1965

"(...) de toute l'histoire antérieure du mouvement ouvrier, des enseignements de toute cette première période des guerres et des révolutions, de 1914 à 1938, analysés scientifiquement, est né le programme de transition sur lequel fut fondée la IV° Internationale. (...) Il est impossible de reconstruire une Internationale révolutionnaire et ses sections sans adopter le programme de fondation de la IV° Internationale comme base programmatique, au sens que lui conférait Trotsky dans la critique du programme de l'I.C. : définissant la stratégie et la tactique de la révolution prolétarienne."


Stéphane Just

Défense du trotskysme (1)


1

Le stalinisme et la IV° Internationale

La crise conjuguée de l'impérialisme et de la bureaucratie du Kremlin

Or, voici que craque le monolithisme de l'appareil politique construit par la bureaucratie du Kremlin. La rupture entre la bureaucratie du Kremlin et la bureaucratie chinoise remet en cause, aussi bien pour les militants des P.C. que pour ceux des partis sociaux-démocrates, la légitimité historique de la bureaucratie stalinienne. Elle survient après la rupture de Staline, en 1948, avec le parti communiste de Yougoslavie, après l'écrasement sanglant par les tanks russes de la révolution hongroise, sommet de la crise révolutionnaire qui a secoué entre 1953 et 1956 les pays de l'Est européen; après la dénonciation des crimes de Staline par les bureaucrates du Kremlin eux-mêmes; au moment où, en U.R.S.S., s'expriment ouvertement des tendances pro-bourgeoises. Pour des milliers de militants apparaissent de plus en plus les véritables traits de la bureaucratie de l'U.R.S.S., usurpatrice des conquêtes révolutionnaires de la révolution russe, et le rôle véritable qu'elle joue par rapport à l'impérialisme et au prolétariat mondial; cela d'autant plus que la crise du stalinisme est liée aux contradictions qui minent l'impérialisme.

La reconstitution d'un marché mondial et d'une division internationale du travail, la restructuration de l'économie des pays capitalistes profondément éprouvés par la guerre n'ont nullement résolu l'impasse historique du mode de production capitaliste. Après une période d'essor, d'ailleurs nullement rectiligne, le développement des forces productives entre d'autant plus violemment en contradiction avec la propriété privée des moyens de production et les frontières nationales qu'il a atteint un plus haut niveau. Ces contradictions s'expriment dans la lutte inter-impérialiste pour le marché mondial; elles s'expriment également par la pression qu'exercent en commun les impérialismes sur l'U.R.S.S., la Chine et l'Europe orientale, dans les domaines économique, politique et militaire, afin d'obtenir la libre pénétration dans ces pays des marchandises et des capitaux. La bourgeoisie tente à la fois de les surmonter au détriment de la classe ouvrière des pays capitalistes, et par la pénétration dans les pays d'économie planifiée, où l'essentiel des moyens de production est propriété étatique. Ainsi, en même temps que s'exerce, sur l'U.R.S.S., la Chine et les pays de l'Europe orientale, une pression croissante, qui aggrave les contradictions sociales dans ces pays, s'accentue la lutte des classes dans les pays où la bourgeoisie détient le pouvoir.

A la limite, l'automation, en se développant dans le cadre du mode de production capitaliste, fait peser sur la classe ouvrière la menace de ne plus être qu'une masse dépourvue de qualification, de voir rejeter des travailleurs, par dizaines de milliers, hors du cycle de la production. Les impératifs de l'impérialisme le poussent, au moins, pour l'instant, en Europe occidentale, à détruire le mouvement ouvrier organisé, ou tout au moins à le vider de son contenu en subordonnant à l'Etat bourgeois les organisations syndicales. Inversement, chaque lutte importante de la classe ouvrière, surtout en Europe occidentale où les contradictions de la société bourgeoise s'expriment avec le plus d'acuité, l'oppose en tant que classe à la bourgeoisie et à son état.

Les militants des organisations politiques et syndicales contrôlées par la bureaucratie du Kremlin se heurtent à chaque instant aux implications de la politique de « coexistence pacifique », qui subordonnent les intérêts les plus évidents du mouvement ouvrier international à ceux de la bureaucratie stalinienne. Cette dernière veut trouver un modus vivendi avec l'impérialisme; elle veut surtout éviter à tout prix que le développement de luttes révolutionnaires du prolétariat des pays capitalistes économiquement développés ne donne une puissante impulsion à la lutte des travailleurs de l'U.R.S.S. et d'Europe orientale. La révolution hongroise a démontré que la lutte pour le renversement de la bureaucratie du Kremlin par la classe ouvrière, la renaissance de la démocratie soviétique, la révolution politique en U.R.S.S. et dans les pays d'Europe orientale, ne sont plus seulement des articles de programme, mais sont devenues des réalités politiques immédiates. Désormais, la révolution prolétarienne socialiste a deux pôles; l'impérialisme comme la bureaucratie du Kremlin en ont une claire conscience. Contre cette menace révolutionnaire, leur coopération est sans faille. La bureaucratie du Kremlin se sent directement et à court terme menacée par toute lutte révolutionnaire de grande ampleur, en particulier en Europe occidentale. Elle s'emploie, même sans compensation de la part de l'impérialisme, à liquider inconditionnellement toute possibilité révolutionnaire du prolétariat dans les pays où elle contrôle des partis communistes de masse et, par leur intermédiaire, de puissantes organisations syndicales.

Le lien qui existe entre la nature parasitaire de la bureaucratie, usurpatrice des conquêtes d'Octobre 1917, et la politique contre-révolutionnaire des organisations staliniennes dans les pays capitalistes commence à apparaître, bien qu'encore confusément, à des milliers de militants des organisations contrôlées par le Kremlin. Trotsky avait conclu dès 1933 : «  Le stalinisme est définitivement passé du côté du maintien de l'ordre bourgeois à l'échelle internationale.  » Seule une infime minorité de militants l'avait jusqu'alors compris. Aujourd'hui, par milliers, sinon par dizaines de milliers, des militants ouvriers en prennent conscience.

C'est ce qui détermine les nouveaux processus, encore embryonnaires, qui sont en cours au sein du mouvement ouvrier.

Mais la perception du rôle contre-révolutionnaire de la bureaucratie du Kremlin ne suffit pas. Il faut que s'ouvre pour les travailleurs d'avant-garde une perspective qui lie les problèmes de la lutte des classes quotidienne, avec lesquels ils sont confrontés, à ceux de la liquidation de l'impérialisme mondial et de la bureaucratie contre-révolutionnaire du Kremlin. Cette perspective, seule, la reconstruction de la IV° Internationale peut l'ouvrir, c'est pourquoi la lutte pour la reconstruction de la IV° Internationale pourra jouer un rôle déterminant dans la crise du stalinisme.


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