1961

" A ceux qui crient à « l'Espagne éternelle » devant les milices de la République avec leurs chefs ouvriers élus et leurs titres ronflants, il faut rappeler la Commune de Paris et ses Fédérés, ses officiers-militants élus, ses « Turcos de la Commune », ses « Vengeurs de Flourens », ses « Lascars ». "

P. Broué, E. Témime

La Révolution et la Guerre d’Espagne

II.8 : L'abandon de la République

La mise en application du plan de non-intervention, le 19 avril, malgré un retard considérable, donne de grands espoirs aux gouvernements occidentaux; pour la première fois, une coopération efficace semble sur le point de s'établir et d'apporter une solution au problème posé par l'internationalisation de la guerre; pour la première fois, un contrôle va fonctionner, qui permettra au moins de localiser le conflit. Certes, si l'on avait pu obtenir une application loyale du contrôle par tous les intéressés, les difficultés inhérentes à toute coopération internationale auraient pu être finalement vaincues. Mais, dès les premiers jours, la mauvaise volonté des puissances de l'Axe se manifeste de façon éclatante. Elles n'ont en effet accepté le contrôle, après avoir fait traîner en longueur les pourparlers, que dans l'espoir de voir la guerre se terminer rapidement. Après Guadalajara, la prolongation de la guerre remet en question tout le système péniblement élaboré par le Comité de Londres. Si aucun incident grave ne vient perturber le contrôle terrestre, d'ailleurs fort lâche, la surveillance maritime donne lieu en revanche à de violentes querelles.

L'affaire du « Deutschland »

Avant même la mise en application du système de contrôle, divers incidents s'étaient déjà produits, et des bateaux anglais ou français ont été arraisonnés. Mais les seules conséquences en ont été des notes de protestation de la part des gouvernements intéressés [1]. L'affaire du Deutschland va prendre une autre ampleur.

Les puissances qui doivent participer au contrôle ont envoyé en Méditerranée des navires de guerre. Ceux-ci se ravitaillent dans des ports espagnols amis. Ainsi la base maritime d'Ibiza, dans les Baléares, sert de point de rassemblement aux navires de guerre allemands. Après divers incidents qui se produisent en mai 37, le croiseur allemand Deutschland est atteint assez sérieusement au cours d'une attaque d'Ibiza par l'aviation républicaine; il y a des morts et des blessés. Le gouvernement de Berlin réagit vigoureusement : Il ne se contente pas, pour sa part, d'une note remise aux puissances chargées du contrôle; il tient à profiter de l'occasion pour faire une démonstration de force.

Une action navale de l'Allemagne dans les premiers mois de la guerre civile aurait pu provoquer un conflit général; mais, en ce début d'été 37, l'atmosphère est à la détente. La Grande-Bretagne et la France ont déjà fait assez de concessions ; elles ne croient plus à une guerre mondiale dans l'immédiat.

Le 31 mai, trois navires de guerre allemands, le cuirassé Admiral-Scheer et deux torpilleurs, vont, sur ordre de Berlin, bombarder le port d'Almeria. Cette canonnade est présentée comme une simple opération de représailles. Mais il n'existait pas de commune mesure entre les deux événements : d'un côté, un bombardement effectué à l'intérieur d'une zone de guerre sur un territoire ennemi, de l'autre une opération spectaculaire volontairement conduite par une puissance neutre et prenant la forme la plus choquante, celle d'une attaque contre une ville mal défendue. Il s'agissait en fait d'une véritable agression commise par une des grandes puissances chargées du contrôle maritime.

On pouvait s'attendre à des réactions violentes, tant de la part des républicains espagnols que des démocraties occidentales. Le ton de la presse monte. A Valence, le Conseil des ministres de la République espagnole entend Prieto, ministre de la Défense, proposer de faire attaquer la flotte allemande en Méditerranée par des avions de bombardement. Une telle riposte signifie la guerre contre l'Allemagne. Prieto le sait, mais il espère qu'il s'ensuivra une guerre européenne, seul moyen selon lui de sauver l'Espagne. Cependant la plupart des membres du gouvernement républicain [2] refusent de prendre la responsabilité d'un tel conflit. Finalement la France et l'Angleterre se refusant à toutes réactions positives, le geste de provocation allemand reste sans réponse. Mieux, ce sont les Allemands et les Italiens qui clament leur indignation; leurs représentants au Comité de Londres le quittent avec grand fracas. Ils y reviendront au début du mois de juin.

Après le bombardement du Deutschland survient l'affaire du Leipzig, attaqué, aux dires du gouvernement allemand, par un sous-marin. L'Allemagne et l'Italie proposent une démonstration commune contre Valence des pays chargés du contrôle. La France et la Grande-Bretagne sont d'accord pour demander aux deux partis espagnols de respecter les navires de guerre, mais elles refusent de s'associer à une action militaire, alléguant que du reste il a été impossible d'identifier l'agresseur du Leipzig. Elles proposent à leur tour l'envoi d'une commission d'enquête, mais se heurtent à la vertueuse indignation de Berlin et de Rome; les délégués de l'Axe constatent l'impossibilité d'assurer une surveillance maritime efficace et décident, le 23 juin, d'y renoncer définitivement.

