1945

« Quoique écrit en novembre 1945, cet article est d'une actualité brûlante. Du Maroc à l'Iran, la révolte gronde. La Palestine, l'Égypte sont soulevées contre l'impéria­lisme anglais. L'Algérie, le Maroc veulent se délivrer du joug de l'impérialisme français. L'article de notre camarade T. Cliff permet de comprendre ce qui se dé­roule, condition première pour apporter notre aide aux exploités en lutte. »
(Introduction de l'article dans la revue IVeInternationale)
Numérisé par l'association Ra.d.a.r,  corrections et formatage HTML par la MIA.

Tony Cliff

Le Proche et le Moyen-Orient à la croisée des chemins

III - Le rôle du stalinisme

1945

Étant donné la complexité des classes et des antagonismes sociaux ainsi que l'approfondis­sement de la crise sociale et politique, la situation présente dans le Proche et le Moyen-Orient ne peut mener qu'à deux choses : ou bien la naissance d'une grande force révolutionnaire prolétarienne qui conduira les masses paysannes dans la lutte pour la libé­ration nationale, ou bien la victoire sanglante de la réaction impérialiste et des alliés des classes privilégiées. Si la crise ne se résout pas d'une ma­nière révolutionnaire, elle se résoudra inévitablement d'une manière contre-révolutionnaire. Ou la révolution, ou les massacres entre communautés, les pogromes, etc... L'histoire elle-même n'offre aucune possibilité au jeune prolétariat du Proche et du Moyen-Orient d'esquiver la grande épreuve. Si l'impérialisme a l'intention d'utili­ser les pogromes et les incitations au chauvinisme comme une mesure pré­ventive à la révolution qui vient, la classe ouvrière doit utiliser la colère accumulée des masses pour le renver­sement de la domination sociale et na­tionale, opposer l'internationalisme au chauvinisme. La nécessité d'un parti révolutionnaire internationaliste est une question de vie ou de mort. Qui peut remplir ce rôle ?

La Deuxième Internationale n'a qu'un parti dans le Moyen et le Proche-Orient C'est le Mapai, le parti socialiste sioniste de Palestine, qui ne se distingue pas des autres partis sionistes d'un iota sur les questions principales (alliance avec l'impérialisme, expulsion des Arabes du travail dans l'activité économique juive, évic­tion des paysans arabes, etc.). La deuxième Internationale n'a pas de section arabe, étant donné que les mi­sérables conditions de vie en Orient ne permettent pas la croissance de partis réformistes cherchant des solu­tions en gants blancs.

Dans le Proche et le Moyen-Orient, les staliniens ont des sections en Syrie, au Liban, en Palestine (un parti purement arabe et un autre purement juif). En Égypte et en Irak, ils ont quelques petits groupes sans influence. En réalité, la direction sta­linienne est totalement impotente et fort éloignée de toute pensée concernant la lutte de classes révolutionnaire. Ainsi le secrétaire du parti communiste Syrien, Khaled Bakdash, écrit :

II est évident que le problème de la libération nationale est un pro­blème concernant la nation en tant que tout, et il est par conséquent pos­sible d'obtenir sans discussion le consentement de toute la nation autour de ce mot d'ordre central, de réaliser une complète unité nationale. La li­bération nationale est dans l'intérêt de tous les habitants, quelle que soit la secte, la classe ou la religion à laquelle ils appartiennent. Les travailleurs y ont intérêt tout comme les patrons ; et le fellah y a intérêt tout comme le grand propriétaire foncier; il en va de même pour les gros et petits com­merçants.
(Le Parti Communiste dans la lutte pour l'indépendance et ta souveraineté nationale, Beyrouth, 1944, p. 74.)

Il continue :

Nous n'apprécions et n'honorons pas moins les capitalistes du pays qui luttent avec foi pour la libération nationale que les travail­leurs de ce pays qui en font autant.
(Ibid., p. 75.)

Et sans honte il poursuit :

Celui qui lit notre programme national (pro­gramme qui fut adopté par le Con­grès des Partis Communistes de Syrie et du Liban, 31 décembre 1943 - 1er janvier 1944. T.C.) s'apercevra qu'on se mentionne pas le socialisme. Il n'y a ni une expression ni une reven­dication qui ait une couleur socia­liste.

