils le furent – l'attitude de certains d'entre eux semble apporter une confirmation à la thèse et aux espoirs de Martinez Barrio. Mola lui-même, Aranda à Oviedo, Patxot à Malaga, temporisent, semblent hésiter à rompre les ponts, pour le cas où Martinez Barrio réussirait et où les concessions des républicains se préciseraient. Mais l'annonce de la formation du nouveau gouvernement fait à Madrid même l'effet d'une bombe. Des centaines de milliers de manifestants se rassemblent sans attendre le mot d'ordre d'aucune organisation, réclament des armes pour lutter contre les militaires. Salvador de Madariaga et Borkenau, qui affirme que Caballero menace le gouvernement d'une insurrection socialiste armée, sont, sur ce point, d'accord avec Martinez Barrio pour qui son gouvernement « mourut des mains des socialistes de Caballero et des communistes » [7]. Caballero, dans ses mémoires, se borne à indiquer que l'U.G.T. pose comme condition de son appui au nouveau gouvernement l'armement des travailleurs. Mais Martinez. Barrio, comme Casares Quiroga, refuse ce qui, à ses yeux, signifierait le début de la révolution ouvrière, la fin de la République parlementaire. Il démissionne à son tour [8].

Des personnalités républicaines pressenties, seul le docteur José Giral, éminent universitaire, ami d'Azaña, accepte de franchir le pas décisif : son gouvernement décrètera la dissolution de l'armée et la distribution des armes aux milices ouvrières formées par les partis et les syndicats. Il signe en même temps ce qui semble être l'arrêt de mort de la « légalité républicaine », mais qui n'est à cette date qu'une reconnaissance du fait accompli : c'est maintenant la force, celle des généraux et de leurs troupes, celle des ouvriers armés qui va régler l'avenir de l'Espagne. La « légalité » s'évanouit en fumée devant le choc des forces sociales.

Le « movimiento » : succès et échecs

Les chefs rebelles n'avaient pas prévu une résistance de longue durée à leur action. Sans doute leur plan tenait-il compte des difficultés particulières à surmonter dans certaines régions, mais la carte de l'Espagne telle qu'elle se dessinera après quelques jours de combat offre des aspects très inattendus. La Navarre, fief traditionnel des carlistes, accueille le mouvement dans l'enthousiasme. Les rues de Burgos et de Pampelune sont remplies de volontaires des unités paramilitaires carlistes, les requetes au béret ronge et au brassard vert marqué d'une croix. Ils sont descendus de leur montagne, avec leur couverture roulée sur l'épaule, pour assurer la victoire du « Christ Roi », comme le proclament les inscriptions. Delaprée les a vus « crachant avec dégoût quand on prononce devant eux les mots de « république » ou de « syndicat ». Il ajoute: « Je ne serais nullement étonné de voir se dresser sur une place de Burgos un autodafé » [9]. Ici les masses populaires sont avec les généraux, et les volontaires affluent pour renforcer l'armée de Mola en marche vers la capitale. Seule, peut-être, l'hostilité à peine voilée que se marquent « bérets rouges » et « chemises bleues » de la Phalange rompt l'unanimité enthousiaste de ce début de croisade.

Juillet 1936

Mais ailleurs, succès et échec dépendent de nombreux facteurs souvent imprévisibles : attitude des corps de police, gardes civils et gardes d'assaut, dont le ralliement à l'un ou l'autre camp décide souvent de la victoire, esprit de décision ou atermoiements des gouverneurs, hésitations ou audace des chefs militaires, vigilance ou naïveté des dirigeants ouvriers. Le Movimiento l'emporte en effet très vite chaque fois que les insurgés prennent de vitesse l'organisation de leurs adversaires ; il l'emporte aussi, avec un peu de retard, chaque fois que les dirigeants ouvriers se laissent abuser par les déclarations de loyalisme des officiers. Dans cette mesure, il n'est pas imprudent d'affirmer que c'est moins dans l'action des rebelles que dans la réaction des ouvriers, des partis et des syndicats et leur capacité à s'organiser militairement, en un mot dans leur perspective politique même que réside la clef de l'issue des premiers combats. Chaque fois, en effet, que les organisations ouvrières se laissent paralyser par le souci de respecter la légalité républicaine, chaque fois que leurs dirigeants se contentent de la parole donnée par les officiers, ces derniers l'emportent... Par contre, le Movimiento est mis en échec chaque fois que les travailleurs ont eu le temps de s'armer, chaque fois qu'ils se sont immédiatement attaqués à la destruction de l'armée en tant que telle, indépendamment des prises de position de ses chefs, ou de l'attitude des pouvoirs publics « légitimes ».