Dans ces conditions, tout contrôle terrestre devient absurde. Aussi, le 10 juillet, s'associant aux pays de l'Axe, le Portugal décide-t-il de supprimer « les facilités accordées pour le contrôle des frontières ». La France, en désespoir de cause, en fera autant le 10 juillet. Le plan de contrôle que les puissances du comité de Londres ont mis sept mois et demi à élaborer, aura vécu exactement un mois et demi! Entre-temps, le gouvernement Blum est tombé, après avoir vu l'échec de sa politique extérieure.

Certes le Comité de non-intervention existe toujours, mais il a perdu le peu d'autorité qu'il a jamais pu avoir. Ces deux mois ont été les seuls, en près de trois ans de guerre, où il ait joué un rôle quelque peu efficace. Son échec constitue une nouvelle défaite pour les démocraties occidentales. Face à des hommes qui s'enorgueillissent de ne pratiquer que la « loi fasciste du fait accompli » [3], elles ont encore prouvé, par leurs abandons, qu'elles étaient prêtes à payer de n'importe quel prix le maintien de la paix ...

La piraterie en Méditerranée

L'été 37 a été marqué par une nouvelle série d'incidents maritimes, attaques de bateaux de commerce et de bateaux de guerre espagnols ou neutres en haute mer par des avions, puis par des sous-marins. En août 37, les relations internationales sont de nouveau tendues du fait de la multiplication de ces actes de piraterie. Il suffit de parcourir les colonnes des Journaux pour y trouver presque chaque jour une nouvelle information de cet ordre. Le 6 août le tanker britannique British Corporal et le steamer français Djebel Amour sont bombardés par avion. Le 11 août, c'est une attaque contre un navire de guerre anglais, le destroyer Foxhound, près de la côte nord de l'Espagne. Le 13 août l'Edith, danois, est coulé. Le 15 août, le tanker panaméen George Mac Night est incendié par un navire de guerre. Des navires espagnols gouvernementaux (comme le Ciudad de Cadiz, coulé le 16 août) sont en même temps attaqués et torpillés par des sous-marins « de nationalité inconnue » dans toute la Méditerranée et jusque dans les Dardanelles.

D'où viennent ces attaques? Les deux gouvernements espagnols s'en rejettent mutuellement la responsabilité. En fait, la plupart des victimes sont soit des navires gouvernementaux espagnols, soit des navires neutres notamment soviétiques, appartenant à des puissances favorables à la République espagnole; certains transportent du matériel destiné à l'Espagne républicaine. Très vite une partie de la presse, en particulier les journaux anglais, désignent l'agresseur. Les avions qui ont attaqué les navires neutres se révèlent être, en dépit des protestations véhémentes de l'état-major nationaliste, des avions franquistes, les sous-marins aussi, probablement; on fait même allusion, à l'époque, à la nationalité italienne de certains agresseurs. Cette hypothèse sera plus tard confirmée par les Mémoires du comte Ciano. Celui-ci déclare sans sourciller que les auteurs de ces actes d'agression sont des navires de guerre Italiens, qu'ils soient sous drapeau franquiste ou non. Le 31 août, Ciano établit à ce sujet un bilan provisoire: « Quatre bateaux russes ou rouges coulés, un grec capturé, un espagnol bombardé et contraint de se réfugier dans un port français. »

Le but à atteindre est le blocus par mer de l'Espagne républicaine; Franco l'explique lui-même, lorsqu'il déclare que « l'arrêt des transports d'armes en Méditerranée et l'opposition aux déchargements dans les ports rouges étaient, pour les nations intéressées à voir finir la guerre, le moyen le plus efficace de l'abréger [4] ». En fait c'est, sous une forme nouvelle, la guerre de course en pleine paix. Si tolérables que soient les puissances occidentales, il leur est difficile de ne pas réagir.

« Grande orchestration franco-russo-britannique ; motif : piraterie dans la Méditerranée. Responsabilité : fasciste. « Au moment où Ciano écrit ces lignes, l'opinion internationale semble effectivement s'émouvoir. La cause en est un nouvel incident maritime : la tentative de torpillage par un sous-marin « de nationalité inconnue » du contre-torpilleur anglais Havoc. En réalité, il s'agit d'une nouvelle action italienne, dont Ciano indique l'origine: « Le coup est parti de l'Iride ».

Cette fois, il semble que Londres ne soit plus disposé à se contenter de protestations platoniques. La tension grandit entre l'Angleterre et l'Italie. Le gouvernement français tient à montrer plus de fermeté lui aussi et décide de faire escorter en Méditerranée ses cargos par des navires de guerre. Les dirigeants fascistes en sont pour la première fois ébranlés. « J'ai obtenu, dit Ciano, qu'on remette l'envoi des renforts en Espagne. » Et il note le 4 septembre: « J'ai donné l'ordre à Cavagnari[5] de suspendre toute action navale jusqu'à nouvel avis. » Ainsi la première réaction ferme des gouvernements occidentaux a suffi à arrêter la dangereuse politique italienne, et cela malgré la pression exercée sur Rome par l'Espagne nationaliste. « Franco dit que le blocus sera décisif s'il dure tout septembre. C'est vrai; cependant, nous devons le suspendre. » Peut-il y avoir une déclaration plus nette quant à la volonté de l'Italie de ne pas s'engager dans une guerre européenne à ce moment et dans ces conditions ?

