1940

Haldane, John Burton Sanderson [J B S] (1892-1964)
Un des nombreux compagnons de route du Parti Communiste anglais dans les années 1930, il écrivit de nombreux articles pour The Daily Worker, mais n'adhéra au parti qu'en 1937. Il le quitta en 1950. L'avénement de la pseudo-science de Lyssenko, avec le soutien appuyé de Staline, fut le principal facteur qui éloigna Haldane du Parti Communiste.
Publié sous le titre « Why I am a Materialist », Rationalist Annual, 1940. Traduit de l'anglais.

JBS Haldane

Pourquoi je suis matérialiste

1940

Quand je dis que je suis matérialiste, j’entends par là que je crois aux trois propositions suivantes :

1. Il arrive des événements qui ne sont perçus par aucun esprit.

2. Il y avait des événements non perçus avant qu’il y ait le moindre esprit.

Et je crois aussi, bien que ce ne soit pas une déduction logique nécessaire d’après ces deux propositions, que :

3. Quand un homme est mort, il est mort.

De plus, je pense souhaitable que d’autres personnes acceptent ces propositions. Cela ne signifie pas que je crois que l’univers est une machine, que je suis une machine, ou que la conscience n’existe pas ou est moins réelle (quoi que cela veuille dire) que la matière. Quand je dis « je crois », je ne le dis pas dans le sens dans lequel un fervent chrétien utilise ce mot pour parler de la Vierge Marie, de Ponce Pilate ou des autres figures du dogme. Je l’utilise dans un sens ordinaire, de même que je crois, par exemple, que le dîner m’attendra quand je rentrerai chez moi, même si bien sûr il est possible que le cuisinier se mette en grève ou que la cheminée prenne feu. C’est-à-dire que j’agis, et que je propose d’agir en tenant pour vrai le matérialisme. Mais je suis prêt à considérer des preuves du contraire, et je ne suis certainement pas choqué ou fâché si quelqu’un critique ou doute de la vérité du matérialisme.

Le mot « matérialisme » est utilisé, tout particulièrement dans les controverses, pour sous-entendre la croyance selon laquelle un bon repas vaut mieux qu'une bonne action. En fait, on suppose qu'un matérialiste est quelqu'un qui jouit, ou s'efforce de jouir, de bons repas, d'une belle maîtresse, d'un compte en banque bien fourni, d'une grosse voiture à moteur, et ainsi de suite. Cela n'est pourtant pas évident. Les repas des autres sont aussi matériels que le mien, et un compte en banque n'est pas aussi tangible qu'une cave pleine d'or et de joyaux.

Dans les faits, j'ai remarqué que les matérialistes avoués étaient en général moins égoïstes que les idéalistes invétérés. L'idéalisme est en effet remarquablement utile pour ce qui est de nous aider à supporter le malheur d'autrui, en particulier sa pauvreté. Il est aisé de se persuader que les pauvres sont dotés de toutes sortes de bénédictions spirituelles. Mais il n'est pas si facile, lorsqu'on est concerné au premier chef, d'éviter l'attitude de l'idéaliste à propos duquel il fut un jour écrit :

Il était une fois un guérisseur par la foi de Deal
Qui dit : « Bien que la douleur ne soit pas réelle
Quand je m'assieds sur une épine et qu'elle perce mon cuir
Je n'aime pas ce que je m'imagine ressentir. »

Je ne nie pas, bien sûr, que certains idéalistes soient d'excellentes personnes, ni que certains matérialistes soient frustes et égoïstes. Mais dans l'ensemble, il me semble que le contraire est vrai, pour les raisons qui apparaîtront plus bas.