Victoires du « movimiento » : l'Andalousie

Les insurgés l'emportent rapidement à Algésiras où le gouverneur se refuse à armer les travailleurs tant que les militaires se déclarent loyaux. Quand il se décide, devant l'évidence, à faire arrêter le chef de la garnison, il est lui-même fait prisonnier... A Cadix, la grève est générale dès le 19 et les gardes d'assaut ont distribué des armes aux syndicats, mais le gouverneur se porte garant du loyalisme des officiers. Le 20, à la nouvelle de la chute d'Algésiras et avec l'arrivée d'un bateau de guerre insurgé, la garnison se soulève : le lendemain, toute résistance a été écrasée et le commandant militaire interdit grève et réunions syndicales. A Cordoue, le gouverneur refuse de donner des armes aux ouvriers en grève. La garde civile et la garnison, aux ordres d'un officier réputé républicain, le colonel Cascajo, se soulèvent en même temps et écrasent toute résistance. A Grenade, les gardes d'assaut se soulèvent avec la garde civile et la garnison : ils viennent rapidement à bout de la résistance armée organisée dans les faubourgs. A Huelva, le gouverneur a concentré la garde civile : les mineurs de Rio Tinto, mobilisés par leurs syndicats, marchent sur Seville insurgée. Les gardes civils qui les accompagnent leur dressent une embuscade et les massacrent. Puis ils passent à la conquête des mines.

Mais la grande victoire des insurgés sera la prise de Séville, bastion des organisations ouvrières. Le général Queipo de Llano, que le gouvernement n'a pas voulu faire arrêter, arrive incognito dans la capitale andalouse, où le commandement de la garde civile est seul gagné au complot. Dans les casernes de la garde, on arme et on encadre les phalangistes et les señoritos volontaires pour participer au soulèvement. Les groupes de choc ainsi formés attaquent par surprise la caserne des gardes d'assaut, qui résisteront jusqu'à leur dernière cartouche dans lebâtiment et dans le central téléphonique. Pendant ce temps, un petit détachement a occupé sans coup férir l'émetteur de Radio-Séville. Queipo de Llano y fait jouer l'hymne républicain, puis annonce brusquement qu'il est maître de la ville. Les organisations ouvrières ne réagiront pas, tandis que le général, maître dans l'art du bluff, fait occuper les points stratégiques et défiler continuellement dans les rues les mêmes camions militaires pour faire croire a une supériorité numérique écrasante des troupes qu'il dirige. Lorsque, enfin, la C.N.T. et l'U.G.T. commencent à regrouper des militants pour la lutte armée, il est trop tard : les asaltos ont été massacrés jusqu'au dernier, et les premiers renforts de soldats marocains atterrissent sur l'aérodrome dont les rebelles se sont emparés à la première heure. Cette arrivée constitue, certes, un atout considérable du point de vue militaire, car les Maures sont des troupes redoutables, aguerries et disciplinées. Mais c'est aussi une victoire psychologique – une de plus – à l'actif de l'intelligent général, car leur réputation de cruauté n'est plus à taire et le bruit de leur arrivée répand la terreur. La résistance ouvrière commence trop tard, et dans les pires conditions. A Séville, ce ne sera pas une lutte, mais une tuerie. Un mémoire du collège des Avocats déclare que plus de 9 000 ouvriers seront alors massacrés [10]. Bertrand de Jouvenel, correspondant de Paris-Soir,a décrit l'assaut des Maures contre un faubourg ouvrier : « Dans un cri de guerre farouche, les hommes se ruèrent dans les rues du quartier. Ce fut un impitoyable nettoyage à la grenade et au couteau. Il n'y eut pas de merci. Lorsque, le surlendemain, j'ai pu me glisser dans les ruines, j'ai vu des hommes enlacés, percés l'un et l'autre de baïonnettes et de longs couteaux à cran d'arrêt. » Le faubourg de Triana résistera cependant pendant plus d'une semaine. Séville « nettoyée », les militaires se lancent à la conquête des autres villes et des villages. Partout les mêmes méthodes triomphent d'une résistance farouche et désespérée : Moron tiendra huit jours, et de nombreux soldats rebelles tombent devant Carmona. Mais, dans toute la région, le Movimiento triomphe. Les exécutions massives d'ouvriers et de militants assurent parfois à l'avance la soumission des hésitants et des tièdes. Souvent les autorités ou les chefs de la garde civile prennent les devants et, en signe d'attachement à la cause de l'armée, font exécuter des responsables ouvriers avant même l'arrivée des troupes de Queipo. En quelques jours, l'Andalousie est conquise : par son esprit de décision, par une utilisation adroite des moyens modernes de propagande et l'emploi massif de la terreur, Queipo de Llano est arrivé à s'assurer, par l'aérodrome et l'émetteur-radio, un avantage que les ouvriers ne pourront pas compenser. Pris de court et désorientés, les militants n'ont pu, la plupart du temps, lui opposer qu'un courage aussi indomptable qu'inutile.

Victoires du « movimiento » : Saragosse

C'est une victoire de même type que remporte l'armée à Saragosse, autre bastion ouvrier. Là, le chef de la garnison, le général San Miguel Cabanellas, est aussi le chef du complot. C'est un franc-maçon qui passe pour républicain et, comme Queipo de Llano, est un rallié de la dernière heure. Le 17 juillet, à la nouvelle du soulèvement du Maroc, il lance une proclamation de fidélité à la République et décrète l'état de siège pour faire face aux « tentatives fascistes ». Il doit y renoncer devant la menace de grève générale brandie par la C.N.T., mais incorpore rapidement dans ses troupes les phalangistes et señoritos. Le gouverneur supplie les dirigeants ouvriers de ne pas troubler l'ordre, refuse d'armer les travailleurs, prêche le calme. Sur ses instances, les dirigeants de la C.N.T. invitent les ouvriers à rentrer chez eux. Et le 19 au matin, une armée épurée et renforcée par des militants de droite et la garde civile occupe la capitale de l'Aragon, installe canons et mitrailleuses en batterie. La radio affirme : « Nous ne marchons pas contre la République. Travailleurs, vos revendications seront respectées. » Le bruit continue à circuler, habilement entretenu, que Cabanellas « marche contre les fascistes ».