Cependant, ni le gouvernement français, où l'influence socialiste a diminué, ni le gouvernement britannique, maintenant présidé par Chamberlain[6], ne tiennent à aller trop loin. Ils se contentent de présenter au Comité de Londres un projet de conférence qui se tiendrait à Nyon le 10 septembre; les puissances invitées seront tous les États riverains de la Méditerranée et de la mer Noire [7], plus l'Allemagne, moins les deux Espagne. Le but officiel est de discuter des moyens de faire cesser la piraterie en Méditerranée. Mais dans une conférence de cette sorte, la procédure compte autant que les problèmes abordés. Il est essentiel de savoir si l'Italie participera aux débats de son plein gré et si elle y fera figure d'accusée. Le gouvernement russe profite de la situation pour préparer une note extrêmement violente contre le gouvernement fasciste. C'est un véritable acte d'accusation. Le motif invoqué est le torpillage d'un bâtiment russe pour lequel les Soviétiques réclament des réparations. L'Italie refuse alors sa participation; l'Allemagne et l'Albanie prennent une position identique. Les dirigeants de ces pays affirment que si la conférence échoue, l'U.R.S.S. en sera seule responsable.

La réunion s'ouvre cependant à la date prévue. A-t-elle été un succès? Les États occidentaux l'ont affirmé. Leur presse a célébré l'accord de Nyon comme une revanche diplomatique après la longue série d'échecs subis dans les mois précédents. La décision prise de « confier aux flottes française et anglaise la lutte contre la piraterie » semble annoncer un changement radical d'attitude vis-à-vis de l'Italie, et par contrecoup une prise de position nouvelle dans le conflit espagnol. Le Duce, en apprenant ces décisions, « entre dans une violente colère ». Mais il ne faut pas trop se fier aux colères de Mussolini, enclin à réagir brutalement sur une première impression. Si les Occidentaux prennent à Nyon une position énergique, c'est principalement pour avoir une base de négociations. Une première satisfaction est aussitôt donnée aux Italiens: l'U.R.S.S. est exclue du contrôle.

Du reste, les gouvernements anglais et français cherchent à obtenir la participation de l'Italie elle-même à l'accord. Peut-être, en s'adressant à l'Italie et non à l'Allemagne, a-t-on espéré opposer les deux puissances; c'est mal comprendre une alliance fondée à la fois sur des intérêts complémentaires et sur un besoin mutuel de sécurité: l'Italie peut participer au contrôle méditerranéen sans affaiblir l'axe Rome-Berlin. Sollicitée, elle pose une condition : égalité avec la France et l'Angleterre dans le contrôle. « Nous passons, écrit Ciano dans ses Mémoires, du rôle de lanceurs de torpilles qu'on nous avait attribué à celui de policiers de la Méditerranée, alors que les Russes, coulés au fond, sont exclus du contrôle. »

Pas plus que le bombardement d'Almeria, la piraterie italienne n'a pu finalement décider les Occidentaux à accomplir un geste favorable à la République espagnole. L'isolement politique de la Russie, qu'avaient déjà marqué les discussions de Londres, s'est encore accentué ; c'est un des motifs, sans aucun doute, du tournant diplomatique que va prendre Staline, convaincu qu'il n'a rien à attendre des démocraties occidentales. Tel est l'aboutissement de la politique pacifiste de la Grande-Bretagne.

Le triomphe de la politique Chamberlain

La politique anglaise, depuis le commencement de la guerre civile, n'a guère été favorable au gouvernement républicain. Eden, pas plus que Baldwin, n'a montré la moindre compréhension à l'égard des demandes de l'ambassadeur Azcarate. Du moins le gouvernement britannique a-t-il respecté les formes de la plus stricte neutralité. Mais les conservateurs anglais ne sont pas plus favorables que les partisans de Franco à ceux qu'ils considèrent toujours comme des « rouges ». Au début, ils songent surtout à limiter les dégâts en ménageant une médiation qui permettrait d'obtenir une paix de compromis. Cette paix ne pouvant être garantie que par une entente internationale, plus exactement par une entente méditerranéenne, le but de la diplomatie anglaise sera donc d'assurer la paix en Méditerranée en y maintenant le statu quo.

Ces vues ne s'opposent nullement à celles de Franco qui, face à ses alliés italiens, fait même un impératif du maintien de l'intégrité du territoire espagnol. Dès la fin de 1936, les entretiens Ciano-Drummond précisent que rien ne sera fait qui puisse modifier la situation existant en Méditerranée. Sans doute la crise engendrée par la piraterie en Méditerranée a-t-elle interrompu les relations anglo-italiennes. Mais elles seront reprises en novembre 37, sur l'initiative du Premier britannique Chamberlain. Le 16 novembre, le gouvernement anglais s'est décidé, pour la « protection de ses intérêts », à reconnaître de facto le gouvernement de Burgos.

Il envoie donc un représentant en Espagne nationaliste, Robert Hodgson, qui exerce en fait les fonctions d'ambassadeur ; de même, les « agents » installés dans les villes espagnoles auront en fait rang de consuls. Franco se fait représenter en Grande-Bretagne par une des plus hautes personnalités du régime, le duc d'Albe, qui arrive à Londres le 22 novembre. Cet échange de plénipotentiaires annonce un rapprochement, déjà amorcé dans le domaine commercial, entre l'Angleterre et l'Espagne nationaliste. La conquête du Nord, où les Anglais ont de gros intérêts, a sans doute été le fait déterminant qui explique cette évolution. Hodgson ne tarde pas à avoir, à Burgos, une influence réelle, et les efforts pour aboutir à une paix de compromis visent dès lors à garantir la victoire franquiste dans les conditions les moins violentes possibles.

