1945

« Quoique écrit en novembre 1945, cet article est d'une actualité brûlante. Du Maroc à l'Iran, la révolte gronde. La Palestine, l'Égypte sont soulevées contre l'impéria­lisme anglais. L'Algérie, le Maroc veulent se délivrer du joug de l'impérialisme français. L'article de notre camarade T. Cliff permet de comprendre ce qui se dé­roule, condition première pour apporter notre aide aux exploités en lutte. »
(Introduction de l'article dans la revue IVeInternationale)
Numérisé par l'association Ra.d.a.r,  corrections et formatage HTML par la MIA.

Tony Cliff

Le Proche et le Moyen-Orient à la croisée des chemins

II - Le rôle du sionisme

1945

Selon le nombre des révoltes oppo­sant telle communauté à telle autre, on peut déterminer le nombre de jours qu'il reste à vivre à l'impérialisme et à ses agents dans une colonie.

Pendant des décennies, l'impérialisme français a provoqué de sérieuses frictions entre les chrétiens et les musul­mans en Syrie et au Liban, et l'impérialisme britannique entre les musulmans et les coptes en Égypte et les Arabes et les Assyriens en Irak. Pour cette raison, le sionisme fut sou­tenu en Palestine comme une force contre le mouvement national arabe.

A la lin de la deuxième guerre mondiale, cependant, les problèmes auxquels l'impérialisme anglais avait à faire face deviennent infiniment plus difficiles. D'un coté l'Angleterre a intérêt à écarter la France de la Syrie et du Liban et par là même ne peut accepter aisément les frictions entre musulmans et chrétiens, étant donné que cela ne ferait qu'aider à renforcer la position de la France qui s'appuie sur la minorité chrétienne, D'un autre côté l'Angleterre a intérêt à poser des blocs solides sur la voie de la pénétration américaine dans !e Moyen-Orient, et par là ne peut voir favorablement les conflits entre diri­geants arabes « indépendants » et États arabes « indépendants ». car elle a intérêt à bâtir un front uni de rois et de ministres réactionnaires ; de là est sortie la Ligue Arabe.

De plus, la tentative de l'impéria­lisme de provoquer des conflits entre les Musulmans et les Coptes en Égypte échoua tristement (pour des raisons que nous ne pouvons traiter ici). Et étant donné que l'Égypte est le chaînon le plus faible de la chaîne impérialiste dans le Moyen-Orient, car les antagonismes sociaux y sont les plus profonds, les difficultés pour l'impé­rialisme britannique de détourner l'attention des masses vers des buts chauvins y sont très grandes. L'impé­rialisme britannique doit alors résoudre un problème très grave ; comment maintenir une unité de tous les pays arabes – unité dont les buts et les limites sont déterminés bien entendu par l'Angleterre — et maintenir la paix entre les diverses communautés du peuple arabe d'une part, et de l'au­tre continuer sa politique du « diviser pour régner » dans sa l'orme la plus achevée.

Ici l'impérialisme se souvient, d'une arme qu'il a utilisée pendant plus de vingt ans pour soumettre la population de l'un des pays arabes et qu'on espère utiliser maintenant à des fins beaucoup plus importante: le sionis­me. Le sionisme occupe une place spéciale dans les défenses impérialistes. Il joue un rôle double : d'abord directement, comme un pilier important de l'impérialisme, donnant son soutien actif et s'opposant à la lutte libératrice de la nation arabe, et ensuite en tant que valet passif der­rière lequel l'impérialisme peut se cacher et vers lequel il peut orienter la colère des masses arabes.