Ici aussi, les dirigeants ouvriers ne prennent conscience de ce qui leur arrive que lorsque la police commence à arrêter les leurs. Le 19 dans la journée, C.N.T. et U.G.T. lancent l'ordre de grève générale, tentent, dans les faubourgs, où les troupes n'ont pas osé pénétrer, d'organiser la résistance armée. Les gardes civils attaquent une concentration organisée par les Jeunesses libertaires et lui infligent de lourdes pertes. Il faudra pourtant plus d'une semaine pour venir à bout de la grève générale dont les dirigeants ouvriers, sous la torture, se refusent à rapporter l'ordre. L'un des dirigeants de la C.N.T. de Saragosse, Chueca, reconnaîtra la naïveté des dirigeants syndicaux qui ont perdu leur temps en palabres et même donné foi aux promesses du gouverneur, qui n'ont pas su prévoir « quelque chose de plus efficace que les trente mille ouvriers organisés dans les syndicats de Saragosse »[11]. Presque tout l'Aragon, au cours de ces journées, est tombé aux mains des rebelles.

Un succès inattendu : Oviedo

Les plans de Mola n'avaient pas envisagé le succès à Oviedo, au cœur des Asturies ouvrières où militants socialistes et anarcho-syndicalistes ont une solide tradition de combat, une expérience de la lutte armée, des cadres entraînés, quelques armes. C'est une édition spéciale, non soumise à la censure, du journal caballeriste Avance qui, dès l'après-midi du 18, annonce le soulèvement. Immédiatement, les mineurs se rassemblent dans leurs locaux syndicaux, improvisent des unités, déterrent les armes cachées depuis octobre 34. Sous leur pression, partis et syndicats constituent un Comité provincial qui se charge de seconder et de contrôler l'action du gouverneur Liarte Lausin dont certains suspectent la loyauté.

Le colonel Aranda, chef de la garnison, s'empresse de rassurer les dirigeants ouvriers et républicains : il se proclame fidèle à la République, désavoue solennellement les factieux. La veille, pourtant, il a fait transporter dans les casernes toutes les armes disponibles et donné en secret l'ordre à la garde civile de la province de marcher sur Oviedo. Mais on l'ignore – et on lui fait confiance. Mieux, lorsque, de Madrid menacée, viennent des demandes de renfort, les dirigeants socialistes acceptent, sur sa suggestion, de former trois colonnes de mineurs et de les envoyer, par le train, vers la capitale. Seize cents jeunes gens à Sama de Langreo, plusieurs centaines à Mieres rejoignent la troupe des dinamiteros d'Oviedo... Sur ces 3 000 hommes, que commandent des officiers asaltos,400 à peine ont des armes à feu, fusils et carabines. A Leon, le général Gomez Caminero leur fait distribuer 300 fusils. Le renfort, pour Madrid est d'importance, mais Oviedo a perdu sa garde ouvrière.

Malgré l'optimisme des dirigeants socialistes, l'inquiétude grandit. Aranda, en effet, a consigné les soldats dans les casernes dont les sentinelles défendent les abords. On les sait armés, alors que les rares armes aux mains des mineurs ont pris la route de Madrid. Le Comité provincial se divise : républicains et socialistes de droite continuent à faire confiance au colonel. Mais les dirigeants de la C.N.T. savent qu'il a fait transporter les armes dans les casernes ; avec les communistes et les socialistes de gauche groupés autour de Javier Bueno, le directeur d'Avance, ils refusent de prolonger un jeu, à leurs yeux dangereux. Ils exigent d'Aranda la preuve de sa loyauté : la distribution aux milices ouvrières des armes stockées, l'ouverture des casernes, l'amalgame entre soldats et ouvriers armés. Aranda tergiverse. Gonzalez Peña le supplie de donner un gage aux extrémistes, se couvre de l'autorité de Prieto pour obtenir la distribution des armes. Aranda rétorque qu'il attend pour le faire un ordre du ministre de la Guerre. Pendant ce temps, les gardes sont en marche vers Oviedo. Sous un prétexte, Aranda réussit à quitter la salle où siège le Comité, dans le palais du Gouverneur. Il rejoint alors ses troupes, fait occuper le mont Narranco, met deux canons en batterie devant le Palais. Le Comité se disperse tandis que les soldats occupent les points stratégiques. La ruse du colonel a réussi : les mineurs armés sont loin et il a occupé la capitale sans tirer un coup de fusil. Pourtant les faubourgs sont alertés et se couvrent de barricades. Dans les villages miniers, les groupes de gardes sont arrêtés, attaqués ou désarmés. A Gijon la garnison se soulève, elle aussi, après avoir proclamé son loyalisme, mais elle est aussitôt encerclée par les métallos de La Felguera que le comité de défense improvisé à la Maison du Peuple autour de Segundo Blanco a appelés à la rescousse. L'une des deux colonnes de mineurs en route vers Madrid, enfin, prévenue du soulèvement sur ses arrières, rebrousse chemin, s'empare de l'arsenal de Trubia, complète l'encerclement ébauché de la capitale asturienne. La prise d'Oviedo par les rebelles n'a pas entraîné la chute des Asturies, mais elle immobilise des dizaines de milliers d'ouvriers, du reste presque sans armes. L'habileté d'Aranda et la naïveté de certains dirigeants fixent là des combattants dont l'absence se fera cruellement sentir ailleurs.