Mais là commencent les divergences entre les dirigeants anglais. Si tous, considèrent que la victoire de Franco est inévitable et qu'après tout elle est utile, il se trouve au sein du gouvernement une minorité, dont le représentant le plus influent est Anthony. Eden, pour penser qu'une entente avec le fascisme en Méditerranée est une duperie. La mise en application d'un accord diplomatique entre l'Angleterre et l'Italie suppose l'élimination de cette minorité. Après une entrevue entre Grandi, ambassadeur d'Italie à Londres, Eden et Chamberlain, l'opposition entre ces deux derniers devient évidente, notamment sur la question des volontaires étrangers en Espagne. Eden doit donner sa démission, qui est saluee par les diplomates de l'Axe comme une victoire. La politique de la Grande-Bretagne vient de prendre un tournant définitif: un accord entre l'Angleterre et l'Italie est préparé par le comte Ciano et Lord Perth, chargé d'affaires anglais à Rome. Ciano veut éviter des difficultés au gouvernement Chamberlain; aussi est-il prêt à faire des concessions. L'entente est réalisée à la fin de l'année 37 malgré de nouveaux incidents en Méditerranée. Mais pour que l'accord entre en application, il faut que la autre finisse. Au début de l'année 38, le désastre républicain en Aragon semble répondre à ces vues.

Les dernières hésitations françaises

Le gouvernement de Barcelone n'a pas encore renoncé à tout espoir ni à toute aide extérieure. Un appui français est encore concevable, surtout au mois de mars 38, lors du retour de Blum au gouvernement. Selon Negrín, Blum, avant même de prendre la direction du ministère, lui aurait demandé de venir à Paris pour discuter avec certaines personnalités françaises les modalités d'une aide matérielle. Negrín aurait fait le voyage et rencontré Blum, Daladier et Paul-Boncour. Un accord serait alors intervenu sur des fournitures d'armes.

En fait, le deuxième gouvernement Blum a envisagé, au moment de la campagne d'Aragon, d'aller plus loin dans l'intervention. Devant l'effondrement républicain, alors qu'on pouvait s'attendre à une avance générale des nationalistes en Catalogne, il a été très sérieusement question en France d'une intervention militaire qui se serait traduite par l'occupation de cette province espagnole. Sans doute le gouvernement français escomptait-il avoir ainsi un gage pour une négociation politique. Les ministres ont envisagé, d'après Blum lui-même, une expédition rapide effectuée par des unités mécaniques[8]. Mais, lors de la réunion du Conseil de Défense nationale, les militaires français ont déclaré ne pouvoir agir sans un ordre de mobilisation. Il ne faisait pas de doute d'autre part qu'une telle mesure risquait sérieusement de déclencher un conflit européen. Si la France envoyait « in articulo motoris des hommes et du matériel aérien, nous interviendrions en force», dit Ciano.

Ainsi, Blum se trouve pour la deuxième fois placé devant l'alternative de la paix ou de la guerre. Lorsque l'attaché militaire à Madrid, Morell [9], est consulté par le président du Conseil sur la possibilité d'une action militaire il répond : « Je n'ai qu'un mot à vous dire: un roi de France ferait la guerre ». Mais, dit Blum, « je n'étais pas le roi de France ».

En renonçant pour la deuxième fois à une intervention directe, le gouvernement français renonce, au mois de mars 38, à défendre de façon efficace le gouvernement républicain espagnol. L'envoi d'armes françaises, la liberté de passage laissée aux envois de matériel étranger ne suffisent plus à modifier le cours des événements. Le gouvernement Blum est remplacé en avril par un ministère Daladier, dans lequel entre Georges Bonnet, partisan d'une entente avec les puissances de l'Axe. La France, à son tour, se prépare à abandonner le gouvernement de Barcelone. Il convient cependant de sauvegarder les apparences, de montrer qu'un accord international permettrait de rendre au conflit son caractère proprement espagnol, d'arriver enfin à un accord sur le retrait des volontaires, dont on parle vainement depuis les débuts du Comité de Londres.

Le plan de Londres

Au cours de l'été 37, le gouvernement anglais tente de reprendre les discussions à ce sujet. Un plan est communiqué le 14 juillet aux puissances intéressées, qui comprend quatre points :

Ainsi se trouvent liés, comme l'Italie et l'Allemagne l'ont demandé depuis 36, le problème du retrait des volontaires et celui des droits de belligérance. Mais ce qui eût représenté au début du conflit un grave problème de droit n'a plus, en juillet 37, qu'un intérêt et une portée limités. Qu'une fois de plus les puissances de l'Axe aient jugé nécessaire de faire traîner les pourparlers - le plan anglais n'est qu'une « base de négociations » -, rien de plus normal de leur part. Mais pourquoi le gouvernement français accepte-t-il de se laisser mener ainsi de discussion en discussion pendant des mois et des années? La guerre civile a commencé en juillet 36, le plan de contrôle anglais a été présenté un an après; et le 9 novembre 38, dans un article du Populaire, Blum pose encore la question: « Le plan de Londres doit-il être mis en application? ».