Si à Tel-Aviv qui a 250 000 habitants il n'y a pas un seul travailleur arabe, si une rumeur selon laquelle il y a trois Arabes qui travaillent dans un café juif est suffisante pour qu'une foule de milliers d'individus accoure briser les vitres et le matériel, si un fellah arabe qui osait, avant la guerre, venir vendre ses produits sur un marché juif était battu et ses produits volés, etc... (pendant la guerre ce genre de chose n'était plus coutumier, ni aujourd'hui en raison de la rareté des produits), si d'un seul coup vingt villages de la Vallée de Jezreel étaient balayés lorsque la terre était achetée à un banquier syrien, Sursuk, si des milliers de paysans évincés ne pouvaient chercher du travail comme ouvriers agricoles sur la terre me que leurs familles avaient travaillée pendant des générations, s'il y avait des « épurations » continuelles d'Arabes de la vie économique, qui font inévitablement penser « épurations » de Juifs pratiquées par les nazis en 1933-39, si à partir de tels actes « innocents » les sionistes en viennent maintenant à parler de faire de la Palestine un Etat juif et d'expulser tous les Arabes du pays, qu'y a-t-il d'étonnant alors à ce que les Arabes s'opposent au sionisme jusqu'à la mort ?

Le sionisme décharge l'impérialisme de toute responsabilité dans les actes de spoliation et d'oppression. Voyons quelques exemples. Une Compagnie Electrique Anglaise qui monte une entreprise en Palestine nomme un Juif comme administrateur général. Le résultat est que, alors que dans chaque colonie la lutte anti-impérialiste est menée par des grèves, des manifestations et des boycotts contre les compagnies concessionnaires étrangères, en Palestine le boycott déclaré par les Arabes contre la Compagnie Electrique Palestinienne prend une autre allure : celle de manifestation anti-juive. Dans cette voie les sionistes, qui déclarent dans un but de propagande que les positions-clefs de l'économie sont entre leurs mains, bien qu'ils ne soient que des partenaires débutants sinon de simples auxiliaires, aident l'impérialisme à sucer le sang du pays.

Un autre exemple rendra cela encore plus clair. Alors qu'en Syrie et au Liban avaient lieu de grandes manifestations, certaines d'entre elles sanglantes, qui furent couronnées de victoire contre l'établissement de la Compagnie de camions Steel Bros., en Palestine, les sionistes « socialistes », la Fédération Générale des Travailleurs Juifs (Histadrut) se mirent au service, en échange d'une misérable récompense, de la Stell Bros. et permirent à la Compagnie de s'implanter fermement dans le pays.

En Palestine il y a un policier ou « ghaffir » (police spéciale) pour cent habitants alors qu'il y en a un pour 676 en Angleterre. Le budget de police palestinien s'élève à 27 % du budget de 1941-42 (sans compter les travaux publics entrepris pour des buts policiers, comme la construction de stations de police, etc.) alors qu'uen Angleterre il n'est que de 0,3 % du budget en 1942-43. De si considérables forces de police ne sont pas – à Dieu ne plaise – créées pour servir les intérêts de l'impérialisme. Non, c'est le sionisme qui, durant des années, insista pour qu'on augmente les forces de police, insista pour que l'ordre règne et exigea une forte poigne contre les Arabes !

Alors que les budgets de l'Education et de la Santé à eux deux n'atteignent même pas 1,65 % du budget de la Police (en Angleterre ils sont cinq fois plus grands), les sionistes n'ont jamais émis la moindre protestation contre ce fait, mais ils ont fait des embarras parce que le gouvernement répartissait le budget de l'éducation entre Juifs et Arabes proportionnellement au nombre d'enfants dans les deux communautés. Ils exigèrent que le gouvernement attribue une plus grande part du budget aux Juifs étant donné que ces derniers payent plus d'impôts (car ils sont les plus riches). Et ceci fut exigé même par ceux d'entre les sionistes qui s'intitulent socialistes ! L'impérialisme est ainsi débarrassé de la responsabilité de l'analphabétisme général et des mauvaises conditions sanitaires qui prévalent dans le pays.

L'impérialisme n'a pas à supporter la responsabilité du fait que les grandes compagnies étrangères et les gros capitalistes et propriétaires fonciers, juifs ou arabes, ne payent pratiquement pas d'impôts. Tous les sionistes, de la droite à l'extrême « gauche », s'opposent au prélèvement d'impôts et cela freinera d'ailleurs la construction d'entreprises sionistes.