Echec des militaires : la Flotte

A côté de ces succès, prévus ou inattendus, les généraux allaient connaître aussi des revers. C'est d'abord un accident qui les prive d'un de leurs chefs. Sanjurjo devait arriver d'Estoril où un avion était allé le chercher dans la journée du 20. L'hélice casse au décollage, l'avion brûle, Sanjurjo est tué.

Mais les revers essuyés dans le reste de l'Espagne ne tiennent pas au hasard. Le débarquement massif des troupes marocaines, prévu dans le plan pour les heures qui suivent l'insurrection, n'a pas lieu, car la flotte, ne s'est pas ralliée. Sa participation avait été pourtant minutieusement étudiée et définitivement mise au point jusque dans ses détails lors des manœuvres au large des Canaries, au cours des réunions entre les amiraux et Franco. La quasi-totalité des officiers sont gagnés au Movimiento. Mais ce sont les équipages qui feront échouer le plan : plus politisés peut-être, parce que très souvent d'origine ouvrière les marins savent, en tout cas mieux que les soldats s'organiser contre les préparatifs de leurs chefs. Sur presque tous les bateaux se sont constitués de petits noyaux clandestins, composes de huit ou dix sous-officiers et marins socialistes ou anarchistes, assurant, dans les escales, la liaison avec leurs organisations. Un Conseil central des marins fonctionne sur le croiseur Libertad. Prévenus par ses soins, des délégués des conseils du Cervantès, de l'Almirante Gervera,de l'España et du Velasco peuvent se réunir autour de lui au Ferrol, le 13 juillet, pour décider des mesures à prendre contre le soulèvement des amiraux. Le 14, ils réussissent à établir le contact avec le Conseil des marins du Jaime 1°. A Madrid, Balboa, un sous-officier affecté au Centre de transmissions de la Marine arrête le chef du centre, une des chevilles ouvrières de la conspiration. Par son intermédiaire et celui des radios de chaque bateau, les équipages seront tenus au courant, minute par minute, du déroulement du complot et se tiennent prêts à riposter à leurs commandants.

L'équipage du torpilleur Churruca qui, le 19, avait transporté à Cadix un tabor de Marocains, se soulève le 20 et fusille les officiers. Puis ceux de l'Almirante Valdes et du Sanchez Bercaiztegui les imitent, et, de Melilla, mettent le cap sur Carthagène. A San Fernando, les équipages des deux canonnières et d'un croiseur seront finalement écrasés par l'artillerie côtière et, au Ferrol, l'Almirante Gervera, immobilisé par des réparations, et l'España,sans munitions, sont repris par les rebelles aux marins. Mais ceux du Jaime 1°, informés par radio que leur navire a mis le cap sur Ceuta, se mutinent en pleine mer, puis, maîtres du cuirassé après une bataille sanglante, rejoignent, dans la baie de Tanger, le gros de la flotte, dont l'histoire, en ces quelques jours, a été identique à la leur. Partout commandent des Comités de marins qui, après avoir exécuté la majeure partie des officiers contraignent ceux qui restent à remplir leur service sous leurs ordres. Au lieu d'assurer la liaison et l'arrivée de renforts du Maroc dans la péninsule, les navires de guerre les empêchent d'arriver. L'action des marins, bousculant sérieusement le plan des généraux, apparaît ainsi comme l'un des événements les plus importants des journées du soulèvement [12].

Défaite du « movimiento » : Barcelone

C'est à Barcelone que les militaires subissent leur plus grave défaite, infligée par les ouvriers catalans, aidés, il est vrai, par l'appoint, au moment décisif, d'une partie de la garde civile et de la garde d'assaut. Ainsi, ce sont les ouvriers qui sortent vainqueurs des journées de combat alors même que la bourgeoisie républicaine, du fait de son autonomisme, a pris ici une attitude plus résolument hostile aux militaires que dans le reste de l'Espagne.

Dans les jours précédents, les dirigeants de la C.N.T. ont en effet maintenu un contact presque permanent avec le gouvernement de la Généralité et les dirigeants de l'Esquerra : le dirigeant anarchiste D.A. de Santillan pourra évoquer, plus tard, « les nuits passées au ministère de l'Intérieur ». Ils n'ont pas cependant obtenu les armes qu'ils réclamaient. Santillan, qui avait demandé qu'on accordât, ne fût-ce que mille fusils, aux hommes de la C.N.T., écrit : « Les mille fusils ne nous furent pas donnés ; au contraire, on nous enleva une partie de ceux dont nos hommes s'étaient emparés » [13]. Dans l'après-midi du 18, les militants se sont emparés de tout ce qu'ils ont trouvé, armes de chasse dans les magasins, dynamite sur les chantiers. La nuit du 18 au 19 des groupes de dockers anarchistes raflent toutes les armes sur les bateaux, dans le port. Des responsables, Durruti, Garcia Oliver, n'hésitent pas à intervenir personnellement au risque de ce se faire lyncher par leurs propres partisans, pour éviter tout incident entre la police et les ouvriers, allant jusqu'à accepter de rendre une partie des armes saisies par les dockers.