Le plan de Londres ne sera jamais mis en application, du fait notamment de l'opposition russe, hostile à toute forme de reconnaissance du gouvernement de Burgos, position que l'U.R.S.S. confirme lors de la réunion du Comité de Londres fin octobre 37. L'Italie, le Portugal et l'Allemagne en profitent pour déclarer qu'ils ne peuvent voter la résolution tant que l'unanimité ne sera pas acquise.

Fidèles cependant à l'attitude qui a été la leur depuis le début, les puissances de l'Axe cherchent pourtant à relancer les pourparlers. Le gouvernement allemand propose un compromis: « un geste symbolique » consistant à retirer de part et d'autre un certain nombre de volontaires. Le caractère platonique de cette proposition ne provoque pas sur le moment un grand enthousiasme: c'est de nouveau l'impasse.

Pourtant, dans le courant de l'été 38, un revirement se produit. Les délégués du Comité se mettent d'accord pour préparer l'application du plan britannique. L'Angleterre s'en félicite: « La politique de non-intervention a atteint son but », déclare Chamberlain [10], tandis que Butler annonce à la Chambre des Communes: « La date à laquelle le système de surveillance sera rétabli et le système de contrôle naval, sous sa nouvelle formule, mis en vigueur, sera celle à laquelle la Commission internationale pour le contrôle du retrait des volontaires sera prête à commencer le dénombrement» [11].

Le fait nouveau reste l'unanimité réalisée au Comité de Londres. Il est dû essentiellement à l'évolution de la politique russe. Moscou adhère maintenant en effet au projet de contrôle naval. L'explication de ce changement est partiellement donnée par l'ambassadeur d'Allemagne à Moscou, Schulemburg: « Le gouvernement soviétique juge assez improbable une victoire des Rouges et croit en conséquence préférable de préparer l'opinion à une paix négociée » [12]. Cette explication n'est sans doute que partielle. Certes, les défaites républicaines ont dû amener l'U.R.S.S. à pratiquer une politique de plus en plus prudente; mais il est probable que le revirement s'inscrit d'abord dans l'ensemble de la politique russe. C'est le point de départ d'une évolution qui aboutira, un an après le « lâchage » de l'Espagne, à la signature du pacte germano-soviétique. En attendant, la prolongation de la guerre recule la menace d'un conflit en Europe centrale. C'est en songeant à ces dangers futurs que l'U.R.S.S. ne tient pas à se séparer ouvertement des démocraties occidentales, avec lesquelles elle a des intérêts communs.

Le retrait des volontaires

Quoi qu'il en soit, le 5 juillet, un accord est intervenu au Comité de Londres sur le plan du retrait des volontaires : comme l'a demandé l'Allemagne, la belligérance sera reconnue aux deux partis dès que 10 000 hommes pourront être retirés de chaque côté. Deux commissions sont prêtes. La première doit trouver les moyens de dénombrer les volontaires encore répartis dans les deux Espagnes. On charge le secrétaire du Comité, Hemming, d'obtenir l'accord des autorités espagnoles. Mais la nette hostilité de Franco [13] l'empêchera d'accomplir sa mission.

La deuxième commission, beaucoup plus active, s'installe à Toulouse à partir du mois d'août. C'est la « Commission d'échange des prisonniers », présidée par le feld-marshall Chetwood. Elle contribuera à l'organisation de nombreux échanges, et il est probable que Chetwood et ses collaborateurs, Cowan en zone républicaine, Mosley en zone nationaliste, auront efficacement contribué à préparer la fin du conflit.

En revanche, l'évacuation des étrangers combattant en Espagne constituera une comédie diplomatique, d'un côté comme de l'autre. Elle a été faite sans aucun contrôle, mais au milieu de cérémonies fracassantes, de défilés et d'adieux pathétiques. Negrín s'adresse aux combattants internationaux. Les membres du C.T.V. évacués d'Espagne reçoivent un accueil retentissant à leur arrivée à Naples; mais les troupes évacuées ne sont composées en réalité que de blessés et de malades, ou du moins d'hommes fatigués qui, du côté italien, seront aussitôt remplacés par des troupes fraîches.

Personne d'ailleurs n'est dupe: Allemands et Italiens accusent les républicains d'avoir pris des mesures pour « camoufler » leurs volontaires, et Weizsacker peut écrire :

Il En fait, aucune évacuation de volontaires rouges n'a eu lieu, quoi qu'on ait pu en dire. Seuls les blessés français ont été pris en charge par la France » [14]. Les porte-parole de l'Axe opposent, à ce manquement aux engagements pris, l'attitude italienne. Il est vrai qu'un certain nombre d'Italiens ont été évacués – 11 000 semble-t-il - mais il faut dire exactement dans quelles conditions. D'après une note de la Wilhemstrasse, Berti, commandant en chef des Italiens, aurait laissé le choix à Franco entre trois propositions: envoi de deux à trois nouvelles divisions, envoi de 10 000 hommes pour compenser les pertes, retrait partiel ou total des Italiens, cette dernière mesure étant devenue possible depuis que s'est renforcée la capacité militaire de l'armée franquiste. Mais le retrait total ne plait ni à Franco, ni à Mussolini; aussi s'arrêtent-ils à une mesure qui ne peut pas affaiblir le potentiel de guerre nationaliste: le départ d'une partie de l'infanterie sera compensé par le renforcement des troupes spécialisées et de l'aviation. C'est seulement après cet accord qu'une évacuation « factice » aura lieu. Les Allemands, qui n'ont pas participé à ces tractations, ont au contraire, depuis juillet 38, entièrement reconstitué la légion Condor.