En Palestine il n'y a même pas la moindre loi pour la protection des fermiers. Ni les propriétaires fonciers arabes ni le gouvernement n'ont besoin de prendre des responsabilités de ce point de vue. Au contraire, le gouvernement, de temps à autre, en vue de se présenter comme un bienfaiteur, proclame son désir d'envisager des lois pour la protection des fermiers et, même projette des cartes et des plans de développement agraire. Une fois encore, ce sont les sionistes qui s'opposent à des lois et plans de ce genre sous prétexte que cela empêcherait la colonisation sioniste qui nécessite l'éviction des agriculteurs arabes.

S'il existe en Palestine un régime absolument autocratique, sans le moindre parlement ou même quelque orga­nisme représentatif élu, l'impérialisme une fois encore peut rejeter toute responsabilité de cet état de fait très facilement : les sionistes s'opposent à l'établissement d'organismes démocratiques de ce genre car cela gênerait aussi l'expansion sioniste.

Si l'armée britannique, pendant les années 1936-39, tua des milliers de partisans arabes (de la même manière que les Italiens tuèrent les Abyssins, ou les Japonais, les Hollandais et les Anglais tuent les Indonésiens aujour­d'hui) ce ne fut pas pour maintenir sa domination — Dieu les en garde ! — mais pour protéger les Juifs !1

Il est tragique de voir que les fils du même peuple qui a été persécuté et massacré d'une manière bestiale, et qui aujourd'hui est la victime inno­cente de la haine nationale du fascis­me, la forme exacerbée de l'impéria­lisme — se trouvent orientés dans une mystique chauvine et militariste, et de­viennent l'instrument aveugle de l'im­périalisme pour subjuguer les masses Araires. De la même manière que l'ordre social actuel est à condamner en raison des calamités qu'il entraîne pour les Juifs, il est aussi à condamner par le fait que l'on peut exploiter ces calamités pour des buts réactionnaires et d'oppression.

Le sionisme ne libère pas les Juifs de leurs souffrances. Au contraire, il les menace d'un nouveau danger, celui d'être le tampon entre l'impérialisme et la lutte libératrice nationale et sociale des masses arabes.

Le récent terrorisme sioniste semble jeter le doute sur l'appréciation ci-dessus des relations entre le sionisme et l'impérialisme. Si les sionistes luttent aujourd'hui contre le gouvernement anglais, n'est-ce pas une preuve qu'ils poursuivent une politique anti-impérialiste ?

Le sionisme et l'impérialisme ont à la fois des intérêts communs et des intérêts antagonistes. Le sionisme veut construire un État capitaliste juif fort. L'impérialisme a effectivement intérêt à l'existence d'une société capitaliste juive entourée de la haine des masses coloniales, mais non pas à ce que le sionisme devienne un facteur trop puissant. En ce qui concerne ce dernier point, il est prêt à prouver sa « justice » envers les Arabes, et il est prêt à faire la part de leurs justes revendications aux dépens du sionisme. Pour s'assurer les services des sionistes en tant que soutiens directs dans toute insurrection anti-impérialiste, et ce qui est encore plus important, en tant que tampon, l'impérialisme n'a pas nécessairement besoin de laisser fleurir le sionisme. Une population sioniste de 600 000 individus peut remplir un tel rôle de façon tout à fait suffisante.

Le sionisme peut-il être anti-impérialiste ?