En conformité avec cette ligne, le Parti Communiste décida d'en finir avec le drapeau rouge comme drapeau du parti et avec l'Internationale comme hymne. Le drapeau du parti syrien est maintenant le drapeau syrien et son hymne est l'hymne natio­nal syrien ; le drapeau et l'hymne du parti libanais sont ceux du Liban. Et, afin d'être digne de s'asseoir aux cotés des « capitalistes et propriétaires fon­ciers du pays », leur forme de salut fut changée, « camarade » a été rem­placé par « monsieur ». Bakdash est une édition de poche de Staline. Ses discours servent à guider les stali­niens arabes dans les antres pays arabes, qui font font ce qu'ils peuvent pour prouver que leur ferveur natio­naliste n'est pas moindre que celle de leur maître.

Ainsi, lorsque le « Parti arabe » dirigé par le Mufti Haj Amin-el-Husseini, qui servit de truchement aux nazis dans le monde arabe, fut revi­goré en juin 1944, les staliniens arabes, organisés dans la Ligue Nationale de Libération, s'empressèrent d'envoyer le télégramme suivant à la direction de ce parti : « La Ligue de Libération Nationale de Palestine vous félicite de votre décision de re­prendre l'activité de votre parti, et nous croyons que celte décision nous rendra service à tous pour unifier nos efforts au service de notre chère pa­trie. »

De cette ligne générale découle l'attitude des staliniens envers les inté­rêts de classe des travailleurs et des paysans. La phrase du programme national du Parti Communiste de Sy­rie et du Liban relative aux fellahs est ainsi formuéle : « On doit prêter attention à la situation du fellah et à sa libération de la misère, de l'anal­phabétisme et de son état arriéré. » Que signifient « attention » et « libération » ? Khaled Bakdash en donne une claire réponse dans son discours du 1er niai 1944 :

Nous garantissons aux propriétaires fonciers que nous ne demandons pas et que nous ne de­manderons pas au Parlement la con­fiscation de leurs fiefs et de leurs terres, mais nous avons au contraire l'intention de les aider en demandant la construction d'entreprises d'irriga­tion à grande échelle, et des facilités pour l'importation d'engrais et de ma­chines modernes. Tout ce que nous demandons en échange est qu'on ait pitié du fellah et qu'on le débarrasse de sa misère, de son analphabétisme et que l'instruction et la santé soient répandus dans les villages !... Ce sont là nos positions économiques, ou, si vous voulez, nos revendications sociales. Elles sont démocratiques et très modestes.
(Le Parti Commu­niste en Syrie et au Liban; sa poli­tique nationale et son programme na­tional, Beyrouth 1944, pp. 24-5.)

Bakdash a raison sur un point : le prêche pour la pitié est réellement une « exigence » vraiment modeste.

Dans les autres pays arabes, les sta­liniens suivent la même ligne et ne pensent pas non plus au partage des terres féodales.

En fonction de la lutte de classe des travailleurs, la ligne de l'argumenta­tion est la même : « Nous sommes très modestes, très conciliants, prêts à dé­fendre de tout notre cœur votre ca­pital, bourgeois arabes. Vous aussi, devez être modestes et conciliants... » Au lieu d'appeler les travailleurs à lutter et à s'organiser indépendam­ment pour leurs revendications, on en appelle à la conscience de la bour­geoisie et de l'Etat bourgeois. Ainsi, par exemple, lorsque les ouvriers des usines de savon de Tripoli se mirent en grève. Saut u-sh-Sha'ab, le quoti­dien stalinien de Beyrouth, écrivait le 15 juillet 1944 : « Nous espérons que les patrons accéderont aux revendica­tions des ouvriers, étant donné qu'elles sont modestes, et que le gou­vernement interviendra entre les pa­trons et les ouvriers pour résoudre la question d'une manière équitable. » Les ouvriers furent frappés sauvagement par la police et nombre d'entre eux furent licenciés par la municipa­lité. Saut u-sh-Sha'ab en appela au gouvernement pour intervenir dans l'intérêt des ouvriers les 2 et 3 août 1944. Apparemment, la police n'est pas une arme gouvernementale !

