2000

Une synthèse des conceptions politiques de T. Cliff....

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Arguments pour le socialisme par en bas

Tony Cliff


11 – L’IMPORTANCE DE LA THÉORIE MARXISTE

Continuellement, Lénine répéta qu’il ne peut y avoir de parti révolutionnaire sans théorie révolutionnaire. Le marxisme a été défini par Marx et Engels comme le socialisme scientifique. La science que ce soit la physique, la chimie ou le marxisme ne peut être apprise par morceau comme une accumulations de slogans. Elle doit être étudiée sérieusement.

Marx et Engels écrivent que les révolutionnaires doivent généraliser l’expérience historique et internationale du mouvement ouvrier, ce ne peut être fait sans étudier, sans théorie. On ne peut rien connaître de la Commune de Paris par sa propre expérience. On doit forcément lire des livres sur le sujet. Trotsky formule la même idée autrement, lorsqu’il dit que le parti révolutionnaire est la mémoire de la classe ouvrière et son université. A l’université, les étudiants étudient.

On doit apprendre le passé pour préparer le futur. Karl Radek, un dirigeant bolchevik décrivit dans ses mémoires sur Lénine comment, au cœur de la période tumultueuse que fut l’année 17, celui-ci lui conseilla de lire un livre sur la révolution française – cela lui permettrait de comprendre les tâches qu’ils avaient devant eux. Pendant la même période, Lénine écrivit l’un de ses travaux théoriques de première importance L’État et la révolution. Saint Just au cours de la révolution française dit : « Ceux qui font une révolution à moitié creusent leur propre tombe. »

Toutes les révolutions commencent comme des moitiés de révolutions. Le nouveau coexiste avec l’ancien. Ainsi, en février 17 la révolution renversa le tsar, se débarrassa de la police, établit des soviets –conseils ouvriers dans les usines –tout cela était nouveau. Mais l’ancien survivait : les généraux restaient dans l’armée, les capitalistes possédaient toujours les usines, les propriétaires terriens la terre et la guerre impérialiste continuait.

Quand Lénine est revenu en Russie, en avril 17, 10 000 travailleurs et soldats l’accueillirent à la station Finlande de Petrograd. Le président du soviet de Petrograd, le menchevik de droite Chkheidze, le salua avec un énorme bouquet de fleurs et déclara : « Au nom de la révolution russe victorieuse vous êtes le bienvenu. » Lénine écarta le bouquet, se tourna vers les travailleurs et dit : « Quelle révolution victorieuse. On s’est débarrassé du tsar ! Les français se sont débarrassé du roi en 1792. Les capitalistes possèdent toujours les usines, les propriétaires terriens la terre, la guerre impérialiste continue. A bas le gouvernement provisoire ! A bas la guerre ! La terre, le pain et la paix ! Tout le pouvoir aux soviets ! » Un historien, Soukhanov a décrit la scène. On pourrait croire que les milliers de travailleurs et de soldats ont crié : « Hourra » pour Lénine. Mais en fait ils restèrent muets. Ils étaient si excités par la fin du tsarisme, la fin de la police, qu’ils ne pouvaient comprendre quiconque critiquait cela. La seule voix, au milieu du silence, fut celle de Goldenberg, un ancien membre du comité central du Parti bolchevik. Il cria : « Lénine est fou ! Lénine est complètement fou ! » Parce que Lénine avait bien en tête les mots de Saint Just, il dirigea la révolution jusqu’à son terme.

Depuis 1917, il y eu plusieurs révolutions qui s’arrêtèrent en chemin et ainsi se terminèrent par une contre-révolution.

Pour donner quelque exemples. En novembre 1918, la révolution en Allemagne se débarrassa du Kaiser et établit des conseils ouvriers – soviets. Hélas, les généraux étaient toujours là, les propriétaires d’usines aussi. En 1919, les officiers de l’armée assassinèrent Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht et d’autres communistes. Et quelques années après les nazis arrivèrent au pouvoir.

En 1979, des grèves de masses culminèrent en une grève générale dirigée par les conseils ouvriers (shoras) et renversèrent le Chah d’Iran. La direction du mouvement ouvrier était le parti communiste ( Tudeh) et les Fedayin, tous deux aux ordres de Moscou. Ils voulaient l’unité du peuple iranien avec les islamistes. Ils ont fait des compromis avec Khomeiny et celui-ci les a remboursé par un massacre.

Le troisième exemple est indonésien. Au début des années 60, le parti communiste indonésien avait 3 millions de membres, beaucoup plus que ce qu’avait les bolchevik en 1917 ( 250 000). De plus, 10 millions de personnes appartenaient à des organisations qui gravitaient autour du parti. Mais sa direction, stalinienne, voulait l’unité de la nation indonésienne avec tous les musulmans. Ils accordèrent donc leur soutien à un nationaliste bourgeois, le président de l’Indonésie Sukarno. En 1966, le général Suharto un subordonné de Sukarno organisa un coup d’état qui conduisit au massacre d’un million et demi de communistes.

On doit apprendre du passé pour préparer le futur. On doit étudier l’économie marxiste pour comprendre les contradictions du système capitaliste, les forces qui amènent des explosions en son sein.