L'impérialisme peut tranquillement tracer des plans étendant ou restrei­gnant les frontières d'un développe­ment du sionisme, une chose au moins pour lui ne souffre aucun doute : quoiqu'il arrive au cours d'un soulèvement des peuples de l'Orient contre l'impérialisme, le sionisme ne passera pas du côté révolutionnaire. Ceci est clairement révélé par toutes les acti­vités et les déclarations de l'organisa­tion terroriste la plus active de Pales­tine — L' « Irgun » (National iMilitary Organisation). Dans l'une de ses brochures A la mémoire du Docteur Raziel elle écrit : « Nous devons combattre les Arabes dans le but de les subjuguer et de diminuer leurs exigences : nous devons les rejeter de l'arène politique. Cette lutte contre les Arabes encouragera la Diaspora et la consolidera. Elle attirera l'attention des nations du monde entier qui seront obligées d'honorer le peuple qui lutte avec ses propres arme. Et nous trou­verons un allié qui soutiendra l'armée du peuple dans sa lutte. » (Mai 1943)

Il est vrai que les sionistes ne sont pas satisfaits du fait que ce n'est pas eux qui fixent les limites de la coopé­ration entre le sionisme et l'impérialisme mais ce, dernier. Néanmoins, même dans les jours de plus grande tension dans les relations entre eux et le gouvernement britannique, ils ne ces­seront jamais do dire que les intérêts du sionisme n'allaient pas à l'encontre de ceux de l'impérialisme.

Ainsi, par exemple, l'un des membres de l'Agence Juive écrivait quelques jours avant less grands actes terroristes du 2 Novembre (anniversaire de la Déclaration Balfour) :

L'un des mauvais principes du système traditionnel (de la politique anglaise – T. C.) est que les autorités britanniques ne font des compromis qu'avec ceux qui savent comment déranger et briser la paix alors qu'elles ont coutume de traiter à la légère et de trahir un allié fidèle, patient et pacifique. Si c'est cela la manière d'obtenir une alliance avec la Grande-Bretagne, nous ne pouvons éviter d'essayer de suivre cette voie, étant donné que nous avons intérêt à une alliance à sens unique à la place d'une alliance mutuelle. Les Yishuv (population juive de Palestine T. C.) n'ont pas l'intention d'expulser les Britanniques du pays pour être leurs héritiers. Nous ne voyons pas la moindre contradiction entre une immigration massive, un Etat juif, et des bases larges et solides pour la Grande-Bretagne dans ce pays. Au contraire nous devons envisager cela très favorablement.
(Dr Y. Sneh, « Sur les raisons fondamentales de la crise », Ha'aretz, 26 octobre 1945.)

C'est le même thème qui revient interminablement jour après jour. Il est intéressant de noter que même lorsque l'impérialisme révèle son grand désir d'utiliser les Juifs comme boucs émissaires, le thème ne varie pas. Les procès pour détention d'armes de ces deux dernières années ont été une preuve tout à fait claire des intentions de provocation de l'impérialisme. Depuis maintenant de nombreuses années, des milliers d'Arabes ont été arrêtés sans jugement, et tout Arabe trouvé porteur d'armes durant le soulèvement national de 1936-39 était condamné à mort ou pour le moins à un emprisonnement prolongé. Les sionistes ne formulèrent pas le moin­dre mot de protestation de telle sorte que la colère des masses Arabes opprimées se déchargea sur les Juifs.

On fit alors une tentative pour com­pléter la provocation : les Juifs trou­vés en possession d'armes étaient jugés publiquement. Dans tout l'Orient tes journaux arabes commencèrent à écrire que les sionistes étaient en train de s'armer contre les Arabes et que l'Angleterre était la protectrice des Arabes. Mais évidemment les sio­nistes ne dirent pas que les procès pour détention d'armes de ces deux dernières années n'étaient qu'un mail­lon de la chaîne de la politique impé­rialiste « Diviser pour régner ».