La H août 1944. Saut u-sh-Sha'ab décrivit les terribles conditions de vie des ouvriers des laiteries, Les conclusions ? Le gouvernement doit envoyer une commission d'enquête.

De plus en plus fréquemment les travailleurs viennent demander un soutien pour une grève ou pour une autre lutte économique, et chaque fois la parti les apaise pour ne pas vio­ler l' « unité nationale ». A un mee­ting du Parti Communiste du Liban, Faraj Allah el-Hilu, secrétaire du Parti, attaqua violemment ceux qui tentent de diviser les Libanais et de créer un état d'esprit méfiant envers le gouvernement. Et quand Saut u-sh-Sha'ab dit que dans ce meeting (janvier 1944} « les travailleurs et les employés, les fellahs et les propriétaires terriens étaient assis côte-à-côte », on se demande si les paroles de El-Hilu ont aplani les doutes des ouvriers et des paysans au sujet du gouverne­ment, ou si elles ont accru leurs doutes envers la direction stalinienne qui s'accroche aux basques des pa­trons et des grands propriétaires et de leur gouvernement.

Les staliniens suivent les zigzags du Kremlin

Celte attitude des staliniens est le produit de leur dépendance envers la politique extérieure du Kremlin qui les mène à perdre toute la substance politique dont ils ont pu se vanter et à changer de couleur avec la rapidité d'un caméléon.

Un tract publié en 1939 par le Comité Central du Parti Communiste de Pa­lestine (composé à cette époque de Juifs et d'Arabes) déclare : « Le Hitler contre lequel Chamberlain combat n'est pas le même Hitler qu'il dirigea contre l'Union Soviétique. Ce premier Hitler ne peut pas conduire une campagne contre l'Union Soviétique, mais doit obéir (ni plus ni moins! — T.C.) aux instructions de Moscou, ce n'est plus, aujourd'hui le gendarme de Chamber­lain et de Daladier. » Apparemment, il est le gendarme de la paix mon­diale !

Les staliniens atteignirent le comble pendant le coup d'État de Rachid Ali. Même un aveugle pouvait voir que Rachid Ali était un jouet dans les mains de l'Allemagne, même sans con­naître exactement les relations existant entre lui et les nazis, A cette époque, le Proche et le Moyen-Orient, en gé­néral, n'étaient pas prêts pour un mou­vement de masses contre l'impérialisme britannique. L'armée allemande menaçait de pénétrer dans le Orient. En Syrie, des centaines d'agents allemands travaillaient la main dans la main avec l'administration de Vichy. Dans de telles conditions, il était clair qu'aucun mouvement d'Irak ne pouvait exploiter l'antagonisme entre les puissances impérialistes rivales pour la libération du pays, et tout dans la situation montrait que le faible mouve­ment irakien dirigé par Rachid Ali, le boucher des Assyriens, serait utilisé par une puissance impérialiste au dé­savantage d'une autre.

La question de savoir qui aurait le dessus, de savoir si le mouvement na­tional profiterait de l'antagonisme en­tre les puissances impérialistes ou si une puissance impérialiste ne profite­rait plutôt pas de l'antagonisme entre un autre impérialisme et la nation opprimée, est résolue par le poids re­latif de chacun des trois facteurs dans la situation. Toute analogie entre le « mouvement » de Rachid Ali et le mouvement de masses pour leur libé­ration des millions d'Indiens avec der­rière lui le colosse chinois, est complètement hors de cause. La preuve décisive du fait que Rachid Ali était un agent allemand sans aucun soutien populaire fut apportée lorsque, son gouvernement ayant été renversé sans difficultés par les Anglais, il s'enfuit en Allemagne.