Ainsi se terminent les discussions sur les volontaires. Le Comité de non-intervention existe toujours, mais son rôle est nul. Sa trentième et dernière séance se tiendra le 19 mai 39, après la fin du conflit. Prenant acte de son inutilité, il procèdera alors à sa propre dissolution.

Munich et l'Espagne : les espagnols devant la crise européenne

La condamnation de l'Espagne républicaine, acceptée depuis l'été 38 par la France et par la Russie, est définitive après Munich. A cette date, Negrín et Del Vayo, tout comme Prieto à l'époque d'Almeria, estiment que la guerre européenne est inévitable et qu'elle est pour la République la seule chance de victoire. Or, si la position diplomatique de la République espagnole est affaiblie, les chances d'un conflit international ont considérablement augmenté.

L'Anschluss a préludé aux grandes annexions hitlériennes. Puis sont venues les revendications sur les territoires tchécoslovaques des Sudètes. Sans doute l'Italie est-elle mal préparée à la guerre et affaiblie par l'aventure espagnole. Mais son alliance avec l'Allemagne est plus solide que jamais. En face, la France et l'Angleterre se sont rapprochées et garantissent les frontières de la Tchécoslovaquie. La situation politique en Europe est si tendue que la question espagnole est passée au second plan des préoccupations internationales.

Pourtant, si la guerre éclate, le gouvernement Negrín est bien décidé à prendre immédiatement position et à forcer la main à la France et à l'Angleterre, en se rangeant à leur côté et en déclarant la guerre à l'Allemagne et à l'Italie, dont les troupes occupent une partie de son territoire. Il s'agit en effet pour la République de renverser une situation chaque jour plus défavorable. L'abandon politique par les grandes puissances entraîne un changement d'attitude des petits États, qui se tournent naturellement vers le plus fort. Jusqu'alors le groupe Allemagne-Italie-Portugal s'était trouvé isolé et minoritaire au Comité de non-intervention; en janvier 38, la Hongrie, l'Autriche et l'Albanie, futures victimes des ambitions du fascisme, appuient sa position. Onze États ont alors reconnu le régime du général Franco de facto ou de jure [15].

Les républicains veulent convaincre les Occidentaux qu'ils ne représentent pas une force révolutionnaire dangereuse et que la période d'anarchie est maintenant dépassée. Le gouvernement Negrín symbolise le maintien de l'autorité; il n'y a plus d'opposition depuis le départ de Prieto. Negrín lui-même exerce les responsabilités essentielles dans l'État: il sera non seulement président du Conseil, mais aussi ministre des Affaires étrangères, de la Défense nationale et de l'Intérieur. Ses amis ont voulu le comparer à Clemenceau, et il y a sans doute chez lui la même volonté de s'identifier au pays en guerre. L'autorité et l'unité nationale sont affirmées aux dépens des tendances autonomistes basques et catalanes; en août 38, la démission du ministre catalan Ayguade et du Basque Irujo, remplacés par Moix Regas, du P.S.U.C. et par le socialiste Bilbao Hospitalet, signifie bien, malgré les protestations officielles [16] le renforcement du pouvoir central.

De même, la politique de tolérance religieuse pratiquée par Negrín est inspirée par le désir de gagner les sympathies du monde occidental. Irujo, tant qu'il est ministre, combat pour obtenir le libre exercice du culte; il a fait admettre assez vite que soit considérée comme un délit « la dénonciation des prêtres pour le seul fait d'exercer la prêtrise » [17]. Les messes privées sont autorisées et, le 15 août 37, à Valence, la première messe officielle est célébrée dans l'immeuble de la Délégation basque. Certes, cela ne signifie pas que l'Église catholique ait retrouvé ses prérogatives: le premier enterrement religieux publiquement autorisé est considéré comme une preuve éclatante de la tolérance du gouvernement. Mais des mesures moins spectaculaires sont autrement efficaces. Ainsi la décision prise par Negrín d' « excepter les objets du culte des règles générales de réquisition des métaux précieux » et surtout les mesures de 38, qui exemptent les prêtres du service armé pour les verser dans les services de santé et de bienfaisance, et qui les autorisent à entrer dans les prisons pour y exercer leur ministère, notamment auprès des condamnés à mort. Toutes ces décisions tendent à rassurer l'étranger. On peut s'entendre avec un tel régime, l'aider à vaincre ou du moins à sauver l'essentiel par un compromis honorable.

