1941

"Notre objectif est de convaincre la majorité que notre programme est le seul qui puisse mettre fin à la guerre, au fascisme et aux convulsions économiques."

Source : “A Statement on the War”, Fourth International, janvier 1942.
Trad. fr. : Cahiers Léon Trotsky n°66, juin 1999.

James P. Cannon

Déclaration sur la Guerre

22 décembre 1941

Les considérations qui ont déterminé notre attitude à l’égard de la guerre jusqu’au début des hostilités entre les États-Unis et les puissances de l’Axe conservent toute leur validité dans la nouvelle situation. Nous avons considéré cette guerre de la part de toutes les puissances capitalistes engagées — Allemagne et France, Italie et Grande-Bretagne — comme une guerre impérialiste.

Cette caractérisation de la guerre était déterminée pour nous par le caractère des pouvoirs d’État engagés. C’étaient tous des États capitalistes à l’époque de l’impérialisme, eux-mêmes impérialistes — opprimant d’autres nations ou peuples — ou des satellites des puissances impérialistes. L’extension de la guerre au Pacifique et l’entrée formelle des États-Unis et du Japon ne changent rien à cette analyse de base.

Selon Lénine, la question ne faisait à nos yeux aucune différence de savoir lequel des bandits impérialistes avait tiré le premier ; pendant un quart de siècle, toutes les puissances impérialistes ont « attaqué » toutes les autres par des moyens économiques et politiques. Le recours aux armes a été le point culminant de ce processus, qui continuera tant que durera le capitalisme.

Cette caractérisation de la guerre ne s’applique pas à la guerre de l’Union soviétique contre l’impérialisme allemand. Nous faisons une distinction fondamentale entre l’Union soviétique et ses alliés « démocratiques ». Nous défendons l’Union soviétique. L’Union soviétique est un État ouvrier, bien que dégénéré, sous la tutelle totalitaro-politique de la bureaucratie du Kremlin. Seuls des traîtres peuvent refuser de soutenir l’État ouvrier soviétique dans sa lutte contre l’Allemagne fasciste. Défendre l’Union soviétique, malgré Staline et contre lui, c’est défendre la propriété nationalisée établie par la révolution d’Octobre. C’est une guerre progressiste.

Nous considérons aussi la guerre de la Chine contre le Japon comme une guerre progressive. Nous soutenons la Chine. C’est un pays colonial qui se bat pour son indépendance nationale contre une puissance impérialiste. Une victoire de la Chine serait un coup terrible pour tout l’impérialisme, l’inspiration pour tous les peuples coloniaux de se débarrasser du joug impérialiste. Le régime réactionnaire de Jiang Jieshi (Tchiang Kaï Chek) [1] , servile valet aux ordres des « démocraties », a handicapé la capacité de la Chine à mener une guerre courageuse pour l’indépendance ; mais cela n’altère pas pour nous le fait essentiel que la Chine est une nation opprimée luttant contre un oppresseur impérialiste. Nous sommes fiers que les IV° Internationalistes de Chine combattent au premier rang contre l’impérialisme japonais.

Aucune des raisons qui nous obligent à soutenir l’Union soviétique et la Chine contre leurs ennemis ne peut être appliquée à la France ou la Grande- Bretagne. Les « démocraties » impérialistes sont entrées dans la guerre pour maintenir leur domination sur les centaines de milliers d’hommes et de femmes soumis dans les empires français et britannique ; défendre ces « démocraties » signifie défendre leur oppression des masses d’Afrique et d’Asie. Cela signifie surtout défendre l’ordre social capitaliste en déclin. Nous ne défendons pas ça — ni en Italie, ni en Allemagne ou en France ou en Grande-Bretagne — et ni aux États-Unis.

L’analyse marxiste qui a déterminé notre attitude vis-à-vis de la guerre jusqu’au 8 décembre 1941 [début de la guerre] continue à déterminer notre attitude aujourd’hui. Nous étions internationalistes avant le 8 décembre ; nous le sommes encore. Nous croyons que le lien le plus fondamental de loyauté à l’égard de tous les ouvriers du monde est celui de la solidarité internationale des travailleurs contre leurs exploiteurs. Nous ne pouvons assumer la moindre responsabilité pour cette guerre. Aucun régime impérialiste ne peut mener une guerre juste. Nous ne pouvons la soutenir même un instant.

Nous sommes les ennemis les plus irréconciliables de la dictature fasciste d’Allemagne et d’Italie et de la dictature militaire du Japon. Nos camarades d’idées de la IV° Internationale des nations d’Asie et des pays conquis luttent et meurent dans la lutte pour organiser la révolution qui vient contre Hitler et Mussolini.