Mais à ce moment là, les staliniens ne pouvaient voir cela, car le pacte ger­mano-soviétique était toujours en vigueur. Aussi Ra'if Khoury, l'un des « théoriciens » staliniens de Syrie, écrivait au sujet du coup d'état de Rachid Ali : « Je pense ne pas exagérer en disant que ce mouvement est le premier mouvement arabe sérieux , et puissant visant à ta liberté et à l'indépendance des Arabes, et au renforcement de leur existence commune. » (Principes de la conscience nationale, Beyrouth, 1941, en arabe, p. 91.) « Nous avons pris note, avec orgueil et satisfaction, des déclarations de Son Excel­lence, le Premier Ministre (Rachid Ali) affirmant que son gouvernement n'est au service de personne, comme des plumitifs à gage ont pu l'affirmer. » (Ibid, p. 92) « Pour la première fois, nous avons vu un gouvernement arabe prenant les armes côte à côte avec le peuple. » (Ibid, p. 93.) Et en ce qui concerne l'Allemagne : « Nous ne com­prenons pas pourquoi les grandes puissances de l'Axe n'ont pas reconnu officiellement l'Irak indépendant et son gouvernement, malgré une aide apportée par ces puissances, aide qui appelle nos remerciements, vu que la reconnaissance officielle a une valeur toute particulière. » (Ibid, p. 23-24) C'est sur de tels sentiments qu'il ter­minait ses cogitations sur Rachid Ali.

Mais, quelque temps après Staline fit une petite suggestion et la ligne changea soudainement.

Si l'Orient tout entier était jus­qu'alors l'ennemi de l'impérialisme et si « les masses indiennes et arabes étaient à la veille d'une révolte ou­verte contre la domination impéria­liste ». (Kol Ha'am, journal en hébreu du Parti Communiste de Pa­lestine, juin 1940), à partir de ce moment, un changement décisif était intervenu dans la situation, « le gouvernement doit compren­dre qu'il a une importante région d'amis dans le Moyen-Orient » (Kol Ha'am, décembre 1942). Jusqu'à ce moment le « gouvernement britanni­que en Palestine représentait le régime de domination, d'exploitation, de ré­pression, et de la pire réaction. Ce ré­gime est identique à celui d'Hitler ou de Mussolini avec lesquels les impérialismes anglais et français sont en train de lutter pour le monopole de l'exploitation des prolétariats des pays capitalistes et des nations opprimées des colonies » (Kol Ha'am, juillet 1940). A partir de ce moment, le Haut Commissaire britannique est le repré­sentant de la démocratie, et « nous maintenons dans nos cœurs ses excel­lentes particularités personnelles... la manifestation de ses caractéristiques vraiment sociales ». (Al-Ittihad, or­gane des staliniens arabes en Palestine, 3 septembre 1944.)

Les staliniens louent Churchill

Si l'armée britannique est envoyée pour réprimer je prolétariat grec, alors « nous considérons... que le gou­vernement anglais doit comprendre que sa conduite (en Grèce) est de courte vue et qu'il changera d'attitude... étant donné que M. Churchill est un homme qui fit beaucoup pour la démocratie, et il est déraisonnable de penser qu'il continuera à réprimer les Grecs. C'est le sens du voyage de MM. Churchill et Eden en Grèce... La visite de MM. Chur­chill et Eden en Grèce, dont les efforts sont dirigés vers un règlement de la question grecque, a fait bonne impres­sion dans tous les milieux ». (Al-Ittihad, 31 décembre 1944.)

Mais évidemment, les efforts de Bakdash et ses amis ne furent d'au­cune utilité. Les masses arabes qui sont dépourvues des droits démocra­tiques les plus élémentaires (libérée d'organisation, de réunion, de propagande et de presse), qui vivent dans des conditions cruelles d'esclavage, ne peuvent croire que la guerre mondiale, qui n'a apporté aucune amélioration à leurs conditions de vie, était une guerre pour la démocratie. Elles comprennent simplement que la charité commence par soi-même, et par suite, en dépit de tous leurs efforts, les staliniens ne réussirent pas à faire pénétrer le moindre enthousiasme pour la guerre. Au contraire, il y eut des manifesta­tions spontanées, des grèves et des heurts contre l'impérialisme et la bour­geoisie indigène (qui ne furent pas mentionnés dans la presse mondiale).