Il y a quinze ans, j'étais matérialiste en pratique mais pas en théorie. Je me considérais moi-même comme un système matériel, comme nous le faisons tous à un certain point. Lorsque nous voulons aller quelque part, nous prenons le train ou le bus, en acceptant d'une part que nous ne sommes pas capables de nous propulser aussi rapidement dans l'espace par le simple exercice de notre volonté, et d'autre part que le véhicule n'aura pas plus de difficulté à nous transporter que si nous n'étions qu'un sac de pommes de terre. Cependant, bien que nous croyions solidement en l'application à nous-mêmes des lois de la physique, cette croyance ne s'étend pas à la chimie. Nous avons envie de faire confiance à une corde qui a été testée avec le double de notre poids, mais nous hésitons plutôt à boire la moitié d'une dose fatale de poison ; à raison dans certains cas, puisqu'une dose non létale de poison peut provoquer des dégâts non négligeables, mais ce n'est absolument pas systématique. Certaines substances toxiques, telles que le monoxyde de carbone, sont complètement inoffensives si l'on prend la moitié d'une dose létale.

J'ai appliqué les lois de la chimie sur moi-même. Par exemple, j'ai déclaré : « Si on donne à un chien de l'acide chlorhydrique (dilué, bien sûr, de manière à ne pas blesser son estomac), il excrète une partie de cet acide, combiné à de l'ammoniac sous forme de chlorure d'ammonium. Dans la mesure où l'homme fonctionne de manière similaire au chien, et où les deux sont des systèmes de réactions chimiques partiellement réversibles, si j'ingère du chlorure d'ammonium, je devrais devenir plus acide. » Ce qui s'est vérifié. Mon raisonnement était globalement correct, ou en tout cas il a mené à un résultat correct.

Toutefois, bien que matérialiste au laboratoire, j'étais une espèce plutôt ambiguë d'idéaliste à l'extérieur, pour les raisons qui suivent. J'avais appris certaines propriétés de la matière ; je savais qu'elle est constituée d'atomes unis dans des assemblages particuliers, qui se meuvent selon des trajectoires définies sous l'influence de forces données, et ainsi de suite. Ma croyance dans ces théories n'était pas une affaire de simple soumission. Je les avais testées, et j'avais mis ma vie en jeu sur leur exactitude. Mais il me semblait clair que si la matière avait les propriétés que lui attribuent les physiciens et les chimistes, il fallait quelque chose de plus pour élucider le vivant, et qu'il était bien plus dur encore de comprendre l'esprit. En tant qu'adepte de l'évolution, je me devais de rejeter les théories telles que l'épiphénoménisme de T. H. Huxley, qui considère que l'esprit est une conséquence subalterne d'une partie des événements matériels (à savoir, ceux qui ont lieu dans nos crânes), mais ne les influence pas. Non seulement j'étais tout à fait persuadé de pouvoir agir, mais de plus il me semblait très improbable que quelque chose d'aussi compliqué que mon esprit ait pu évoluer, en étant pourtant parfaitement inutile. Non pas que des organes sans fonction ne soient jamais apparus ; au contraire, il y a lieu de croire que la plupart des organes apparaissent dans une forme rudimentaire avant de développer une fonction, et je n'adhère pas suffisamment aux théories de Paley et consorts pour croire que tout organe — par exemple, la crête du coq, l'opercule du pigeon ou la caroncule du casoar — a une fonction. Cependant, je me refuse à croire qu'un système aussi complexe et, dans ses limites propres, aussi performant que l'esprit humain, ait pu évoluer sans en remplir aucune.

Je ne voyais pas non plus comment, sous le postulat matérialiste, la connaissance ou la pensée étaient possibles. La lumière qui atteint mes yeux provoque des influx nerveux dans un demimillion de câbles reliés à mon cerveau, et donne naissance à une sensation. Mais comment la sensation peut-elle se réduire à un composé d'atomes ? Et, même si c'est le cas, quelle garantie ai-je que mes pensées soient logiques ? Si le matérialisme est juste, elles reposent sur des processus physiques et chimiques qui ont lieu dans mon cerveau, et qui obéissent sans aucun doute aux lois de la physique et de la chimie. J'étais forcé, relativement contre mon gré, d'en revenir à quelque explication idéaliste, et de supposer que l'esprit (ou quelque chose de semblable) précédait la matière, et que ce que nous appelons matière était en fait d'une nature spirituelle, ou au moins de l'ordre de la sensation. Je souffrais cependant de trop connaître la faiblesse de toutes les doctrines philosophiques idéalistes pour en embrasser aucune, et j'étais conscient de souvent agir, en pratique, comme un matérialiste.