Nous faisons tout notre possible pour hâter ces révolutions, mais ces ex- socialistes, intellectuels et chefs ouvriers qui soutiennent, au nom de la « démocratie », la guerre de l’impérialisme des États-Unis contre leurs ennemis et rivaux impérialistes, loin d’aider les antifascistes allemands et italiens, ne font que gêner leur travail et trahir leur combat. Les Alliés impérialistes, comme tout ouvrier allemand le sait, cherchent à imposer un second Versailles, pire encore : c’est la peur qu’il inspire qui est le plus gros atout de Hitler pour garder les masses soumises en Allemagne. La peur du joug étranger retient le développement de la révolution allemande contre Hitler.

Notre programme pour aider les masses allemandes à renverser Hitler exige avant tout qu’elles soient protégées contre un nouveau Versailles. Quand le peuple allemand pourra avoir la certitude que la défaite militaire ne sera pas suivie de la destruction de la puissance économique de l’Allemagne et que les vainqueurs ne lui imposeront pas un fardeau insupportable. Mais ces garanties ne peuvent pas lui être données par les ennemis impérialistes de l’Allemagne, et, s’ils les donnaient, le peuple allemand ne saurait les accepter. On se souvient encore, en Allemagne, des 14 points de Wilson [2] et de son assurance que les États-Unis ne faisaient la guerre que contre le Kaiser et pas contre le peuple allemand. Pourtant la paix des vainqueurs et la façon dont ils ont « organisé » le monde de 1918 à 1933 constituaient une guerre contre le peuple allemand. Le peuple allemand ne peut accepter aucune promesse nouvelle de ceux qui ont fait cette paix et mené cette guerre.

Au milieu de la guerre contre Hitler, il faut tendre la main de la fraternité au peuple allemand. Ce ne peut être fait de façon honnête et convaincante que par un Gouvernement ouvrier et paysan. Nous exigeons un tel gouvernement. Un tel gouvernement et lui seul peut faire la guerre à Hitler, Mussolini et au Mikado [3] en coopération avec les peuples opprimés d’Allemagne, d’Italie et du Japon. Notre programme contre l’hitlérisme et pour un Gouvernement ouvrier et paysan n’est aujourd’hui que celui d’une petite minorité. La grande majorité soutient activement ou passivement le programme de guerre de l’administration Roosevelt. En tant que minorité, nous devons nous soumettre dans nos actes à cette majorité. Nous ne sabotons pas la guerre ni ne faisons d’aucune manière obstacle aux forces militaires. Les trotskystes vont dans les forces armées avec leur génération. Nous nous inclinons devant les décisions de la majorité. Mais nous conservons notre opinion et insistons sur notre droit de les exprimer.

Notre objectif est de convaincre la majorité que notre programme est le seul qui puisse mettre fin à la guerre, au fascisme et aux convulsions économiques. Pour cette tâche d’éducation, les faits parlent fort en faveur de nos affirmations. A deux reprises en vingt-cinq ans, des guerres mondiales ont déchaîné la destruction. Les instigateurs et les dirigeants de ces guerres ne prennent et ne peuvent prendre aucun engagement plausible qu’une troisième, une quatrième, une cinquième, une sixième guerre mondiale ne va pas suivre si eux-mêmes et leur système social restent dominants. Le capitalisme ne peut offrir aucune perspective autre que le massacre de millions de personnes et la destruction de la civilisation. Seul le socialisme peut sauver l’humanité de cet abîme. Telle est la vérité. Au fur et à mesure que se poursuit cette terrible guerre, des dizaines de millions qui, aujourd’hui, ne nous entendent pas, vont admettre cette vérité. Les masses torturées par la guerre vont adopter notre programme et libérer les peuples de tous les pays de la guerre et du fascisme. A cette heure sombre, nous voyons clairement l’avenir socialiste et préparons sa route. Contre le chœur fou des haines nationales, nous lançons une fois de plus le vieux mot d’ordre de l’internationalisme socialiste : Prolétaires du monde, unissez-vous !

Notes

[1] Jiang Jieshi (1887-1975), ancien allié de la Russie soviétique, le “ maréchal ” régnait sur la Chine avec férocité.

[2] Thomas Woodrow Wilson (1856-1924), président des États-Unis, formula les 14 points comme schéma d’une paix démocratique. On sait ce qu’il en advint.

[3] Le Mikado (empereur du Japon) était alors Hirohito (1901-1989).