Cependant, des gardes d'assaut distribuent à des groupes d'ouvriers des armes prises aux râteliers de leurs casernes. Jour et nuit, les ouvriers montent la garde autour de leurs locaux et de leurs permanences.

Le plan des insurgés que doit diriger Goded, venu en avion de Majorque et qui fera arrêter aussitôt les officiers républicains, a été minutieusement appliqué. Depuis plusieurs semaines, la garde d'assaut a vu affluer de jeunes engagés volontaires, señoritos et phalangistes. Les 12 000 hommes des casernes doivent au signal converger vers la place de Catalogne, au centre de la ville. Le 19. A l'aube, les troupes de la caserne de Pedralbes se mettent en marche. Dans toute la ville, après une nouvelle nuit de veille, les ouvriers, munis d'un armement de fortune, les attendent. Les unités de la caserne Atarazanas, celles qui occupent le gouvernement militaire et la Capitania general restent, pour l'instant, dans leurs bâtiments.

Mais, pour les ouvriers barcelonais, qui sont le nombre, c'est le moment – longtemps appréhendé, finalement désiré et espéré – du règlement de comptes. De Barceloneta, des quartiers du port, ils accourent pour barrer la route aux insurgés. Mal armés, quand ils ne sont pas les mains nues, sans direction centralisée, ils ne connaissent qu'une tactique, qui consiste à se ruer en avant, et subissent de lourdes pertes. Mais les morts et les blessés sont aussitôt remplacés et les soldats submergés par la foule. Les militants ouvriers sont au premier rang, et tombent par dizaines. Le secrétaire de la J.S.U. catalane, Francisco Graells, celui des Jeunesses du P.O.U.M., Germinal Vidal, le secrétaire des groupes anarchistes de Barcelone, Enrique Obregon, tombent place de Catalogne où les insurgés occupent les immeubles les plus importants, l'hôtel Colon, le central téléphonique, l'Eldorado. Là ils vont être véritablement assiégés : le courage est aussi contagieux que la peur et les calculs des militaires de métier s'effondrent devant une foule qui ne craint pas la mort, devant ces masses qui se lancent à découvert sous le feu des mitrailleuses et s'en emparent, laissant sur les places et dans les rues des centaines de cadavres.

Au début de l'après-midi, le colonel Escobar, de la garde civile – le colonel Ximenes de L'Espoir d'André Malraux – apporte aux ouvriers le renfort de 4 000 soldats de métier. L'hôtel Colon est emporté et l'hôtel Ritz tombe aussitôt après. C'est à ce moment qu'arrivent les nouvelles du ralliement à « la cause du peuple » de plusieurs unités, et de la victoire, à l'aérodrome de Prat, des forces loyales que dirige un officier républicain, le lieutenant-colonel Diaz Sandino. Les hommes de la C.N.T. reprennent le central téléphonique. Les combats continuent, mais l'insurrection a reçu des coups terribles et, de plus en plus fréquemment, les soldats, ici ou là, se mutinent.

Dans la matinée du lundi 20, des canons sortis d'on ne sait où, pris d'assaut ou livrés par des soldats, sont mis en batterie devant la Capitania general. Officier improvisé, un ancien artilleur, le docker Lecha, commande le bombardement. La résistance semble inutile : le général Goded fait hisser le drapeau blanc au moment où les assaillants que commande un ancien officier, Perez Farras, pénètrent dans l'immeuble. La plupart des officiers assiéges sont massacrés sur place, Goded, soustrait à grand-peine à la fureur populaire [14], est conduit à la Généralité où, sur la demande du Président, il consent à faire à la radio une déclaration : « J'informe le peuple espagnol que le sort m'a été contraire. Je suis prisonnier. Je le dis pour tous ceux qui ne veulent pas continuer la lutte. Ils sont désormais déliés de tout engagement envers moi » [15].

Désormais, la partie est jouée. Dans de nombreuses casernes, les soldats se mutinent. Au fort de Montjuich, ce sont eux qui, après avoir fusillé leurs officiers, distribuent les armes aux ouvriers. Ailleurs les officiers préfèrent se donner la mort. La caserne d'Atarazanas sera la dernière à tomber. On la bombarde avec les quelques avions dont dispose Diaz Sandino, mais elle est finalement prise dans un assaut où Francisco Ascaso trouve la mort. Longtemps encore, avant de partir pour le front, les combattants défileront à l'endroit où est tombé le militant anarchiste, symbole de tous ceux qui ont donné leur vie pendant ces trois journées.

Echec du « movimiento » : la Flotte

Dès le 18, à Madrid, la C.N.T., sur pied de guerre depuis que le bâtiment est en grève, décide de rouvrir de force ses locaux fermés par la police, commence la réquisition des autos et la recherche des armes. David Antona, secrétaire de son Comité national, est libéré le 19 au matin ; il se rend au ministère de l'Intérieur, menace de lancer ses hommes à l'assaut des prisons pour faire libérer les militants qui y sont encore emprisonnés. Les deux grandes centrales lancent l'ordre de grève générale. Au local de l'U.G.T., Carlos de Baraibar organise en toute hâte un réseau de renseignements à l'aide des postiers et des cheminots du pays tout entier et qui permettra à Madrid de connaître, minute par minute, la situation exacte dans les provinces. Les socialistes ont déterré et distribué les armes conservées clandestinement depuis 1934. Dans les rues, les premières barricades s'élèvent. Les premiers coups de feu sont échangés avec des inconnus qui tirent d'un couvent, rue de Torrijos. Les premières milices ouvrières patrouillent déjà, que rien n'a encore bougé dans les casernes !