Les ouvrages qui purent résoudre mes difficultés furent le Feuerbach et l'Anti-Dühring de Friedrich Engels, et par la suite le Matérialisme et empirio-criticisme de V. I. Lénine. Mais les progrès de la recherche scientifique dans les quinze dernières années m'aidèrent aussi considérablement. Aucun des ouvrages précédemment mentionnés n'est aisé, si l'on a été élevé dans la tradition académique qui remonte à Platon et Aristote. Ceci, notamment parce qu'ils appliquent la méthode scientifique non seulement à la philosophie, mais aussi aux philosophes. Ils ne prennent pas la peine de démontrer que leurs auteurs ont raison et leurs contradicteurs tort, mais expliquent pourquoi, dans des conditions sociales particulières, telle ou telle théorie est susceptible d'obtenir une large approbation. C'est pourquoi, à moins d'adhérer à leurs conceptions politiques et économiques, il est peu probable que l'on accepte leurs conceptions de la nature et de la connaissance, quand bien même il ne s'agit que de celles-ci dans ces pages.

Engels et Lénine étaient des matérialistes convaincus — ce qui revient à dire qu'ils croyaient que la matière précéde l'esprit, et que nos esprits reflètent la nature, et la reflètent avec exactitude jusqu'à un certain point. Mais ils réfutaient absolument l'idée que les théories scientifiques de leur époque puissent décrire complètement, ou même de manière satisfaisante, la nature. « La seule propriété de la matière que le matérialisme ait le devoir vital de reconnaître, écrivit Lénine, est sa propriété de réalité objectivité, d'existence en-dehors de notre connaissance. […] La reconnaissance d'éléments immuables, d'une substance immuable des choses, ne procède pas du matérialisme mais d'une métaphysique, d'un matérialisme anti-dialectique. […] Il est bien entendu tout à fait absurde que le matérialisme doive […] adhérer à une image de la matière mécanique plutôt qu'électro-magnétique, ou incommensurablement plus complexe. » A propos de la physique de son époque, il déclarait : « Le matérialisme dialectique insiste sur le caractère temporaire, relatif, approximatif de tous les jalons posés sur la route de la connaissance de la nature. »

La nature est en état de perpétuelle fluctuation — en fait, elle est constituée de processus et non de choses. Même un électron est inépuisable, en ce sens que nous ne pourrons jamais en donner une description complète. Nous autres scientifiques, nous tentons sans cesse de donner des descriptions complètes, afin de pouvoir déduire tout ce qui se produit dans la nature à partir de quelques principes généraux. Ces tentatives rencontrent un certain succès, mais nous constatons toujours que la nature est plus riche que nous le pensions. Et les propriétés nouvelles des choses, lorsque nous les découvrons, nous paraissent contradictoires. Ainsi, dernièrement on a découvert que la lumière comme la matière possèdent deux ensembles de propriétés, l'un qui évoque les particules, et l'autre qui fait penser aux ondes. D'après Engels et Lénine, les choses consistent de fait en l'union de contraires, dont la lutte provoque l'instabilité et le développement en d'autres choses. Lorsque l'on découvre des « contradictions internes » dans nos conceptions, nos esprits reflètent la nature.

Mais ces contradictions internes n'impliquent pas que la nature est irrationnelle. Elles signifient seulement qu'elle est instable. Notre cerveau est fini ; la nature est probablement infinie, ou en tout cas trop vaste pour que nous puissions la saisir entièrement. Notre compréhension de n'importe quel phénomène matériel est donc une simplification. Nous inclinons à penser que les choses sont nettement délimitées, et nous tendons ainsi à nous exagérer leur stabilité. Pourtant, plus nous étudions la nature, plus nous constatons que ce qui semblait stable se révèle le lieu de tendances opposées. Les continents sont le terrain d'une lutte entre l'érosion, qui a tendance à les aplanir, et la tectonique et l'activité volcanique qui forment les montagnes ; c'est pourquoi ils ont une histoire. Les animaux et les plantes ne sont jamais complètement adaptés à leur environnement, contrairement à ce que pensait Paley, et contrairement à ce que devraient vraisemblablement être les œuvres d'un créateur omniscient et tout-puissant. Au contraire, ils évoluent justement parce qu'ils sont imparfaits. Le même principe régit les sociétés humaines.