Diriger c’est prévoir. Pour pouvoir prévoir, on doit avoir une compréhension théorique claire de l’économie, la société, l’histoire et la philosophie.

Ce n’est cependant pas suffisant d’avoir une minorité de membres d’un parti qui est au clair théoriquement. Cela devrait être le cas pour tous les membres. Lénine écrivait que dans un parti révolutionnaire il n’y a pas de membres de base, et qu’ainsi tout le monde doit avoir une connaissance du marxisme. Le parti révolutionnaire n’est pas une copie d’une usine capitaliste ou d’une armée. A l’usine, les patrons décident et les travailleurs obéissent. Dans l’armée, les généraux commandent et les soldats doivent se mettre au garde-à-vous. Dans un parti révolutionnaire, chaque membre a le pouvoir de penser, de décider et d’agir.

Bien sûr, en pratique il y a un certaine hétérogénéité théorique à l’intérieur d’une organisation révolutionnaire. Mais cette hétérogénéité doit être nivelée par le haut. Les plus grands dommages que l’on peut causer à une organisation politique interviennent lorsqu’on s’attaque aux intellectuels de l’organisation, au nom d’un attitude prolétarienne. En fait, ce type d’attaque est surtout dirigée contre les travailleurs du parti. C’est une insulte aux travailleurs car cela signifie qu’ils ne sont pas capables d’appréhender la théorie. Pourquoi croyez-vous que Marx ait passé 26 ans à écrire Le Capital ? D’ailleurs, il ne l’a jamais terminé. Seul le premier volume est sorti de son vivant, les deux autres furent édité par Engels après sa mort. Pourquoi croyez-vous que les marxistes en Russie organisait des cours du soir, de marxisme, pour les travailleurs dans les années 1890 ?

Un des meilleurs livres en défense du rôle des intellectuels dans un parti révolutionnaire est Que Faire ? de Lénine écrit en 1902. Ses opposants, qu’il appelaient économistes, pensaient que les travailleurs étaient incapable d’avoir une conscience politique au-delà d’une conscience syndicale, se contentant de demander de plus hauts salaires et des journées de travail moins longue.

Encore une fois, c’était le révolutionnaire italien Gramsci qui défendit le besoin de créer des ouvriers intellectuels.

C’était l’aile droite du parti social-démocrate qui attaqua Rosa Luxembourg, elle était trop intellectuel pour eux. Probablement, ils n’aimaient pas qu’elle soit pas allemande (elle était polonaise) et une femme. De la même manière, en 1923 lorsque Lénine était sur son lit de mort, Staline attaqua Trotsky en tant qu’intellectuel et plus tard l’accusa d’être « cosmopolite », c’est-à-dire, en fait, juif.

Sous-estimer la signification de la théorie dans un parti révolutionnaire est en germe insulter les travailleurs, supposer qu’ils sont incapables d’avoir des idées et s’en désintéressent.

Lire de la littérature marxiste et assister à des réunions théoriques ne suffit pas pour appréhender la théorie marxiste. On doit avoir autour des membres du parti une périphérie proche. Lorsque Lénine disait que tout le monde dans un parti révolutionnaire est un leader il voulait dire que chaque membre doit donner une direction aux travailleurs qui sont hors du parti. Par exemple, n’importe quel révolutionnaire a autour de lui plusieurs personnes, au boulot, le voisinage les amis etc. Ces personnes vont lui poser des questions auxquelles il devra répondre.

Par exemple. Quelqu’un peut dire : « Tu es pour la révolution, mais regarde la révolution Russe, elle a mené à la tyrannie. Pourquoi devrais-je la soutenir ? » Si le membre du parti peut expliquer ce qui s’est passé en Russie après la révolution, que la défaite de la révolution allemande a conduit à l’isolement de la Russie, expliquant du coup sa dégénérescence et ainsi l’arrivée de Staline qui devint le fossoyeur de la révolution et le dirigeant d’un pays capitaliste d’État. Alors le camarade a une vision claire de la théorie. Les discussions avec des non-membres rendra clair ce qu’il sait, et plus important, ce qu’il doit savoir et apprendre.

Le cœur du marxisme est la dialectique, le dialogue entre membre et non-membre. Comment un militant révolutionnaire arrive à amener des personnes à discuter avec lui ? La clé c’est de vendre un journal révolutionnaire, non seulement aux manifestations et devant des meetings ou encore dans la rue, mais aussi autour des lui, à quelques individus, régulièrement, que ce soit au boulot, aux voisins etc. Ainsi le vendeur les connaît et a des discussions régulières avec eux.

Lénine écrivait que le journal révolutionnaire est l’organisateur du parti. Comment cela ? Pas seulement, à l’intérieur du parti (organisation de la diffusion, des ventes et la récupération de l’argent), mais il doit permettre aux membres d’organiser leur périphérie. Il est courant de voir des journaux se vendre lors de manifestation ou dans la rue, mais la vente régulière autour de soi a une énorme importance. Une organisation qui n’a pas de périphérie conséquente n’est pas une organisation révolutionnaire mais une secte passive qui est au bord de la désintégration. Des révolutionnaires sans périphérie sont comme des poissons hors de l’eau.


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