Les militaires, en effet, perdent un temps précieux. Dans la journée du 19, aucune attaque ne viendra de régiments pourtant entièrement contrôlés par les conspirateurs. Le régiment du Pardo s'est soulevé et a immédiatement quitté la capitale en direction du nord, sans doute à la rencontre de Mola. A Getafe, on se bat dans la caserne des artilleurs entre rebelles et « loyalistes ». Dans toutes les unités, les rebelles s'en sont d'abord pris aux officiers hostiles au Movimiento : ainsi est assassiné le lieutenant-colonel Carratala, ami personnel de Prieto. Le bastion des rebelles est à la caserne de la Montana ; là se trouve le chef militaire de la conjuration, le général Fanjul, autour duquel se sont rassemblés des officiers d'autres unités, des señoritos et les phalangistes. Mais – hésitation ou attente des renforts – Fanjul perd du temps : il harangue ses fidèles, proclame l'état de siège. A la fin de la journée, renonçant à une sortie, il donne l'ordre de tirer sur la foule massée aux abords de la Montana : véritable provocation, qui soulèvera la colère populaire. Pendant ce temps, au Parc de l'Artillerie, un officier fidèle, le lieutenant-colonel Gil, fait distribuer 6 000 fusils ; il en a 60 000 qui n'ont pas de culasses, car les rebelles, prudents, les ont fait démonter et transporter à la Montana.

C'est le 20 seulement que commenceront les combats décisifs. Les haut-parleurs diffusent à tous les coins de rue les nouvelles des victoires de Barcelone, de la reddition de Goded... Les insurgés sont définitivement réduits à la défensive. Deux canons de 75, puis un de 155 commencent à bombarder la caserne. Bientôt arrive le renfort des avions de l'aérodrome de Cuatro Vientos où la rébellion a été écrasée. Vers 10 heures les assiégés hissent le drapeau blanc. La foule qui se rue en avant est fauchée par le tir des mitrailleuses. La colère monte contre ce qu'on prend pour une trahison. Le même scénario se répètera pourtant deux fois, reflétant en réalité la lutte qui se déroule à l'intérieur de la caserne... Malgré les officiers fidèles présents, qui pensent que l'aviation et l'artillerie suffiront à faire capituler les hommes de Fanjul, les assaillants lancent une attaque en masse et emportent la caserne, au prix de lourdes pertes. Fanjul et quelques officiers, protégés par un détachement d'asaltos,sont enfermés dans une voiture blindée et emmenés, mais la presque totalité des assiégés sont tués sur place, tandis que les ouvriers se partagent les armes des vaincus.

Le lendemain, le peuple parfait sa victoire. Tandis que de petits détachements nettoient les rues de Madrid, poursuivant les pacos, tireurs isolés qui se maintiennent encore dans les églises, les couvents ou sur les toits, des colonnes improvisées se lancent tout autour de la capitale sur Guadalajara, où la garnison s'est soulevée et qu'ils reprennent, fusillant le général Barrera, sur Tolède qu'ils reconquièrent aussi, cependant que les insurgés se réfugient dans la vieille forteresse de l'Alcazar, sur Cuenca que le maçon Cipriano Mera, sorti de prison deux jours plus tôt, reprend avec 800 hommes et une mitrailleuse, sur Alcala enfin avec Antona et Mora. Ces colonnes et d'autres, hâtivement formées, marchent sur la sierra, à la rencontre de Mola, vers l'Aragon, en direction de Sigüenza, vers Valence et vers Malaga. La guerre est commencée.

Echec du « movimiento » : Malaga

Les hésitations des insurgés à Madrid ont laissé aux ouvriers le temps de s'organiser. Une erreur plus grave peut-être, celle qui consiste à interrompre une action commencée, va leur valoir un grave échec à Malaga, place importante dans les relations avec le Maroc. Les forces des militaires semblent écrasantes. Seuls les gardes d'assaut sont hostiles au soulèvement. Les travailleurs n'ont pas d'armes. L'action se déclenche le 17 juillet : à la tête d'une compagnie, le capitaine Huelin marche sur le gouvernement militaire et se heurte aux asaltos. Le colonel commandant la garde civile est arrêté par ses hommes au moment où il tente de les soulever. A 8 heures du soir, sur l'ordre du général Patxot, les troupes sortent des casernes, occupent le centre de la ville. Mais le lendemain, le général donne l'ordre de repli et les troupes réintègrent les casernes. A-t-il, faute d'informations sur l'insurrection dans le reste du pays, craint de s'être trop avancé et de rester isolé ? Ou, comme l'a suggéré Martinez Barrio lui-même, ou comme l'assurent Foss et Gehraty, sont-ce la constitution du gouvernement de Martinez Barrio et l'espoir d'un accord qui le font reculer ? En tout cas, les organisations ouvrières saisissent l'occasion ainsi offerte. Les travailleurs, qui n'ont pas d'armes, mettent le feu aux maisons qui entourent la caserne, puis l'arrosent de dynamite. Enfumés, encerclés, menacés de périr dans l'incendie, les militaires se rendent aux asaltos :le capitaine Huelin est lynché par la foule.