Aussi la crise tchèque suscite-t-elle un grand espoir chez les républicains. En cas de conflit, l'Espagne de Franco serait vite dans une situation militaire intenable. Les nationalistes ne disposent pas de réserves suffisantes pour tenir un front supplémentaire. D'après l'attaché militaire à Saint-Sébastien, Von Funck, Franco aurait lui-même déclaré « qu'il n'avait jamais eu de réserves, et qu'à chaque attaque des Rouges, il fallait arrêter l'offensive pour faire face» [18]. Certes les Pyrénées représentent une défense naturelle, mais Franco sait fort bien qu'elle n'est pas suffisante. Il a envoyé aux deux frontières du Nord et du Sud des milliers de prisonniers pour préparer des fortifications. D'autre part, son armée dépend toujours des fournitures en matériel de l'Italie et de l'Allemagne. L'arrêt des envois de munitions, pendant la durée de la crise tchèque, met déjà ses troupes dans une situation difficile. Sans aucun doute, en cas de conflit européen, il faudrait envisager à bref délai l'effondrement de l'Espagne nationaliste. Cela, même les partisans de Franco le savent, et les Allemands pensent que le Caudillo serait alors « réduit à se retirer pour confier à une personnalité plus modérée le soin de procéder à la liquidation de la guerre civile» [19].

Franco n'obtient plus de ses alliés ni encouragements, ni promesses; il n'est même pas tenu au courant de l'évolution de la situation politique par le gouvernement allemand. L'inquiétude ne cesse de grandir à l'état-major nationaliste. « Le quartier-général de Franco est très déprimé, dit Stöhrer, et cache mal son mécontentement à notre égard»[20]. Il faut rattacher à ce mécontentement les manifestations de mauvaise humeur qui s'expriment alors contre Suñer, et qui font craindre la renaissance d'une opposition en zone nationaliste. Pour achever sa victoire, Franco doit absolument s'assurer, en cas de conflagration européenne, la neutralité des grandes puissances et spécialement celle de la France.

La neutralité franquiste dans la crise tchèque

Du 18 au 28 septembre, les efforts diplomatiques de l'Espagne nationaliste tendent à obtenir des puissances occidentales qu'elles acceptent d'abord de séparer l'affaire espagnole de la guerre européenne menaçante, qu'elles envisagent ensuite la neutralité du gouvernement nationaliste, ce qui équivaudrait de leur part à un refus définitif de soutenir la République espagnole.

Or la position des puissances occidentales est fragile. Leur front n'est pas uni. Le gouvernement Chamberlain ne se résoudra à la guerre contre l'Axe qu'à la dernière extrémité. Une aide russe à la Tchécoslovaquie est problématique. La France serait donc assez isolée en cas de guerre et obligée de dégarnir ses frontières de l'est pour lancer la double attaque prévue par la Catalogne et par le Maroc contre l'Espagne nationaliste. L'état-major français préférerait à coup sûr ne pas avoir à lutter contre un adversaire de plus. Aussi, lorsque Jordana et Franco s'engagent à respecter la neutralité la plus stricte en cas de conflit européen, les gouvernements anglais et français enregistrent-ils avec satisfaction les promesses faites directement par le Caudillo et transmises à Paris et à Londres par Quinones de Léon et par le duc d'Albe.

Reste à faire accepter cette proclamation de neutralité par les puissances centrales, et c'est là le point le plus difficile. La diplomatie franquiste s'est montrée à ce sujet d'une grande habileté. Elle a d'abord laissé volontairement paraître sa crainte d'une guerre qui peut lui être néfaste; puis, elle a déploré que ses alliés lui laissent ignorer l'évolution de la situation politique. Sur ce point d'ailleurs Franco n'a pas de mal à trouver des raisons de se plaindre.

A vrai dire, Franco craint non pas qu'on néglige l'Espagne, mais qu'on s'en occupe un peu trop au cours de négociations où il ne sera pas représenté; il n'est pas impossible que les puissances centrales abandonnent leur allié espagnol ou que l'Allemagne dispose de ses forces en Espagne et en Méditerranée pour une action militaire en cas de guerre. L'arrivée du Deutschland à Vigo, comme la présence des Italiens à Majorque peuvent légitimement inspirer des craintes à ce sujet. Enfin la crise politique européenne, en redonnant espoir au camp républicain, peut provoquer en zone nationaliste des émeutes, voire de véritables révoltes.

Ces craintes permettent de comprendre la prise de position neutraliste du gouvernement de Burgos. Dès le 26 septembre, les dirigeants allemands en sont avertis et, le 27, Jordana fait part officiellement de cette décision aux ambassadeurs d'Allemagne et d'Italie. Sans doute est-il question de neutralité bienveillante. Mais il n'en reste pas moins que Franco a place ses alliés devant le fait accompli. Il souhaite être approuvé, mais il ne les informe qu'une fois sa décision prise.

Comment dans ces conditions, s'étonner de la réaction brutale de la diplomatie germano-italienne? Les Italiens surtout montrent de l'humeur; leurs dirigeants pensent que les sacrifices faits à la cause nationaliste doivent être aujourd'hui payés de retour: « Nos morts doivent se dresser dans leurs tombes », écrit Ciano. Les Allemands se montrent plus réservés, mais ils n'en sont pas moins choqués de l'empressement mis par les Espagnols à se déclarer neutres ; ils estiment ce geste pour le moins prématuré. Italiens et Allemands s'inquiètent en outre du sort réservé en cas de guerre à leurs troupes combattant en Espagne. Sans doute Jordana, a-t-il déclaré que ces troupes seraient considérées et traitées comme des soldats espagnols. Mais peut-on penser que la France en guerre avec l'Allemagne tolérera la présence dans un pays soi-disant neutre, de soldats ennemis? Le réflexe Immédiat de Ciano, lorsqu'il apprend la nouvelle de la neutralité espagnole, est d'envisager l'évacuation immédiate des troupes Italiennes.