Une des plus grandes difficultés des matérialistes, jusqu'ici, était la perception. Si le monde est composé d'objets autonomes isolés les uns des autres dans l'espace, comment une quelconque image peut-elle s'en former dans nos cerveaux ? Il n'y a pas d'espace vide dans nos crânes où puisse loger une représentation en miniature du monde extérieur. Le son est la seul caractéristique du monde extérieur dont nous connaissons à peu près la représentation dans notre cerveau. Si nous plaçons une électrode dans l'aire auditive du cerveau d'un chat et une autre ailleurs sur son corps, et que dans des circonstances favorables, nous amplifions le courant entre ces électrodes avant de le transmettre à un haut-parleur, nous entendons réellement les sons qu'entend le chat, ou du moins ceux qu'il entendrait s'il était pleinement conscient. La même expérience semble possible avec un cerveau humain conscient, même si je ne crois pas qu'elle ait déjà été réalisée.

Cela signifie que l'oreille et les nerfs auditifs servent à provoquer une perturbation électrique, à partir de l'air que nous percevons comme du son. Dans ce cas, alors, il existe une image véritable de la réalité extérieure. Mais comment quoi que ce soit de cet ordre peut-il se produire avec un objet solide, vu ou senti ? Les découvertes physiques de cette dernière décennie ont montré que la matière ordinaire, jusqu'aux électrons, pouvait être considérée comme une perturbation périodique. Il est certain que le rythme en est beaucoup plus rapide que pour le son, et qu'il ne pourrait pas être reproduit dans le cerveau. Mais une sorte de modification rythmique dans le cerveau, même largement plus lente que celle qu'elle reflèterait, imiterait au moins l'un des aspects de la matière.

Les physiciens nous expliquent que la fréquence des vibrations associées à une particule est proportionnelle à sa masse, et les physiologistes, en étudiant les influx dans une fibre nerveuse depuis un organe final responsable du toucher ou de la sensation de pression, constatent que la fréquence de l'influx croît avec le stimulus, bien que dans une proportion inexacte. Nous ne savons pas encore en détail ce qui survient dans le cerveau lorsque nous ressentons une pression, mais il est probable que la même loi fonctionne.

Nous ne sommes qu'au tout début des investigations nécessaires, mais il devient chaque jour plus plausible que nos esprits soient des réalités physiques impactées par le reste du monde, et réagissant à lui. Nos esprits sont des processus qui ont lieu dans nos cerveaux. Récemment encore, il était à peu près impossible de se figurer comment des processus impliquant des millions de cellules pouvaient constituer une unité telle que nous la trouvons dans nos consciences. Pourtant, nous découvrons de nos jours, dans les atomes comme dans les molécules, des propriétés systémiques qui ne peuvent être localisées à aucun endroit particulier en leur sein. Il n'y a rien de mystique dans ces propriétés, qui peuvent être très précisément mesurées et calculées. Elles sont l'expression du fait que les différents constituants de la nature sont bien moins isolés que ce que l'on a pu croire.

Les difficultés que l'on rencontre avec la vérité sont accentuées par le fait que nous utilisons ce mot pour au moins trois relations fort différentes. Nous pouvons dire qu'une perception ou une idée est vraie si elle correspond à une réalité extérieure. S'il y a entre les deux une relation de similarité, elle n'est jamais complète, mais elle peut être suffisamment vraie pour un usage particulier. Nous pouvons dire en outre qu'une copie physique, ou qu'une image, est identique à son original. Enfin nous pouvons dire qu'une proposition est vraie ; cette proposition peut être composée de mots ou d'autres symboles, et la logique a beaucoup à voir avec la vérité de propositions. Leur vérité ou non dépend de la signification des symboles, qui est une affaire sociale. Une proposition n'est vraie qu'aussi longtemps que quelqu'un la comprend, après quoi elle n'a plus de sens. « Le fer est plus dense que l'eau », cela sera vrai seulement tant que quelqu'un comprendra le français, même s'il ne s'agit que d'un antiquiste. Par la suite, cela ne sera plus qu'un galimatias comparable à « pung twet maboroohoo », ce qui, autant que je sache, pouvait signifier quelque chose pour les hommes qui ont bâti Stonehenge, mais n'est plus vrai ni faux de nos jours.