Même en ce moment ils font tout ce qu'ils peuvent pour prouver qu'ils ne sont pas des ennemis de l'impéria­lisme, mais au contraire ses alliés. Ainsi, par exemple, dans le procès pour détention d'armes du 28 Novembre1944, Epstein, membre de l'Hashomer Hatzair, le parti sioniste « Socialiste Révolutionnaire », déclara aux juges : « Vous qui venez d'Angleterre saurez les difficultés qu'impliquent les entreprises de développement et de colonisation dans les pays arriérés. Aucune entreprise de colonisation dans l'histoire de l'Humanité n'a eu lieu sans se heurter à la haine des indigènes. Il faut des années et parfois des générations pour que ces hommes (les indigènes —T.C.) deviennent capables d'apprécier et de comprendre le bienfait que représente l'entreprise pour leur avenir. Mais le peuple anglais ne recula pas devant la tâche de développer ces pays arriérés (conquête impérialiste = « développement » — T. C.) sachant qu'en agissant ainsi vous accomplissiez une mission historique et humanitaire. Vous avez sacrifié les meilleurs de vos enfants sur l'autel du progrès ( et qu'est-ce que les Compagnies de pétrole y gagnèrent — T. C.)

Si les sionistes ne sont pas anti-impérialistes (et évidemment être à la fois et en même temps contre le peuple arabe et l'impérialisme est impossible), alors pourquoi tous ces actes terroristes ? La réponse est simple. Les sionistes sont dans une voie sans issue. La victoire du prolétariat occidental et des masses de l'Orient mettra un terme aux rêves sionistes. Si la vague révolutionnaire mondiale atteint ses objectifs, alors tous les peuples faibles, y compris les Juifs du monde entier, seront sauvés. Mais les Juifs de Palestine, dans leur situation particulière ne peuvent être sauvés que s'ils cessent d'être le tampon entre la lutte libératrice nationale et sociale des masses arabes et l'impérialisme. La classe capitaliste juive de Palestine est condamnée quoi qu'il arrive. En conséquence ils sont incapables de quoi que ce soit si ce n'est d'un aven­turisme aveugle basé sur la foi dans les miracles ou pour le mieux d'une lutte pour tenir un peu plus long­temps.

La meilleure perspective que les sionistes peuvent espérer est que l'Angleterre leur accorde un État Juif, même si ce ne doit être qu'un État minuscule dans une petite partie de l'étroite Palestine. Ils pensent, que le plan de partage de la Palestine peut convenir aux intérêts de l'impérialis­me britannique dans certaines conditions. Un tel plan perpétuera l'exis­tence de deux mouvements irrédentis­tes, une lutte sioniste aiguë pour la moindre possibilité de travail et le plus petit lopin de terre dans l'État Juif, et la faiblesse économique de l'État Arabe mutilé. Tels sont les côtés positifs du plan du point de vue de l'impérialisme.

Les sionistes basent leurs calculs sur ce facteur et sur un autre. Il est vrai que la position du sionisme dans dans la lutte entre le peuple colonial et l'impérialisme est prédéterminée et ne changera pas quelle que soit la conduite de l'impérialisme, mais sa place dans la lutte entre les différents impérialismes n'est pas prédéterminée. Ben Gourion et, Weizmann peuvent être des agents américains avec le même enthousiasme qu'ils le furent au compte des Anglais pendant près de trente ans. Le récent terrorisme sio­niste avait pour but d'effrayer l'Angle­terre avec la possibilité d'un tournant du sionisme vers l'Amérique et en même temps de rendre plus facile aux politiciens britanniques s'ils le désirent, de permettre la construction d'un État Juif en dépit de l'opposition arabe. (Ils seraient ainsi capables de dire aux Arabes qu'il était devenu une nécessité matérielle et morale d'accor­der quelque chose aux sionistes.)

Même si cette « solution » se réali­sait — ce qui est loin d'être certain — ce ne serait qu'un délai temporaire et de peu de durée à l'enterrement du sionisme. Les Juifs de Palestine et les Arabes seraient entraînés par un tel p!an dans des batailles sanglantes et de terribles sacrifices. La seule solu­tion réelle pour les travailleurs juifs de Palestine est de tendre un pont sur l'abîme qui les sépare des dizaines de millions d'Orientaux en renonçant aux rêves sionistes de domination.