Les tâches du mouvement révolutionnaire

En Palestine, la banqueroute des staliniens s'exprima le plus claire­ment dans la question du sionisme et dans celle de la direction féodalo-réactionnaire du mouvement nationa­liste arabe et de la terreur antisémite. Le soulèvement de 1936-39 fut détour­né de ses véritables objectifs par les dirigeants féodaux qui furent les agents, soit de l'impérialisme britan­nique, soit de l'impérialisme alle­mand ou italien, et quelquefois des deux à la fois (ainsi par exemple Haj Amin-el-Husseini, mufti de Jérusalem, qui, de 1917 à la deuxième guerre mondiale, fut un agent des Anglais, et vécut à Berlin à partir de 1941).

A cette époque, le Parti communiste de Palestine non seulement s'opposa au sionisme (ce qui était juste), mais soutint à tort et aveuglément la terreur anti-juive, sans comprendre qu'il y a une grande différence entre la terreur entre communautés différentes et la lutte anti-sioniste. Ainsi un tract du P.C.P. du 10 juillet 1936 disait : « En détruisant l'économie des conquérants sionistes par le sabotage et par les attaques des partisans, le Mouvement de Libération Arabe veut, rendre im­possible la continuation de la coloni­sation sioniste. » Dans une circulaire aux régions des 7 juillet 1936, le Co­mité Central stalinien écrivait : « La bombe jetée sur la Maison des Tra­vailleurs de Haïfa (local de l'Histadrut — T.C.) fut lancée par des mem­bres du P.C.P. sur ordre du Comité Central du Parti ». A la même époque, le journal arabe du P.C.P. (Nidal ah-Sha'ab) publiait sans commentaires les déclarations du Mufti et soutenait ouvertement sa propagande de terreur antisémite.

Avec le tournant à 180° de la politique stalinienne, lorsqu'ils devinrent des défenseurs enthousiastes de la guerre « pour la démocratie », les staliniens juifs commencèrent, avec quelques réserves, à soutenir le sionisme valet de l'impérialisme. Évidemment, les staliniens arabes ne purent avaler cela et le parti se cassa en deux. Le groupe juif (qui n'avait pas un seul membre arabe) continue à porter le nom de Parti Communiste de Palestine. Le morceau arabe, qui d'après ses statuts de doit comprendre que des Arabes, s'intitule « National Freedom League » (Ligue de Libération Nationale). Une course au patriotisme commença entre les deux. Le jour de la victoire, le P.C.P. défila sous le drapeau bleu et blanc des sionistes avec les mots d'ordre « Liberté d'immigration », « Extension de la colonisation », « Développement du Foyer National Juif », « A bas le livre blanc »1. La « National Freedom League » participe au Front National Arabe qui comprend les partis bour­geois et féodaux et combat « Contre l'immigration sioniste », « Contre le transfert de terres aux sionistes », « Pour le Livre Blanc ».

Des nullités telles que Bakdash et ses amis arabes, ou que les staliniens juifs, sont-elles capables de mener une lutte révolutionnaire internationale contre l'impérialisme, contre les Britanniques, les Français, les Américains, les exploiteurs juifs et arabes et ainsi de mettre fin aux provocations sanglantes de la réaction ?

Il existe une disproportion extraordinaire entre le mûrissement des conditions objectives dans le monde et dans le Moyen et le Proche-Orient qui mènent à une lutte révolutionnaire, et la construction du parti révolutionnaire dans le Proche et le Moyen-Orient. Si cette disproportion n'est pas surmontée à temps, une terrible catastrophe menace les masses de ces régions. Mais il n'y a pas place ni pour le pessimisme ni pour le défai­tisme. Le problème ne sera pas résolu dans une seule bataille, mais dans une série de luttes qui peuvent donner, même à un petit noyau révolutionnaire, de grandes possibilités de développement.

Dans l'Orient arabe, le noyau initial d'une organisation de classe existe. Les syndicats en Egypte ont environ 200 000 membres, en Syrie et au Liban environ 40 000, en Palestine (sans comprendre l'Histadrut qui est surtout une organisation sioniste et non syndicaliste), 10 à 12 000. il y a ainsi environ un quart de million de travailleurs organisés dans les syndicats. C'est une petite minorité, mais elle n'est pas insignifiante.