Echec du « movimiento » : le Pays basque

Ce sont aussi les hésitations du côté des rebelles qui expliquent leur échec dans le Pays basque. La garnison de Bilbao ne bouge pas. Celle de Santander est encerclée sur place. Le général qui devait commander le soulèvement au Guipuzcoa se dérobe au dernier moment. Surtout, les nationalistes basques, par un appel à la radio de Manuel de Irujo, le 18 juillet, puis un communiqué officiel du parti le lendemain, jettent leur autorité dans la balance, appellent leurs partisans à lutter pour la défense de la République.

A Saint-Sébastien, le colonel Carrasco assure de son loyalisme le comité du Front populaire et les députés nationalistes basques venus l'interroger. Mais la caserne de Loyola se soulève sous les ordres du lieutenant-colonel Vallespin. Carrasoo promet de ramener la garnison à l'obéissance, envoie son aide de camp, qui ne revient pas. Il propose alors de se rendre en personne à la caserne. Les députés acceptent. Il ne revient pas non plus. Les gardes civils qui se sont, jusque-là, affirmés « loyaux » se soulèvent à leur tour le 21 avec les officiers qu'il avaient arrêtés et attaquent le local de la C.N.T. Mais les ouvriers se sont mobilisés. La ville se couvre de barricades... Les gardes échouent devant la Casa C.N.T. et se replient dans l'hôtel Maria Cristina qui sera enlevé par les ouvriers le 23. La caserne de Loyola, bombardée par un train blindé, se rend à son tour, le 28, après des négociations entre les officiers et les députés nationalistes basques, qui ne parviendront d'ailleurs pas à faire respecter les promesses qu'ils ont faites : les chefs du Movimiento sont en majorité abattus sur place. Le colonel Carrasco, fait prisonnier, sera enlevé deux jours après et fusillé sans jugement.

A Valence: la garnison ne se soulève pas

Valence est un cas particulier : les militaires de sa garnison ne se soulèvent pas. Ils ne se rallient pas pour autant à la révolution.

Les premières rumeurs du soulèvement ont atteint la capitale du Levante dans l'après-midi du 18 juillet. Le gouverneur refuse de donner des armes aux syndicats, assure que les chefs de la garnison sont au-dessus de tout soupçon. Dans la nuit du 18 au 19, les organisations ouvrières et les partis républicains mobilisent leurs adhérents. C.N.T. et U.G.T. lancent l'ordre de grève générale pour le 19 à partir de minuit. Dans la soirée éclate le premier incident : des ouvriers du bâtiment attaquent un couvent de dominicains soupçonné d'abriter un dépôt d'armes.

Le 20 au matin, le comité de grève de la C.N.T. donne à ses militants l'ordre de bloquer les alentours des casernes. Les partis du Front populaire constituent un Comité révolutionnaire auquel ils invitent les délégués du comité de grève de la C.N.T. Le gouverneur est toujours hésitant. Un officier de la garde civile, un socialiste, le capitaine Uribarri, prend la tête de ceux qui veulent lui forcer la main et prévenir la rébellion des casernes. Les délégués de la C.N.T. posent des conditions au Front populaire pour leur soutien : ils veulent la mobilisation des forces ouvrières autour des casernes, l'« amalgame » immédiat entre troupes « fidèles » et ouvriers, par la constitution de « groupes d'intervention » sur la base d'un asalto pour deux militants, l'occupation par ces unités de tous les points stratégiques (Postes, Téléphone, Radio-Valence) de la ville, l'envoi à la garnison d'un ultimatum et l'assaut immédiat des casernes au cas où les généraux refuseraient de livrer les armes. Le comité accepte les propositions de la C.N.T. et se transforme en « Comité exécutif populaire ». Mais le général Martinez Monje refuse de distribuer les armes, signe la fin d'une grève générale qui n'a pas, à ses yeux, de raison d'être, puisqu'il reste, avec ses hommes, fidèle au gouvernement, et le fait publiquement savoir dans un communiqué que diffuse Radio-Valence. Pourtant les troupes restent consignées. L'impression générale est que l'armée hésite : les conspirateurs savent que les insurgés sont battus à Barcelone et à Madrid et ont, de toute façon, intérêt désormais à gagner du temps. Dans la ville, les accrochages entre ouvriers et phalangistes, les attaques de couvents ou d'églises se multiplient. Les marins des bateaux de guerre ancrés dans le port se sont soulevés contre leurs officiers et fraternisent avec les dockers. C'est à ce moment qu'arrivent à Valence Martinez Barrio et trois autres dirigeants républicains, Ruiz Funes, Espla, Echevarria, munis d'une délégation de pouvoir du gouvernement Giral. Pendant deux semaines encore vont s'affronter, dans une ambiance révolutionnaire, trois pouvoirs distincts : celui de l'Armée, celui de la « Junte déléguée » de Martinez Barrio, celui du Comité exécutif populaire. L'assaut des casernes qui, dans la plus grande partie de l'Espagne s'est déroulé entre le 18 et le 21 juillet, ne se produira, à Valence, qu'au début du mois d'août.