Les derniers actes terroristes — dynamitage des voies ferrées réalisé avec la totale collaboration do toutes les organisations militaires sionistes (Hagana, National Military Organisa­tion, et le Groupe Stern) — ne gêna pas l'impérialisme en réalité mais au contraire lui rendit un très grand service. Ils avaient l'intention « d'obliger » le gouvernement britannique à ouvrir les portes de la Palestine à l'immigra­tion et à la colonisation sioniste malgré l'opposition des Arabes habitant le pays et les pays voisins (les premiers ayant découvert le véritable visage du sionisme de première main et les autres l'avant appris par eux). Mais en fait, cela ne fit qu'ajouter de l'huile sur le feu de la haine entre Juifs et Arabes. Le bombardement des voies ferrées à la veille du 2 Novembre était une arme excellente dans les mains des agents britanniques pour l'organi­sation des pogromes au Caire, à Alexandrie et à Tripoli.

Le sort des Assyriens — un précédent et un avertissement

Les sionistes de la base sont trom­pés par leurs dirigeants qui leur font croire qu'ils ne sont pas de simples marionnettes maniées par l'impérialisme pour son profit et leur malheur. Ces faits ont de nombreux précédents dans l'histoire de la sanglante domi­nation de l'impérialisme sur l'Orient. L'exemple le plus caractéristique, en miniature mais éclatant, de la techni­que de l'impérialisme, est l'utilisation que la Grande-Bretagne fit des Assyriens. Étant donné que cet exemple est riche, il est nécessaire d'entrer dans les détails.

Les Assyriens sont une tribu sémite qui parle un dialecte aramaïque. Avant la première guerre mondiale ils étaient environ 40 000 et habitaient les monta­gnes Hakkari, en Turquie, au nord-est de la frontière actuelle de l'Irak. Dès l'éclatement de la première guerre mondiale, les montagnes Hakkari revê­tirent une grande importance straté­gique, étant à la frontière de la Rus­sie, de la Turquie et de la Perse. Des officiers russes vinrent inciter les Assyriens à combattre la Turquie en leur promettant un Etat indépendant. Cette promesse fut confirmée par un officier britannique, le Capitaine Cracey, de l'Intelligence Service, qui se rendit spécialement dans cette inten­tion dans les montagnes Hakkari et d'autre offres libéraless furent faites aux Assyriens par des émissaires anglais et russes.

Les Assyriens furent gagnés à l'idée d'une possibilité de renaissance de leur ancien empire. Leurs rêves s'amplifièrent de plus en plus jusqu'à ce qu'ils furent imbus de l'espoir d'établir un royaume indépendant s'étendant de leurs montagnes jusqu'à Kifrî, qui est au sud de la région de Kirkûk — région habitée prinipalement par un autre peuple, les Kurdes. Le 10 mai 1915, les Assyriens déclaraient la guerre à la Turquie.

A ce sujet la Société des Nations déclare :

Il n'y a aucun doute à ce que ce peuple ait engagé une révolte armée contre son gouvernement légal à l'instigation d'étrangers et sans aucune provocation de la part des autorités turques. Il est aussi établi que les conditions de vie dont jouissaient les Assyriens au sein de l'Empire Ottoman étaient bien meilleures que celles des autres chrétiens, étant donné qu'on avait concédé des formes larges d'autonomie patriarcale. »
(Rapport de la Société des Nations, page 3, d'après Toynbee, Le monde musulman depuis la Conférence de la Paix, 1927, pp. 483-484.)