La Révolution russe de 1905, et la Révolution chinoise de 1925-27 encore mieux, ont prouvé clairement que l'idée selon laquelle des organisations fortes sont une condition nécessaire pour la lutte des classes est le produit d'une méthode de pensée mécanique, non dialectique. Quelquefois, particulièrement lorsque les masses sont dépourvues des droits les plus élémentaires, les organisations se forgent au feu de la lutte. Ainsi pendant la révolution chinoise le mouvement syndical s'accrut de de 200 000 à 2 000 000 de membres, et dix millions de paysans le suivaient. Bien plus, le mouvement syndical était à peine né, que les soviets étaient à l'ordre du jour. Si, dans de cruelles conditions de servitude, une petite minorité seulement, et si, dans cette minorité, de petits noyaux osent lutter pour l'indépendance de classe des syndicats vis-à-vis des patrons, de leurs partis et de leur État, alors dans ces conditions de troubles sociaux, d'ébranlement de la domination et du prestige des classes dominantes par des soulèvements nationaux et sociaux, les travailleurs organisés en syndicats prennent confiance en eux-mêmes, se redressent, et luttent courageusement pour une action de classe indépendante de leurs organisations. Des centaines de milliers qui ne savent pas s'organiser s'éveillent de leur torpeur et osent s'organiser et combattre. L'orage qui est dans l'air transforme chaque petit conflit économique en une explosion politique de grande échelle, et chaque explosion politique, accroissant la tension générale, déclenche à son tour des luttes économiques de grande envergure.

Dans de telles conditions, l'organisa­tion politique révolutionnaire, quelque que soit sa faiblesse durant les temps « pacifiques », peut se développer rapidement et devenir le facteur décisif. Le premier noyau de la IVe Internationale existe en Palestine et en Égypte. La première tâche pour le moment est de les renforcer et de les unir dans un seul parti de l'Orient arabe.

Tâches principales du prolétariat

Contre la politique impérialiste de « diviser pour régner », le prolétariat de l'Orient arabe doit construire un front international de lutte de classe. Les principales tâches qui lui incombent sont : la révolution agraire, l'indépendance nationale, et l'unité des pays arabes divisés par des inté­rêts impérialistes et dynastiques. Ces tâches sont très intimement liées entre elles. Elles sont combinées avec les tâches de dépassement des sous-divisions en communautés et avec l'abolition des privilèges nationaux, la lutte contre les discriminations contre les minorités, et pour l'égalité complète des droits. Il est clair que les inégalités nationales seront complètement déracinées par la révolution agraire et par la nationalisation des entreprises du capital impérialiste, qui ouvrira la voie au développement économique et culturel de toutes les masses sans distinction de communauté ou de nation.

Pour briser les efforts de la réaction et pour exploiter toutes les pos­sibilités révolutionnaires dans l'Orient arabe, la classe ouvrière du Proche et du Moyen-Orient a besoin de l'aide des travailleurs anglais. Les travail­leurs anglais doivent comprendre ce qui se passe en Orient, le rôle des différentes puissances, et les intérêts réels du capital financier qui déter­minent la politique impérialiste en Orient. Il doit comprendre que toutes les luttes entre communautés en Orient ne sont que des produits de l'impérialisme, que la politique impé­rialiste qui, alternativement, soutient ou freine l'activité sioniste a pour but réel l'incitation à la haine nationale, et que le sionisme est réellement à la fois l'ennemi des masses arabes et juives.

Il doit comprendre que seul le re­trait des troupes d'occupation britan­niques d'Orient permettra que soient abolis les différences artificielles et les conflits entre les diverses commu­nautés (depuis les différences dans le standard de vie jusqu'aux antagonis­mes nationaux menant aux luttes san­glantes et aux pogromes.) Seul le renversement de l'Impérialisme per­mettra aux masses de l'Orient de se libérer de la domination économique et politique et libérera les masses anglaises de la nécessité d'être la chair à canon du capital financier.

Note

1 En janvier 1940, Kol Ha'am écrivait : « L'arrêt de l'immigration sioniste qui pénètre dans le pays, abaisse le standard de vie des masses, et complique les affaires politiques et économiques du pays et son règlement selon les termes du Livre Blanc – cela en général doit être la voie par où doit passer un peuple dévoué et honnête. »

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