Malgré les précautions prises par le gouvernement nationaliste, il est évident qu'un conflit européen remettra en question tous les succès acquis jusqu'ici. Et les représentants des deux Espagne sentent parfaitement que leur sort se joue au-delà des frontières.

Une fois de plus, le recul des puissances occidentales va décider du sort de l'Espagne. En août-septembre 36, la comédie de la non-intervention a fait le jeu des États fascistes; en septembre 38, la capitulation de Munich ne livre pas seulement la Tchécoslovaquie à Hitler ; elle ruine définitivement le dernier espoir de la démocratie espagnole: « Cette aube de paix sonne le glas de la tyrannie rouge. L'effort de nos armées aboutira bientôt à la paix victorieuse » [21].

A partir de ce moment, en effet, les grandes puissances auront pour première préoccupation de liquider la guerre espagnole. Les vainqueurs de Munich se sont aperçus qu'en cas de conflit généralisé, l'Espagne nationaliste ne serait pour eux qu'un boulet, si la guerre civile se poursuivait. Les Occidentaux n'ont pas été trop mécontents de l'attitude de Franco au moment de la crise de Munich. La Russie abandonne définitivement la partie. La France elle-même, rassurée par la prise de position du Caudillo, songe à établir des relations diplomatiques avec les nationalistes. Au début 39, Léon Bérard est chargé de négocier une reconnaissance de facto du gouvernement de Burgos. Malgré sa sympathie connue pour les nationalistes, il se heurte à une mauvaise volonté évidente; Franco exige une reconnaissance de jure, demande aux Français de lui livrer les biens espagnols en France, le matériel de guerre, l'or de la banque d'Espagne, etc.

Sur le moment, les négociations sont suspendues ; à la fin de la guerre civile, la mission Pétain renouera pourtant des relations d'apparence cordiale, et toutes les demandes du gouvernement franquiste seront finalement acceptées.

Dès octobre 38, la seule question qui se pose est de savoir comment la victoire de Franco sera définitivement assurée. Stôhrer expose comment « une intervention des puissances » pourrait amener « les éléments modérés des Rouges à déposer les armes » [22], ce qui semble annoncer à quelques mois de distance l'action de la junte Casado, qui liquidera les positions républicaines.

Le projet Stôhrer exclut des négociations les communistes et semble exclure Negrín. Celui-ci pourtant ne ferme pas la porte à une solution pacifique du conflit. Dans un discours en treize points, il énonce les conditions posées pour la réalisation d'un compromis entre les deux partis. Le 1° octobre 38, dans un discours aux Cortes, il accepte le principe d'une médiation. Quelques jours plus tard, il admet qu'un plébiscite pourrait être une solution. Mais pourra-t-on vraiment trouver « un compromis acceptable pour tous les Espagnols » ? Le seul mot de médiation ou de compromis provoque chez nombre de dirigeants en Espagne nationaliste une réaction violente. Franco, chaque fois qu'il prend la parole à ce sujet, a été formel: il n'est pas question d'obtenir autre chose qu'une capitulation. Et le Diario Vasco de Saint-Sébastien a cette formule imagée, mais qui expose bien la pensée franquiste: « Nous ne voulons pas la trêve du diable, nous voulons la paix de la Conquête» [23].

Notes

[1] A la seule date du 1° avril 37, le Temps note l'arraisonnement du Magdalena et du Cap Falcon par des navires franquistes, sans que le gouvernement français réagisse d'autre manière que par une protestation platonique.

[2] Parmi lesquels, selon Prieto, les ministres communistes.

[3] Mémoires de guerre du comte Ciano.

[4] Archives de la Wilhelmstrasse.

[5] Ministre de la -Marine Italien.

[6] Chamberlain a succédé à Baldwin le 28 mai 87 à la suite de la crise dynastique anglaise provoquée par le mariage d'Edouard VIII.

[7] De façon à y comprendre l'U.R.S.S.

[8] Déclarations de Blum devant la commission d'enquête.

[9] Malgré ses opinions d'Action française, Il fut par souci de la sécurité française, l'un des plus fidèles partisans de l'Espagne républicaine.

[10] Cité par le Temps du 4 juillet.

[11] Cf. le Temps du 1° juillet.

[12] Note du 5 juillet 1938. Archives secrètes de la Wilhemstrasse.

[13] C'est seulement le 8 octobre 38 que Hemming a pu se rendre à Burgos, accompagné du vice-amiral Vaterhouse et du capitaine Mackey Hodge.

[14] Archives de la Wilhemstrasse.

[15] Ce sont : l'Allemagne, l'Italie, le Portugal, le Guatemala, le Salvador, le Nicaragua, l'Albanie, le Vatican, le Japon, le Mandchoukouo, l'Autriche et la Hongrie.

[16] Le prétexte en est les désaccords survenus sur des décrets réglementant l'industrie de guerre et l'administration de la justice.

[17] Cf. article de Garrido dans El Socialista.,

[18] Archives de la Wilhemstrasse.

[19]  Ibid.

[20] Ibid.

[21] Discours de Franco à Burgos au cours de la journée du Caudillo (1° octobre 38).

[22] Archives secrètes de la Wilhemstrasse.

[23]  Cité par le Temps. du 13 octobre 38.

Début Précédent Suite Fin