Malek, un Assyrien qui écrivit un livre condamnant les Anglais, intitulé La trahison des Assyriens (1935), écrit :

Ils (les Assyriens) furent accueillis en Turquie durant les deux derniers millénaires et eurent la possibilité de préserver leur église et leur peuple en tant qu'entité nationale, jusqu'à ce qu'ils soient utilisés par les autorités britanniques comme une force militaire.
(page 61)

A partir de ce moment commence le chapitre de leurs pérégrinations et de leurs misères. Pendant des années, les Assyriens menèrent un combat inégal contre l'armée turque, furent rejetés de leur pays au cours de la lutte, mais continuèrent à combattre côte à côte avec l'armée anglaise. Lors de la conquête de l'Irak, les Britanniques recrutèrent des régiments parmi les Assyriens, étant donné qu'ils ne réussissaient pas à en faire autant parmi les Arabes. A la fin de la guerre il y eut des révoltes de tribus en Irak et la Grande-Bretagne eut besoin d'énormément d'argent et d'hommes pour les écraser. (Cela coûta aux contribuables britanniques environ 80 millions de livres pour écraser les révoltes de1919-20). Dans cette entreprise, les Britanniques utilisèrent au mieux les services des Assyriens.

Les Assyriens continuèrent à être un jouet dans les mains des Britanniques dans les combats qui suivirent avec les Turcs, les Kurdes (qui habitent la région de Mossoul si riche en pétrole), et les Arabes habitant l'Irak qui voulaient libérer leur pays de l'impérialisme. Comme le Dr W. A. Wigram, qui connait de première main la situation des Assyriens, le déclare :

Comme le Haut Commissaire du moment l'a admis, ce furent les forces assyriennes qui nous évitèrent d'être balayés pendant les révoltes arabes de 1920 (Sir A. Wilson, Mésopotamie, p. 291) et ce sont aussi elles qui repoussèrent l'invasion turque en Irak en 1922-23... Mais ce fait même entraîna pour eux la haine des Iraniens.
RCAS Vol. II (Janvier 1934, pp. 38-41).

Ainsi l'impérialisme britannique s'arrangea pour que les Assyriens fussent expulsés de Turquie, remplissent une tâche importante en exterminant cruellement les Kurdes et les Arabes en Irak, et qu'ainsi ils soient entourés de toutes parts d'une animosité aiguë. De cette manière ils deveinrent de plus en plus attachés et de plus en plues dépendants de l'impérialisme britannique. B. S. Safford dans The tragedy of the Assyrians put déclarer à juste titre que la question des Assyriens n'était pas une question religieuse, mais une question politique pure et simple.

Les Arabes et les Kurdes d'Irak crurent que la Grande-Bretagne avait l'intention d'installer une enclave armée dans le nord du pays. Des articles et des discours furent publiés au Parlement d'Irak disant que c'était la Grande-Bretagne qui avait incité les frictions en Irak. Les discours sur la défense des Assyriens avaient jeté l'Irak dans les pires complications en fonction de ses seuls intérêts et elle souhaitait alors créer un Etat Assyrien autonome dans le nord de l'Irak, c'est-à-dire qu'elle entendait créer en Irak un second problème sioniste.

En 1930, le mandat sur l'Irak prit fin. Cela donna à l'Irak une indépendance qui était évidemment purement formelle, le contrôle de la Grande-Bretagne sur les terrains pétrolifères, trois aérodromes, etc. restant intact. Cela rendit néanmoins la conscription des Assyriens pour les besoins anglais superflue puisqu'à présent la Grande-Bretagne s'appuyait principalement sur l'aviation et non sur une forte armée de terre. Mais les Assyriens avaient encore une utilité pour la Grande-Bretagne — être massacrés comme boucs émissaires.