La situation au soir du 20 juillet

Au soir du 20 juillet, sauf à Valence, les positions sont prises. Certes, on continue à se battre sur les barricades, dans les rues de La Corogne où les ouvriers luttent à coups de pavés ; dans les faubourgs de Saragosse et de Séville, autour des casernes, à Saint-Sébastien, Gijon, Santander, près d'Algésiras où des détachements rebelles viennent de débarquer, un peu partout, là où des tireurs isolés de l'un ou l'autre camp poursuivent un combat désespéré. Ce ne sont pourtant, dans l'ensemble, que des opérations de nettoyage. Chaque camp a maintenant son territoire dont il parachève la conquête.

C'est un véritable bulletin de victoire que Franco télégraphie à Queipo : « L'Espagne est sauvée : les provinces d'Andalousie, Valence, Valladolid, Burgos, Aragon, les Canaries et les Baléares sont unies à nous.» Le général est bien optimiste. En réalité, le pronunciamiento en tant que tel a échoué. Non seulement les rebelles ont essuyé de terribles revers, mais ils ont déclenché la révolution ouvrière que leur action avait voulu prévenir. Coup sur coup, ils viennent de perdre quelques-uns de leurs chefs les plus écoutés et les plus capables, Calvo Sotelo, Sanjurjo, Goded, José-Antonio Primo de Rivera [16], tombé dans la prison d'Alicante aux mains des miliciens. Surtout, leurs défaites, en détruisant la légende d'invincibilité de l'armée dans les luttes civiles, les privent de leur atout majeur, la peur. Ce n'est plus désormais à un faible gouvernement de Front populaire qu'ils se heurtent, mais à une révolution. Le pronunciamiento a échoué. La guerre civile commence.

Notes

[1] Les salaires sont augmentés (de 5 % pour ceux qui étaient inférieurs à 12 pesetas. de 10 % pour les autres) et la semaine de 40 heures accordée. La C.N.T. réclamait, outre une hausse plus importante, la semaine de 36 heures, un mois de congé payé, la reconnaissance de maladies professionnelles, dont les rhumatismes.

[2] A Malaga, le conflit avait opposé les militants C.N.T. des salaisons en grève aux pêcheurs U.G.T. Le 10 juin, les premiers ont assassiné le communiste Andrès Rodriguez, responsable de l'U.G.T. Un attentat contre le dirigeant de la C.N.T. Ortiz Acevedo coûte la vie à l'un de ses enfants. Le 11, avant l'enterrement de Rodrlguez, c'est un socialiste, Ramon Reina, qui est abattu. Le gouverneur fait fermer les locaux des deux centrales. Ce n'est que le 15 que les violences cessent, C.N.T. et U.G.T. condamnant de part et d'autre les attentats.

[3] Lizarra, Los Vascos y la Republica española, op. cit. p. 31.

[4] Le capitaine Beeb, engagé par le célèbre ingénieur Juan de la Cierva.

[5] Bertran Güell, op. cit. p. 76.

[6] Prologue de la 4° édition de España de S. de Madariaga.

[7] ibid.

[8] Dans un discours à la radio pour le premier anniversaire du Movimiento,Franco déclarera que Martinez Barrio voulait « former un ministère qui devait donner raison à l'armée, rétablir l'ordre et obtenir le retrait des troupes ». Selon lui, ce ministère « fut trahi par les hordes criminelles que ses prédécesseurs avaient armées. »

[9] Delaprée, Mort en Espagne,p. 22.

[10] Mémoire reproduit par Peirats, La C.N.T. en la Revolucion española, T. I, p. 182-186.

[11] Dans la Tourmente. p. 71.

[12] Cf. le rapport du chargé d'affaires allemand Voelckers en date du 23 septembre 1936 : « La défection de la marine a contrarié une première fois les projets de Franco. Ce fut là un échec d'organisation très grave qui a menacé d'effondrement le plan tout entier, qui a sacrifié inutilement les garnisons des grandes villes qui, en vain, attendaient un ordre l'arme au pied et qui, surtout, a fait perdre un temps précieux. »

[13] Santillan, Por qué perdimos la guerra.

[14] Par une ironie de l'histoire, ce serait – si l'on en croit la Dépêche de Toulouse du 26 juillet 1936 – la militante communiste Caridad Mercader qui aurait, dans ces circonstances, sauvé la vie du général Goded. Or il est généralement admis aujourd'hui que cette femme fut mêlée à l'assassinat de Trotsky par Jacson-Mornard, agent de la N.K.V.D., qui serait en réalité son fils, Ramon Mercader.

[15] Companys, après son échec de 1934, avait fait à la radio une déclaration semblable.

[16] José Antonio Primo de Rivera fut jugé par un Tribunal populaire devant lequel il se défendit librement, avec brio d'ailleurs. Il fut condamné à mort et exécuté le 18 novembre 1936. Auparavant, le conseil des ministres républicain avait examiné une proposition transmise par la Croix-Rouge d'échange entre le leader phalangiste et le fils de Largo Caballero, Paco Largo Calvo. Largo Caballero se prononça pour le refus de la proposition nationaliste.

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