Bien entendu, les philosophes prétendent qu'une proposition symbolique en appelle à une réalité mentale appelée jugement, indépendante du langage. Je trouve cela tout à fait douteux. Au contraire, il semble plus probable que le langage ait commencé avec des mots ou des phrases dont l'équivalent en français serait « Viens », « Loup ! », « Prends ça », « Chéri », et ainsi de suite, qui ne sont pas des propositions, pas plus que des vérités ou non. Et de fait, on peut penser sans proposition ni jugement, comme lorsque l'on se remémore le plan d'une ville afin de choisir le chemin le plus court, ou lorsque l'on imagine ce qu'une connaissance ferait dans des circonstances données.

Le grand atout de la théorie selon laquelle les jugements sont tout sauf des phrases répétées dans notre tête, c'est qu'elle autorise les philosophes à théoriser la pensée sans explorer la physiologie du cerveau. Cela leur permet de nous parler abondamment de la vérité, et très peu de la manière dont nous pouvons la connaître ou agir dessus. Si nous partons du point de vue selon lequel une proposition est vraie pour autant qu'elle fait appel à des images mentales qui correspondent à la réalité, et qu'elle est utile pour autant qu'elle incite à des actions appropriées à la situation réelle, nous nous éloignons de la métaphysique pour nous confronter aux problèmes de l'action du cerveau, de l'histoire du langage, et de la manière dont nous apprenons le langage dans notre enfance, problèmes qui peuvent être résolus, non par la pure pensée, mais en étudiant le monde réel.

Voilà les raisons pour lesquelles je trouve le matérialisme satisfaisant d'un point de vue intellectuel. Je le crois aussi utile parce qu'il conduit à des actions que j'approuve. L'humanité fait face à une situation très complexe. Par le passé, nous avons pu nous sortir de nombreux problèmes grâce à la pensée scientifique, c'est-à-dire matérialiste. Nous essayons de résoudre nos problèmes politiques en faisant appel à des valeurs éternelles ; mais si nous commençons à aborder ces « valeurs éternelles » sous l'angle matérialiste, nous découvrons qu'il s'agit de phénomènes sociaux apparus dans les tous derniers millénaires, parce que les hommes ont abandonné la chasse et pris goût au stockage, à l'agriculture et à l'artisanat. Les sociétés sont alors devenues beaucoup plus complexes, et les « valeurs éternelles » font partie de l'appareil grâce auquel elles se sont perpétuées. En particulier, elles sont très utiles à ceux qui occupent les positions les plus confortables et souhaitent que l'état actuel des choses, avec quelques modifications mineures tout au plus, reste éternel.

La pensée matérialiste, dans le passé, a eu des effets révolutionnaires. Elle a permis de construire les sciences naturelles et de faire reculer la religion. Le même processus a encore lieu aujourd'hui. Il nous faut réaliser que nos idées actuelles sur la société ressemblent énormément, pour la plupart, à celles que nos ancêtres se faisaient de l'univers il y a quatre siècles — des traditions irrationnelles qui freinent le progrès dans l'intérêt d'une petite minorité. Ces idées se transforment au contact de la conception matérialiste de l'histoire, comme les idées de nos ancêtres ont été transformées par la conception matérialiste de la nature. Les conséquences en seront sans aucun doute révolutionnaires, comme il en a été par le passé. Cela serait peut-être regrettable si notre société fonctionnait bien. Mais elle fonctionne très mal. Nous aurons donc probablement à traverser une période inconfortable dans le futur proche, quoi qu'il advienne. Et comme je veux qu'une société rationnelle émerge de ces troubles présents, je ne suis pas seulement matérialiste pour moi-même, mais je fais ce que je peux pour que d'autres personnes le deviennent.

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