Avec la déclaration d'abolition du mandant, les Assyriens se tournèrent vers la Grande-Bretagne en lui demandant avec insistance d'être démobilisés pour empêcher les Irakiens de craindre qu'ils soient utilisés pour attenter à l'intégrité territoriale et à l'indépendance de l'Irak. Mais Sir Francis Humphreys, le Haut Commissaire britannique, tenta de repousser cette demande par tous les moyens possibles, disant que la Société des nations avait son mot à dire là-dedans, et cætera. Il fit une déclaration menaçant les Assyriens de n'être plus jamais utilisés dans n'importe quelle branche de l'administration gouvernementale s'ils étaient démobilisés. Sir Francis réussit dans son opération. Lorsque des articles anti-britanniques commencèrent à apparaître dans la presse irakienne, l'ambassade britannique intervient, et quelques journaux furent interdits. Mais lorsque la propagande commença à développer l'idée que la principale tâche des Irakiens était de combattre les Assyriens et que la Grande-Bretagne était l'ennemie de l'Irak parce qu'elle défendait ces derniers, l'ambassade britannique resta alors silencieuse. Cela servit à encourager tous les éléments réactionnaires, le clergé et la réaction féodale, à hâter la préparation d'une croisade contre les Assyriens, victimes aveugles de l'impérialisme.

Le résultat de dix-sept années de politique anglaise produisit alors ses fruits. Il y eut des révoltes terribles contre les Assyriens sous le commandement des autorités irakiennes et avec la participation de l'armée. L'aviation britannique vola au-dessus de la région des massacres, prit des photographies, mais n'apporta aucune aide aux victimes.

Après ces massacres, la Grande-Bretagne se rappela à nouveau ses promesses au sujet de l'établissement d'un grand Etat Assyrien indépendant, et décida qu'il était temps de permettre aux Assyriens de s'établir dans une portion continue de territoire, bien que réduite. Les uns après les autres les plans surgirent pour l'installation des Assyriens (au Brésil, en Guyane, etc.), mais ils furent tous rejetés sauf un d'entre eux qui projetait de les installer en Syrie, dans la région de Lattaquié. On décidait un programme d'établissement pour 30 000 personnes, qui devait coûter 1 440 000 livres sterling. D'après l'accord, l'Angleterre devait payer 250 000 livres sur cette somme, l'Irak 250 000, la France 380 000 et la Société des Nations 80 000. Comme on ne trouva pas de source pour les 180 000 livres restantes, le projet tomba à l'eau.

Le 11 février 1936, l'archevêque de Canterbury interpella le gouvernement à la Chambre des Lords en lui demandant comment en définitive il avait l'intention de régler cette question qui, selon lui, restait un lourd fardeau sur la conscience des pays qui étaient parties contractantes dans l'accord et de l'Angleterre en particulier. Il proposa même de prendre part à la récupération de la somme manquante en en appelant au peuple britannique. Lord Stanhope répondit au nom du gouvernement : « Le gouvernement comptait sur d'autres contribution volontaires après avoir lui-même pris part pour 250 000 livres, et il a influencé l'Irak pour qu'il double sa première offre en la portant à 250 000 livres. Le gouvernement ne peut rien ajouter à cette contribution et il ne soutiendrait pas un appel de l'Archevêque. » Après tout, qu'est-ce que les Assyriens pouvaient attendre de ce pauvre impérialisme britannique, qui ramassait des millions chaque année dans les terrains de pétrole qui lui avaient été conservés par les Assyriens ?

Et le résultat final de tous ces vastes projets fut que neuf mille Assyriens réussirent à s'établir en Syrie sur la frontière Syrie-Irak, dans la région de la Djézireh !

Note

1 Il est intéressant de remarquer que les compagnies anglaises installées en Palestine font tout leur possible pour s'accommoder de l'antagonisme juif-arabe, et pour l'exacerber. Ainsi, l' « Anglo-American Tobacco Company » a intentionnellement bâti deux entreprises séparées. L'une à Tel Aviv (Maspero) fournit le marché juif, emploie des ouvriers juifs, et vend sous le slogan : « Achetez des produits 100 % juifs ». L'autre (Karaman, Dick et Salti) fournit le marché arabe, emploie 500 ouvriers arabes, et travaille sous la façade d'une entreprises nationale arabe. Ainsi, par exemple, elle combine la vente de ses cigarettes avec une propagande contre la vente des terres aux juifs.

Archive T. Cliff
Sommaire Haut Sommaire Fin
Liénine